we wasted our young years ∞ ft. livio

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we wasted our young years
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@livio manzoni & @aura luciano

Je n’en pouvais plus des sushis, des burgers, des plats préparés et de ces espèces de galettes de pâte, garnies de sauce tomate, de fromage et d’autres ingrédients bons marchés que les habitants de Bowen osaient appeler pizzas. Par ailleurs, j’aimais cuisiner, j’aimais par dessus tout les produits frais. Existait-il quelque chose de plus doux que de respirer l’odeur d’une tomate mure ? Cela faisait partie de mes petits plaisirs en tout cas. Je n’avais pas encore commencé à travailler au musée, et par conséquent, j’avais un peu de temps devant moi ce matin, ce qui m’enchantait, étant donné que c’était un jour de marché. Fini la malbouffe, j’allais enfin pouvoir nous concocter de bonnes petites choses. Lorsque nous vivions à Florence, Enzo et moi, j’adorais me rendre au marché de notre quartier, c’était même un de mes moments préférés de la semaine. Il n’était pas encore midi et j’avais déjà quelques fruits et légumes dans mon panier d’osier, commençant à faire connaissance avec les maraîchers. Je venais de passer presque dix minutes à discuter de l’Italie avec l’un deux. Mon accent, évidemment, ne passait pas inaperçu même si je parlais et comprenais parfaitement l’anglais – comme le français d’ailleurs. Avant que je ne change d’étale, le maraichers me glissa un compliment gentil, que j’accueillis sans rougir, à mon grand étonnement. Aussi loin que je me souviennes, je n’avais jamais accepté ce genre de paroles réconfortantes à mon égard, pensant toujours qu’elles étaient dites par simple politesse, pensant que je ne les méritais pas aussi. Malgré tout, depuis que j’étais à Bowen, les choses changeaient. En me regardant dans le miroir, j’arrivais quelques fois à me trouver jolie, à apprécier ma silhouette et ne plus trouver mon sourire si niais que ça. Je me sentais belle parfois, de plus en plus souvent d’ailleurs, et cela me faisait du bien. M’arrêtant finalement devant un bar à smoothies, je décidai de m’accorder une douceur et commandai une boisson à la fraise parfumé à la violette. Puis, en me retournant pour reprendre mon chemin, je manquais de tout renverser sur ma robe, un peu choquer de voir la personne qui attendait derrière moi – ça aurait été dommage, elle était neuve et parfaitement blanche qui plus est. Ce visage, ces yeux, ce sourire, je n’avais pas les oublier. Cela faisait presque sept ans que je ne le l’avais pas vu, ou peu puisque je m’étais efforcée de l’éviter malgré son amitié avec mon frère jumeau.
— Livio…
Son prénom dans ma bouche me semblait presque irréel. J’avais essayé si longtemps de l’effacer de ma mémoire, sans y parvenir. Je n’arrivais même pas à croire qu’il se trouvait devant moi, mais je ne rêvais pas, je n’avais pas besoin de me pincer pour le savoir.

Son producteur était face à lui, le visage cramoisi et les poing serrés à s'en blanchir les phalanges. Il avait compris que sa poule aux oeufs d'or - à savoir Livio - allait lui en faire voir de toutes les couleurs, cette saison. Il ne comprenait pas pourquoi il avait signé, si c'était pour s'en aller à la première occasion. Mais il savait aussi que la survie de cette émission reposait sur Livio. Livio et ses sourires qui faisaient craquer les midinettes. Livio et sa bonne humeur qui le faisait passer pour le bon copain que tout le monde pouvait avoir. Il n'aurait pas misé un euro sur ce jeune homme, mais il avait su se faire sa place dans le coeur des téléspectateurs. "Tu n'es pas en vacances, mon grand ! On a une saison à tourner. On a des délais !" avait-il fini par lâcher, énervé, avant de se laisser retomber sur son fauteuil, se pinçant l'arête du nez afin de calmer cette migraine martelante. Il ne releva la tête qu'au moment où Livio se mit debout, son sourire provocateur sur les lèvres alors qu'il annonça, avec un ton faussement compatissant : "Je sais. Mais je ne reviendrais quand même que lundi." Et il tourna les talons, sous le regard noir du producteur. Livio avait des projets pour ce week-end et personne ne l'empêcherait de les mener à bien. S'installant au volant de l'un des véhicules louées par la production - tant qu'à faire - Livio alluma la radio et s'engagea sur la route, sous le regard abasourdi de quelques techniciens. GPS en marche, il entra le nom de sa direction : Bowen.

Deux heures plus tard, les premiers bâtiments de Bowen apparurent. Habitué aux grandes villes, Livio était complètement dépaysé face à une petite bourgade de la sorte. Il se demandait bien ce qu'Enzo fichait là... Apercevant un petit marché au loin, dont les couleurs attirèrent son regard et dont les odeurs firent gargouiller son estomac, le jeune homme gara sa voiture. Il comptait manger un bout et rejoindre ensuite Enzo. Il flâna parmi les stands, avant de sentir une odeur qui éveilla ses papilles. Un bon panini ferait l'affaire, accompagné d'un smoothie de ce bar qui lui faisait de l'oeil. Après avoir acheté son sandwich, il se dirigea jusqu'au bar à smoothies, sortant un instant son téléphone pour guetter le nombre d'appels reçus. Visiblement, son producteur était encore énervé... Quand il discerna du mouvement devant lui, il releva ses yeux bleus qu'il posa sur la jeune femme devant lui. Et quand il croisa ce regard connu, le sourire insupportable qu'il avait toujours sur les lèvres disparut bien vite. Et merde. Alors qu'il espérait voir Enzo, il tombait sur sa jumelle. C'était le risque, mais il ne pensait pas avoir affaire à elle dès à présent. "Aura." dit-il en réponse à son prénom qui sortit de sa bouche. Livio garda son regard sur elle, sans le détourner. Il voyait bien qu'elle était mal-à-l'aise, surprise de le voir ici. Et c'était agréable à voir. Il aimait faire son petit effet, Livio. "ça... fait longtemps." reprit-il, en se parant de nouveau de ce sourire insupportable. Elle l'avait longtemps évité. Elle l'avait même fui, sans qu'il n'ait eu de réelles explications. Et c'était sur ce point-là qu'il lui en voulait le plus. Il était vraiment à mille lieues de se douter de ce que la belle avait réellement sur le coeur. "Je suppose que ton frère ne t'a pas dit que je venais faire un saut ici ?" Sinon, elle se serait sûrement dans la ville voisine.

Son visage me ramenait presque sept ans en arrière, à cette soirée étudiante beaucoup trop arrosée que j’aurais préférée oublier. Oui, car si mon cerveau avait occulté une bonne partie de ce qui s’était passé cette nuit-là, des flashs me revenaient quelques fois, et particulièrement lorsque Livio se retrouvait en face de moi. Bien qu’il soit un ami de mon frère jumeau, j’avais excellé dans l’art de l’éviter jusque là. À croire qu’on n’échappe jamais vraiment aux choses qu’il nous faut affronter. Tout nous revient toujours en pleine face. C’était peu de le dire. Bouche bée, mon smoothie me gelant légèrement les mains, je ne savais quoi dire, hormis le prénom de l’italien que je venais de prononcer. Il énonça le mien, et ce fut comme un électrochoc. La scène n’avait rien d’un rêve, c’était bien réel au contraire. Livio Manzoni, à Bowen, sur la place du marcher. C’était complètement invraisemblable. Et pourtant…
— Non.
Ce fut d’abord tout ce que je fus capable de dire, puis, fronçant les sourcils, je levai les yeux vers Livio qui était un peu plus grand que moi.
— Enzo sait que tu es là, donc ? m’étonnai-je.
Il ne m’avait rien dit. D’un autre côté, il n’était au courant de rien, concernant Livio et moi. Pour éviter les questions toutes ses années, j’avais seulement prétendu que je n’appréciais pas son ami, que je le trouvais superficiel. Il était rare que je porte ses fréquentations masculines dans mon cœur de toute façon, mon frère n’avait pas cherché à en savoir plus, et cela m’allait très bien comme ça. Nerveuse, je me mordis l’intérieur de la joue. Je ne savais pas comment me sortir de là, que dire, que faire ? Le laisser en plan sans rien dire était tentant, mais c’était puéril et je n’avais pas envie de faire ça.
— Je ne te demande pas ce que tu deviens, fis-je d’un ton railleur, la Terre entière est au courant, je crois…

Ils avaient passé presque sept ans à s'éviter. Rectification : Aura avait passé presque sept ans à éviter Livio. Et voilà qu'ils tombaient l'un sur l'autre, à Bowen, par un pur hasard, alors que Livio n'était là que pour voir son pote. Bien sûr qu'il savait que la jeune italienne vivait aussi dans cette ville, mais elle avait toujours eu le don pour ne pas croiser son chemin, si bien que Livio ne s'était pas réellement préparé à une telle rencontre. Mais malgré la surprise, l'italien gardait un visage neutre. Il avait appris à masquer ses émotions avec une facilité déconcertante. Aura, en revanche, n'était pas aussi forte que lui sur ce domaine-là. Bouche bée, le regard étonné, on aurait dit qu'elle voyait un fantôme du passé. Ce qu'il était, en quelque sorte. Ce qu'il n'avait jamais vraiment accepté, en réalité. Depuis qu'il avait décidé de prendre sa vie en main, après sa tentative de suicide, Livio avait toujours fait en sorte de contrôler la situation. Et Aura était l'une des rares à l'avoir pris au dépourvu. D'ordinaire, c'était lui qui jetait les femmes après une soirée ou deux. Dans le cas présent, c'était lui qui s'était fait lamentablement jeter. Et cela touchait son ego, peut-être un peu trop surdimensionné. Une fois Aura remise de ses émotions, Livio put établir une conversation, lui demandant si Enzo l'avait informé de sa venue. Il avait déjà sa réponse - l'attitude d'Aura étant bien parlante - mais il voulait l'entendre confirmer ses doutes. Heureusement qu'Enzo n'avait rien dit ! Même si cette rencontre était inopinée, c'était grisant de se dire que cela avait fait son petit effet. "Bien sûr qu'il sait que je suis là. On doit se voir, ce soir." Sans doute allait-elle glisser deux-trois mots à son frère, demandant pourquoi il ne l'avait pas prévenu de la venue de cet ami qu'elle n'appréciait pas, qu'elle trouvait si superficiel. Il s'en souvient très  bien. Quand Enzo lui avait expliqué pourquoi Aura ne voulait plus voir Livio, l'italien avait levé les yeux au ciel. Elle aussi s'était arrêtée à cette image qu'il se fabriquait de toutes pièces. Peut-être était-ce mieux ainsi, d'ailleurs. Le ton railleur, Aura reprit contenance en le provoquant sur ce qu'il était devenu, faisant allusion à sa réputation télévisuelle, à sa vie balancée H24 sur les réseaux sociaux. Et aux nombreuses frasques qui allaient avec... "Je vois que tu es bien au courant, Aura." dit-il avec un sourire surfait. "Un monde superficiel pour un être superficiel. Il faut croire que j'ai bien trouvé ma voie." ajouta-t-il, provocateur à son tour, la piquant sur cette excuse qu'elle avait lâché à son frère et sur laquelle il comptait bien revenir. "ça te rappelle quelque chose peut-être ?"

Une fois passé le choc de revoir Livio ; de le revoir à Bowen en plus de ça, ce qui me semblait encore plus incongru ; j’érigeai un mûr mental entre lui et moi, un mur que j’avais monté pierre après pierre au fil des années et qui me semblait très familier. J’étais plutôt douée pour ça en fait, mettre de la distance entre moi et le reste du monde ; mes frères étant souvent les seuls admis derrière ma barrière de sécurité. Mon visage se ferma, mes dents se serrèrent, et alors que j’écoutais Livio se moquer de moi avec cet air insolent sur le visage, je sentis mon sang se mettre à bouillir dans mes veines. Je détestais cet effet qu’il avait sur moi. Je détestais qu’il me mette aussi facilement en colère. Malgré tout, je ne parvenais pas à me contrôler. C’était plus fort que moi. Ma seule envie, présentement, était celle effacer ce sourire arrogant de sa figure par n’importe quel moyen. Je serrai les poings, enfonçant mes ongles dans mes paumes pour contenir ma rage. Dans la réplique de Livio, toutefois, je décelais une certaine amertume. Je n’étais visiblement pas la seule à ressentir de la colère. Etonnant…
— C’est l’image que tu aimes te donner, non ? répliquai-je.
Je savais que Livio était bien plus profond que ce qu’il ne le laissait transparaitre à la télé. Il n’était pas une idiot, je le savais pour avoir discuté de nombreuse fois avec lui, avant que cette fameuse nuit ne me tienne éloigné de lui comme de la peste. Livio n’était pas superficiel, il jouait un rôle.
— Mais peu importe, tu fais bien ce que tu veux de ta vie. Si t’aimes te faire passer pour un mec insouciant et tristement frivole, ça te regarde...je m’en fiche pas mal. En revanche, Enzo ne doit pas savoir que tu m’as vu aujourd’hui. Compris ? D’ailleurs il ne doit rien savoir du tout.
Je pouvais mettre ma main à couper qu'Enzo péterait un cable s'il savait ce qui s'était passé entre Livio et moi, sept ans plus tôt. Et je voulais à tout prix éviter ça.

Il voyait le choc sur son visage, la surprise alors que son regard avait croisé le sien. Et à peine quelques mots plus tard, sourires insolents et regards provocateurs compris, il perçut la colère dans les yeux de la belle italienne. Elle avait beau essayé de rester neutre, de le provoquer à son tour, d'être piquante, il voyait bien l'effet qu'il avait sur elle. Il la mettait hors d'elle. Il n'avait qu'à dire quelques mots pour qu'elle sorte les crocs. Et il aimait cela. Il aimait tellement cela. Mais à trop jouer avec le feu, il savait qu'il prenait le risque de se brûler les ailes, lui aussi. Il aurait aimé que ses mots ne soient pas teintés d'une pointe d'amertume. Il aurait aimé laisser croire qu'il se fichait de son regard, de l'avis qu'elle pouvait porter sur lui, mais c'était faux. Il avait souvent discuté avec Aura, auparavant. Même s'il n'avait pas raconté son histoire en détail, elle avait décelé la profondeur de Livio. La voir s'arrêter à l'image qu'il véhiculait à la télé l'énervait quelque peu. Et il ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi cela l'énervait ! C'était frustrant. Il haussa brièvement les épaules quand elle lui répliqua que c'était l'image qu'il aimait se donner, répondant en laissant planer le mystère : « Peut-être... ou alors je suis vraiment con. Au choix... » Mais Aura opta pour les mots insouciant et frivole afin de le qualifier. Il posa une main au niveau de son torse et lâcha un « Ouch. » faussement douloureux, mimant comme si elle l'avait touché en plein cœur avec ses mots. Mais la suite de ses paroles éveillèrent encore plus le provocateur italien. Il se rapprocha de quelques pas, la surplombant du haut de son 1m85 puis se pencha quelque peu, comme s'il voulait instaurer un cadre propice à la confidence. « Ne t'en fais pas, ma belle, je garderai notre partie de jambes en l'air secrète. Je n'ai pas craché le morceau durant toutes ces années, tu crois vraiment que je vais en parler maintenant ? » Sur ce point-là, ils avaient au moins le mérite d'être d'accord. Pour son autre requête par contre...« En revanche,  pourquoi je cacherai à Enzo le fait de t'avoir vu aujourd'hui ? Je suis pestiféré au point de ne plus avoir le droit de te croiser ? » demanda-t-il, sourire de façade sur les lèvres. Fièrement, il rajouta : « Parce qu'il faudra te faire à l'idée que tu me croiseras peut-être assez souvent à Bowen. Tu ne pourras pas fuir indéfiniment, Aura. » Finalement, ce petit patelin lui plaisait bien...

Non, Livio était loin d’être con, je le savais. Avant la nuit qui avait complètement changé nos rapports, Livio et moi avions été amis. Du moins, il faisait parti des potes d’Enzo à qui cela ne m’embêtait pas de parler. À l’époque, j’avais décelé chez lui quelque chose de différent, une grande sensibilité cachée derrière un masque forgé dans le métal le plus épais. Je l’aimais bien. Avant. Ce qui expliquait sans doute pourquoi l’image qu’il renvoyait sur les réseaux sociaux ou à la télé m’agaçait autant. Quand il réduisit la distance entre nous, qui me surplomba de sa hauteur, je dus me concentrer toute mon attention sur la froideur du smoothie que j’avais dans les mains pour refouler mon envie de lui sauter à la gorge…ou bien au cou, si je devais être complètement honnête avec moi-même. Même après toute ses années, j’étais toujours aussi sensible au charme de Livio. Sept ans plus tôt, j’avais eu un béguin pour lui, sans jamais le lui avouer, et les effluves de son parfum musqué qui picotait mes narines était en train de le raviver. Ma mâchoire était douloureuse à force d’être serrée, malgré tout, je soutins son regard, tâchant de cacher mon trouble, préférant mettre ma colère en avant plutôt que le reste. Le reste, je n’étais pas sûre de savoir le gérer. Je détestais qu’il m’appelle « ma belle », je détestais qu’il m’appelle comme toutes les autres. Je me concentrais là-dessus pour alimenter mon feu. Dans les paroles de Livio, je sentais les reproches. Il me renvoyait au visage le fait que je l’avais fui depuis sept ans. Je ne pouvais nier ça, et je ne trouvais rien pour me défendre, ce qui accentua mon agacement. Je n’aimais pas l’idée qu’il me cloue le bec.
— À vraiment, tu crois ? fis-je avec une arrogance qui ne me ressemblait pas, watch me !
J’étais passée maitre dans l’art de l’éviter après toutes ses années et j’étais parfaitement capable de réitérer l’expérience, ici, à Bowen, contrairement à ce qu’il pouvait croire. Après l’avoir défier du regard, je tournai les talons, et m’éloignai de lui en faisait comme si cette rencontre n’avait jamais eu lieu.