#20 - i'm all panic and no disco ▽ ariel

i'm all panic and no disco

« ARIEEEEEEEEEEEEEL ! » Charlie avait gueulé en entrant dans l’appartement à la façon d’un tsunami, sans prendre la peine de s’annoncer à l’avance et sans même toquer, ouvrant la porte et rentrant à l’intérieur comme une tempête. Elle avait le cerveau qui allait exploser et elle ne savait pas quoi faire de toute cette énergie qui bouillonnait en elle, alimentée par une myriade de sentiments qu’elle ne parvenait pas à compartimenter, menaçant de l’engloutir. Il fallait qu’elle parle à quelqu’un, qu’elle se confie, qu’elle sorte ce qu’elle avait sur le cœur sans qu’on ne vienne lui dire de suivre son cœur ou n’importe quelle connerie du genre qu’elle n’était pas prête à entendre. « Ariel, t’es où gros tas ? Bouge ton cul j’ai besoin de toi ! » s’écria-t-elle en cherchant dans l’appartement, allant même jusqu’à regarder dans les toilettes sans se soucier de sur quoi elle pourrait bien tomber. Elle allait devenir dingue, il fallait qu’elle ait l’avis de son meilleur ami, ou même pas, en fait, fallait juste qu’elle lâche tout ce qu’elle ressentait aussi vite que possible, sinon elle allait exploser. Elle revenait de son date avec Alma – oui, parce que si elle avait tenté de se persuader que ce n’était qu’une sortie entre copines, fallait se rendre à l’évidence, c’était un putain de date et elle avait mis un peu plus de temps que prévu à le réaliser – et elle ne parvenait pas à extriquer tous les sentiments qui se mêlaient dans son esprit, dans sa tête, dans son cœur et dans son estomac, en gros, un peu partout dans son corps. Elle en avait le tournis et elle ne savait pas si elle avait envie de sauter de joie, pleurer, s’enfuir en courant, faire une crise de panique ou vomir. Ouais, c’était assez intense, les émotions, avec Charlie. Quiconque la connaissant un tant soit peu était au courant et devait supporter cet aspect prédominant de sa personnalité. C’était ce qui faisait son charme mais pouvait aussi la rendre insupportable, et c’était sûrement ce deuxième point qui traversait la tête d’Ariel en ce moment en l’entendant tempêter dans son appartement. Le pauvre, quand même. Nan mais rien à foutre, elle avait besoin de lui, là, et tout de suite.

Putain, j'ai mal à la tête. Genre vieille migraine qui ravage l'esprit. Oh pauvre chaton tu as une migraine ? Nan nan nan, pas de pitié, j'me suis juste dégommé la gueule au whisky hier et j'ai plus vingt ans bordel. J'suis en pls sur mon lit, en caleçon et vieux t-shirt. J'dors pas, parce que j'suis trop mal pour trouver le sommeil. A côté de moi, une verre de coca bien frais que j'arrive même pas à descendre. Faut que j'arrête de boire. Enfin non, faut que j'arrête de me prendre des races. C'est surtout ça. J'bouge plus. J'attends. Il n'y a que ça à faire de toute façon. finalement, j'trouve un semblant de sommeil pendant plusieurs heures. J'me réveille, un peu mieux. Le seul remède c'est le temps. J'me lève, je m'étire et j'vais prendre une douche. La deuxième de la journée. Ca aussi c'est essentiel, les douches. Tandis que l'eau chaude détend chacun de mes muscles, j'entends une voix féminine en fond. J'deviens dingue. J'arrête l'eau, le cheveux plein de shampoing. J'attends, l'oreille tendue. Et là. Je l'entends. Charlie. Mais qu'est ce qu'elle fout ici ? Malgré l'intrusion, j'peux pas m'empêcher de sourire, comme un con sous la douche. J'me mets à hurler sous la douche pour qu'elle entende "BORDEEEL CHARLIE ! Tu fais chier, comment t'es rentrée ?!" Puis je repense à ce qu'elle a dit, elle  a besoin de moi. Intéressant. Qu'est ce qui peut arriver à ma meilleure amie pour qu'elle semble aussi paniquée ? "J'suis dans la salle de bain!  Ramène ton boule!"La porte de la salle de bain est ouverte. J'rallume l'eau, j'me rince rapidement le temps qu'elle arrive. Tandis que je l'entends approcher, je coupe l'eau, et commence à me sécher derrière le rideau de douche. L'intimité avec Charlie? Aucune. On est meilleur pote, pas ambiguïté, pas de prise de tête. J'l'entends entrer dans la salle de bain et j'prends les devant : "T'as intérêt d'avoir une putain de raison de m'avoir dérangé pendant ma douche !" J'fais genre j'suis en colère mais en vrai, j'suis contente qu'elle soit là, elle va illuminer ma soirée.

Un sourire amplement satisfait éclaira le visage de la brunette en entendant la voix exaspérée de son meilleur ami lui répondre, en provenance de la salle de bain. Elle courut presque jusqu’à la pièce avant même qu’il lui signifie qu’elle pouvait se ramener. « Bah, c’était ouvert, alors j’suis rentrée. » se justifia-t-elle simplement avec un haussement d’épaules, comme si c’était la chose la plus normale du monde que d’entrer chez les gens si leur porte était déverrouillée, plutôt que d’utiliser poliment la sonnette. « Oh ça va hein, fais pas ta diva ! C’est une situation D’URGENCE ! » lança-t-elle, adossée contre le lavabo alors qu’Ariel terminait de se sécher derrière le rideau. Il aurait même pu le faire à poil devant elle qu’elle n’en aurait eu rien à foutre, y avait pas de ça entre eux. « Beurk, tiens. » fit-elle avec une moue réprobatrice en lui tendant un caleçon du bout des doigts à travers le rideau de douche, tournant la tête du côté opposé. « Non mais t’as pas compris la p’tite sirène, c’est le bout de ma vie, là. Je reviens d’un date. Un putain de date, Ariel ! » s’emballa-t-elle ensuite, à deux doigts de la crise d’hyperventilation, commençant à faire les cent pas dans l’espace exigu de la salle de bain. Rien à branler qu’elle envahisse son espace privé, là, y avait plus important comme problème. Puis il pouvait bien faire genre qu’elle le saoulait, elle savait très bien qu’au fond il était content qu’elle débarque. Na.

Ma vie était très calme avant que Charlie ne fasse irruption dans mon monde. C'était une tempête. Il n'y avait pas d'autre mot. Mais quelle tempête ... Elle éveillait en moi la folie, elle était une source d'énergie inépuisable. Et quand je la savais autour de moi, un sourire s'accrochait à mon visage, mes yeux pétillait et j'm'arrêtais plus. On avait tous les deux des auras tellement compatibles. La porte était ouverte. Elle est entrée. CQFD. J'rigole et je rajoute. "J'te ferais un cour sur le respect de la vie privée un jour, t'inquiète!" Mais en vrai, ça ne me dérangeait pas qu'elle soit là, au contraire, j'aimais qu'elle arrive comme ça, telle une tornade. J'étais toujours derrière le rideau de la douche, je me séchais rapidement. Elle était entrée dans la salle de bain et évoquait une situation d'urgence. J'ouvrais alors rapidement le rideau de la douche juste au niveau de ma tête et j'la regardais. "Si tu me lâches un truc tout pété, gare à ton cul Meers!" J'avais été faussement menaçant, j'retourne derrière le rideau et j'finis de me sécher. Elle m'tend un caleçon avec dégoût. "Oh ça va, il est propre hein!" C'était drôle de nous voir aussi complice, aussi potes, sans aucune ambiguïté. Très clairement le genre de relation dont tout le monde rêve. J'enfile rapidement le caleçon et j'ouvre d'un coup de rideau. J'sors et là, très clairement, l'espace de la salle de bain est trop restraint pour deux. Mais tant pis. Charlie gesticule dans tous les sens, genre vraiment paniquée. Tandis que j'me regarde dans le miroir, elle me lâche l'info. J'm'arrête net. "Quoiii ? C'est tout ?" Je réfléchissais et rajoutais tout aussitôt. "Attends, attends, attends, ça c'est si mal passé que ça ?" En soit, j'avais un peu de mal à comprendre pourquoi elle était aussi paniquée. Un date, c'est censé être positif quand même non? Soit elle était tombée sur un psychopathe, soit elle perdait elle même la boule. En même temps, j'avais commencé à me brosser les dents, et j'plongeais mon regard pétillant dans le sien. Cette histoire me tenait en haleine. Bordel, elle savait y faire!

Charlie haussa les sourcils avec une moue indifférente au sermon du brun. Il était totalement dans son droit hein, qu'on se le dise, elle avait une fâcheuse tendance à envahir l'espace personnel des gens. Mais elle savait parfaitement qu'il disait ça pour rire, en tout cas en grande partie, et que c'était dans leur relation que de débarquer l'un chez l'autre sans prévenir. « Oui papounet. » railla-t-elle avec un air moqueur, ses traits illuminés d'une arrogance humoristique. La jeune femme éclata de rire face aux menaces d'Ariel. « Et vu la place qu'il prend, tu risques pas d'le louper ! » renchérit-elle sur un ton ironique en gloussant. Le garçon termina de se sécher, sortant en caleçon et lui demanda avec audace si c'était tout, ce à quoi Charlie réagit par une bouche grande ouverte, offusquée. « C'EST TOUT ?! » Bon d'accord, elle avait tendance à dramatiser un peu. Mais les sentiments, pour la belle brune, c'était quelque chose de flippant. Elle ne les rejetait pas, loin de là, mais elle avait tendance à paniquer rapidement, encore plus dans cette situation particulière. « Non non, du tout, ça s'est même très bien passé... C'est juste que, euh... » bredouilla la jeune interne en baissant la tête, esquissant des grimaces incertaines. « C'est une fille. Et ben, fin j'ai pas vraiment de... Enfin j'ai plus été amoureuse depuis... Fin non, j'suis pas amoureuse hein, c'est pas la fête aux papillons. Fin j'sais pas, c'est bizarre. » tenta-t-elle d'expliquer en cherchant ses mots, se rendant compte d'à quel point ça devait paraître ridicule.

Bon voilà, elle était bien là ma meilleure amie. Dans toute sa splendeur. J'explosais de rire et lui donnait un coup d'épaule quand elle acquiesça en disant "oui papounet". Charlie et moi, on avait le même humour, la même façon de d'exprimer, les mêmes gros mots en bouche, cette même franchise. C'était un peu mon homologue féminin, en plus énergique quand même. Personne pouvait rivaliser avec elle. "Ah mais ouais, grave, j'me suis dis aussi en te voyant que t'avais carrément pris du cul. Mollo sur les pitchs Charlie hein!" J'me retenais de rire, je racontais que des conneries mais avec elle, c'était ça tout le temps. On devait être un duo épuisant à suivre. C'est pour ça qu'on était le plus clair de notre temps juste nous deux. J'avais eu le malheur de dire "C'est tout?" Mais j'crois que j'prenais pas en compte les choses, ou alors Charlie sur-réagissait absolument tout. Je l'écoutais alors, en me brossant les dents et en marquant des pauses pour pouvoir entendre ce qu'elle disait. Au fur et à mesure qu'elle parlait, un large sourire s'affichait sur mon visage. (très sexy avec le dentifrice au passage). J'me rinçais la bouche tandis qu'elle venait de terminer de parler. "Donc ton soucis, c'est que t'es en crush sur quelqu'un, que le date s'est bien passé et que tu te sens toute bizarre." Je prenais un temps de pause. "En fait, t'as juste les boules de tomber amoureuse quoi." Pour résumer. Et là, j'pouvais carrément comprendre Charlie. Les sentiments amoureux , ça craint. C'est d'la daube en boite et il faut rester loin de ça. Charlie, elle était peut-être un point moins catégorique que moi sur ce sujet mais elle avait quand même les boules des sentiments. "Bon, très clairement, c'est quoi le plan ?!"

La brune éclata de rire et se lança dans un twerk improvisé de quelques secondes, venant pousser Ariel avec ses fesses dont il venait de confirmer la taille. Imbécile, va. Ils allaient toujours loin dans leurs vannes débiles, c’était ce que Charlie adorait chez son meilleur ami. C’était pas lui qui allait l’arrêter dans l’escalade de ses blagues ridicules, et qui allait la regarder de travers si elle faisait un truc débile. Non, il allait juste en rajouter une couche, cet abruti. Franchement, ils étaient insupportables quand ils s’y mettaient tous les deux, mais ça faisait rire aussi. « Tu vas voir où j’vais t’les mettre tes pitchs, Keynes. » menaça-t-elle en feignant un regard noir, peu convaincant vu son expression amusée. Elle raconta l’origine de sa panique au garçon, défendant sa réaction comme elle le pouvait, même si c’était bien pauvre. Conclusion que le jeune homme appuya en une phrase, et Charlie n’eut d’autre choix que de baisser la tête et de se dire qu’il n’avait pas tort. Au final, tout s’était bien passé, elle n’avait pas de raison d’avoir peur. Réflexion silencieuse à laquelle il répondit aussi quelques secondes plus tard. Et merde, il la connaissait vraiment trop bien. « Mais non j’ai pas peur, d’abord. » fit-elle sur la défensive en affichant une petite moue outrée, digne d’un enfant de cinq ans qui ne veut pas reconnaître qu’il a tort. Bon, c’était pas très solide comme défense. Mais il y avait un peu de vrai dans ce qu’elle disait, néanmoins, parce qu’elle aurait parié que si elle avait eu le même date, et les mêmes sensations au creux des tripes, mais avec un garçon, elle n’aurait pas réagi aussi violemment. « Mais c’est une fille, Ariel… J’veux dire j’ai jamais euh, fin si, mais euh c’est bizarre quoi. J’pense que… J’pense que c’est la première fois que j’pourrais tomber amoureuse d’une meuf. » tenta d’expliquer l’interne en passant une main dans ses boucles brunes. Ca pouvait paraître stupide et même puéril comme réaction, mais Charlie avait toujours eu du mal à être au clair avec sa bisexualité. « Forcément, tu peux pas comprendre, toi tu t’as toujours eu que des meufs. Ben moi c’est la première tu vois. Enfin non hein, on s’est pas chopées ! Enfin pas encore, enfin… HAAAA. » relança l’étudiante en s’agitant à travers la pièce, se perdant dans ses explications et se sentant de plus en plus ridicule à mesure qu’elle parvenait de moins en moins à s’exprimer. « Ah parce que j’dois avoir un plan, en plus ? » fit-elle en tournant des yeux ronds vers Ariel. Un plan sur comment séduire une fille, ouais, ça pouvait être pas mal. Un manuel sur le couple homosexuel, aussi, tant qu’on y était. C’était stupide de penser que ce serait différent d’une relation hétérosexuelle, mais dans la tête de Charlie, trop de questions tournaient par rapport à ça.

Charlie, elle pourrait, à elle toute seule, alimenter une ville entière en énergie. J'me dis qu'elle doit être tellement épuisée le soir quand elle va se coucher. Mais pour avoir déjà dormi avec elle, j'ai l'impression qu'elle est inépuisable. Combien de fois, alors que j'étais à moitié endormi, elle continuait de parler, d'émettre des hypothèses complètement déjantées sur des sujets incroyables, et moi, même épuisé, je rigolais et la suppliais d'me laisser dormir. Nan vraiment, cette fille est incroyable. Je l'aime trop.

Elle improvise un twerk quand j'parle de son supposé gros boule et finit par me menacer de me mettre les pitchs dans un endroit peu approprié. J'fais genre j'suis offusqué. "TANT DE VULGARITÉ EN SI PEU DE TEMPS!" Et puis comme on ne s'arrête jamais, je commence à emprunter la voix aiguë d'une femme bourgeoise qui lui ferait la leçon avec un accent faussement aristocratique "Tout de même Mademoiselle Meers, vous commencez d'abord avec cette danse abjecte, depuis quand les jeunes filles remuent-elles ainsi leur arrière train ? Et vous continuez en insinuant un acte barbare et peu catholique à l'encontre de votre ami Ariel. Non vraiment, là, c'en est trop!" Je souris puis on passait aux choses sérieuses. Si Charlie était venue ici ce soir, c'est parce qu'il y avait une cellule de crise à mettre en place. Elle se défendit automatiquement qu'elle n'avait pas peur. J'la regardait avec un air faussement blasé. "On m'la fait pas à moi !" Je pontais mon doigt vers mon nez "J'ai du flair pour ça madame!" Très clairement, il y avait plusieurs choses qui troublait Charlie et à l'écouter, elle n'arrivait pas vraiment à mettre de mots sur tout ça. Je l'écoutais attentivement. Ce qui lui faisait le plus bizarre dans cette histoire c'est qu'elle allait peut être démarrer une histoire d'amour avec une fille. "Au contraire j'peux comprendre! J'me suis fais que des meufs, je sais comment c'est hein!" Je rigolais puis décidais d'être un peu sérieux. "Nan mais en soit, les relations sentimentales elles sont pareilles, peut importe la personne tu crois pas? Si t'as des sentiments, si tu t'sens bien avec elle, c'est le principal nan?" Serais-je devenu la voix de la sagesse? Charlie faisait des allers-retours incessants dans l'espace exiguë de la salle de bain. Je finissais d'enfiler mes vêtements, et décidais d'ouvrir la porte pour avoir un peu d'air. "Faut toujours avoir un plan Charlie ! Toujours!" Je marquais une pause puis sortais de la pièce. J'me retournais d'un coup vers ma meilleure amie en la pointant du doigt et rajoutais "Et tu sais c'qu'il faut faire pour avoir les meilleurs plans du monde? ... il faut boire un coup!" Toutes les occasions étaient bonne pour picoler, n'est-ce pas? Et très clairement, il fallait que j'aide Charlie à voir clair dans sa vie. Un bon verre allait nous aider à mettre un coup de projecteur à cette situation.

Charlie éclata de rire devant l’exclamation faussement offusquée du garçon, alors qu’il faisait mine de la sermonner, poussant la blague plus loin en lui faisant une longue leçon qui aurait pu sortir de la bouche d’un papy ultra-conservateur, utilisant un vocabulaire des plus soutenus. « Deal with it, bitch. » fut la réponse de la jeune femme, sur un ton hautain et enjoué, lui adressant un regard provocateur. Et pour couronner le tout, elle claqua sa main contre ses fesses, avec tant de force qu’elle se fit d’ailleurs mal. Imbécile. Elle expliqua ensuite les récents événements à Ariel et surtout sa réaction démesurée, qu’il tentait en vain d’apaiser. La brunette tournait en rond dans la pièce, se démêlant nerveusement les cheveux toutes les dix secondes alors qu’elle essayait de faire comprendre au garçon à quel point la situation était critique. Chose qu’il minimisait, ce qui ne faisait qu’augmenter la nervosité et les questionnements de Charlie. Bon, il avait pas tort, hein, mais elle n’était pas en état de le voir. Tout ce qu’elle voulait c’était de la compassion, qu’on comprenne que ça la foute dans tous ses états et limite qu’on panique avec elle comme si des aliens avaient débarqué à Bowen. Un petit gloussement surpassa toutefois sa fébrilité quand Ariel affirma qu’il pouvait justement comprendre, vu qu’il s’était fait que des meufs. Ouais, c’était une façon de voir les choses. « Arrête, j’ai l’impression d’être la première bisexuelle homophobe de l’histoire de l’humanité, là. » souffla-t-elle après sa question, s’asseyant sur les toilettes avec une expression déconfite. Parce qu’effectivement, comme il le disait bien, c’était une relation sentimentale et y avait pas à faire de différence selon le sexe. Mais au vu de sa situation actuelle, la théorie était différente de la pratique, pour Charlie, et là tout de suite, elle était submergée par tout ce que ses émotions signifiaient. « Ben je sais pas, j’suis jamais sortie avec une fille, moi. Si ça se trouve, j’en ai même pas envie. » soupira-t-elle avec un haussement d’épaules, ne sachant plus quoi penser. Peut-être qu’elle ressentait juste une attirance pour Alma maintenant, et que ce n’était qu’une phase, ou une image qu’elle se faisait d’un potentiel couple. Peut-être que si elles démarraient effectivement une relation, à la minute où ça se concrétiserait, Charlie n’en aurait plus envie, comme ça pouvait arriver quand on aimait l’idée qu’on se faisait de quelque chose et non la chose elle-même. « J’crois que j’suis meilleure en impro. » rétorqua la brune comme si c’était une fatalité. Un sourire se dessina sur son visage ensoleillé quand Ariel prit un virage à 180 degrés en proposant… De boire. Ça, c’était son meilleur pote. « T’sais quoi ? J’crois que t’as TOTALEMENT RAISON ! » s’exclama la jeune fille en se levant d’un coup, ses boucles brunes rebondissant dans son dos tandis qu’elle sautillait vers le salon, prête à dévaliser le frigo et les armoires. « A-t-on des vivres en suffisance, colonel ? » demanda-t-elle en cherchant après des bouteilles, sur un ton joyeux, mimant une scène de film de guerre.

Entre nous pas d’ambiguïté. C'est très cool de pouvoir sortir de la douche à moitié à poil tout en discutant avec sa meilleure amie sans qu'il n'y ait la moindre gène. On se charrie, j'sous entends qu'elle a pris des fesses et on en tarde pas à se lancer dans une joute verbale amusante qui finit par un claquement de main de Charlie sur son propre postérieur. Vu de l'extérieur, on aurait de quoi se dire qu'on est timbré mais je rigole avec elle. La plupart du temps, on rit ensemble, comme si nos connexions cérébrales étaient avant tout basé sur l'humour, les nôtres sont très similaires et c'est pour ça qu'on s'entend aussi bien. Charlie est catastrophée par sa propre situation et pourtant elle ne perd pas le sourire et la joie de vivre. On peut discuter de sujets très sérieux tout en gardant notre légèreté naturelle. Finalement, je m'adosse contre le meuble de la salle de bain et je plonge mon regard dans celui de Charlie en essayant de me mettre à sa place et de comprendre qu'elle est vraiment troublée. Sa réflexion me fait rire. Charlie, c'est la reine des dramas, elle adore en faire des tonnes et ses mots sont forts. J'éclate de rire. "Toujours plus Charlie! Mais attends, qu'est ce qui te dérange dans le fait de crusher sur une nana? T'as peur de ce qu'on va penser de toi? Genre du regard des autres? Ou c'est juste toi qui est pas ok avec ça?" J'essaye de comprendre, je vois bien dans le regard de Charlie qu'elle est vraiment en panique et qu'elle tente d'obtenir des réponses. J'suis pas le Dalaï-Lama, j'suis pas une exemple de sainteté, mais j'suis assez fort quand il s'agit de poser les bonnes questions qui font que les autres trouvent leurs propres réponses par eux même, et c'est ce que j'espère en en tentant d'éclaircir ce qui se passe dans la tête de ma meilleure amie. Je hausse les épaules à sa remarque. "Si ça te traverse l'esprit et que ça semble te tenter, alors faut essayer." Très personnellement, les coups d'un soir ça me connait et je n'ai pas peur de virer les nanas dès le lendemain mais peut-être que Charlie n'envisage pas de blesser cette fameuse nana pour qui son cœur penche. Terrible dilemme. Bordel, l'amour ça craint.

Finalement, on se met d'accord, un bon verre d'alcool permet toujours d'éclaircir les moments les plus sombres. Charlie, elle est toujours d'acc pour se saouler. Et puis, il est 18h00 passé, et c'est l'heure de l'apéro! On sort de cette salle de bain exiguë, Charlie se déplace avec grâce dans l'appartement, dispersant sa joie tout autour d'elle. J'm'accoude au bar et rigole à sa remarque. "Affirmatif, mon capitaine, quantité suffisante pour assurer un siège d'une nuit entière. Et en plus, il y a des chips". Je souris, le bac à légume du frigo est rempli de bière, il y a du vin de toutes les couleurs et le placard est rempli de gâteaux apéros. Tout ça m'a donné grand faim et un instant j'me dis que j'abuse avec l'alcool, hier encore je me tapais une énorme cuite et j'suis capable de re-boire sans problème le soir même. Mais très vite, cette pensée s'évapore. "Tu t'occupes des boissons, j'sors des gâteaux apéros." On s'active, j'lance une playlist sur la tablette, bientôt une musique chill sort de l'enceinte et nous enveloppe d'une bonne ambiance. On s'retrouve avec nos verres, on les fait tinter en se souriant "à la tienne Meers, et à ton orientation sexuelle en suspens!" Bah oui, il fallait bien reparler du sujet phare de la soirée. Je ne laisserais pas repartir Charlie tant qu'elle ne serait pas au clair avec cette histoire, c'était mon devoir de meilleur ami et je prenais mon rôle très à cœur.

Affalée sur le siège des toilettes, le menton entre les mains et l’expression du désespoir sur le visage, Charlie avait arrêté de tourner en rond dans la pièce et d’expliquer la situation avec véhémence. Elle grimaça quand Ariel lui demanda pourquoi, exactement, elle se foutait dans un état pareil juste parce qu’elle aimait bien une meuf. L’australienne haussa les épaules, remontant ses iris azur vers son meilleur ami, une moue de dépit animant ses traits. « Nan, bien sûr que non. Enfin… J’sais pas. J’imagine que plein de gens seraient surpris dans mon entourage. » répondit-elle d’abord. C’était peut-être un peu de la mauvaise foi, au fond, elle avait toujours été un peu sensible au regard des autres, même si elle n’en montrait rien. Mais l’étudiante n’était vraiment pas sûre que là réside le nœud de ses hésitations. « J’me dis que si ça se trouve, c’est qu’une phase et que je kiffe pas vraiment les filles. Genre, j’fais ma crise d’ado un peu en retard, tu vois ? » reprit la belle brune en plongeant ses yeux clairs dans ceux d’Ariel, avec un soupir résigné. Elle haussa encore une fois les épaules quand il lui dit qu’elle devait essayer, si ces idées lui avaient traversé l’esprit. Mouais. Elle n’était pas convaincue, mais en même temps, elle n’était convaincue de rien, perdue dans ses émotions et sentiments intimement intriqués. Bon, elle ne trouverait probablement pas la réponse aux questionnements qui bourdonnaient dans sa tête ce soir, mais au moins, la panique qui l’avait envahie était un peu retombée maintenant qu’elle avait tout sorti à son meilleur pote. Elle se sentait mieux, et le garçon eut la bonne idée de changer de stratégie pour la soirée, histoire d’alléger un peu son humeur. Assez discuté sentiments et orientation sexuelle. L’heure de la gnôle avait sonné et Charlie était plus que partante pour boire avec son meilleur copain, parfait remède à une tête trop lourde de pensées. Elle serait sûrement lourde de déshydratation demain. En quête d’alcool, l’interne avait commencé à ouvrir toutes les armoires, en sortant des paquets de chips, avant de trouver le graal dans le frigo, où quelques bières attendent sagement au frais. La jeune fille en prit autant que possible dans chaque main, les brandissant en l’air avec une expression de guerrière. Ariel s’occupait de balancer les petits gâteaux au four après avoir lancé la musique, et Charlie décapsule les bières en prenant soin de faire popper bruyamment les capsules, pour un max de satisfaction. « J’ai une bonne chance, tout à fait infime, de m’en sortir ! » lança-t-elle en trinquant avec le garçon avant de boire quelques gorgées enthousiastes, reprenant la phrase d’Egon dans Ghostbusters, même si comme toujours elle exagérait largement. Au final, ce n’était qu’une orientation sexuelle, pas une bombe nucléaire sur un orphelinat. Peu importe ce qu’il en ressortirait ou les erreurs qu’elle pourrait commettre, ça pouvait pas être si grave, si ?