Le péché le plus respectable est la gourmandise (charlize)

Nouvelle ville, nouvelle vie. On recommence à zéro et cette fois, on ne se plante pas. Déjà l'étape vitale, c'est de trouver un job. Je dis pas que je n'aime pas vivre avec mon frère, mais son appartement empeste la testostérone.

La chance me sourit car j'ai réussi à obtenir un entretien d'embauche en tant que pâtissière à Imogen. J'imagine la réaction de mon père 'voyons Charlie comment tu peux être aussi irresponsable! Abandonner tes études! Pour devenir pâtissière!' Mon moi intérieur râle. Rien que d'y penser, mon estomac se noue. Le métier de pâtissière ne doit pas être assez prestigieux pour lui. C'est à lui que je pense lorsque j'ouvre la porte. Cela me donne encore plus de détermination.

Une femme m'attends, je ne sais pas trop si je m'adresse à la bonne personne. Bonjour, je viens pour l'entretien d'embauche. Je suis un peu nerveuse, mais sûre de moi, je lui adresse un sourire sincère. Imogen est une enseigne dont j'affectionne. Leurs pâtisseries sont les meilleures de la ville, approuvées par mes papilles. Si jamais je suis embauchée, je serais plus qu'honorée.

Une fois n'étant pas coutume, j'avais encore des soucis de personnel. Depuis quelques mois je n'arrivais décidément pas à trouver de personnel sérieux et motivé, entre les vendeuses qui piquaient dans la caisse, les pâtissiers qui faisaient brûler les gâteaux en les oubliant dans le four, ceux qui oubliaient de se lever le matin, j'en passe et des meilleurs, ... Et tout ça avec une désinvolture qui me faisait parfois perdre foi en l'espèce humaine, j'en devenais folle. Mon dernier pâtissier en date, un jeune d'une petit vingtaine d'années, motivé et prometteur, venait de se faire débaucher par une pâtisserie de renom à Sydney, rien que ça, moi, avec mes petites boutiques de Bowen, même en lui promettant un meilleur salaire, je n'avais pas pu faire le poids. Aujourd'hui j'avais un entretient de prévu avec Charlie Keynes, je ne connaissais pas cette personne, j'avais reçu son cv sur mon bureau, vingt-sept ans, ce n'était pas un gamin, pourtant il avait peu, voir pas d'expérience, c'était encore à flou à ce stade. Je ne savais pas bien si j'aurais le temps de former quelqu'un, mais ça ne me coûtait rien de faire passer un entretient, de toute façon j'avais besoin de personnel. Une jeune femme arriva devant moi, la boutique était calme, c'était un horaire creux, le moment parfait pour un entretient d'embauche. La brunette se présenta devant moi. Charlie Keynes ? Je lui souriais, je m'attendais à un garçon, sans trop savoir pourquoi. Je suis Charlize Wojcik, enchantée. Je lui tendais la main pour qu'elle la sert part dessus le comptoir puis je le contournais pour venir à sa rencontre. Venez par ici, nous serons plus à l'aise. Veuillez excuser mon air surpris, je m'attendais à un homme ... les à priori... Arrivant à une table on s'installait, je posais une fine pochette devant moi. Vous voulez boire un thé, quelque chose avant de commencer ?

Passer un entretien d'embauche m'évoque de la bonne adrénaline. Je mentirais si je disais que je ne suis pas stressée. Je le suis. Face à la gérante d'Imogen, j'ai l'impression d'avoir de nouveau seize ans et que je passe mon premier rendez-vous professionnel. Mon tee-shirt est blanc, proprement repassé. Je porte mon pantalon bleu nuit préféré. Simple. Basique. Simplement moi. 

Je lui serre la main. Elle s'attendait à voir un homme. Ah... Eh bien, c'est l'histoire de ma vie. Les scientifiques qui lisaient mes thèses avaient souvent cet apriori lui confiais-je spontanément. Mince. Les mots m'ont échappé. Je ne voulais pas parler de mes études de physique d'entrée de jeu. Pitié qu'elle ne croit pas que je ne cherche qu'un travail provisoire.

Elle me propose du thé. L'idée que je vais boire du thé avec ma future patronne me semble étrange. Non merci. Je suis tendue mais je parviens à sourire. Croisons les doigts pour qu'il ne paraisse pas crispé.

Je n'ai aucun diplôme, aucune formation, ni dans la pâtisserie ni dans la restauration. Tout mon savoir-faire repose sur la relation avec mon ex. Respire, Charlie. Si elle t'a contacté, c'est parce qu'elle était un minimum intéressée. J'ai personnalisé ma lettre de motivation avec soin. Pas une seule fois j'ai menti. Bien que je n'ai suivi aucun cours, je maîtrise les techniques classiques de pâtisserie. Je ne suis pas encore au point dans la confiserie mais je pense pouvoir apprendre. Et ce qui peut faire toute la différence, c'est que moi j'aime ça.

La jeune femme face à Charlize présentait bien, elle avait l’air sérieuse, du moins au premier abord, même si elle était visiblement tendue. Sûrement que la cheffe pâtissière l’aurait été aussi en pareille circonstance, en vérité elle n’avait pas passé beaucoup d’entretiens dans sa vie, mis à part pour son apprentissage à l’époque, ça commençait à dater, c’était encore une gamine d’à peine dix-huit ans. Depuis ça, le seul employeur qu’elle avait eu était venu la chercher directement et ensuite elle avait ouvert sa première boutique. Autant dire que les entretiens, les cv, le stress, elle ne connaissait ça que de l’autre côté de la barrière. Ce n’était pas pour ça qu’elle n’était pas un peu tendue elle aussi aujourd’hui, depuis le temps qu’elle cherchait quelqu’un de sérieux pour travailler avec elle, une personne en qui elle pourrait avoir confiance, à priori ça ne courait pas les rues en ce moment ! La jeune femme, Charlie donc, glissa plus ou moins subtilement son passé de scientifique, c’était l’un des points les plus étranges de son cv, celui qui avait interpellé Charlize et elle confirmait, peut-être sans le vouloir, que ce n’était pas juste pour faire bien sur le papier. De quoi lui faire se demander encore plus ce qu’elle faisait ici pour un poste de pâtissière… sans aucune qualification de surcroît. Elle la fixa une ou deux secondes, le temps pour l’autre de monter d’un cran supplémentaire niveau stress, puis sans transition elle lui proposa une boisson. Ça n’avait rien de choquant en soi, on était dans un salon de thé et Charlize aimait mettre les gens à l’aise, même si, pour le coup, ça partait plutôt mal. Bien, alors on va pouvoir commencer. Elle lui adressa un sourire encourageant. J’aimerais savoir ce qui vous a motivé à vouloir vous lancer dans la pâtisserie. C’est le genre de métier qu’on fait par passion, si on veut le faire bien. Et j’ai comme l’impression que ça vous est venu sur le tard. Wojcik était curieuse, elle rentrait dans le vif du sujet, mais c’était aussi son moyen de voir si la personne en face était vraiment motivée ou si elle cherchait juste un job qui payerait le loyer.

Ayant fait de longues études, je n'ai pas rencontré beaucoup d'occasion de passer des entretiens. Il m'est arrivé plusieurs fois d'exposer mes théories face à des professeurs expérimentés mais l'enjeu n'est pas le même aujourd'hui. Aujourd'hui j'ai ultra besoin de ce job. Car si je ne trouve pas de job, je dois encore crécher chez mon frère Ariel. Si je dois encore crécher chez Ariel, je dis adieu à mon indépendance. Si je dis adieu à mon indépendance, je risque de sombrer dans l'anxiété. M'voyez où je veux en venir. J'ai besoin de décrocher ce job.

Mais attention, cela ne signifie pas que ce travail n'est qu'une porte d'accès à l'indépendance. Je veux être pâtissière et prouver à tous que je peux y arriver. La gérante d'Imogen me sourit et je me sens un peu plus confiante. Elle veut connaitre mes motivations. Forcément avec un CV aussi maigre, fallait s'y attendre.

La sincérité me rend bavarde. Je suis entièrement d'accord avec vous. J'ai découvert la pâtisserie à Sidney. Un... ami m'a initié. J'y ai retrouvé le goût du partage, de la créativité, du challenge. Je suis une passionnée. Vraiment. Avec la pâtisserie c'était instinctif. J'avais beaucoup à apprendre mais j'étais prête à relever le défi. Ma raison hurle de ne pas penser à mon ex. Raison qui tente d'écraser mon cœur. Une foutue douleur dans la poitrine m'oppresse. C'est malencontreusement grâce à lui que j'aime la pâtisserie. J'ai voulu l'impressionner lui, et pourtant, j'y ai pris bien plus de plaisir que je ne l'aurais imaginé. Désormais c'était la pâtisserie qui me faisait vibrer. Ce que j'aime le plus? Garnir avec une poche à douille. Satisfaisant au plus haut point. Je respire, déterminée, heureuse à cette vision d'un beau nappage brillant.

On sentait beaucoup de choses dans l'attitude et la prestance de cette jeune femme, elle avait l'air d'être quelqu'un de déterminé et pour Charlize c'était une véritable qualité, c'était même essentiel dans ce métier. Parce que c'était généralement un métier d'hommes, les pâtissiers les plus connus et reconnus mondialement étaient masculins, très peu de femmes avaient pu faire de leur nom un empire, comme en cuisine, comme dans beaucoup de domaines en vérité. Peut-être parce qu'elles étaient moins déterminées que les hommes, qu'elles faisaient moins entendre leur voix. Peut-être aussi parce qu'on restait dans une société où les femmes, bien que passionnées par leur job, avaient une seconde casquette à gérer, celle de maman et qu'en rentrant le soir à la maison c'était une deuxième journée qui les attendait, les hommes s'étant fait un nom ne devaient pas avoir de panière de linge qui les attendait en rentrant... C'était une triste vérité même alors qu'aujourd'hui on prônait l'égalité des sexes. Charlize avait toujours été claire avec son mari, s'ils avaient un enfant un jour, ce qui était arrivé finalement assez tard, elle avait déjà la trentaine entamée, elle ne voulait pas être l'esclave des couches et des lessives, elle aimerait cet enfant, c'était certain, mais Imogen était également son bébé et elle ne le laisserait pas tomber pour devenir femme au foyer, elle ne fermerait aucune de ses quatre boutiques pour avoir plus de temps. Quitte à payer une jeune fille au paire, quitte à avoir une femme de ménage qui lui coûterait un bras et quelques vendeurs en plus dans ses magasins. Et elle avait réussi à tout gérer, sans femme de ménage et sans baby-sitter, parce qu'elle avait un mari génial, parce qu'elle était organisée, parce qu'elle était déterminée. Et elle espérait sincèrement que cette Charlie face à elle ait autant la niaque qu'elle l'avait elle. Ou qu'elle l'avait eu, parce qu'actuellement ce n'était plus vraiment la même, avec tout ce qu'elle avait vécu ces dernières années. Enfin c'était une autre histoire. Un ami, donc... la pâtisserie rapprochait, c'était une belle idée du couple, peut-être que si elle venait à travailler pour elle, Charlize se renseignerait un peu plus sur cet ami, pour l'heure, ce n'était pas ses affaires. Mais un sourire en coin anima sa bouche. On peut se révéler passionné à tout âge, ce n'est pas un problème, c'est même une chance que vous ayez croisé le chemin de ce garçon. Elle baissa les yeux sur la feuille face à elle. Mais donc si j'ai bien compris, vous avez appris les bases avec lui, aucune formation, aucun cours ? Pourquoi est-ce que je vous engagerais alors que des fournées entières de pâtissiers sortaient des écoles, frais et diplômés, avec des bases solides ? Elle exagérait, du moins, certes beaucoup de jeunes sortaient d'école avec le diplôme en poche mais malheureusement peu avaient la passion, le courage et l'envie d'évoluer. C'est pourquoi le cv de cette fille l'avait intéressé, parce qu'elle avait senti ce truc en plus. Le tout, pour Charlie, serait de savoir se vendre pour que la blonde ait confiance.

L'entretien a l'air de bien se passer. Je me sens bien. Je suis moi, sincère et authentique. Il serait inapproprié de parler de mon histoire tumultueuse avec mon ex à ma future employeur. J'opte pour le terme ami. Oui, c'est sûrement une chance de l'avoir rencontré car sans lui je n'aurais pas pris goût à la pâtisserie.

Aie le sujet redouté. La non existence de diplôme ou de formation. Par ailleurs je n'ai pas caché cette information dans mon CV. Pas de mensonge. De toute façon cela m'aurait attiré des ennuis. Une fois de plus, je joue la carte de la franchise. Je sais que je n'ai pas fait d'école. Mais j'ai appris plein de choses. Je maîtrise plein de techniques. Je sais faire les pâtes brisées, sablées, feuilletées. Je sais faire un glaçage, des garnitures, crèmes... Je ne connais pas vos recettes mais je m'y plierais. Je m'adapterais. Je veux vraiment apprendre. J'insiste sur le mot. Il est important qu'elle n'ait aucun doute concernant ma motivation. Je n'ai que très peu d'expérience mais j'ai cette détermination qui brûle en moi.