don't show the best of me (billie)

Depuis qu’il était revenu en Australie, depuis quelques semaines déjà quand même, Elmo sortait à gauche et à droite avec des amis pour rattraper le temps perdu. Non seulement il n’était plus à l’université avec eux pour être au courant de toutes les dernières nouvelles, mais en plus il avait raté les vacances de Noël avec eux puisqu’il avait passé un peu plus de deux mois en Italie à ce moment-là. Et puis, avouons-le, il n’avait pas grand-chose de mieux à faire, Elmo. Il avait mis ses plans d’études sur la glace le temps de trouver ce qu’il avait vraiment envie de faire de sa vie, alors en attendant il était retourné bosser au café où il était barista l’année dernière. En dehors de ça, Elmo avait beaucoup de temps libre, qu’il divisait entre des moments en amoureux avec Bella et des sorties avec ses potes. Il avait peu de temps pour lui et c’était exactement ce qui faisait son bonheur. Il détestait être seul, Elmo, il avait l’impression de perdre son temps quand c’était le cas. Bref, ce midi, le jeune homme était sorti avec des amis en voie de devenir infirmiers – comme c’aurait été le cas pour lui aussi s’il n’avait pas tout envoyé valser. Ils étaient assis à une terrasse d’un bar-resto, à la table juste à côté du passage piétonnier de la rue commerçante du centre-ville de Bowen. Les quatre hommes avaient déjà bien entamé leur troisième pichet de bière et leurs langues se déliaient à une vitesse hallucinante … déjà qu’ils n’avaient pas la langue dans leur poche quand ils étaient à jeun. Si Elmo s’était calmé depuis qu’il était plus ou moins officiellement en couple, l’alcool emportait souvent sa raison et son sens du respect. Alors, quand un de ses amis fit un commentaire des plus déplacés sur une demoiselle qui venait de passer sur le trottoir à côté, l’italien renchérit en disant : « Je me la taperais n’iiiiiiimporte quand. » Ouais, ses amis n’étaient pas forcément tous au courant qu’il était en couple, alors il lui arrivait encore de s’exprimer comme si ce n’était pas le cas. Les mauvaises habitudes, un truc du genre. « D’ailleurs vous avez vu sur Insta, les seins de Lou ? Clairement fake, c’était son cadeau de fête ou quoi ? On s’en fout, elle est une bombe. » Sur ce, il prit une gorgée de bière en riant face aux plaisanteries qu’ajoutaient ses amis, sans filtre.

Il ne me suffit de pas grand chose parfois pour me détendre un peu. Un verre de jus, mes lunettes de vue sur l'arête de mon nez et un bouquin en main sous le soleil presque brûlant de Bowen. Rien de plus en général. Les chants des oiseaux parfois pour accompagner, le brouhaha des passants par la même occasion. Rien qui ne puisse en soi me déranger mais il a fallu que je sorte le même jour que les relous de derrière moi. Une conversation d'hommes vous me direz, à se vanter qu'ils pourraient tous se faire la belle de Bowen s'il le pouvait mais leurs remarques bien grasses laissent vraiment à désirer. Je prends une grande respiration, expire tout aussi bruyamment avant de me retourner vers eux, baissant les lunettes pour mieux les regarder. "Si vous êtes si sûrs que vous pourriez vous la taper, osez au moins porter vos couilles pour aller l'aborder non?" C'est bien facile d'avoir une grande gueule mais si le reste suivait derrière. "Puis restez respectueux quand vous parlez des femmes. Ce ne sont pas des bouts de viandes prêts à réceptionner votre sperme." ajoutais-je par la même occasion. Qui sont-ils de toute façon pour parler de la sorte? Est-ce qu'on les a vraiment éduqué ou ils sont la copie parfaite de leur géniteur? Une honte. Y'a de quoi se révolter.

Le deuxième plat de nachos venait d’arriver et les quatre hommes s’étaient jetés sur les morceaux plus garnis, quand la jeune femme à la table d’à côté se tourna vers eux pour les aborder. Elle avait écouté leurs conneries et leur reprochait – en quelque sorte – de parler pour parler, sans pour autant aborder la personne en question. Les quatre la dévisagèrent un moment, surpris qu’elle ose s’imposer comme ça. Elmo fut le premier à sortir de son étonnement et de son jugement pour lui répondre. « Le temps de la complimenter elle était déjà rendue au coin de la rue, on va quand même pas lui courir après … et laisser tiédir notre bière. » Répondit Elmo en arquant un sourcil, regardant ses amis les uns après les autres comme pour s’attirer leur approbation. Ces derniers hochèrent la tête en riant, dévisageant la jeune femme qui les avait abordés out of nowhere. Cette dernière reprit en les sermonnant sur leur manière de s’exprimer à propos des femmes. Elmo soupira en entendant parler de respect et de bout de viande prêt à réceptionner leur sperme. Il haussa d’ailleurs les sourcils à ce passage. Elle était crue, celle-là. En vérité, Elmo savait que c’était irrespectueux mais dans les faits, ils n’en parlaient qu’entre eux, alors il n’y avait pas mort d’homme. Jamais il ne parlerait de Bella de la sorte, jamais il ne s’adresserait à elle en lui donnant l’impression qu’elle n’était qu’un objet. Mais entre potes, et par rapport à une parfaite étrangère, l’italien ne voyait pas de mal. « C’est drôle on entend souvent ça de votre côté mais quand c’est le moment de nous voir torse nu y’a tout de suite moins de retenue. » Fit remarquer Elmo, qui s’était souvent fait siffler à la plage, ou qui avait entendu des trucs du genre j’mangerais bien mes sushis sur ses abdos, des trucs du genre.

J'roule des yeux à sa remarque avant de soupirer bruyamment. "Je n'appellerais pas ça "complimenter" mais juste être en chien. Faut savoir choisir ses mots lorsqu'on parle de quelqu'un." Typiquement la chieuse qui en a juste rien à faire qu'il se prenne ces mots dans la tête alors qu'il y a ses copains qui diraient probablement amen à tout ce qu'il pourrait me balancer. Ce genre d'effet de groupe que je ne supporte pas. Il m'sort une réplique toute pétée. Je fronce les sourcils. Il est sérieux lui? Vraiment. C'est possible de penser de la sorte? Dans la vraie vie? "J'pense surtout que c'est dans des moments d'intimité, ce qui est totalement legit en soi. J'pense pas que des femmes viendraient vous siffler ou vous aborder de la même manière ou même poser des regards insistants sur vos personnes tout en parlant aussi mal. Il y a l'art et la manière de dire les choses et avec toute évidence, vous n'avez ni l'un, ni l'autre." Je soupire, désespérée d'avance par ce genre de réaction et surtout de conversation. J'sais déjà que j'ai perdu. On ne change pas une personne en une discussion et il est bien trop vieux -dirons-nous- pour qu'il se remette en question. "Du coup tu penses que vous subissez les mêmes pressions que les femmes, c'est ça?" Une simple question en soi. Serait-il foutu de me donner des exemples?

À son tour, Elmo roula des yeux. Quelle trouble-fête. Ils faisaient juste avoir du plaisir, en buvant de la bière et en disant de la merde, comme pas mal de groupes de jeunes adultes. Pas besoin de recevoir le sermon pour ça. « Ça va, elle a rien entendu … » Enfin, de ce qu’il croyait. Ils n’avaient pas été très subtils et n’avaient pas attendu qu’elle soit bien loin avant de se montrer comme quatre mecs affamés. De son point de vue, entre ça ou les filles qui mataient à la plage en se murmurant des trucs à l’oreille, ça revenait au même. Ça faisait partie de la game de la séduction, même si Elmo ne faisait plus vraiment parti de ceux qui jouaient à ce petit jeu-là. La jeune femme le contredit cependant encore une fois, prétendant que les femmes agissaient plutôt comme ça dans l’intimité. Elmo haussa les sourcils en secouant la tête, n’en revenant pas d’une telle réplique. « J’pense que tu dois pas sortir beaucoup, alors. T’iras dans une boîte de nuit ou à la plage quand c’est bondé, on s’en reparlera. J’crois pas que ce soit des endroits très intimes et pourtant j’me suis déjà fait demander si je pouvais flex mes muscles par des filles ou j’en ai entendu d’autres se dirent entre elles qu’elle lècherait bien mes abdos … » Elmo haussa les épaules. « Et tu sais quoi ? C’était drôle et flatteur. Et puis qui pourrait leur en vouloir, am I right ? » Il se tourna vers ses potes en riant et en désignant son corps. Ces derniers secouèrent la tête en riant et Elmo se prit même une frite en pleine gueule par un de ses amis. Il continua à rire avant de se tourner vers la brunette quand elle lui demanda s’il pensait donc subir les mêmes pressions que les femmes. « C’est pas ce que j’ai dit … Mais j’pense que pour le coup de faire la vierge offensée parce qu’on a dit deux-trois trucs déplacés sur une femme, bah ça, vous êtes pas forcément mieux, les filles. » Lâcha-t-il.

J'roule des yeux à mon tour. "Encore heureux. T'aurais réagi comment si elle s'était pointé devant toi et te tenait le même discours?" Est-ce qu'il se défilerait la queue entre les jambes ou il ferait tout pour la mettre mal à l'aise car il doit faire le paon devant ses potes? Il m'sort cependant des arguments que je ne pourrais presque pas répliquer, écoutant attentivement pour être sûre de mieux pouvoir y répondre. C'est sûr que certaines personnes parviennent à sortir ce genre de choses hors contexte mais... "C'est tout de même bien moins fréquent, tu peux le reconnaître. La majorité pensera juste que tu es à leur goût sans être forcément vulgaire. Pour les autres, c'est juste qu'elles savent comment faire pour que vous leur soyez soumis c'est tout. Il vous fait bien peu de choses pour que vous vous sentiez importants." Ca peut aussi jouer sur la séduction mais au moins il y a un but recherché derrière, ce n'est pas gratuit. Cherchait-il à la séduire en utilisant ces propos? J'crois pas non. Juste à faire comme les autres. J'arque cependant un sourcil en l'entendant répliquer, ne pouvant m'empêcher d'étirer mes lèvres. "Navrée que de te reprendre me fasse passer pour une jeune vierge. J'essaie juste de t'apprendre le respect. Ta mère n'a pas eu le temps de le faire, chéri? Tu veux qu'on reprenne tout du début?" lui lançais-je à mon tour. "On n'est pas forcément mieux sur certains sujets mais la différence étant qu'une femme sera toujours jugée par ses actes et ses paroles. Je te reprends justement pour que tu le comprennes aussi. Vos actes ne sont pas forcément mieux aussi mais pour vous ça passe, car vous êtes des hommes. Des soi-disant mâles alpha, ce genre de conneries que la société vous bassine pour ne pas que vous chialer sur votre ego surdimensionné qui pourrait être souillé à cause d'une personne autre appelé Zeta." Je soupire, mon ton est cependant plus calme. "Donc je t'en prie, à l'avenir sache être juste plus respectueux, choisis de meilleurs mots si tu veux parler d'une personne sans la considérer à l'état d'objet sexuel, d'un bout de chair que tu te ferais bien. C'est un être humain comme toi et moi en soi. Ca m'étonnerait que tu utilises ce genre de propos pour parler de ta mère, ta soeur si tu en as une ou même de ta copine, ou pour cette dernière si c'est voulu c'est juste entre vous, une fois de plus dans l'intimité." Je plonge mon regard dans le sien. "Les femmes sont juste plus intimidées par les hommes, toujours sur leurs gardes donc dès qu'un tente de l'aborder ou même en sachant que ce dernier n'est pas loin d'elle pour aucune raison. Elles ne savent jamais où se mettre. Penses-y s'il te plait, ce sera déjà une belle avancée." Je secoue doucement la tête de gauche à droite avant de me retourner. Comme je l'ai dit, jamais je ne pourrais le changer mais s'il pouvait juste y penser un minimum. Un homme qui agit de la sorte même à distance, ça n'a absolument rien de sexy si l'autre personne n'est pas sur la même longueur d'onde.

Bon point, comment aurait-il réagit si la demoiselle de tout à l’heure s’était arrêtée, avait fait quelques pas vers l’arrière, et l’avait confronté ? Il haussa les épaules, nonchalamment. « J’me serais excusé, si ça pouvait la calmer. » On pouvait se douter, suite à cette explication, que ce ne serait pas une excuse bien sentie. Une excuse juste pour qu’elle continue son chemin et qu’il puisse continuer à faire le con avec ses amis. Il aurait peut-être dû adopter la même technique avec la jeune femme qu’il avait face à lui, d’ailleurs. S’il avait fait son mea culpa dès la première remarque, elle serait sans doute retournée à son livre sans en rajouter. Là, malheureusement, Elmo venait de s’embarquer dans un débat sans fin. Et maintenant que l’assaut était lancé, pas question qu’il soit le premier à cesser de répliquer. « Non, en vrai, je le reconnaîtrai pas. Je pense que c’est fréquent des deux côtés, c’est juste que vous les filles vous êtes de plus en plus rapides pour crier au scandale. Alors forcément on en entend davantage parler. Tandis que nous, on prend la remarque et on se tait, parce que ce n’est pas grave, voilà tout. Quand y’a juste un des deux côtés qui en fait un cas, c’est clair que l’écart se fait sentir. » Alors qu’écart, Elmo jugeait qu’il n’y en avait pas vraiment. Bon, il n’était pas non plus un masculiniste débile, hein. Il ne dénigrait pas le mouvement de moi aussi et ne niait pas qu’il y avait parfois du harcèlement qui dépassait les limites. Mais on n’allait pas lui faire croire que les hommes étaient les seuls à avoir des comportements fautifs, alors que les femmes, étant désormais libres de dire ce qu’elles voulaient, se faisaient un malin plaisir à jouer aux mêmes jeux. Ça passait juste mieux venant d’elles. Le double standard, il se trouvait partout. « Alors là, encore, je suis pas du tout d’accord. On le voit bien, ça ne passe pas mieux, la preuve t’es là à me déranger pendant que j’bouffe avec des potes, pour me faire ton petit message. Si t’avais dit un truc du genre, j’t’aurais laissée vivre ta vie. » Elmo ne se prenait aucunement pour un mâle alpha, même si c’était peut-être l’image qu’il renvoyait en ce moment. Il trouvait le débat quand même intéressant à avoir, même si ça lui vaudrait les foudres de cette femme. « Effectivement j’parle pas de ma mère ou d’mon hypothétique sœur comme ça parce que j’ai pas trop ce genre de pensées pour elle, merci. Mais écoute, si c’est le genre de trucs qui te plait, vas-y, hein, moi, je ne juge pas. » Il esquissa un sourire, trouvant appui auprès de ses amis. La brunette renchérit en parlant d’intimidation et d’être sur ses gardes. « Oh c’est bon, tu vas loin là, j’étais pas en train de la suivre ou de la fixer comme un creep. J’ferais jamais ça. Y’a une différence entre un commentaire inoffensif et l’attitude que tu m’accuses d’avoir. C’est aussi ça, le problème, on est toujours tous mis dans le même panier. » Avait-il répondu même si elle s’était retournée. Il aurait pu s’arrêter là, elle s’avouait vaincue au fond en retournant à ses affaires, mais il ne pouvait quand même pas la laisser avancer qu’il était une sorte de prédateur sexuel qu’on croise dans une ruelle louche la nuit. Elle exagérait.

Dans quoi est-ce que je me suis lancée encore? Je crois que cette conversation ne verra jamais la fin sauf si ses potes venaient à se barrer à un moment donné. J'tente juste de lui expliquer les choses, pas de lui dire que sa façon de penser n'est pas la bonne mais vu que nos avis divergent... Je soupire, me calmant légèrement, un ton moins agressif car je suis en train de batailler pour rien de toute façon. "Les femmes de nos jours crient plus au scandale car elles se rendent simplement compte que les actes ou les phrases qu'elles peuvent recevoir sont déplacées. Les remarques sexistes, elles s'en sont toujours pris et elles devaient se taire. Si on les aborde et qu'elles en n'ont pas envie, oui elles en parlent car les hommes forcent le contact qu'elles ne veulent avoir. Si elles ont été agressées, elles ne disaient rien par honte alors qu'il est normal de proclamer haut et fort ce qu'elles ont subi, pareil lorsqu'elles étaient avec leur copain et que ces derniers les forcer par exemple sans que ceux-là ne se doutent que ça rentre dans un viol. Beaucoup d'hommes réagissent de la sorte car maintenant la femme ose parler et que ça en effraie plus d'un car en soi, il y a une majorité qui sont fautifs." rétorquais-je sur un ton presque dépité. Une autre réflexion, un autre contre-argument. "Ou peut-être que si tu l'avais entendu, tu en aurais jouer, tu t'en serais peut-être vanté ou même moqué qui sait?" J'hausse les épaules. S'il ne veut pas que je le dérange plus, il n'a qu'à être plus clair mais il surenchérit à chaque fois. Comment voulez-vous qu'on s'en sorte? Il parle de sa famille, me lance une vanne, je souris simplement avant de me retourner pour poursuivre ma vie mais il semble tout aussi à fond apparemment. Soit. "Je ne te mets pas dans le même panier quand je dis ça, il ne faut pas se sentir viser. Le fameux Men Are Trash, c'est surtout pour les exemples que je t'ai déjà donné. Je te dis simplement qu'il serait envisageable par contre d'employer d'autres propos au sujet d'autrui. Je n'ai pas crié au monde que tu étais un agresseur ou ce genre de chose." J'hausse simplement les épaules. "Par contre, tout le monde peut avoir des comportements déplacés donc le "jamais je ne ferais ça", possible oui mais peut-être qu'une ou deux fois dans ta vie tu as pu dire ou faire des choses qui sont maintenant reconnus comme étant du harcèlement, va savoir." Un sourire pincé. "Mais avant que tu dises quoi que ce soit, non, je ne te mets toujours pas dans ce même panier en disant ça." Qu'il ne se méprenne pas.

Elmo aussi, regrettait un peu de s’être lancé dans ce débat, là. Ça avait beau être intéressant et un peu drôle de la voir rager, aussi, ça commençait quand même à lui bouffer son temps de repas et de détente avec ses potes. Ils étaient venus ici pour relaxer et ne pas se prendre la tête, et voilà que le résultat contraire était en train de se produire. En même temps, aurait-il été capable de prendre le commentaire de la jeune femme et de ne rien répliquer ? Probablement pas. Elmo aimait trop la confrontation. « Je suis d’accord avec toi que les femmes devraient pouvoir se sentir assez à l’aise et en sécurité de parler tout haut des agressions qu’elles ont vécues, que ce soit avec un inconnu ou un copain. Mais là t’amènes le débat à un niveau vraiment différent de ce qu’on discutait. J’te parle pas des gros enjeux de viol, j’te parlais des petits commentaires à mon sens inoffensifs et que l’autre ne risque même pas d’entendre en plus. Y’a quand même une sacrée différence entre ça et ce que tu défends. Les hommes pourraient autant crier au scandale que les femmes pour ce genre de micro-agression verbale, mais on le fait pas, parce qu’on ne s’insurge pas pour tout et n’importe quoi. » Bon, la fin aurait pu être évitée. Il aurait pu juste lui dire qu’il était d’accord avec elle sur les premiers points et puis se taire. Ça lui aurait fait plaisir, à elle, et lui aurait pu retourner à sa bière. Mais la vérité était qu’Elmo en avait un peu effectivement marre de cette culture de la victimisation. Si elle avait sa place la plupart du temps, à d’autres moments, il trouvait que les gens avaient la mèche courte, de nos jours. « Ça c’est toi qui t’imagines mes réactions que j’aurais eues. Parce que j’vois que t’as quand même l’air d’avoir tout deviné de ma personne en deux secondes et maintenant ça te donne genre le droit de penser à ma place. » Il haussa les épaules à son tour. Ce n’était pas vraiment plus respectueux, à son avis, de ne pas le laisser s’exprimer ou de ne pas lui laisser le bénéfice du doute. Après sa vanne sur les relations incestueuses, on aurait pu croire que c’était la fin de leur discussion engagée, mais non, Elmo décida de renchérir. Pourquoi ? Lui-même l’ignorait, après coup. « Sans doute, ouais, que j’ai dit déjà dit ou fait des trucs qui sont du harcèlement. Mais rendu là, qui ne l’a pas fait ? Homme ou femme, d’ailleurs. Comme tu le dis, tout le monde peut avoir des comportements déplacés. C’est pas pour autant que personne ne peut plus faire confiance à personne. » Et pourtant, dans la société actuelle, dès qu’un inconnu adressait la parole à un autre, c’était considéré comme ça, comme une micro-agression, comme une forme de harcèlement. Où s’en allaient les relations sociales, à ce rythme ?

Un long soupir s'échappe. Je commence à en avoir assez d'essayer de faire comprendre des choses qu'on ne veut pas comprendre, ou du moins pas inclure. J'amène le débat loin? Mais un débat, tu pars d'un point a pour aller jusqu'à un point z, c'est normal qu'on mentionne par exemple la troisième lettre de l'alphabet entre temps. A titre informatif, c'est le M. Ne me demandez pas pourquoi ça m'a marqué. "J'entends bien ce que tu dis, vraiment mais j'ai amené le débat sur ça pour faire comprendre, qu'un simple commentaire peut en faire paniquer plus d'une aussi. Il ne suffit clairement pas de grand chose mais oui, comme tu le dis, ce genre de remarques ne sont pas aussi graves qu'un viol. Heureusement d'ailleurs mais ça reste toujours déplacé." Je ne rejette pas ses arguments, qu'est-ce que ce serait sinon? Je les prends en compte aussi mais parfois une petite chose peut en amener sur une plus grosse. L'effet boule de neige, ce genre de chose. Je lève les yeux au ciel en secouant la tête à sa réflexion. "Si j'ai employé le conditionnel ce n'est pas pour rien très cher." Je ne suis pas là non plus pour le juger, à croire qu'il ne l'a pas compris. Je continue cependant, sans réelle conviction à présent, étant même prête à quitter le débat. "Oui, certes mais cela revient toujours au même, les femmes, une fois de plus, sont plus susceptibles d'être atteintes par ce genre de comporte, encore une fois." J'insiste bien sur les mots pour lui faire comprendre que les hommes peuvent aussi être victimes mais que lorsqu'on voit les chiffres, en général il y en a très peu. Cela ne veut pas dire qu'ils ne subissent pas ce genre de chose. "Les gens peuvent se faire confiance entre eux, oui, mais ça c'est leur problème. Gentil n'a qu'un oeil comme on dit. Ce n'est pas pour rien mais là on s'engage sur un tout autre sujet." Je plonge mon regard dans le sien durant quelques instants avant de le laisser tomber vers le bas et de le reporter sur mon bouquin. "Mais peu importe. Je ne vais pas batailler plus. Tout ça pour dire que c'est assez mal vu et malpoli de faire ce genre de remarques et qu'il y a l'art et la manière de le faire. Rien de plus." Je penche légèrement la tête sur le côté avant de soupirer. Je reste ainsi quelques secondes avant de décider finalement de me retourner. A quoi bon de toute façon? J'aurais beau lui donner d'avantage d'exemples sur ce que vivent les femmes, il trouvera un contre-exemple de ce que les hommes subissent aussi. Et on tournerait encore en rond jusqu'à s'énerver car on perdrait tous les deux patience.

Parce que le temps passait et que sa bière allait être chaude – et qu’il n’y avait rien de pire qu’une bière chaude, pas même ce débat -, Elmo hocha la tête aux paroles de la jeune femme. « J’entends ce que tu dis aussi. Et je comprends qu’un commentaire que je juge inoffensif ne l’est peut-être pas pour d’autres. Mais quand même, j’trouve juste que ça va loin tout ça alors que, comme j’ai dit, j’suis prêt à parier qu’elle a rien entendu. Elle a donc jamais pu se sentir en danger ou d’quoi. Après j’comprends aussi que t’as voulu m’faire passer le message pour les autres fois, au cas où quoi, mais c’est bon j’ai compris. Je pense pas que ce qui vient de se passer, là, c’était déplacé à en être scandalisée comme t’es. » Il essaya cette technique d’en prendre et d’en laisser. Elle allait peut-être comprendre qu’il était ouvert à ses arguments, qu’il ne rejetait pas en bloc tout ce qu’elle disait, mais qu’il trouvait seulement que cette conversation n’était tout simplement pas appropriée pour le contexte actuel. Un petit mot, une petite remarque, c’aurait suffi. Pas besoin de gâcher le repas de tout le monde. Bon, en même temps, Elmo n’aidait en rien à rendre l’échange succinct, me direz-vous. Certes. « Conditionnel ou pas, toutes les suppositions que t’as faites sur moi allaient dans le même sens. J’suis le grand méchant loup. » Il marqua une pause, avant d’ajouter, arrogant : « Très chère. », pour reprendre ses mots et ponctuer son intervention. L’italien fronça les sourcils lorsque la demoiselle considéra que se faire confiance entre eux, c’était le problème de ces gens-là. « Wow … quand faire confiance est un problème. C’est beau la société. » Il eut un rire étouffé. Les deux semblant en avoir assez de tourner en rond, la jeune femme conclut sur son message général, qu’il avait déjà bien compris, Elmo. « Je tâcherai d’être plus prudent à l’avenir. Je les dirai moins fort encore, pour pas froisser d’oreilles. » Au final, Elmo n’avait donc pas compris grand-chose. Mais pour lui, l’art et la manière ne servaient à rien s’il suivait le raisonnement de la brunette. Peu importe s’il complimentait une femme dans sa face, avec de beaux mots ou avec moins de tact, peu importe s’il l’abordait directement ou s’il ne faisait que commenter au passage, dans tous les cas ce serait mal vu. Puisqu’on ne peut plus faire confiance à personne, quoi.

FIN