we'll dance inside the song (waverly)

Par la fenêtre intérieure du hall d’entrée, qui donnait sur la salle de danse principale, je regardais Waverly qui enseignait aux jeunes. Mon sourire ne quittait pas mon visage alors que je voyais mes jeunes se prêter au jeu de nouvelles chorégraphies, bien différentes du hip-hop auquel ils avaient l’habitude avec moi. Depuis qu’Harmonie m’avait montré le contemporain, je m’étais pas mal ouvert aux autres styles de danse. Et maintenant qu’Harmonie était partie et qu’on ne pouvait plus danser ensemble, j’avais cherché à retrouver cette belle diversité que j’avais pu instaurer chez Head Ahead. Évidemment, j’avais tout de suite pensé à Waverly, qui était professeure de zumba. Je me disais que ce genre de danse pleine d’énergie et de rythme pourrait plaire aux jeunes. C’était le cas. Ça criait, ça chantait et ça riait, là-dedans. Waverly avait tout de suite su les accrocher. Cela faisait maintenant quelques semaines qu’elle enseignait au centre alors elle avait développé un lien de confiance avec les participants, assez pour que lorsque l’heure du cours se termina, la plupart voulurent rester un peu plus longtemps. Je rentrai dans la salle avec un sourire. « Vous connaissez l’fonctionnement, guys. À vingt-et-une heure, c’est out ! Faut m’laisser un peu de temps avec Wave, à moi aussi, si vous la monopolisez c’est pas juste ! » Dis-je en riant. Je tapai dans la main des jeunes qui sortaient un après l’autre, après qu’ils aient salués Waverly. « J’vous revois demain. Bonne nuit ! » J’allai barrer la porte après le petit dernier, puis je revins m’appuyer contre le cadre de la porte de la salle principale de danse, alors que Waverly rassemblait ses affaires et débranchait sa musique. Je la regardai faire avec un sourire. « Ils t’aiment vraiment beaucoup, ça se voit. Ils ressortent toujours de bonne humeur de tes cours. Encore merci d’avoir accepté de te joindre à l’équipe. Ça fait une sacrée belle différence. » La complimentais-je.

Ils me fendaient le cœur, mes jeunes, quand ils se plaignaient comme ça de vouloir rester pour encore une, ou deux chorégraphies. J’aurais aimé leur offrir tout ce temps-là de plus amis je savais que si on commençait, ça ne finirait plus. Ils voudraient toujours plus encore, toujours un peu plus tard. Et pourquoi ? Parce que la vie qui les attendait chez eux était beaucoup moins rose et drôle qu’ici. Head Ahead, c’était leur safe space. À leurs maisons, c’était … des taudis, des pères violents, des mères alcooliques, des coquerelles derrière les portes d’armoire, la protection de la jeunesse à leur porte. Un portrait que j’avais connu, moi aussi, durant mon enfance. Je savais qu’ils auraient préféré étirer les heures ici parce que leur malheur était mis sur pause le temps de quelques danses. Mais je n’avais pas le droit de les garder ici indéfiniment, et il fallait qu’ils le comprennent. Bref, même si ça me faisait de la peine à chaque fois de les voir partir en ne sachant pas tous les détails de leur calvaire, je retrouvais quand même le sourire grâce à des personnes comme Waverly. La retrouver, après la fermeture, c’était toujours une petite douceur de fin de soirée. « De mon point de vue c’est toi qui me laisses ma chance. Ton talent n’est plus à prouver et je sais bien que c’est pas payant de travailler dans le communautaire … Alors, merci, vraiment. » Réitérais-je avec un sourire. Je m’avançai dans la salle de danse, face au miroir. Je m’ennuyais de mes duos avec Harmonie, je m’ennuyais de danser avec une autre personne plutôt qu’avec une troupe toute entière. Je lançai donc un regard à Waverly, curieux. « Dis, t’aurais pas envie de rester une petite heure de plus pour me montrer quelques mouvements de zumba ? » Proposais-je avec entrain. Peut-être que, de fil en aiguille, on pourrait s’essayer à plusieurs styles de danse, ensemble.

Sa manière de penser était très belle, et cela signifiait beaucoup pour moi. Qu’elle parle que ce soit payant pour elle, même si ce n’était pas en argent, ça ne faisait que me confirmer à quel point Waverly était une belle personne. Je tentais d’entourer mes jeunes des plus belles forces positives possible et la brunette était certainement un très bon modèle à suivre. Je ne regrettais pas du tout de l’avoir engagée pour donner certains cours de danse. Au départ, si je les faisais tous par moi-même, il avait été obligatoire pour moi de revoir mon horaire, avec mes enfants, mon couple, mes autres engagements … Son coup de pouce était plus que bienvenue. « C’est une très belle manière de voir les choses. » Soulignais-je tout simplement, ne cherchant pas à investiguer davantage ce qu’elle en retirait. C’était propre à chacun. Je proposai plutôt qu’elle reste un peu avec moi pour m’apprendre quelque pas de zumba. J’en profitais, maintenant que les jeunes étaient partis et que j’avais les talents de Waverly rien que pour moi. « Génial ! » M’exclamais-je, content qu’il lui reste de l’énergie pour quelques danses. Je me mis à côté d’elle une fois que la playlist débuta. « C’est beaucoup dans le déhanché, pas vrai ? Comme ça, je l’ai bien ? » Demandais-je en bougeant de gauche à droite avec des petits coups de hanches bien trop carrés. En hip-hop, ce style brusque, sec, ça allait, mais quand il fallait être fluide, je gérais un peu moins ! J’éclatai de rire, me moquant de ma propre performance.

« Plus linéaire ? » M’étonnais-je. Je ne savais même pas vraiment ce que ça signifiait pour mon pauvre corps qui peinait à suivre. Lui était habitué à d’autres rythmes, à d’autres figures, et voilà que je le mettais à l’épreuve d’être un tant soit peu sensuel. C’était peine perdue, ouais. Heureusement que Waverly vint tenir mes hanches pour me guider. « Comme ça ? » Elle acquiesça, me rappelant que la zumba se sentait. Je regardai au loin dans le miroir quand elle pointa de manière imaginaire une femme que j’avais envie de pécho. Je ris. « Ah ouais, elle, là-bas, là ? » Demandais-je en pointant le vide, rentrant dans ce petit jeu que je trouvais plutôt drôle. J’essayai de m’imaginer Freja mais en vérité, j’avais un peu de mal à me dire qu’elle me trouverait sexy, actuellement. Elle serait probablement en train de pouffer de rire et de sortir son téléphone au plus vite pour me filmer. « Ouais mes muscles, j’les sens, t’en fais pas ! J’en découvre même que j’pensais pas qu’ils existaient ! » Parce que puisque je n’avais pas l’habitude de bouger ainsi, je sollicitais différentes parties de mon corps. Comme quoi, chaque style de danse était vraiment unique. Je me tournai vers Waverly quand elle parla de danser ensemble. Je lui offris un grand sourire. « On essaie ? » Oui, ça me manquait énormément de danser en duo, alors puisque l’occasion se présentait sur un plateau d’argent, je la saisis.

Je voulais bien essayer de faire des ronds, des carrés, mais linéaire, j’avoue que mis à part rester debout immobile, j’avais assez de mal à imaginer l’effet. J’éclatai de rire quand Waverly elle-même se reprit, préférant me faire comprendre par des mouvements et des exemples assez imaginatifs, plutôt que de chercher un mot comme directive. Je ris quand elle parla de faire du sport de chambre juste après, pour illustrer à quel point il fallait avoir l’air sexy pour la zumba. « J’crois que je préfère faire des losanges en fait. » Dis-je en essayant de bouger mes hanches dans des diagonales un peu abstraites. Je ris. « C’est le plus sexy que je peux offrir ! » Bon, évidemment j’exagérais, après tout dans le hip-hop il y avait également une certaine sensualité, même si elle était plus brusque, plus violente que dans la zumba. J’arrivais à bouger de manière fluide et souple, ce n’était pas le problème. Mon problème, il était peut-être dans mon attitude, parce que dans la danse c’était dans le corps mais aussi dans le regard. Et je n’avais pas du tout assez confiance en mon sex appeal pour danser de façon à transmettre le message qu’envoyait Waverly. Elle, elle était sexy. C’était dingue. Je rentrai quand même dans son jeu en pointant une femme imaginaire que je voudrais bien me taper. Me laisser aller à cette fantaisie me permettait étonnamment de me mettre davantage dans le personnage, comme si je laissais mon égo de côté le temps d’une danse. « Les muscles du bibi, hein ? Et toi ? » En vrai j’avais aucune idée si c’était une insulte ou pas, mais si ça pouvait me permettre de la poker à mon tour, je m’en donnerais à cœur joie. Mais avant que je puisse poser mon doigt où que ce soit, elle attrapa ma main pour m’emporter vers le rythme de la musique, vers elle et ses pas qui nous portaient tantôt devant, tantôt derrière, nos déhanchés comme des vagues sur une mer invisible. « La troisième version de Dirty Dancing c’est nous deux dedans, c’est ça ? » Demandais-je dans un rire avant de reproduire, justement, quelques mouvements vus dans l’un ou l’autre des films. « J’ai toujours voulu essayer ça … » Dis-je en souriant.

Je riais aussi. C’était léger, c’était drôle, sans prise de tête et à la limite du débile mais c’était ce qui rendait le moment aussi amusant. On se faisait toujours du souci avec tout, dans nos vies. En amour, en amitié, financièrement, sur notre état de santé, tout. C’était au point que chaque sphère de ma vie pouvait devenir anxiogène. Head Ahead, ce n’était pas juste un lieu d’apaisement pour les jeunes mais pour moi aussi, encore plus quand je passais du temps avec mes collègues ou les bénévoles. Et puis, Waverly avait cette aisance, cette facilité d’être, qui me convenait parfaitement en ces fins de journée. Elle me montra ses pectoraux qui bougeait un à un. « Hé, moi aussi j’peux les faire danser hein. » J’adoptai une posture un peu plus détendue et, sans prévenir, je fis bouger chacun leur tour mes pectoraux, sur un rythme approximatif. J’avais le visage tout sérieux pour parvenir à le faire. C’est que ça prend de la concentration, faire ça ! J’éclatai ensuite de rire. « J’te comprends. Des années de pratique moi aussi, juste pour pouvoir faire comme Terry dans Brooklyn-99. » Après cette pause pectoraux, on reprit des pas de danse un peu plus olé-olé, me laissant aller à des fantasmes chorégraphiques vus au cinéma. « Bah ouais, j’suis le nouveau Patrick Swayze et toi t’es Jennifer Grey. » Nan, si Diego Luna et Romola Garai n’avaient pas réussi à être à la hauteur, on risquait gros, nous aussi. Personne ne pouvait remplacer le duo initial. Finalement, Waverly alla éteindre la musique et elle s’assit par terre, pour se reposer et s’hydrater. Je l’imitai, me laissant glisser contre le mur, les jambes allongées et écartées. « J’me fais trop vieux pour tout ça. » Ou alors j’étais pas mal moins en forme. Il est vrai qu’être papa de deux enfants, ça laissait un tout petit peu moins de place à l’entraînement.

Je devais admettre qu’elle n’avait pas tort, là, Waverly. J’étais peut-être capable de faire bouger mes pectoraux mais c’était le cas de bien des hommes qui se montraient en train de le faire. Pour ce qui était des femmes, c’était quand même plus rare ou bien, celles qui s’étaient entraînées pour ce grand talent, le montraient un peu moins. Waverly n’avait pas du tout peur de se montrer, elle, au contraire. On sentait la grande fierté, surtout alors qu’elle me remettait à ma place. « Ouais, ouais, ok, c’est vrai que c’est quand même plus cool pour une femme. Mais j’voulais pas paraître déplacé en m’attardant trop à tes boobs ! » Me défendis-je en riant. Pour un homme c’était quand même plus facile à regarder sans paraître pervers mais pour une fille ben … les pectoraux étaient genre, facilement oubliés, quand on voyait ce qui était par-dessus. Bref, je dansai avec Waverly comme si nous étions dans Dirty Dancing. « C’est vrai ? Ils pouvaient pas s’voir ? Damn, tu viens d’gâcher le film pour moi ! » Je souris. Je ne m’attardais pas vraiment aux histoires hollywoodiennes entre acteurs alors je n’étais pas au courant de ce manque de connivence entre eux. Chose certaine, Wave et moi aurions une très bonne chimie à l’écran, tout comme présentement. Tout plaisir a cependant une fin et la musique s’arrêta, pour nous rappeler l’heure des étirements avant de rentrer. J’étais assez souple moi aussi, métier oblige, ce qui rattrapait un peu mon manque de cardio, dernièrement. Waverly souligna quand même que j’étais bien conservé, pour un vieux. Je ris. « T’sais que j’ai tes infos dans mes dossiers de bureau, hein. J’ai vu que t’étais plus vieille que moi. » Comment ça je m’étais attardé à ce genre de détail ? Oups ! Je fus un peu pris par surprise quand la brunette me questionna sur mes enfants. Je ne me souvenais même pas lui avoir dit que j’étais père. « Ce sont eux mes haltères en fait. » Dis-je avec un sourire. « Sauf que comme j’en ai un presque 4 ans plus vieux que l’autre ben j’ai un bras plus musclé. » Ajoutais-je pour plaisanter.

Quand Waverly me dit que j’en avais déjà vu d’autres, des paires de boobs, je la regardai, faussement déconcerté. « Euh … non, j’n’en ai jamais vu. » Lançais-je avec un peu de sérieux, faussement sur la défensive aussi, comme un vierge offensé. J’éclatai rapidement de rire cependant, incapable de faire tenir cette mascarade plus longtemps. De toute façon, de ce que je compris assez rapidement, Waverly était au courant que j’avais deux enfants. Disons qu’à moins d’avoir des pratiques très prudes, cela confirmait que j’avais déjà vu des paires de seins. Plus qu’une, oui, vu que mes deux enfants ne provenaient pas de la même mère. Puisque nous parlions de mes enfants, j’inventai le truc des haltères-enfants, ce qui me fit assez rire. À propos de mon bras plus musclé que l’autre en raison du poids de Maxwell versus celui de Lara, et de la solution de Waverly, je la regardai en la pointant de mon index. « J’avais jamais pensé à ça. » Je ris, avant de reprendre mon sérieux en voyant la tristesse traverser le regard de la brunette. Ce n’était pas une expression que je lui connaissais. Mon cœur se serra en l’entendant me confier qu’elle avait failli avoir un petit garçon, mais qu’un accident causé par son ex-mari le lui avait fait perdre. « Non, ce n’est pas weird du tout … Merci de m’en parler, enfin, de me faire confiance avec cette confidence … » Dis-je doucement. Certes, c’était flatteur de savoir qu’elle pensait aussi bien de moi, mais je ne mettais pas mon attention là-dessus. « Je suis désolé que ça te soit arrivé. C’est terrible. » Je posai ma main sur la sienne, dans un geste de soutien. « Ça fait combien de temps ? » Demandais-je.