I can see the little things now (jude)

Aux États-Unis, c’était le temps des vacances scolaires, ce qui faisait en sorte que j’avais Maxwell pour plusieurs semaines, comme il avait été entendu avec Ally, sa mère. Elle l’avait avec elle à New York pour l’année scolaire, et dès qu’il était en relâche, elle prenait l’avion avec lui pour le reconduire jusqu’à moi. Cela permettait du même coup à Ally de visiter ses amis d’enfance, ses amis de sa vie d’ici, de sa vie d’avant. J’avais pu passer beaucoup de temps avec mes deux enfants, ces dernières semaines. Comme le demi-frère de Lara était ici, j’avais demandé à Zelda si je pouvais avoir la petite plus souvent, plus longtemps, afin que les deux passent du temps ensemble et s’apprivoisent. Et comme Freja, ma copine, était partie faire un roadtrip en solo (c’est ce que je pensais) pendant quelques semaines, j’avais tout mon temps libre pour mes enfants. J’avais laissé mon OBNL entre de bonnes mains, prenant donc plusieurs journées de congés de mon côté aussi. Si Maxwell venait jusqu’en Australie, ce n’était pas pour passer la majorité de son temps avec un baby-sitter, ou avec sa mère quand elle restait quelques jours. C’était pour voir son père. J’avais déjà tellement peur qu’il m’oublie, qu’il tisse des liens plus serrés avec Henri, qu’il considérerait peut-être davantage comme son père à force de le voir avec sa mère. Je maximisais mon temps passé avec lui. Aujourd’hui, nous étions au parc au bout du joli sentier longeant Mullers Lagoon. Lara dormait dans sa poussette, Maxwell jouait dans le module de jeux avec d’autres enfants, et moi je le regardais faire avec un sourire aux lèvres. Il était devenu très sociable, avec le temps. Un homme poussant également une poussette vint finalement s’asseoir sur le banc à côté du banc, et ce ne fut que lorsque je tournai la tête complètement vers lui que je reconnus Jude, qui avait un garçon de l’âge de Lara. « Hey, Jude et Liam ! T’as vu ça Lara, c’est ton futur meilleur pote. » Soufflais-je en regardant la poussette, même si mon murmure n’arriva même pas à déranger ne serait-ce qu’un peu le sommeil de ma fille. Je souris à Jude. « Ou peut-être un petit-ami qui sait. » Je ris doucement. J’exagérais, mais j’avais quand même le souhait que nos enfants aillent à la même école et s’entendent bien. « Comment ça va ? » Demandais-je au père célibataire.

Les vacances scolaires ne changent rien pour Jude. La journée, il travaille d'arradche-pied dans son garage. L'activité est un peu ralenti du fait que la plupart des riverains sont déjà partis en vacances ou bien ils ne vont pas tarder à le faire. Au garage, l'ambiance est calme. L'employé s'occupe des voitures en réparations, Jude, lui, il s'occupe de mettre à jour l'administratif avant la reprise active au mois de Septembre. La journée, quand il est au garage, Liam est chez sa nourrice. Mais pas aujourd'hui, Liam est avec son père. Installé dans son transat, le petit garçon s'est enfin endormi. Jude profite de ce petit instant de tranquillité afin de terminer les deux ou trois factures en cours. Vers seize heures, l'heure du goûter, Liam se réveille et réclame son biberon. Être père célibataire n'a rien de facile. Jude ne se débrouille pas trop mal selon lui, Liam ne cesse de lui sourire. Il est encore bien trop petit pour se rendre compte qu'il ne verra jamais sa mère. Parfois, alors que le jeune papa observe son fils en train de jouer, ou de dormir, il ne peut s'empêcher de la voir elle. La simple pensée de la mère de son fils lui brise littéralement le coeur. Tous les jours ils pensent à elle. Il ne se passe pas une seule journée sans que Liam ne puisse avoir une pensée pour cette femme qu'il a aimé, qu'il a épousé et avec qui il a eu le plus beau petit garçon. Devenir père était une réelle volonté de sa part. Il ignore s'il aura d'autres enfants. Jude ne sait que trop bien ce que c'est que d'être enfant unique, il aimerait tant offrir un frère ou une soeur à Liam. Pour ça, Jude doit à nouveau prendre le risque de s'attacher à qui que ce soit. Et ça, il en est incapable pour le moment. Même s'il a fait la rencontre de cette demoiselle par le biais d'un site de rencontre, il lui faudra énormément de temps pour réussir à s'attacher à une nouvelle jeune femme. En cette fin d'après-midi, Jude décida de passer par le parc avec Liam. Le jeune papa mets un point d'honneur à faire au moins une promenade par jour avec son fils. Il refuse que Liam devienne un de ses jeunes accro aux différents petit écran qui ruinent la vie et la vue des enfants d'aujourd'hui. « Hey, Jude et Liam ! T’as vu ça Lara, c’est ton futur meilleur pote. » A côté de Jude, il vint reconnaitre Conchobáhr, un de ses amis et père de deux enfants. Dont une, la petite Lara du même âge que Liam. Jude s'entend très bien avec l'homme. Il vient lui sourire et se penche un peu pour admirer la petite fille en train de dormir. « Comment ça va ? » Jude replace la couverture sur son fils avant de répondre. "ça va bien merci. Et toi ? Je vois que tu es chanceux d'avoir ton fils avec toi !" Jude et son ami discutent beaucoup lors de leurs rares moments de complicité. Il faut dire qu'avec des enfants, sans oublier leurs emplois resectifs, il est difficile de trouver le temps d'avoir une vie sociale.

Je souris en regardant Jude se pencher au-dessus de ma poussette pour regarder Lara dormir. Lorsqu’il se recula pour replacer la couverture sur Liam, j’en profita pour, à mon tour, regarder son fils. Il avait l’air paisible, lui aussi. C’était sans doute l’effet de la balade, le mouvement était comme une berceuse pour eux. J’avais d’ailleurs eu peur que Lara se réveille lorsque je m’étais assis, puisque je ne bougeais plus, mais pour le moment elle était encore toute tranquille. Je jetai un coup d’œil à Maxwell, encore une fois, pour m’assurer qu’il était toujours dans mon champ de vision et toujours en compagnie d’enfants d’à peu près son âge. La situation semblait sous contrôle et ils s’inventaient des jeux comme je le faisais moi-même à leur âge. Ça me fit sourire. Maxwell débordait d’imagination, en plus. Entre-temps, Jude me répondit qu’il allait bien, et me renvoya la question. J’hochai la tête avec enthousiasme à sa remarque sur mon fils. « Je vais super bien, comment ne pas l’être quand Max est de passage ? » J’offris un grand sourire à mon ami. « Ally vient toujours à Bowen pendant les vacances scolaires de Max, enfin, elle ne reste pas pour toute la saison mais elle vient au moins me le mener pour les deux mois. C’est notre entente, si on veut. » Je soupirai en me remémorant ce moment où elle était partie en furie après avoir appris que j’avais eu un autre enfant, Lara, avec Zelda. Pourtant, Ally et moi n’étions plus un couple depuis quatre ans à ce moment-là, et pourtant quelque chose s’était brisé. Sa rage m’était encore injustifiée, mais je ne pouvais qu’être soulagé qu’elle m’accorde encore du temps avec Maxwell. Au départ, ses menaces étaient toutes autres, et elle aurait très bien pu gagner sa cause de garde unique de Maxwell. Après tout, puisqu’elle m’avait caché son existence de sa naissance à ses quatre ans, je n’avais aucun lien avec lui. Nous apprenions encore, jour après jour, à bâtir cette relation-là de père et de fils, lui et moi. J’ajoutai donc : « Faut que j’en profite, de ces moments-là, ils sont beaucoup trop rares. De savoir mon fils à l’autre bout du monde le ¾ de l’année, c’est dur … On aura beau dire que FaceTime, c’est révolutionnaire … ça ne remplace pas un vrai contact. » J’esquissai un faible sourire.

Jude est très heureux de voir son ami Conchobar. Jude n'a pas beaucoup d'amis. Depuis le décès de sa femme, il y a six mois maintenant, l'homme c'est considérablement refermé sur lui-même. Il partage tout son temps entre le garage, là où il travaille d'arrache pied au quotidien et sa maison, là où il passe tout son temps en compagnie de son fils. Jude se démène au quotidien afin d'offrir à son fils tout ce qu'il souhaite. N'étant encore qu'un bébé, Liam n'a pas besoin de grand chose. Le salon de Jude est rempli de jouets en tout genre. Il essaie de ranger au fur et à mesure, on ne peut pas dire que le rangement et le ménage fassent partis de ses qualités. Comme le linge, il est forcé de se mettre un coup de pied aux fesses pour s'en occuper. Étant un père célibataire, Jude n'a pas d'autres choix que de se débrouiller seul. Demander de l'aide ne fait pas parti de ses habitudes. Jude n'a pas beaucoup d'amis mais, le peu qu'il a, il sait qu'il peut compter dessus. Jude sait que son ami a beaucoup de peine de ne pas pouvoir voir son fils aussi souvent qu'il le souhaiterait. Le jeune papa ignore comment il pourrait réagir s'il ne devait voir Liam qu'une à deux fois par an. "Tu m'étonne ! Tu dois être aux petits soins pour lui !" Un vrai papa poule, c'est ce que Jude est vis à vis de Liam. "C'est parfait si vous avez réussis à vous entendre sur ça. Et puis bon, ça te fait autant de bien de le voir qu'à lui. Ça se passe bien avec Lara ?!" Jude n'a jamais eu ni frères, ni soeurs. Il ne sait pas comment ça se passe les relations fraternels. Il espère qu'un jour, il pourra offrir une petite soeur ou bien un petit frère à Liam. Encore faut-il qu'il laisse entrer une femme dans sa vie. Ce n'est pas gagné. Effectivement, être loin de son enfant doit être horrible. Jude a beau avoir la chance de voir son fils tous les jours, il a l'impression de ne pas assez en profiter. Le temps passe beaucoup trop vite, surtout quand on est papa. "J'avoue. Je ne sais pas comment tu fais pour le supporter, je serais déjà devenu fou moi, m'arrachant le peu de cheveux que je possède !!" Jude est quand même fier de son ami, jamais il ne tiendrait d'être si loin de son fils durant une bonne partie de l'année. "Faut que tu penses à ça ! Faut que tu profite de ces deux mois le plus possible !!" Même s'il doit déjà le faire. Liam dort encore dans sa poussette. Il tient de son père, il a le sommeil très lourd cet enfant.

Plus qu’aux petits soins, je devais carrément être envahissant pour Maxwell. J’espérais juste que pour lui, je n’étais pas un genre de faux-papa qui le monopolisait le temps de ses vacances. Après tout, je savais que Henri aidait beaucoup Ally à New York, et donc que cet homme-là que je ne connaissais même pas voyait plus souvent mon propre fils que moi. Je savais aussi qu’un jour, Maxwell aurait des amis avec qui il voudrait jouer pendant ses vacances, plutôt que de prendre l’avion jusqu’à l’autre bout du monde pour voir son vieux père qu’il connaissait à peine. Ça me peinait, énormément. Mais en repartant aux États-Unis, Ally ne nous avait pas laissé beaucoup de possibilités. Je ne pouvais quand même pas avoir Max la moitié de l’année et elle, l’autre. Au niveau de son éducation, du système scolaire, tout ça, ça ne faisait aucun sens. Il y avait eu la possibilité que je la rejoigne là-bas mais j’avais aussi Lara, avec Zelda qui vivait ici. Je ne ferais que transposer le problème sur mon second enfant. Ah, misère … « Ouais, bon, j’sais pas à quel point Ally et moi on s’entend là-dessus, disons que c’est moi qui paie le plus cher dans cette façon de faire mais bon … Si je ne faisais pas ce compromis, je ne voyais tout simplement plus Maxwell. » Dis-je en soupirant. « Désolé, j’bitche sur Ally alors que … enfin, tu sais. » Alors que Jude avait perdu la mère de Liam six mois plus tôt. Je grimaçai légèrement face à mon flagrant manque de tact. Je préférais quand même qu’Ally soit toujours de ce monde, que Maxwell grandisse avec une mère. « Oui, ça se passe super bien avec Lara. Bon, elle est en train de faire ses dents alors elle fait souvent de la fièvre et pleure beaucoup donc je pense que Maxwell trouve ça un peu dérangeant mais … ça va. Liam doit être là-dedans, lui aussi, hein ? » Demandais-je. Jamais je n’aurais cru avoir ce genre de bébé talk mais me voilà, fier papa, avec un ami qui l’était tout autant. Je me plaignis encore de ma relation à distance avec mon fils, même si ce n’était pas la pire tragédie. Je le vivais quand même difficilement, et Jude me le reconnaissait. Je levai automatiquement les yeux vers ses cheveux, en riant. « Ah ouais, la calvitie ça commence jeune hein. Va falloir que je commence à utiliser des produits si je veux pas finir comme toi. » Me moquais-je en touchant mon propre front. « T’inquiètes, j’en profite à fond, ouais. Demain on va au laser tag. T’imagines quand on pourra faire ça avec Liam et Lara aussi ? » M’exclamais-je. Bon, j’ignorais si c’était le genre de Jude. On verra.

Jude n'est pas le seul parent célibataire de Bowen, il n'est pas une espèce en voie d'extinction. Il serait même en train de songer à fonder un club pour s'entraider. Jude n'a pas de famille, il ne parle plus du tout à son paternel et sa mère est bien trop bousillé par les coups que son ex mari lui a infligé durant des années pour aider son fils. Elle peine à reconnaitre son fils d'ailleurs. Ça lui brise le coeur à Jude lorsqu'il vient la voir. Il le fait pour elle, pour ne pas la laisser tomber mais aussi, et surtout, pour que son fils connaisse sa grand-mère. Depuis le décès de sa femme, Jude ne voit plus ses beaux-parents. Ils ne veulent même pas voir leur petit-fils. Le brun n'a aucune de comment il va l'annoncer à son fils, il redoute le moment où il lui posera la question. Il a le temps encore, Liam est encore loin de savoir parler. Ce n'est jamais facile d'élever un enfant seul, surtout lorsqu'on a aucune notion en ce qui concerne les bébés. Jude a tout appris de lui-même, tout seul, comme un grand. Il peut également compter sur ses amis. Concho a la chance que la mère de Maxwell soit encore en vie, Jude donnerait tout ce qu'il a pour que sa femme revienne à la vie. Malheureusement, ça ne sera jamais le cas. "Le plus important c'est que tu puisse continuer de voir ton fils. Je n'ose même pas imaginer l'état dans lequel je serais si on me retirait mon fils.." Au début, Jude était mort de trouille à l'idée que les services sociaux pourraient lui retirer la garde de Liam. Il faut dire que le brun n'a jamais été un modèle de stabilité. S'il s'est assagit c'est uniquement grâce à sa femme, c'est elle qui a su le faire tomber amoureux, suffisamment pour que le jeune homme cesse d'aller voir à droite et à gauche. "Et elle envisage pas de revenir s'installer ici ? A Bowen ?" Ca serait tout de même plus simple pour tout le monde. Jude sourit lorsqu'il apprend de la bouche de son ami que sa fille est en train de faire ses dents. Liam commence à les faire aussi, leurs nuits sont courtes. Très courtes même. Trop courtes. "En effet, ils commencent à les faire. Je crois que j'ai tout essayé pour le soulager. D'ailleurs si t'as une solution miracle, je suis preneur !" Autant s'entraider non ?! Ça sert à ça les amis ! Jamais il n'aurait cru parler de choses de bébés un jour. Aujourd'hui, Jude est un papa. Un fier papa, il n'a pas peur de parler de son fils et ses petits exploits au quotidien. Concho vient se moquer de son ami et sur sa calvitie naissante. Calvitie voulu en vérité. "Oh ça va hein ! Moque toi !" Dit-il en tapant amicalement l'épaule de son ami. "Je te signale que ma chute de cheveux est voulu. J'ai jamais aimé les avoir trop longs ! Je les ai même entièrement rasés à une époque !" Une de tes nombreuses crises capillaires, on pourrait en écrire un livre entier. Parfois, Jude a hâte que Liam devienne un petit garçon qui sait marcher, parler, courir. Il a hâte de faire des choses de "grands", entre père et fils. "Ah ouais non mais carrément ! Il me tarde qu'ils grandissent ces deux-là !!" Il imagine déjà la scène et il en a le sourire aux lèvres, un sourire des plus idiots. "Enfin, il ne faut pas qu'ils grandissent trop vite. Ça passe déjà bien trop vite à mon goût. J'ai l'impression qu'il est né la semaine dernière !" Jude ressent une légère pointe dans son coeur, comme si on remuait un poignard déjà bien enfoncé dans son palpitant. C'est encore douloureux pour lui de parler de sa femme décédée. Il tente, tant bien que mal, d'avancer comme il le peut.

Jude me ramenait à l’essentiel, apaisant ma colère en me rappelant que le plus important, c’était que je pouvais encore le voir, mon Maxwell. Si Ally avait juste décidé de partir à New-York sans me laisser la chance de le revoir de temps en temps, c’aurait été le début d’une série de batailles juridiques et pour quoi ? Pour que finalement je perde sa garde sous prétexte qu’il ne me considérait même pas encore tout à fait comme son père, contrairement à Ally qui l’avait eu rien que pour elle pour les quatre premières années de sa vie ? Je perdais à tout coup, parce que je partais avec une longueur de retard. C’était injuste. Jude avait raison. Ce n’était peut-être pas le meilleur scénario possible mais ce n’était pas le worst case non plus. « Non, c’est clair, t’as raison … Moi non plus je sais pas comment j’réagirais. Il est peut-être débarqué dans ma vie sans prévenir mais maintenant, j’m’imagine plus vivre sans lui. » Ni sans Lara. Mes deux enfants surprises avaient peut-être bouleversé ma vie, chacun à leur moment bien unique, mais finalement leur présence était exactement ce qu’il me fallait. Je n’étais pas le meilleur père au monde, mais je faisais de mon mieux, et je pense que je le faisais bien, ce mieux. À la question de Jude, je secouai la tête. « Non, j’pense pas. C’est ce qu’elle a essayé l’année dernière et ça ne fonctionnait pas. J’crois qu’elle s’est trop bâti une vie à New-York. Bowen, c’est son passé. » Moi, j’étais son passé. En vérité, avant qu’elle ne revienne l’année dernière, Ally aussi faisait partie du passé. Mais en revenant avec mon enfant dont j’ignorais l’existence, c’est sûr qu’elle avait tout chamboulé. La tornade Ally avait encore frappé. J’accueillis volontiers le changement de sujet, ayant une émotivité fragile lorsque venait le temps de parler de mon ex. Parler de ma fille qui faisait ses dents, c’était bien plus agréable. « Ma mère me disait qu’elle me mettait quelques gouttes de whisky là où la dent pousse mais … j’sais pas si j’te le conseille. » Je ris. Ma mère n’avait jamais été un modèle de bonnes décisions. Encore heureux que j’étais devenu quelqu’un d’à peu près correct. J’avais mes blessures mais … qui n’en a pas ? Je ris à propos de la calvitie de Jude, qui me tapa amicalement l’épaule en feignant d’être offusqué. « C’est ce que je fais ! » Me moquer. « Complètement rasé ? Aaaah, j’aurais aimé voir ça, ce coco. » Je n’irais sans doute jamais jusque-là. Je n’avais jamais porté mes cheveux très longs, mais toujours une certaine longueur, quand même. Bref, je parlai de mes plans d’aller au laser tag avec Maxwell, en attendant impatiemment que ce que soit le genre d’activité que je puisse faire avec Lara, et Liam et Jude aussi. « C’est vrai, je me projette tellement souvent dans l’avenir alors que le moment présent passe si vite devant mes yeux … Faut profiter de chaque seconde. Dans quelques années ils vont nous en faire baver et on regrettera ce temps-là … » Je souris en regardant Lara, attendri. Puis, je vis un regard encore plus brisé sur le visage de Jude. « Et toi, comment ça va ? Genre … vraiment ? » Parce qu’il avait beau affirmer qu’il allait bien, je ne voulais plus d’une réponse lancée à l’habitude.

Parfois, quand rien ne va, on peut compter sur ses amis. Jude n'a jamais eu une foule d'amis auprès de lui. À une époque, lorsque sa compagne était encore en vie, ils avaient des amis en commun. Au décès de cette dernière, le, tout, jeune papa a découvert qu'en réalité ces personnes le fréquentaient exclusivement pour sa femme. Elle n'est plus là, ils sont tous partis. Jude est désespérément seul. Avec pour seule compagnie : son fils, ses deux employés et ses quelques clients au garage. Heureusement pour lui, Jude a su trouver des personnes, rares certes, en or tel que Conchobar. Lui aussi est un père célibataire. Il est même papa deux fois, avec deux femmes différentes. Un enfant ça demande énormément de travail déjà mais deux, c'est carrément du suicide. Jude ne sait même pas s'il aurait un autre enfant. Il a bientôt quarante ans tout de même. Ses spermatozoïdes ne sont pas en danger de mort mais il faut une bonne dose d'énergie pour arriver à s'occuper d'un bébé. Entre les nuits courtes, les repas, les moments d'éveils et puis, récemment, Liam fait ses dents. Être un père un travail à temps complet. Jude ne dort quasiment plus. Avant, il ne se couchait jamais avant une ou deux heures, voire trois heures, du matin. Mais là, dès l'instant où son fils est couché, le nouveau papa s'écroule sur le canapé aux alentours de vingt et une heure. À peine le temps de se doucher et de manger un petit truc de consistant. Pas étonnant qu'il est perdu du poids depuis six mois. Jude et Concho sont tous les deux sur la même longueur d'onde concernant leurs enfants : prêts à tout pour eux, leurs bonheurs. "On est sur la même longueur d'onde. Liam était pas vraiment désiré, du moins pas tout de suite mais finalement je suis bien content qu'il soit avec moi !" Qui sait comment Jude aurait réagit face à la perte tragique de sa femme ? Il se serait certainement, très probablement, laissé aller. Sombrer dans une dépression ou, certainement aussi, Jude serait retombé dans ses anciens travers. Coucher avec une femme différente presque tous les soirs, boire jusqu'à ne plus se souvenir ni de son nom, ni de là où il habite. Bowen est une petite ville, tout se sait rapidement. Jude est déjà connu à cause des frasques de son père, il l'est encore plus avec sa réputation de tombeur de ses dames. Heureusement que sa femme ne les a pas écoutée. Jude reste néanmoins triste de savoir que son ami ne peut voir son fils qu'une à deux fois par an. C'est peu, trop peu pour profiter de lui. Ça grandit si vite les enfants. Le brun vient éclater de rire lorsque son ami lui fait part du conseil de sa mère. T'es certain qu'il ai avoué cela pour embêter ou bien faire, ou bien les deux, son ami. "Mieux ne pas tenter. Je ne voudrais pas qu'il devienne aussi alcoolique que son père !" Ou que son grand-père plutôt. Son père, il n'en parle jamais. Il a honte d'être le descendant de cet homme et se jure de ne jamais faire les mêmes bêtises vis à vis de Liam. Son fils, c'est toute sa vie. Il fera tout pour lui, pour son bonheur. Liam ne manquera jamais de rien. "Oui, oui, complètement chauve. Ce ne fut pas ma meilleure période, j'suis pas certain d'avoir encore des photos !" Il n'aime déjà pas les photos en temps normal alors encore moins quand il agit sur un coup de tête et se rase entièrement la tête. "Je chercherais quand même !" Le regard de Jude se porte sur les deux petits qui dorment près d'eux. La question tant redoutée par Jude à chaque fois qu'il voit l'un de ses proches, le "ça va?". Il ne sait jamais trop quoi répondre. En général, il reste vague. "ça va bien merci. Mon garage marche bien, Liam grandit de jour en jour, j'ai quand même pas hâte qu'il marche. Je redoute ce moment !" Il dit et s'aperçoit soudainement qu'il ne parle pas vraiment de lui, de ce qu'il ressent au fond de lui. Jude se racle la gorge. "Mais ça va, je te promets. Je commence à lâcher prise, j'arrête de vouloir tout contrôler et laisser les choses se faire comme elles doivent se faire !" Il dit, soufflant un bon coup. "Et toi alors ?"

Je ne savais même pas que Liam n’était pas désiré, Jude me l’apprenait à l’instant. Je lui jetai un regard surpris, mais ne posai pas davantage de questions. J’étais bien placé pour savoir que des événements du genre, imprévisibles, pouvaient survenir. Dans mon cas, deux fois plutôt qu’une. Et je savais aussi pertinemment que ces petits bouts d’humains, ils savaient nous prendre notre cœur aussi vite qu’ils arrivaient. Je relevai cependant la deuxième partie de son intervention, parce que je comprenais de son affirmation que Liam l’avait aidé à passer à travers le décès de sa femme. « Et t’as encore une partie d’elle en lui, avec toi, tout le temps. C’est beau. » Dis-je avec un doux sourire. Perdre la personne qu’on aime, ça devait être terrible. Si Freja devait quitter ce monde, une partie de mon cœur serait arrachée. Je trouvais admirable que Jude s’en sorte aussi brillamment, même si je me doutais aussi qu’une part de noirceur l’habitant. Et puis, contrairement à ce que je venais de dire, pour certaines personnes le fait d’avoir un enfant avec un amour décédé, c’était une torture quotidienne. De revoir, dans le regard de son enfant, le reflet de sa flamme perdue. Est-ce que ce serait le cas pour moi ? Je ne savais pas trop, ce n’est pas le genre de sentiment qu’on peut réellement imaginer. Heureusement, Ally, Zelda et Freja étaient toutes les trois en vie, toutes les trois des femmes que j’avais aimées, que j’aimais, si fort. Ally avait peut-être tout merdé ces dernières années, encore plus à l’heure actuelle, mais je n’oubliais pas les forts sentiments que j’avais eus envers elle. Ils avaient juste été remplacés par une relation un peu trop complexe pour nous deux. Pour nous trois. Assez parlé d’elle, cependant. Je parlai plutôt des vieux trucs de ma mère pour taire les maux de dents. Ça fit au moins rire Jude ! Mon rire se dissipa quelque peu quand je l’entendis dire de lui qu’il était alcoolique. Je le savais si mal, et je me sentais incapable de l’aider. « Ouais, vaut mieux ne pas tenter … » Me contentais-je de répondre, pour le moment. Ce n’est qu’un peu plus tard, après les blagues sur le crâne d’œuf de Jude, que je lui demandai comment il allait, véritablement. Au départ, il parla de sa petite vie, les facteurs externes, avant de sans doute réaliser que ça ne répondait pas vraiment à ma question. Je l’écoutai, dans un silence respectueux. J’hochai la tête quand il m’affirma commencer à lâcher prise, à laisser les choses aller. « C’est bien, surfe-la, la vague. J’suis certain qu’ça va t’amener à une bonne place. On perd la tête, de toute façon, à essayer de tout contrôler. Et y’aura jamais rien qui fonctionnera toujours comme on veut, dans ce monde. » Dis-je, sincèrement. À son tour, Jude me demanda comment moi, j’allais. Je souris. « Je vais bien. J’appréhende la fin des vacances de Max parce que je sais que ça va me miner le moral quand il partira, mais ça se placera. J’suis un heureux papa, j’ai une relation super agréable avec Zelda, et j’suis en couple avec la plus belle fille de Bowen … qu’est-ce qui pourrait mal aller ? » Demandais-je dans un rire, sans me douter que dans trois semaines, je serais célibataire.

Liam n'a jamais été désiré ou du moins, pas si tôt. Mais au final, Jude est bien content que le petit garçon soit arrivé plus vite que prévu. Au moins, le jeune papa aura un souvenir de celle qu'il a aimé et qui les a quitté bien trop tôt, bien trop vite. Jude est complètement gaga de son fils. Pourtant, au départ, ce n'était pas gagné. Il ne savait aucunement s'il arriverait à s'occuper d'un enfant. Liam ne semble pas malheureux. Tous les jours, Jude se plie en quatre pour son fils afin qu'il ne manque de rien. Parfois, il vient à se sacrifier pour le bonheur de son fils. Depuis six mois, Jude se met volontairement de côté. Oubliant même jusqu'à son propre bonheur. Ses employés et ses clients sont les seules personnes qu'il voit lors d'une journée. Jude a totalement délaissé ses amis au détriment de son fils, exception faite pour Conchobar. Lui aussi est un papa célibataire, ça leur arrive de parler de leurs enfants. Comme en ce moment, alors que les deux papas ont eu la même idée de venir profiter des derniers beaux jours au parc de Bowen. "C'est tout à fait ça. Je ne cacherais pas l'identité de sa mère à Liam, j'ai mis des photos d'elle et lui, à la maternité, dans sa chambre." Les autres de photos la concernant sont soigneusement rangés dans une boite, tout en haut de ta penderie. Jude les regarde de temps en temps, lorsque le moral est au plus bas. Perdre l'être aimé, il ne le souhaite à personne même pas à son pire ennemi. Jude ne s'est pas remis de la perte de sa femme. Il ne l'oubliera jamais, il apprendra simplement à vivre avec. Le plus difficile c'est de se dire qu'il va la croiser tous les jours jusqu'à sa mort à travers Liam. D'un côté, ça le ravis mais de l'autre, Jude souffre de cette absence. Le jeune papa est très pudique par rapport à ses sentiments, il ne les montre à personne. Et surtout devant son fils. Il refuse de se mettre à pleurer devant son fils. Les minutes défilent rapidement alors que Jude passe un peu de temps en compagnie de l'un de ses rares amis. Liam dort dans sa poussette, comme son papa il est un gros dormeur. Soudainement, bien qu'il est horreur de ça, Concho vient demander à son ami comment il va. Jude a horreur de parler de lui, il va cependant faire un effort pour lui. Il a raison, ça ne sert à rien de vouloir tout contrôler surtout que le brun n'a jamais été ainsi. Il s'est toujours laissé porté par la vague, par la vie. "J'me rends compte que je me suis planté. J'ai essayé de tout faire pour que Liam souffre le moins possible de l'absence de sa mère et j'en ai oublié mon propre bonheur !" Non, ce n'était clairement pas la meilleure solution. Mais bon, le plus important c'est de se rendre compte de ses erreurs et de ne, surtout, pas recommencer. En entendant son ami parler, le jeune papa est content de voir que son ami est heureux. C'est le plus important après tout. "J'avoue que tu as presque une vie parfaite même si la perfection n'existe pas !" Jude espère de tout son coeur que son ami continuera encore longtemps à être heureux. "En tout cas, faut qu'on arrête d'attendre si longtemps avant de se revoir. Tu passes quand tu veux à la maison." Seul ou avec sa progéniture. C'est comme il souhaite, la maison des Holloway est toujours ouverte.

À mon avis, Jude prenait la bonne décision, d’entourer Liam de la présence de sa mère malgré son absence. Des photographies par-ci, des objets à elle par-là. Son fils n’aurait peut-être plus une mère comme les autres garçons de son âge mais, au moins, il saurait que si la sienne avait survécu à la tragédie qu’est la vie, elle l’aurait aimée. De tout son cœur de tout son être. Je souris donc en hochant la tête. « La vérité est toujours mieux, je pense. Même avec les enfants, parfois on les croit trop jeunes mais … j’sais pas, j’ai l’impression qu’ils comprennent davantage que ce qu’on pense … » Dis-je. Maxwell me posait parfois des questions à propos de sa maman et moi, à propos du fait que je n’avais pas été présent dans les premières années de sa vie. Des questions qui tout d’un coup changeaient les rôles, il était l’adulte et moi l’enfant, incapable de trouver les mots justes. Je continuai à parler de nos situations respectives avec Jude et, de fil en aiguille, à travers son regard et ses paroles, je réalisai à quel point cet homme-là avait souffert, et souffrait encore. Entre hommes, on ne prenait pas forcément le temps de s’attarder aux émotions, au mal-être, mais je me serais senti ridicule s’il arrivait quelque chose à Jude et que je n’avais jamais pris le temps de lui poser cette simple question. Comment allait-il ? « C’est à la fois la beauté et le drame d’être parent, ça … De faire passer le bonheur de notre enfant avant le nôtre. » Soulignais-je avec un sourire attristé en levant les yeux vers Jude. « Mais faut pas que ça te propulse au fond du trou non plus. Liam en souffrirait plus encore, de ça. » Parce que son père, il l’avait encore. Son père, il pouvait encore le toucher du bout de ses doigts, dessiner des sourires sur son visage, voir naître des étoiles dans ses yeux. Si tout cela s’éteignait, alors Liam aurait un cœur d’orphelin. De mon côté, je ne cachai pas à Jude que j’allais bien, ça n’aidait personne de minimiser mon bonheur pour ne pas le lui remettre en plein visage. Il savait bien, de toute façon, que pour le moment tout roulait comme sur des roulettes. Pour le moment. Je ris à sa réplique de vie parfaite. « Ouais, ça s’en approche, quand même. J’vais toucher du bois quand même, le drama n’en attends pas un autre dans cette ville. » Je posai ma main sur le bois du banc en riant. J’hochai ensuite la tête aux sages paroles de mon ami. « C’est vrai. Et ne pas toujours laisser ça au hasard. L’invitation vaut pour toi aussi, en plus mes colocs désertent un à un le #17 alors … j’ai d’la place. » Dis-je dans un hoquet de rire plus ou moins convaincant. J’allais devoir songer à m’en trouver d’autres, colocataires, parce que ce grand logement n’allait pas se payer avec mon seul compte bancaire. Ou enfin faire le saut et faire une mise de fonds sur une maison.