Hopin' I don't make a sound |ft Azriel

Trop de choses s'étaient déroulées trop rapidement, et il fallait qu'il prenne le temps de trier tout ça, de laisser l'émotion et l'urgence retomber, et pour se faire, de dessiner, seul. Ailleurs qu'à la colocation, où l'ambiance n'était pas spécialement au beau fixe. Ailleurs qu'au skatepark, où il avait lâchement peur de croiser Niels. Ailleurs qu'à la plage où il venait de semer les morceaux de cœur brisé de Sasha. Ailleurs que chez Lys, où il rêvait de se réfugier, alors qu'il souhaitait y courir sans s'arrêter jusqu'à l'avoir en face de lui et admettre ses sentiments, malheureusement plus forts que ceux éprouvés pour son ex-copine, comme il l'avait récemment découvert. Non, il fallait qu'il fasse les choses bien. Qu'il prenne le temps de digérer, une chose à la fois. Il avait réalisé ce qu'il ressentait réellement pour sa meilleure amie quelques jours auparavant, lors d'une discussion avec Beth. Il avait pris le temps alors de bien réfléchir, de comprendre que tout son entourage avait raison, depuis le début, et de penser à ce qu'il allait dire à Sasha. Maintenant que la douloureuse rupture était derrière lui, en date de la veille au soir, il désirait prendre le temps d'encaisser cette étape, de la laisser l'inonder de culpabilité et de tristesse, avant de pouvoir pleinement aller de l'avant. Ou en tout cas aussi pleinement que possible. C'était dans cette optique qu'Az s'était réfugié avec son carnet à croquis et ses crayons à l'ombre d'un arbre, avant de décider d'y grimper, profitant de ce moment de sérénité avec la nature. Il avait besoin de se vider la tête, de se plonger dans les traits noirs et fins qu'il couchait sur le papier granuleux, et de laisser son esprit vagabonder, que ce soit entre des pensées agréables ou non, ou un mélange des deux. Quitter Sasha lui rappelait à quel point il était incapable de s'empêcher de commettre la même erreur à chaque fois. Cela lui donnait la désagréable sensation de ne pas avoir tellement changé, au fil des années, d'être toujours ce mec trop insouciant, qui ne prenait pas en compte les conséquences de ses actes. Ce mec irresponsable qui avait tué sa petite sœur dans un accident de la route. Finalement, tous ces derniers événements et cheminements de pensées étaient lourds à porter. Il fallait qu'il se laisse du temps. Relevant la tête de son carnet, abandonnant un croquis à moitié terminé, l'italien descendit de son arbre, pour aller prendre l'air frais qui fouettait le rebord de la colline. Une autre personne s'y trouvait déjà, qu'il n'avait même pas entendu passer, absorbé par les tréfonds de ses réflexions et de ses idées artistiques. « Pas d'inquiétude, je ne vous ai pas suivi. » répliqua Azriel avec une petite touche d'humour sur ses traits marqués de fatigue émotionnelle. Il fut d'ailleurs surpris de lire la même expression sur le visage de son interlocuteur, quelques rivières salées en plus sur ses joues. « Hey, ça va mec ? » demanda-t-il en haussant un sourcil, sur un ton détendu mais concerné. Il ne voulait pas se mêler de ce qui ne le regardait pas, mais vu la tête que tirait le garçon, il ne pouvait décemment pas faire comme si de rien n'était.

Az hocha la tête sans faire de commentaires quand son interlocuteur affirma que ça allait et qu'il n'y avait pas à s'inquiéter. Il voulait bien le croire sur parole, et puis, chacun avait droit à passer ses tourments sous silence. Surtout face à un inconnu qui était là depuis trente secondes. Dans tous les cas, la raison de ses larmes ne le regardait en rien et il ne s'était pas attendu à ce que le garçon se confie à lui de but en blanc. Il proposait une écoute, tout simplement, comme toute personne dotée d'un minimum d'humanité et d'empathie. Mais finalement, le blond dévoila la raison de son mal-être, ce qui arracha un sourire sans joie touché d'ironie à l'italien. À croire que tous les cœurs brisés venaient ici pour déverser leur peine. Dans son cas, Az ne pouvait vraiment prétendre avoir le cœur brisé, pas au sens où la définition commune de l'amour l'entendait en tout cas. C'était lui qui avait quitté Sasha, qui lui avait fait du mal, beaucoup de mal. Et même si ça l'avait blessé lui aussi, même s'il avait mal au cœur, il l'avait quittée par honnêteté, parce qu'au fond, il s'était rendu à l'évidence : il en aimait une autre. Certes, il tenait toujours à Sasha, énormément, et en un sens, il l'aimait. Mais pas de la même façon qu'il aimait Lys, cette fille qui était dans sa vie depuis si longtemps, et de laquelle il n'aurait jamais pu la sortir. « Same here. » rétorqua le brun avec une pointe de sarcasme désabusé dans la voix. Quelle sublime coïncidence que de se retrouver ici, après avoir tous les deux rompu avec leur copine, sans se connaître depuis plus d'une minute. Le jeune homme lui tendit un paquet de cigarette, et Az refusa d'un mouvement de tête. « T'inquiète, j'ai mon tabac. Mais merci. » répondit-il en sortant de suite son paquet de tabac, ses feuilles et ses filtres de sa poche, pour se rouler une clope. « Par contre, je veux bien ton briquet. » ajouta-t-il après avoir fouillé ses poches sans succès. C'était étrange et pourtant étonnamment apaisant comme contexte, de se retrouver loin de l'effervescence du centre-ville, en compagnie d'un parfait étranger, à partager cette clope des cœurs brisés.

Prenant le feu que lui tendait le garçon, après quelques secondes de recherche, Az s’alluma sa clope, en tirant une longue bouffée libératrice, avant de rendre le briquet à son propriétaire. Le garçon s’assit dans l’herbe, et l’italien l’imita, notant au passage le tatouage présent sur son genou, ce qui lui tira un petit sourire amusé. Il avait emporté avec lui quelques gousses de weed, au cas où. Il n’était pas un gros fumeur, bien loin d’un toxicomane, mais il aimait bien s’en rouler un de temps en temps. Purement récréatif, simple objectif de détente, et aujourd’hui il en avait bien besoin, même si jusqu’ici il n’avait fumé que des clopes, perdu dans ses croquis autant que dans ses pensées. « Ouaip. » répondit-il avec un petit reniflement, le regard dans le vide. « Dans mon cas, c’est moi qui ait brisé des choses. » confia-t-il ensuite, sans même trop savoir pourquoi. Sans doute que cette rencontre improbable et cette similarité entre leurs cas lui donnait envie de parler. Même s’il avait l’âme en peine, tout venait de lui. C’était lui qui avait brisé le cœur de Sasha, qui devait être bien plus amoché que le sien. La culpabilité la tenait toujours fermement entre ses bras, lui rappelant sans arrêt qu’elle n’était pas la première à faire les frais de ses relations non-conventionnelles. Pourtant, il l’avait vraiment aimé, il l’aimait toujours d’une certaine façon, d’ailleurs. Il s’inquiétait, même s’il savait qu’il n’en avait plus le droit, et que c’était désormais à elle de gérer sa peine comme elle le souhaitait. « T’inquiète. J’imagine que t’en as bien le droit. » rétorqua le brun avec un haussement d’épaules. Au point où ils en étaient visiblement tous les deux, y avait vraiment pas besoin de faire de la place pour des excuses. Az était bien placé pour comprendre ceux qui avaient du mal à faire le tri dans leurs émotions et les exprimer sainement. Lui-même passait son temps à les renfermer, c’était plus facile comme ça, et il n’aimait pas les faire subir aux autres. Malheureusement, ça impliquait aussi une grande incapacité à expliquer ses ressentis, à trouver une logique dans tout ce qui se chamboulait dans sa tête. Autant aux autres qu’à lui-même. Le silence, c’était souvent plus facile.

Devant l’apparente similarité de leurs deux cas, Az se mit à rire lui aussi. C’était d’une incroyable ironie, à croire que l’univers avait fait exprès de croiser leurs chemins aujourd’hui. C’était pas quelqu’un de très optimiste, Azriel, et il contemplait souvent les dégâts sans broncher, seul avec sa culpabilité. Il n’y avait personne à blâmer, parfois, pour la tournure que prenait les événements. Et généralement, quand le coupable existait, c’était lui. C’était en tout cas ainsi qu’il voyait les choses. « Exactement. » soupira-t-il en marquant son accord. Ce qui était fait était fait, on ne pouvait pas réparer ses erreurs, simplement les assumer. Il tira une longue bouffée de nicotine, perdu dans ses pensées et dans le souvenir des yeux embués de larmes de Sasha. Une pointe de douleur traversa ses côtes à cette image. La question du jeune homme le tira de ses pensées torturées et il releva la tête. Difficile de lui répondre en un mot. « Si. » souffla-t-il d’abord, l’air dépité. « Mais pas suffisamment. » ajouta-t-il ensuite avec un nouveau haussement d’épaules désabusé. Il n’était pas du genre à s’étendre sur ces sujets et sa conception du couple demandait quelques phrases supplémentaires d’explication, ce qu’il ne jugea pas nécessaire à l’instant. La vérité, c’était qu’il avait pris conscience qu’il ne pouvait se passer de Lys, de quelque façon que ce soit. Ils avaient une relation bien particulière, indispensable à sa vie, elle était logée dans son esprit depuis bien longtemps. Et s’il avait cru un moment qu’il était possible de ne vivre qu’une partie de leur relation en l’amputant de certaines choses, il s’était aujourd’hui rendu compte que ce n’était pas possible, et qu’il la voulait dans sa totalité, vivre leur relation de la façon dont ils l’avaient toujours vécue. Malheureusement, les conditions de Sasha n’avaient pas leur place dans ce schéma. « Ah ouais, téméraire comme choix. » commenta le brun avec une pointe d’humour cynique. L’histoire de son interlocuteur n’avait pas l’air simple elle non plus, et sûrement bien plus compliquée que la sienne. « Mais ça valait sans doute le coup d’essayer. » reprit-il avec un sourire bienveillant, toujours avec cette même expression fataliste sur le visage. « Ah ouais, c’est vrai. Moi c’est Az. » fit l’italien en se présentant à son tour. Il n’avait même pas pensé à ça, tellement pris par le comique de leur rencontre.