Journée de controle | Charlie

Quand on était petit, Devon et moi, on avait les mêmes jouets, les habits assortis, les mêmes amis. Alors quand il est tombé malade, et moi pas, j'en ai voulu au monde entier. Je ne comprenais pas pourquoi lui, et pas moi. Maintenant qu'on a grandit, j'ai accepté le destin, aussi nul soit-il. Mais plus le temps passe, plus j'ai peur que la vie me l'arrache sans me prévenir. Je ne perdrais pas seulement mon frère, je perdrais une partie de moi. Il y a eut une période durant l'adolescence où il s'était trop laisser aller et ne suivait plus sérieusement ses traitements. Les médecins nous avaient prévenus que le moindre écart pouvait être fatal. Cela n'a pas loupé car il a été hospitalisé. J'étais tellement en colère contre lui, en colère et triste. Depuis ce jour-là, et même à des milliers de kilomètres de séparation, je le bassine à prendre toutes les précautions nécessaires. Et maintenant que nous habitons de nouveau ensemble, je tiens à l'accompagner à l'hôpital aussi souvent que je peux le faire. Il est neuf heures et demi et mes céréales se noient dans le lait. Devon est déjà prêt. T'es au taquet. Ça va?

Je suis encore dans le pâté. La nuit a été courte, comme cela m'arrive bien souvent en ce moment. Devon est déjà prêt à partir à son rendez-vous annuel. Je le regarde avec le poids de la culpabilité. Ses yeux bleus me revoient aux miens. Ouais, ça va. Liam trotte encore dans mes pensées. Ce n'est pas le meilleur jour pour lui en parler, car oui, je pense qu'il est temps de lui en parler - sans pour autant rentrer dans les détails. Je sais que nous n'avons jamais été très bavards concernant nos relations mais nous n'avions pas de secret l'un pour l'autre. Pas le temps pour y penser aujourd'hui. Tout ce que je veux c'est qu'on aille faire ce check-up, que les médecins nous disent que la maladie n'a pas progressé et qu'on puisse rentrer tranquillement à la maison.

Mon téléphone se met à vibrer, j'ai reçu un message. C'est papa. Il me demande si je suis avec toi.J'ai un rire sans joie. Il n'a pas oublié que c'était aujourd'hui, quel exploit. Devon et moi ne pouvons pas dire que nous avons des parents très orthodoxes. Notre père habite Bowen, mais très rares sont les fois où nous allons le voir. Quant à notre mère, bien qu'elle soit à des milliers de kilomètres, donne peu souvent de ses nouvelles. Peu importe, ce qui compte, c'est que nous deux sommes l'un pour l'autre.

Je termine mon bol de céréales et le met au lave-vaisselle. Je file sous la douche, je m'habille et on décolle. Parce qu'on n'est pas super en avance. Je me précipite à choisir une robe et me téléporte à la salle de bain. En dix minutes je suis prête, bien que mes cheveux bien essorés sont mouillés. On y va! Tu conduis? En deux, trois mouvements je mets ma veste, mon sac et mes derbies.

Je lis le texto que mon père m'a envoyé et l'ignore immédiatement. C'est tellement hypocrite. J'répondrais pas. Tu paries combien qu'il ne va même pas essayer de t'appeler de la journée? L'éducation que nous avons reçue n'était pas dotée d'affection, bien que la maladie de mon frère ait attristé mes parents. Je voyais mon père comme un homme assoiffé de pouvoir et ma mère comme une croqueuse de diamants. Tout ce qu'ils souhaitaient c'est qu'on ait un bon travail et qu'on fasse bonne figure. Ils me voyaient physicienne, et pour Devon - j'en suis sûre - ils espéraient qu'il se lance dans une carrière politique. Pour résumer et abréger, moins je les vois, mieux je me porte.

Il me faut pas plus de dix minutes pour me préparer et retrouver Devon dans le couloir de l'entrée. J'attache négligemment mes cheveux mouillés et nous descendons les escaliers. Mon coeur s'accélère toujours quand je traverse le pas de porte, dans l'espoir de croiser Liam. Nous arrivons à la voiture et prenons la route en direction de l'hôpital.

Vous savez, avoir un frère, c'est partager un lien unique. Avoir un frère jumeau, c'est le sentiment d'être une moitié de l'un et de l'autre. Quand l'un ne va pas, l'autre aussi. On ressent tout mais en double. Et ça me fait doublement mal quand les traits de la peur se lit sur son visage. Le poids de l'inquiétude me pèse autant que lui. Je tente de prendre un air dégagé. Bien sûr que ça va aller. Puisque je suis là. C'était assez convaincant? Au doute, je rajoute Ça va aller. Tu prends ton traitement correctement, et maintenant je t'ai à l'oeil. Tout ira bien. dis-je avec douceur, avec bien plus d'optimisme.

La réaction de mon frère ne m'étonne pas. Si mon père s'inquiéterait vraiment pour lui, il le montrerait vraiment. Ce n'est pas avec son chéquier qu'il nous fera croire qu'il nous porte de l'attention. Au fil du temps j'ai laissé tomber et je me suis faite une raison. Nous nous sommes éloignés et la distance n'a pas arrangé les choses. C'est moche à dire mais je n'y accorde plus autant d'importance. Je suis devenue une adulte et mes priorités ont changées.

Durant le trajet de la voiture, je ne sais pas qui lequel de nous essaye de se rassurer le plus. Je crois bien qu'on s'efforce à être optimiste tous les deux. Il faut bien que je le sois. Dans la vie, l'espoir est notre oxygène. Tout ira bien, c'est ce que je répète. Devon suit son traitement, il n'a pas fait de crise respiratoire, ni d'allergie. Je me charge de savoir si il prend bien tous ses médicaments qui sont nombreux. Oui, et je dois avouer que je suis plutôt fière d'avoir beaucoup d'influence pour une petite sœur. dis-je avec une fierté exagérée. Il ferait de même si c'était moi. Souvent j'y pense. C'est moi qui devrait être à sa place. En tout cas, je préférerais.

Lorsque nous arrivons sur place nous saluons la secrétaire hospitalière et nous nous dirigeons vers le couloir du bureau de la nutritionniste. On s'assoie et je serre la main de mon frère. Malgré toutes nos précautions pour se rassurer, le stress a monté d'un cran. Il y a toujours un risque que l'on nous annonce une mauvaise nouvelle. Cette première consultation ne nous le dira pas. Tiens elle est là. Et à l'heure. je remarque en jetant un œil à mon montre. Quand nous rentrons dans le bureau du docteur, je laisse la parole a mon frère.

Nous sommes dans le couloir à attendre l'arrivée de la nutritionniste. Sa main prend la mienne. Je la serre et lui sourit. Le médecin arrive, prête à nous recevoir. Avant qu'elle vienne nous chercher, je lui murmure Tout ira bien. d'une voix douce.

Dans mes moments sombres, je repense à cette histoire d'un homme qui tombe d'un immeuble de cinquante étages. Au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien. Mais l'important n'est pas la chute, c'est l'atterrissage. Je compare cette chute vertigineuse à celle de la maladie de Devon. Tant qu'il se soigne, tant que la mucoviscidose ne progresse pas, tant qu'aucune crise respiration ne survienne, j'arrive à me montrer forte. Puis lorsque j'imagine que la vie peut me l'emporter à tout moment, je me sens tomber. Je crois que ma vie s'arrêtera avec la sienne. Plus jamais je me sentirais complète car j'aurais perdue une partie de moi. Tous les jours je me lève avec espoir et avec la conviction que tout ira bien. L'optimisme est l'essence même de la vie. Sans espoir, on n'est rien.

La consultation débute, je me redresse sur mon siège. Le médecin s'assure qu'il n'y a rien d'anormal. Devon confirme qu'il suit correctement son traitement et que je veille bien pour qu'il s'y tienne. Avec moi, il file droit. dis-je sur le ton de la plaisanterie. Je me tourne vers Devon et lui adresse un sourire attendri. C'est mon rôle de prendre soin de lui. Qui le ferait, sinon?

Les mêmes gestes, les mêmes indications, les mêmes mots. La consultation de Devon se passe comme le refrain d'une chanson. De mon côté, je suis attentive à la moindre remarque. Il n'a pas pris beaucoup de poids. Fort heureusement car quand j'y pense je me suis mise à la pâtisserie il y a peu et il faudrait peut-être que j'y aille molo sur le sucre quand je suis aux fourneaux à la maison. Puis la nutritionniste lui fait le test du diabète. Elle relève le taux prélevé sur le sang de son doigt. Rien à signaler. Nous allons pouvoir sortir du rendez-vous sans avertissement. En quittant le bureau Devon me propose qu'on aille manger une glace à la fin de sa journée check-up. C'est ton nouveau régime? Je plaisante. Je ne dis jamais non à une glace. Je vais en prendre une au citron. Oh non à la noix de coco. Non, non. Citron. Hum, trop dur de choisir. Story of my life. Je suis mon frère sans vraiment trop savoir où on va. Et maintenant, tu dois voir quel médecin?

En direction du kiné nous décidons que nous irions manger une glace tous les deux à la fin check-up. Quand on rentrons dans la salle de consultation Devon me présente. Bonjour, de nouveau. Avant que la séance commence, il me demande si je veux rester auprès de lui. Haussant les épaules je réponds avec évidence Je reste. La séance ne se fait pas à cœur joie. Ce n'est pas évident de voir mon frère se faire manipuler douloureusement. Quand il sort de la séance, je suis soulagée. Nous nous installons dans le couloir pour le rendez-vous prochain et en regardant mon téléphone quelque chose me vient à l'esprit. Inscrite sur le site de rencontre de la ville, je suis tombée sur le profil de Devon. Dis-donc, t'es inscrit sur BowenBowTie! Cachotier! lui dis-je avec un sourire malin. Je lui fais du coude et rajoute d'un air incrédule. Et Rosalie? Rosalie est la fille avec qui mon frère a eut sa plus longue relation. J'adorais cette fille, je la considérais comme ma belle-soeur parce que je m'étais faite à l'idée qu'ils finiraient leur vie ensemble. Ils se sont séparés et malgré cela, je suis restée en bon contact avec elle. J'aurais secrètement aimé qu'ils se remettent ensemble.