with arms wide open (violence)

« J'ai faim, je mangerais un ours si je le pouvais », avait gloussé Violet à l'autre bout du combiné alors qu'elle appelait son petit ami. « T'as un peu de temps pour prendre une pause repas avec moi? » Leur réalité de commerçant faisait en sorte que, parfois, le temps leur manquait. Violet espérait tout de même que Terrence puisse se libérer ce midi, lui qui n'avait pas pu être présent pour leur rendez-vous médical de grossesse de ce matin. « Un sandwich, c'est rapide, j'te promets que je te libère après ça! Tu pourras même dormir tout seul ce soir et prendre toute la place dans le lit, allez!! » Depuis qu'ils avaient su que Violet était enceinte, ils n'avaient presque pas passé une nuit l'un sans l'autre. Pourtant, ils n'avaient pas parlé d'emménager ensemble ou de former une famille traditionnelle, ils s'étaient plutôt promis de faire leurs propres règles. Ils n'avaient rien du couple typique, encore moins de la famille type. Mais ils apprenaient, petit à petit, à accepter cette nouvelle vie qui les attendait, celle de partager les joies et, sans doute, les moins bons côtés, de la vie de famille, acceptant que cette grossesse vienne à nouveau chambouler leur vie qui ne manquait pas de péripéties.

Terrence avait fini par accepter l'invitation de sa petite amie, même si son avant-midi semblait assez chargée. Ils se donnèrent donc rendez-vous dans une petite sandwicherie à mi-chemin entre la plage et le cabinet de médecin où Violet avait rendez-vous ce matin. Rendez-vous que Terrence avait dû manquer, ne pouvant pas s'absenter de la boutique ce matin. Et bien que Violet aurait préféré être accompagnée, elle s'y était rendue seule, promettant à Terrence qu'il ne manquerait sans doute rien de bien important. Ce n'était pas supposé être un rendez-vous important, un suivi de grossesse, tout simplement, suivi d'une échographie qui permettrait de savoir si leur bébé était de la bonne taille. Il avait assisté au premier rendez-vous, ils avaient entendu son petit coeur battre, avaient vu ses petites mains ouvrir et fermé sur l'écran noir et blanc de l'échographe. Et sans doute qu'en tant que père, il aurait voulu assister aux suivantes, mais Violet comprenait que leur réalité ne leur permettait possiblement pas de toujours fermer boutique. Elle-même songeait peut-être à mettre la clé dans la serrure de sa boutique indéfiniment, réalisant qu'il n'était pas réaliste pour elle de continuer de faire tourner sa boutique toute seule. Ça lui brisait le coeur, mais Violet devait se rendre à l'évidence...

Elle était arrivée la première, avait pris une place sur la terrasse et parcourrait déjà le menu alors qu'elle le vit arriver, sourire aux lèvres, elle le salua. « Salut! », lança-t-elle en se levant pour venir l'embrasser, entourant ses bras autour du cou de l'homme, l'instant de quelques secondes à peine, juste pour se hisser à nouveau jusqu'à ses lèvres. « Dure matinée? », demanda-t-elle alors qu'elle reprenait place sur sa chaise. Elle savait qu'il avait engagé une nouvelle employée et que la saison forte se préparait en grand pas. Et elle le cachait, mais elle redoutait de devoir l'affronter toute seule, alors qu'à l'habitude, elle était surexcitée.

La matinée était passée vite et Terrence n’avait pas terminé tout ce qu’il avait à faire à la boutique, mais il s’était accordé une heure de pause, il avait fermé son magasin et mis un mot sur la porte pour informer qu’il partait jusqu’à quatorze heures. Jamais il ne faisait ça, habituellement il avalait une salade sur le pouce entre deux clients et se gavait surtout de café pour tenir le coup la journée, il compensait alors par un dîner copieux, il avait toujours fonctionné comme ça. Mais voilà, Violet avait appelé, elle avait une faim de loup, elle avait envie de le voir et lui, il en avait envie aussi. Tout avait changé, ces quelques derniers mois, depuis l’annonce de sa grossesse, ils attendaient un enfant et Terrence était méconnaissable. Cette nouvelle avait révélé en lui une douceur inattendue, un instinct de protection envers sa douce et une envie que tout se passe bien pour elle, pour eux. En vérité il avait déjà vécu ce genre de chose, lorsqu’il avait appris que sa petite amie de l’époque, attendait Lena, mais, pour être honnête, il avait vingt ans, la fougue et l’inconscience qu’excusait cet âge-là. Et puis sa petite amie il ne l’aimait pas, pas vraiment, pas assez pour se sentir aussi attentionné qu’avec Violet. N’allez pas croire qu’il avait changé du tout au tout, il n’était pas, d’un coup d’un seul, devenu une sorte de marshmallow mièvre, il gardait son sale caractère et sa gouaille que tout le monde connaissait, mais c’était les petites choses, les gestes tendres, les marques de douceur, qu’on lui connaissait peu, celles que la brune avait pourtant décelé chez lui dès le départ alors qu’il jurait qu’il n’était pas comme ça, et pourtant…
Ce jour-là était important, qui plus est, Cox avait dû se rendre seule à un rendez-vous obstétrique parce que Terrence attendait une grosse livraison qui avait déjà pris du retard, elle lui avait demandé de décaler mais là c’était la date limite avant le retour à l’entrepôt. Il ne ratait pourtant aucun rendez-vous, il se rendait disponible, il était impliqué dans cette grossesse qu’ils vivaient, autant que possible, à deux. Et puis elle lui avait dit que ce n’était pas si grave, un simple examen de routine, rien de très important alors il l’avait laissé y aller seule la conscience moins lourde. Cette pause déjeuner ce serait donc l’occasion qu’elle lui raconte un peu ce qu’il s’était dit sans lui. Il avait rechigné pour la forme mais bien évidemment il avait fini par accepter ce tête-à-tête. Rendez-vous était pris entre la plage et le centre et il avait hâte, parce que si Violet devait lui raconter sa matinée, lui avait quelque chose à lui dire, quelque chose qu’il gardait pour lui depuis quelques jours mais qui lui tenait à cœur de partager avec sa petite amie. Lorsqu’il arriva, de sa démarche si particulière, il remarqua l’américaine qui l’attendait, attablée au soleil, profitant de ses rayons qui lui réchauffaient la peau, elle était belle, visage offert à la lumière, elle semblait rayonner. Elle le remarqua et vint à sa rencontre, Kelly la serra contre lui, profitant encore que son ventre ne soit pas trop proéminent pour l’avoir au plus près de lui. Salut vous. Faites attention, ma femme me fait surveiller, si elle apprenait que je prends du bon temps alors que je suis sensé travailler comme un forcené je ne donnerais pas cher de notre peau… Il lui sourit, se laissant embrasser, visiblement de bonne humeur. Matinée de merde, oui ! J’ai attendu le livreur pendant deux heures et il n’avait que la moitié de ma commande, il a intérêt à revenir demain. Heureusement que Noa est efficace, elle m’a bien aidé à tout mettre dans l’arrière-boutique sinon je ne serais pas là avec toi. Ils s’installèrent à la table et Terrence parcouru rapidement le menu. Et toi, comment ça s’est passé ? Il avait hâte qu’elle lui dise que tout allait bien, il était toujours un peu fébrile quand il s’agissait de rendez-vous médicaux, ses mauvaises expériences personnelles le rendait toujours septique face à la médecine.

Une famille. Ils formeraient bientôt une famille. Différente, mais à leur image. Une famille bien à eux. Et chaque fois que Violet se le répétait, elle avait presque besoin de se pincer. Bébé miracle, il s'était installé entre eux alors que la vie ne leur en laissait pas la chance, alors qu'ils croyaient qu'ils étaient sans crainte, que cet accident n'aurait aucune incidence sur leur avenir. Et ils s'étaient terriblement trompés. S'ils croyaient être sains et saufs, ils avaient été happés d'une nouvelle surprenante, changeant leur vie indéfiniment.

Elle ne lui ne voulait pas, Violet. Elle comprenait bien ce que ça impliquait d'être commerçant et de travailler pour la plupart du temps seul. Ils avaient la même réalité, ce qui était finalement une chance puisqu'ils pouvaient se comprendre. Elle ne lui en voulait pas, mais bien évidemment qu'elle aurait préféré que Terrence l'accompagne. Elle le lui avait même fait remarquer, lui demandant s'il était possible de retarder la livraison d'une journée. Ce à quoi il lui avait fait comprendre que ce n'était pas raisonnable, qu'il avait absolument besoin de la réceptionner lui-même, et ce aujourd'hui. Alors elle s'était résignée, se disant que ce n'était qu'un contrôle de grossesse comme les autres. Elle s'était cependant trompée...

Rendez-vous à la sandwicherie entre la plage et le centre de Bowen, Violet arriva la première et attendit que son petit-ami arrive en parcourant le menu l'eau presque à la bouche. Elle aurait pu tout commander, tant elle avait faim. Son doigt parcourait les propositions, s'arrêtant sur le pannini à la pomme et au brie, mais elle soupira se rappelant qu'elle n'était pas réellement autorisée à manger des fromages à pâtes molles qui risqueraient de lui donner la listériose. Et juste au moment où elle releva la tête, elle aperçut la silhouette du commerçant se dessiner au loin, sa démarche bien à lui qui ne le trahissait pas. Elle, cependant, elle ne voyait plus son déhanchement boiteux. Elle ne voyait que le bleu de ses yeux, au loin, et le sourire qui se traçait sur son visage alors qu'elle avançait vers lui pour mieux l'embrasser. Ses bras firent du bien à l'Américaine qui profita de cette douce étreinte avant de rire à la taquinerie de l'homme. « Votre peau, monsieur. C'est vous qui vous perdez dans les bras d'une autre », gloussa-t-elle en se reculant pour mieux lui sourire. « Le sait-elle, au moins, que vous m'avez fait un enfant? », continua-t-elle dans un chuchotement, comme si sa femme ne devait réellement pas l'apprendre.

Il avait de tout petits yeux, Terrence. Il semblait exténué. Violet le questionna en reprenant place sur son assise, laissant l'homme se positionner face à elle.« Et bien, je lui dirai merci quand je passerai à la boutique », fit Violet en souriant alors que son petit-ami lui précisait que sans sa nouvelle employée, il ne serait pas arrivé à tout placer dans l'arrière-boutique à temps pour l'heure du lunch. Elle se retint de lui faire une remarque sur la commande qu'il aurait alors forcément pu déplacer à demain, comme le livreur devait repasser, parce que ça aurait été retourner le couteau dans la plaie. Cependant, elle eut une réflexion à haute-voix. « J'espère que la mienne ne sera pas aussi grosse que la tienne. » Sans quoi, elle ne pourrait pas la faire entrer dans son arrière-boutique toute seule, encore moins enceinte. Et c'était hors de question de demander de l'aide à qui que ce soit. Ce n'était d'abord pas son genre et encore moins de déranger deux jours Terrence pour l'aider avec sa boutique à elle. Il faudrait forcément trouver une solution, sans quoi Violet se verrait obligé de fermer boutique pour toute sa grossesse et elle doutait que la réouverture serait possible après un an d'arrêt.

La brune le vit zieuter le menu. Elle sourit. « Prends le sandwich au brie, s'il te plait », quémanda-t-elle. « Je ne peux pas en manger, mais j'ai trop envie de le sentir », gloussa la commerçante. Elle savait bien que c'était ridicule comme demande, mais elle en mourrait d'envie. Elle, elle se contenterait d'un sandwich au poulet grillé. C'était safe. Rapidement, Terrence questionna sa douce sur son rendez-vous du matin. Violet sourit, un sourire qui venait faire briller ses pupilles. Merde, elle était déjà émue. « Bien », se contenta-t-elle de dire de prime abord. « On a entendu son petit coeur. Il battait tellement vite, on aurait cru qu'elle était en pleine séance de footing », gloussait la brune. Violet espérait qu'il ait dénoté la subtilité de son affirmation, que Terrence ait remarqué qu'elle avait utilisé un pronom personnel, pour une fois, et qu'elle n'avait pas utilisé le terme bébé.

Terrence n’était pas vraiment conscient de toutes les questions que Violet se posait sur l’avenir de sa boutique, ils n’en avaient pas encore parlé et même si le sujet viendrait sur la table à un moment ou à un autre, il n’imaginait pas qu’elle puisse en fermer les portes. C’était assez ironique quand on savait qu’il avait souhaité sa perte quand il avait su que l’américaine était venue lui voler son bout de rêve à l’époque et encore quelques années plus tard, la rancœur et la rivalité avait sévi longtemps avant que les deux commerçant ne trouvent un terrain d’entente aussi inattendu que surprenant. Et à présent il n’imaginait plus ce bout de plage sans ce magasin, son concurrent qui finalement ne lui avait jamais vraiment fait concurrence, ils avaient toujours été complémentaires l’un et l’autre. Et surtout sans sa propriétaire, celle qu’il aimait tant et qu’il admirait en tant que gérante de son commerce, parce qu’elle avait eu du mérite, Cox, de s’installer à Bowen alors qu’elle ne connaissait personne, de lui tenir tête aussi, durant toutes ces années où il lui avait mené la vie dure, Kelly. Puis elle avait ça dans le sang, tout comme lui, elle aimait le surf, elle aimait son job. Un jour pourtant il faudrait sûrement se poser les vraies questions, pare ce qu’ils étaient tous les deux commerçants avec des horaires impossibles, ils passaient plus de temps sur leurs plages que dans leurs demeures respectives, ça collait bien avec leurs vies de célibataires, mais ça marchait déjà moins bien avec une vie de couple plus conventionnelle et ça deviendrait vraiment compliqué avec une vie de jeunes parents. Peut-être qu’ils pourraient fusionner leurs deux boutiques et ainsi mieux se répartir les tâches, ils devraient trouver des solutions, mais pour l’heure Terrence n’y pensait vraiment pas. Surtout quand il voyait la jeune femme s’avancer vers lui, elle semblait heureuse, épanouie, on dit que la maternité vous rend belle, belle elle l’avait toujours été, mais là elle était solaire. Ou peut-être que c’était lui qui la regardait d’un œil nouveau, maintenant qu’il acceptait pleinement que le bonheur lui sourit. Il rit à son tour, la brune dans ses bras, alors qu’ils se prenaient au jeu de cette relation faussement adultère, il posa un doigt complice sur ses lèvres. Chuuut, elle ne doit jamais savoir. On le voyait rarement comme ça, si léger et tout compte fait être heureux lui allait bien, il avait l’air moins grave quand il posait son regard amoureux sur Violet, malgré ses petits yeux fatigués. En ce moment il accumulait les journées à rallonge mais c’était pour la bonne cause, le commerce se portait bien et il avait une nouvelle vie à construire, pourtant certaines choses ne changeaient pas et sa bonne vieille ennemie, sa jambe, restait douloureuse, l’empêchant d’être aussi serein que ce qu’il voudrait. Mais heureusement que Noa était là, il se reposait un peu sur elle pour certaines choses, c’était une aide non négligeable. Tu as passé une commande pour ta boutique ? Elle arrivera quand ? Je viendrais t’aider pour la rentrer. Qu'il dit de sa voix autoritaire, même s’il savait qu’elle refuserait son aide, il était inconcevable pour Terrence que Violet soulève des charges lourdes toute seule, c’était trop risqué pour elle et le bébé qu’elle portait. Il partait pour commander un poke bowl quand Cox le supplia presque de prendre un sandwich au fromage, il haussa un sourcil en la regardant de travers. Sérieusement ? Pomme brie ? Violet… il roula des yeux, les fameuses envies de femme enceinte. Il trouva ça un peu idiot, qu’elle s’en prive si elle le voulait, mais il ne voulait pas qu’elle prenne de risque, bien qu’il se demandât bien comment un morceau de fromage pourrait lui faire du mal. Le serveur arriva, elle commanda son sandwich au poulet et lui hésita une seconde avant de commander le sandwich au brie. Et le poke bowl, comme ça pas de perdant, il avait bien assez d’appétit pour manger les deux. Il écouta en hochant la tête quand Violet lui raconta son rendez-vous, en soi, rien de bien extraordinaire, des bonnes nouvelles qui le rassuraient. Une sportive alors ! … une ? Il la fixa sans comprendre, se demandant s’il avait bien entendu, s’il ne s’était pas trompé. Une fille ?! Tu as appris le sexe ? Il se sentit tout d’un coup tout chose, tout bizarre, comme ramolli. Une petite fille, il se contrefoutait du sexe de cet enfant du moment qu’il soit en bonne santé, mais l’apprendre concrètement, là, par surprise, ça rendait les choses si réelles. Il attrapa la main de Cox sur la table. Tu es heureuse ? Ils n’en avaient pas vraiment parlé, c’est là qu’il réalisait qu’ils n’avaient pas parlé de grand-chose concernant cette grossesse et la nouvelle vie qui les attendait, comme si tout ça restait lointain, comme un rêve dont on ne se réveillait pas, sauf que c’était réel, c’était là, c’était eux, bientôt, un vrai couple, une famille.

Elle y avait pensé, elle aussi, à la possibilité qu'une fusion entre sa boutique et celle de Terrence soit réalisable. Mais c'était aussi un drôle de rêve, un peu fou sur les bords. Eux, éternels concurrents. Lui, éternel solitaire. Était-ce réellement la meilleure des idées au monde? La boutique de Violet était neuve. Elle avait été entièrement refaite à la suite du saccage. Elle pourrait la revendre pour un prix raisonnable, quelque chose de pas trop mal à mettre dans ses économies. Elle pourrait se trouver un boulot de jour, quelque chose qui ne lui prendrait pas trop de temps, comme elle devrait aussi s'occuper d'un enfant, et peut-être même offrir de temps à autre des cours de surf privés pour ne jamais s'éloigner de sa passion, si elle finissait par retrouver le courage d'affronter les vagues. Il faudrait faire un choix, un véritable choix. Parce que si maintenant leur réalité fonctionnait, évidemment qu'une fois le bébé arrivé ils devraient s'ajuster et trouver un moyen de tout accorder. Ça lui ferait inévitablement mal au coeur de vendre sa boutique, mais réalistement ils ne pourraient en tenir deux simultanément. Ou peut-être que oui, en utilisant beaucoup de créativité et en changeant leurs horaires. Bref, tout ça, ça angoissait la commerçante un brin, mais elle en faisait abstraction alors qu'elle le voyait arriver et plaisanter, léger comme jamais. Ça faisait changement de le voir aussi serin, doux, souriant plutôt que sérieux et fermé. Et ce n'était pas désagréable. Bien au contraire. Violet en prenait goût, même. Elle l'aimait, son Terrence. Et ce, peu importe comme il l'était. Elle l'aimait pour sa personne, même avec ses défauts. Mais il fallait avouer que de le voir aussi épanoui, c'était rafraichissant. Terrence posait un doigt sur la bouche de sa petite-amie, implorant le silence de sa part. Elle riait contre le contact de la peau de l'homme. Et quand il retira son doigt, elle fit mine de fermer sa bouche sous clé et de se débarrasser de cette dernière pour sceller son silence avant de rire en écho à celui du militaire.

Rapidement, elle questionna l'homme sur sa matinée à la boutique, raison qui l'avait empêché de pouvoir se rendre avec elle à son rendez-vous médical. Peut-être que c'était parce qu'il avait généralement de mauvaises expériences quand il était question de la médecine, ou parce qu'il voulait tout simplement s'impliquer au maximum dans cette grossesse, mais Terrence avait semblé ne vouloir rien manquer des visites chez le médecin de sa douce. Avant de le rassurer sur le sujet, chose qui viendrait assez rapidement, Violet tenait tout de même à prendre le pouls de la matinée de son amant, son âme commerçante qui n'était jamais bien loin. Elle connaissait les défis de gérer une boutique seul. Et elle savait que l'aide de Noa, la nouvelle employée de Terrence, ne serait pas de trop. D'ailleurs, la jeune femme l'avait franchement aidé avec la réception de sa livraison. « J'avais peur de manquer de marchandise pour le début de la saison », précisa Violet en hochant la tête lorsque Terrence la questionnait sur une livraison à recevoir. « Hors de question », ajouta-t-elle sur le même ton que lui, aussi autoritaire, alors qu'il proposait de l'aider. En vérité, même si elle s'y opposait, il finirait par déceler l'arrivée du camion de livraison et par se présenter sans être invité pour aider la brune à décharger la marchandise. « Je demanderai à monsieur poste de bien vouloir me prêter ses bras, si elle est trop grosse pour moi, ne t'inquiètes pas », fit la brune en souriant. C'était hors de question qu'elle lui fasse manquer une matinée de travail pour une livraison. Un suivi de grossesse, d'accord. Mais certainement pas pour s'occuper de sa propre boutique.

Laissant parler ses envies alimentaires, Violet implorait son petit-ami de commander ce qu'elle aurait pris sur le menu si elle en avait eu le droit. Terrence, cependant, ne semblait pas cautionner le choix de la brune, la regardant un sourcil levé, un sourcil froncé, perplexe quant au mélange pomme et brie. Et pourtant, c'était délicieux. « Ne pose pas de questions », gloussa-t-elle alors qu'il doutait ouvertement des goûts de la femme enceinte. Elle, elle optait pour quelque chose de plus raisonnable, vu son était, quelque chose de bien cuit. Quand le serveur arriva, Terrence commanda un Poke Bowl devant le visage déçue de sa douce. Violet affichait une moue dépitée alors qu'il ajoutait à sa commande ledit sandwich qui la faisait envier. Rapidement, le sourire lui revint sur le visage. Elle murmurait silencieusement un merci à son amant et une fois le serveur reparti ce dernier questionna la jeune femme sur sa visite médicale. Elle avait bien hâte de tout lui raconter. Pourtant, elle ne laissait paraitre aucune excitation sur son visage. Elle racontait la visite comme si de rien n’était, comme s’il n'y avait pas plus normal que ça, précisant au passage subtilement le sexe de leur bébé, ce à quoi Terrence ne sembla pas accrocher de prime abord. Il répliqua avec ce pronom personnel qu'ils n'avaient jamais utilisé avant, sans même réaliser qu'il y avait un genre sur ce qui grandissait dans le ventre de sa petite copine. « Une sportive, oui », répétait Violet, un sourire joueur sur les lèvres. Et quand enfin il sembla réaliser ce qu'elle avait dit, il posa un regard plein de questionnement sur la brune qui, elle, ne faisait que sourire. Violet hocha la tête alors qu'il lui demandait si elle avait appris le sexe du bébé aujourd'hui, l'émotion qui commençait à monter à ses yeux. Le militaire attrapait la main de sa copine, cherchant dans son regard une réponse à sa question. « J'aurais voulu t'offrir un garçon », avoua-t-elle avec presque une déception dans la voix. Il avait déjà une fille, sa grande fille, sa Lena. Et ils en avaient jamais réellement parlé, parce qu'au fond, ce qu'ils voulaient tous les deux, c'était que ce bébé miracle soit un bébé santé, en pleine forme, peu importe le sexe, la couleur des yeux ou même à qui il ressemblerait à la naissance. Mais, une part de l'Américaine aurait tout de même souhaité être en mesure de lui offrir quelque chose de différent, de nouveau, de propre à eux. Un garçon, comme il n'en avait pas. Un petit garçon qui aimerait le surf autant que son papa et qui aurait le bleu de ses yeux. « Tu es déçu? », osa-t-elle demander.

Ce côté super-héroïne de Violet avait le don d’agacer Terrence. C’était bien d’être féministe, c’était bien d’avoir du caractère et de se battre pour l’égalité homme/femme. Si Kelly l’avait raillé au départ, il avait bien vite rendu les armes en se rendant compte qu’elle valait au moins autant que lui, sur bien des points, elle avait de la ténacité et de la hargne à revendre. Il savait également qu’être enceinte ce n’était pas une maladie ni un motif pour devoir tout arrêter. Mais là on parlait de rentrer des cartons qui pesaient un âne mort, de soulever des marchandises dans une boutique minuscule et il connaissait bien les lieux, il en avait fait le plus gros des travaux quelques mois plus tôt. Alors il lui en foutrait des hors de question, si c’était lui qui avait refusé son aide au moment où il sortait de son opération elle se serait ri de lui. Alors il serait là, le jour de la livraison et il aiderait, qu’elle le veuille ou non. Et même quand elle lui sortit qu’elle demanderait de l’aide au livreur, il tiqua, réprimant un rictus, ils savaient tous les deux que le pauvre gars n’aurait pas le temps de l’aider, au mieux il déposerait les cartons pour lui faciliter le travail mais ça ne serait pas suffisant. Mouais, on verra. Il n’avait pas envie d’une dispute pour si peu ce midi, ils avaient déjà peu de temps ensemble, autant ne pas le gâcher. Comme quoi… il s’adoucissait avec l’âge, ou à son contact !
Et voilà, lui qui voulait manger relativement léger ce midi, en partie parce qu’il n’avait pas l’habitude de faire de gros repas à cette heure-là, il serait obligé de manger pour deux. Et en plus il n’était pas à l’abri que Violet tire la tête lorsqu’elle verrait le sandwich arriver, trop envieuse de ne pas pouvoir y goûter alors qu’elle ne sentait l’odeur, enfin si c’était le cas elle ne pourrait s’en prendre qu’à elle-même et à ses envies bizarres de femme enceinte, lui ferait même semblant de se délecter de son plat même si ce ne serait très probablement pas le cas. Toujours est-il qu’il devrait aller à la salle de sport dans la semaine avec tout ça, le brie ça irait directement dans son ventre et il voyait bien qu’avec l’âge il ne pouvait plus manger n’importe quoi, surtout qu’il n’avait plus la possibilité de courir pour éliminer depuis bien longtemps, sa seule possibilité pour s’entretenir c’était de faire un minimum attention à son alimentation et d’aller à la salle pour continuer à se muscler, sauf qu’il n’avait pas toujours le temps. Alors non, il ne poserait pas de question et la mine réjouie de Violet suffisait mais il ne manquerait pas de se venger ! En attendant leurs plats, Violet raconta son rendez-vous à Terrence, celui qu’il avait manqué bien malgré lui. Et en comprenant qu’il avait manqué bien plus qu’un contrôle de routine, il se senti un peu bête, mais pas autant qu’en apprenant qu’il allait avoir une fille. Les papas avec leur fille c’était quelque chose de spécial, il n’avait pas eu la chance de le vivre avec Lena, même s’il tentait autant qu’il le pouvait de rattraper le temps perdu, pourtant il n’avait jamais eu la chance de lire cet amour inconditionnel dans ses yeux d’enfant, de voir qu’il était son héros, le meilleur, le plus fort, l’homme de sa vie avant qu’il ne se fasse voler la place par un autre. Il aurait tout donné pour vivre ça, pour tout recommencer à zéro et ne plus faire les mêmes erreurs, pour voir grandir sa petite fille. Et voilà que la vie lui offrait cette chance. Ce bébé ne remplacerait pas Lena, bien au contraire, sa grande fille serait toujours son bébé quelque part, mais il pourrait faire autrement, faire mieux et apprendre à être un vrai père avec cet enfant, ce qui pourrait être bénéfique pour sa relation avec Lena également. Au fond peu importe que ce soit une fille ou un garçon, mais il avait néanmoins cette émotion particulière en apprenant le sexe. La réaction de Violet le surpris, elle était presque déçue, elle, de savoir que ce n’était pas un garçon, pas pour elle, mais pour lui visiblement. Ne dis pas ça, c’est déjà un énorme cadeau que tu me fais. Et puis si elle a ton sourire, bordel j’aurais du souci à me faire ! Lui ça lui plaisait bien l’idée d’avoir une mini Cox, aussi belle et aussi chiante qu’elle, il en faudrait plus des filles comme elle dans ce monde pourri. Pas du tout. Et je ne veux pas que tu le sois. Enfin je suis peut-être déçu de ne pas avoir été là, ça me fait encore plus culpabiliser d’avoir fait passer ma boutique avant toi. Excuse-moi. Il serra sa main un peu plus fort pour lui faire comprendre qu’il était vraiment désolé.

Elle le regardait avec son sourire d'ange, mais cet air à la fois inébranlable. Peu importe ce qu'il en dirait, son idée était faite. Monsieur poste lui déchargerait les cartons dans l'arrière boutique et elle se chargerait du reste. Il lui faudra peut-être toute la journée pour bien réceptionner cette commande, il lui faudra peut-être même deux jours pour terminer de placer la marchandise sans prendre de risque de lever de trop grosses boites ou de trop lourds items. Mais elle le ferait. Du moins, c'était l'idée avec laquelle Violet était butée. Mais connaissant Terrence, lui aussi resterait campé sur ses opinions. Et il finirait par s'y imposer, venir sans lui demander la permission ou lui laisser le choix et l'aider à faire le plus gros, le plus demandant. Violet ne l'avouerait pas, parce qu'elle prônait son indépendance et sa capacité à gérer toute seule sa boutique, mais de l'aide, elle en avait besoin. Et pas qu'avec les livraisons. Mais elle se rendait compte qu'être une futur maman et une entrepreneuse était bien plus exigent. La fatigue, l'impuissance devant certains épreuves qui, avant, ne lui aurait pas posé de soucis, remettait en doute sa capacité à poursuivre son aventure de commerçante comme elle l'avait toujours vécu. Et ça, ça lui posait problème. Lequel des deux réduirait ses heures de travail? Lequel des deux pilerait sur leur orgueil pour en faire moins? Ils n'en avaient jamais discuté.

Ce n'était pas la raison de leur déjeuner. Et Terrence le balaya bien rapidement, ramenant les deux amants là où ils devaient être, ensemble. Elle le regardait avec un sourire, lui qui critiquait ses goûts et ses envies, mais qui avait tout de même cédé à la demande de sa petite copine. Lui qui posait des questions sur ce rendez-vous auquel il n'avait pu assister et qui n'avait pas tout de suite capté la subtilité dans le pronom que Violet avait choisi pour répondre à sa question. Jusqu'à ce que Terrence réalise et que le sourire de la brune s'agrandisse.

Ça n'était pas prévu. Rendez-vous de routine. Rendez-vous de suivi. Écoute du coeur du bébé, prise de signe vitaux chez Violet. Rien qui demandait à Terrence de mettre tout sur pause et de l'accompagner. Et pourtant... Pourtant, elle avait appris le sexe du bébé sans que ce soit réellement le temps, tout simplement parce qu'il en avait été d'une évidence à l'échographie. Violet tentait de remettre la situation dans son contexte, parce qu'elle savait que Terrence souhaitait s'impliquer dans cette grossesse qui lui donnait sans doute l'impression de se rattraper avec son rôle de père et de devenir, par le fait même, plus tendre avec Lena. C'était comme si elle lui avait volé la chance de le faire en apprenant sans lui ce qui se cachait réellement dans son ventre. Alors qu'il n'en avait pas été question. Violet n'avait pas agressé la technicienne pour qu'elle lui confirme le sexe du bébé, c'était arrivé, tout naturellement. Et elle ne pouvait faire comme si elle ne le savait pas, à présent.

La main de Terrence était venue se poser sur celle de Violet. Et l'émotion s'empara de la brune. Était-elle heureuse? Évidemment. Elle ne s'attendait pas à être mère, elle avait mis une croix sur cette option, choisissant son amour pour Terrence plutôt que le désir de devenir maman, elle qui, de toute façon, ne l'avait jamais chérie comme un but ultime à sa vie. Alors, oui, elle était heureuse de simplement avoir ce petit bébé miracle, cette enfant qui avait su se trouver un brèche dans l'impossibilité de concevoir de son père. Mais, la vérité, c'est qu'elle aurait souhaité offrir à Terrence un petit garçon. Un garçon avec ses yeux et ses fossettes. Un garçon de qui il pourrait être fier, avec qui il parlerait sport et qui ne serait pas une compétition envers Lena, Lena que Violet ne voulait pas exclure de l'équation. Pourtant, lui, il n'en faisait pas de cas. Et sa réponse arracha même un petit rire à la commerçante. « Si elle est comme sa maman... », ce mot lui faisait encore bizarre, elle pris une pause pour se recentrer, « ...tu n'auras pas à t'inquiéter pour elle, ce sera elle qui brisera des coeurs et pas l'inverse », fit-elle en caressant de son pouce la main de Terrence contre la sienne. « Ne culpabilise pas... », soufflait Violet. « Ça n'était pas prévu. C'est arrivé, comme ça. Et tu ne pouvais pas laisser Noa toute seule avec ta livraison. » Violet soupira en baissant les yeux. « D'ailleurs, toute cette histoire de boutique va commencer à poser problème. Parce que je refuse que tu abandonnes ta boutique. Mais, inévitablement, je devrai penser à la mienne. » L'idée de proposer à Lena de l'aider avec sa boutique lui passait bien par la tête, mais la belle Lena, elle avait d'autres chats à fouetter. Il y avait l'école et sa vie.

Lui, Terrence, l’écorché, l’homme perdu. Violet l’avait sauvé, plusieurs, fois, dont une littéralement. Sans elle il serait probablement toujours cette épave qui traînait sa carcasse sans autre but que celui de faire tourner sa boutique de surf, spectateur malheureux du ballet des vagues et de ses amis sur l’eau sans jamais plus pouvoir remonter sur une planche. Il ne vivait plus son rêve que par procuration. Et pour le reste, pour toutes relations humaines, il fallait le dire, c’était le néant. Sauf qu’il ne devait pas en être ainsi, personne ne devait vivre sa vie en ermite martyre de cette façon, sinon à quoi bon vivre finalement ? Et Violet le lui avait appris, ni plus ni moins, elle lui avait fait ouvrir les yeux. Et c’était contagieux, comme la lumière qui entrait dans le salon qui tout d’un coup illuminait toute la maison, depuis Cox Terrence avait retrouvé Lena, ça n’avait rien à voir, il le savait bien, mais qu’est ce qu’il aurait eu à offrir à sa fille, autre que son côté brut, s’il n’avait pas déjà été sensibilisé à la douceur par sa tendre maîtresse ? Ainsi elle l’avait changé, en bien, ou du moins elle avait éveillé en lui cette faculté à aimer, celle dont il ne pensait pas être pourvu. Et s’apprêtait à lui offrir encore un nouveau cadeau, assurément le plus beau, le plus incroyable, le plus doux, le plus inattendu. Un enfant, une petite fille qui plus est, depuis quelques semaines il ne touchait plus terre. Et même si l’avenir était encore loin d’être concret, s’il restait encore tellement de questions à se poser ou de changements à apporter dans leurs vies, il n’avait aucun doute sur le fait qu’il tenterait tout pour rendre ce bébé heureux et leur quotidien à trois le plus beau possible. Ça, il n’en doutait pas, que la fille de Violet briserait bien des cœurs et cette idée le fit sourire. Est-ce que ça veut dire que tu as éconduit beaucoup d’hommes dans ta vie ? J’ai eu de la chance de tiré mon épingle du jeu alors. Et pourtant ce n’était pas gagné entre eux, mais ça vous le savez déjà. Bref, la fille de Violet, rien que d’y penser c’était étrange et agréable à la fois, la sienne à elle, mais celle de Terrence également, un mélange des deux, il était curieux de voir ce que ça allait donner, du beau, il l’espérait, du beau en dehors, à n’en pas douter, il trouverait à coup sûr parfaite, mais du beau en dedans, il l’espérait, parce que lui n’avait pas que des qualités et il portait un lourd patrimoine qu’il pouvait lui transmettre malheureusement, à cette pauvre enfant. Pourtant Lena s’en était bien sortie, c’était une gamine vive, joyeuse, belle, de bien des façons, alors il s’accrochait à cet exemple-là. Mais dans tous les cas il pouvait bien s’imaginer tous les scénarios possibles, elle n’était pas née et quand bien même, il faudrait quelques temps pour voir son caractère s’affirmer, alors autant ne pas trop faire de plans sur la comète avant, ça ne servirait à rien. Non tu as raison, Noa n’aurait pas pu tout assumer seule. Il savait bien qu’elle avait raison, mais ça ne l’empêchait pas de s’en vouloir. Et la conversation dévia presque naturellement pour revenir au sujet de leur activité, identique mais pas commune, qui viendrait inévitablement à devenir problématique d’ici peu. Tu penses à qui au juste ? Fermer ? Pour Terrence c’était impensable, inenvisageable, il y aurait bien d’autres solutions que celle-ci avant de fermer boutique. Et pourtant, même s’il n’imaginait pas Bowen sans ses deux magasins de surf, tanto concurrents, tanto complémentaires, il devrait bien vite se rendre à l’évidence qu’une décision devrait être prise et peut-être qu’elle s’imposerait d’elle-même, bien qu’il ne veuille pas y penser. Il ne s’agissait pas du magasin de Violet mais du sien à lui qui, à cause du litige qui le confrontait à un promoteur immobilier depuis quelques temps déjà, voyait son activité menacée, peut-être un mal pour un bien. Mais il s’y refusait, parce que cette bicoque sur la plage il l’avait montée de ses mains, de sa sueur, il y avait investi son temps, sa santé, son argent. Et il y avait mis tous ses espoirs de taulard à peine sortit de derrière les barreaux dont personne ne voulait et en qui personne ne croyait à l’époque. Alors c’était encore trop douloureux de penser à fermer, à baisser les bras face à cet homme comme si seul le règne de l’argent avait un sens, plus que l’humain, plus que les rêves d’un surfeur déchu, paumé.

Est-ce qu'elle avait brisé bien des coeurs, Violet? Quelques uns. Pas plus que ça. Elle avait eu quelques petits amis, avait séduit quelques hommes, sans pour autant avoir une liste de conquête ou un tableau de chasse exorbitant. Violet, elle était la femme forte et féministe, celle qui pensait avec fermeté qu'elle n'avait pas besoin d'un homme dans sa vie pour être heureuse. Et quand celui avec lequel elle partageait son quotidien n'arrivait à l'accepter, malheureusement elle s'en départait. Et des hommes fermés, qui ne donnaient pas la parole aux femmes, il y avait bien plus qu'on y pensait dans le monde. La brune sourit à Terrence, à la fois taquine et mystérieuse. « Quelques uns », fit-elle en riant. De la chance, en avait-il réellement eu? En vérité, ils avaient seulement été là au bon moment, cet après-midi de tempête deux ans plus tôt. Leur histoire n'avait pas bien été lancé, entre les querelles et les disputes, Violet qui avait montré plus d'une fois à Terrence qu'elle ne se laissait pas marcher sur les pieds. Puis, finalement, ils avaient appris à composer ensemble, à s'accepter, jusqu'à s'aimer. Et cette première fois dans l'arrière-boutique de la surfeuse, à moitié sur le parquet, à moitié sur les bâches protectrices, alors que rien n'était promis, rien n'était gagné, elle y repensait souvent. Cette journée-là, elle lui avait demandé s'ils avaient un avenir. Et il avait baratiné quelque chose qui semblait vouloir tout dire sauf oui. Et pourtant, maintenant, ils étaient là, tous les deux, à attendre un bébé-miracle, fruit de leur amour.

Un bébé-miracle fille, qui plus est. Violet aurait souhaité lui apporter un petit garçon, quelque chose de différent qu'il n'avait jamais expérimenter. Et, d'un côté, la brune pensait aussi à Lena. Lena qui devrait trouver sa place au travers de la nouvelle vie de son père et le partager, alors qu'elle venait à peine de le retrouver, avec une autre petite fille. Violet s'était naïvement dit que d'avoir un garçon serait sans doute plus simple. Pourtant, Terrence n'en était pas déçu. Ce qui l'attristait, c'était d'avoir manqué cette annonce. Mais elle avait été une surprise pour Violet aussi, ça n'était pas prévu au programme. Et la commerçante rappela à son petit-ami qu'il n'aurait pas pu laisser Noa toute seule face à la livraison qu'il avait à recevoir. « Tu seras là à la prochaine échographie », sourit-elle pleine d'espoir. « Et d'ici là, Noa sera mieux formée, elle pourra tenir la boutique seule durant plus d'une heure. On aura le temps de profiter du moment présent, de faire la rencontre virtuelle de ce bébé-miracle. » Elle était positive, comme elle en avait toujours l'habitude. Mais encore plus en voyant la déception qui s'était installée sur le visage de Terrence. Le pauvre se sentait coupable pour quelque chose qui était, malheureusement, hors de son contrôle.

Parlant boutique, Violet lança une discussion qu'elle aurait pu retenir un peu plus longtemps parce que la réponse à la question de Terrence, elle ne l'avait pas. Le ton de l'homme avait été plus sévère et dur, celui qu'elle connaissait bien. Lorsqu'il parlait de ce bébé à naître, l'ex-militaire semblait calme, doux, apaisé. Mais dès qu'il était question des autres sujets, il redevenait l'homme qu'elle avait rencontré en premier lieu, bien malgré lui. Surtout quand une situation lui déplaisait. « J'en sais trop rien », soupira Violet alors que le serveur vint déposer leurs plats devant eux. Elle le gratifia d'un sourire avant de se pencher pour humer le sandwich qu'elle avait imposé à Terrence. « Je ne pourrai pas m'occuper de ma boutique toute seule. Enfin, à un moment, la grossesse m'en empêchera. Puis, lorsque le bébé sera là, j'aimerais profiter un peu de se présence, mais si ce n'est que quelques semaines. Alors, je ne sais pas.. Mais je pense que ce sera une option à considérer. Peut-être que je pourrai la reprendre plus tard. Ou me recycler en autre chose... » Elle soupira, se lançant dans la dégustation de son plat. « De toute façon, j'ai encore du temps pour y penser. »

Le rire de Violet, celui qui faisait toujours sourire Terrence, même si peut expressif qu’il soit. Elle se voulait joueuse, en lâchant un quelques-uns énigmatique. En vérité il s’en moquait bien, il n’était pas jaloux de son passé, il était parfaitement conscient que chacun arrivait avec ses bagages, certains qui pesaient plus lourds que les autres. Lui aussi il avait eu quelques histoires, rien de jamais sérieux, pourtant d’une de ces relations il était né un enfant, et d’une autre il avait appris qu’il ne pourrait probablement plus en avoir. La vie était bizarrement faite, mais il la prenait telle qu’elle était. Il n’avait pas toujours eu cette philosophie, mais nous dirons que le temps l’avait rendu sage. Pourtant rien n’était sage dans leur histoire à eux, tout n’était qu’un ouragan, une vague déferlante, mais tout finissait toujours bien, étrangement, ils passaient les conflits, les secrets, les peurs et les épreuves. Ils surpassaient tout ça probablement parce que ce putain d’amour inattendu était plus fort que tout. Et ce bébé en était la meilleure preuve. Il écouta Violet le rassurer sur le fait qu’il pourrait découvrir sa fille à la prochaine échographie, que Noa pourrait rester seule cette fois-là et elle avait raison, elle était très certainement la plus sage des deux, Kelly s’avérant un peu impatient sous certains aspects. Il ne voulait rien manquer, cette fois il voulait que les choses se fassent bien, il voulait tout assumer et être un père dès le départ pour cette enfant surprise. Tu as une échographie sur toi, là ? Il avait envie de voir à quoi elle pouvait ressembler même s’il se doutait qu’on ne verrait pas grand-chose. Effectivement il était tendre lorsqu’il parlait de leur avenir si doux, mais rapidement il se ferma à nouveau pour redevenir cet ours bourru qu’on connaissait bien. Il ne voulait pas entendre que Violet avait peur pour son activité, il n’aimait pas les changements, quelque part il avait besoin de ses habitudes, de ses repères. Il aimait se promener le soir sur la baie de Bowen et terminer inévitablement sa marche devant chez Cox, y voir ce magasin qu’il avait fini par connaître par cœur et même remonter de ses mains. Il aimait cette sensation d’être à la maison sur la plage, où qu’il se trouve. Et pour l’instant, si la situation venait à changer, il le verrait comme un échec, comme le fait de n’avoir pas réussi à concilier leur vie professionnelle et celle privée. Il l’écouta alors que les plats venaient d’être posés sur la table, observant Violet se pencher sur son sandwich comme pour s’imprégner de son odeur. Il arqua un sourcil, trouvant vraiment ce geste étrange. T’en veux un bout ? Une bouchée ça ne va pas te faire de mal tu sais… Qu'il proposa distraitement avant de rester là, médusé, un instant sans voix, sans savoir quoi répondre alors qu’elle songeait carrément à changer d’activité. Si tu fermes totalement tu perdras tout le bénéfice de tes efforts, tout sera réduit à néant, tu le sais bien. Ce n’est pas envisageable. Et puis tu ferais quoi ? Tu te vois rester à la maison à t’occuper du bébé ? Enfin je n’ai rien contre l’idée mais franchement, on sait toi et moi que tu ne tiendras pas, tu as besoin de voir du monde. Il était dur dans ses paroles, sans se rendre compte qu’il pouvait la blesser. Il semblait vouloir contrôler l’avenir de Violet et de sa boutique alors qu’au final ça ne le regardait pas et qu’il n’avait pas son mot à dire.