We are family (Blanche)

"Blanche ?" interpella Romy en ouvrant la porte du salon de tatouage et passant la tête pour voir si elle apercevait sa cousine. La jeune femme trouva le salon vide, ce qui ne l'étonnait pas puisqu'il devait ouvrir d'ici une dizaine de minutes. Romy s'était levée un peu plus tôt pour aller rendre visite à sa cousine, avant de se rendre à l'école. Elle avait eu vent de ce qu'il s'était passé entre Alba et Léo. Et elle avait été complètement prise au dépourvu... Même si elle savait qu'il y avait quelque chose de très fort entre Alba et Léo, ses deux amis, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir le coeur brisé pour sa cousine. Elle ne savait pas vraiment ce qu'il en était du couple, si Léo avait enfin avoué à Blanche ce qu'il s'était passé. C'était bête mais Romy s'était clairement défilée, de peur de devoir prendre parti, tiraillée par toutes ces personnes qu'elle aimait. Venant avec deux boissons bien chaudes, elle fut surprise de ne pas entendre de réponses. Elle entra donc dans le salon et alla vers l'arrière-boutique,où elle savait que Blanche s'octroyait quelques temps de repos entre deux tatouages. Mais en arrivant dans la petite pièce, la surprise fut grande. Il n'y avait pas que la cafetière et la petite table où elles s'installaient souvent pour papoter. Il y avait aussi tout un tas d'affaires et un matelas à même le sol. Les yeux écarquillés, Romy observa les affaires puis sursauta en entendant du bruit derrière elle. Elle se retourna et se trouva face à sa cousine. "Blanche..." Elle montra le matelas d'un signe de la tête. "Ne me dis pas que c'est toi qui dors là ?!"

Blanche avait le dos en compote. Visiblement, son matelas qu'elle avait entreposé dans l'arrière-boutique du salon de tatouage durant toute sa cohabitation avec Léo avait rendu l'âme. Ou, alors, s'était-elle seulement habituée à la sensation de dormir comme dans un nuage dans le lit de son amant préféré ? Autour d'elle, dans cette arrière-boutique, il n'y avait pas que ces choses qu'elle avait entreposées durant quelques mois, mais bien toute sa vie. Ses vêtements, ses cartons, ses meubles. Sa présence au studio, dans les derniers jours, était presque 24/7. Et non pas parce qu'elle se rabattait sur le travail.

Elle ne s'était pas vu débarquer en larmes chez Charlize une seconde fois. Blanche faisait sa forte depuis sa rupture avec Léo, mais la vérité était que son coeur en mille morceaux faisait mal. Pourtant, tout le monde autour d'elle lui avait dit de faire attention. Et, c'est bien pour cette raison qu'elle s'était donc installée au studio : entendre tout le monde lui répéter qu'elle aurait dû protéger son coeur et qu'ils lui avaient dit, c'était trop. Trop pour son coeur déjà meurtri.

Elle ne pensait pas être démasquée. Elle avait d'ailleurs avisé Fede que l'arrière-boutique était un foutoir et qu'il ferait mieux de l'éviter. Ça, ça avait été en grande partie pour le tenir loin de cette pièce où elle dormait, avec honte. Démasquée, elle l'était. Et ce n'était pas par Fede. La voix qui résonnait, elle était féminine et bien connue. Honteuse, Blanche sortait de sa planque, faisant face à Romy qui, visiblement, n'était pas fière d'elle. À la question de sa cousine, ses yeux s'emplirent d'eau. Elle n'arrivait même pas à sortir un seul mot, se contentant d'hocher la tête en guise de oui. « J'ai mal », finit-elle seulement par pouvoir articuler avant de fondre en larmes, cachant ses sanglots de ses mains.

Elle était choquée, Romy. Choquée de voir que Blanche s'était installée là, dans son salon, avec un confort minimum. Choquée de voir que sa cousine avait gardé cela pour elle, sans chercher le moindre soutien. Cette idée-là, d'ailleurs, renforça le sentiment de culpabilité de la jeune Lloyd. En ne voulant pas prendre parti, elle avait fait la lâche. En étant mise dans la confidence, elle avait protégé ses amis, certes, mais elle avait la désagréable sensation d'avoir trahi sa cousine. Ce qui lui fendait le coeur. Romy, c'était celle qui avait la main sur le coeur, l'épaule réconfortante, celle qui tend la main et qui vous offre un soutien quand il le faut. Là, elle avait tout raté. Elle n'eut cependant pas le temps de tergiverser davantage puisque Blanche apparut dans la pièce. A la simple question de Romy, elle vit les yeux de Blanche s'embuer. Elle aurait voulu lui demander pourquoi n'avait-elle rien dit ? pourquoi ne l'avait-elle pas appelé ?, mais Romy fut vite dissuadée en voyant Blanche fondre en larme, dévoilant sa douleur sans filtre. Cette souffrance, la blonde la reçut en plein coeur. Cette souffrance, elle la connaissait bien, trop bien. Pour l'avoir vécu, elle savait ce que Blanche ressentait. Sans un mot, elle posa les deux boissons chaudes sur la table et s'empressa de prendre sa cousine dans ses bras. Elle resserra son étreinte, la laissant pleurer parce qu'il fallait qu'elle évacue toute sa douleur. Pendant de longues secondes, elles restèrent ainsi. Puis, d'une voix si douce, Romy lui dit : "Tu sais quoi ? Ce midi, je reviens ici, on prend tes affaires et tu viens à la maison. Tu n'es pas toute seule, Blanche. Je suis là..." Et même si ses paroles étaient pleine de bienveillance, elles trahissaient Romy. Elles trahissaient le fait que Romy savait déjà tout, qu'elle savait que la cause de la douleur de Blanche n'était dû qu'à un homme : Léo.

Honte. Elle avait honte. Honte d'elle, honte d'être tombée dans le panneau à nouveau. Évidemment que son entourage aurait remué ciel et terre pour l'aider. Charlize lui aurait de nouveau ouvert la porte de chez elle, si elle s'y était présentée. Mais Blanche n'avait pas voulu de tout ça. Elle n'avait pas voulu avoir à se représenter comme une sans abris, ses bagages sous la main. Elle aurait voulu que son petit bonheur perdure, qu'elle puisse, elle aussi, être heureuse.

Aujourd'hui, ce n'était pas le cas. Ses sentiments étaient terribles. Elle était démunie, complètement assommée par le retour à la solitude. Blanche finirait pas s'y faire, elle y était toujours parvenue, mais à force, le temps de récupération était plus long. Or, lorsque Romy fut près d'elle, Blanche ne réfléchit même pas. Elle fondit dans ses bras. Leur étreinte dura une éternité, peut-être trop longuement pour Romy, mais Blanche en profitait de toutes les secondes. Elle en avait besoin, de la chaleur humaine, elle qui était complètement seule depuis que Léo lui avait dit sa maladresse. Le silence régnait entre elles, seuls les sanglots de Blanche teintaient la pièce jusqu'à ce qu'elles terminent leur étreinte. Et là, seulement là, Romy brisa le voile du silence. Elle ne posa pas de questions. Elle ne voulait pas savoir. Et Blanche fronça les sourcils, se sentait bien idiote. « C'était si évident que ça ? », demandait-elle. Elle n'avait pourtant rien dit. Elle n'avait pas dit que Léo l'avait trompée et qu'elle avait pris la porte, elle n'avait pas parlé d'Alba ou de quoi que ce soit, d'ailleurs. Tout ce qu'elle avait dit, c'était qu'elle avait mal. Et, pourtant, Romy agissait comme si elle était bien au courant de ce qui tracassait sa cousine. « J'ai été aussi naïve? », demandait-elle à nouveau. Était-elle la seule à ne rien avoir vu?