Nouvelle maison, pour une nouvelle vie (Concho)

Bien avant que je sois prêt à faire le même genre de move, Zelda avait décidé de s’acheter une maison. Elle était en plein déménagement. De mon côté, je vivais encore avec Perry et nos quatre enfants au total. C’était le bordel quand les jours de garde partagée tombaient sur les mêmes pour lui comme pour moi. Mais ça mettait de la vie. Je n’étais pas prêt à quitter ça, pas prêt à quitter le #17, pour me retrouver dans une grande maison dans laquelle je serais parfois bien trop seul, quand Lara serait avec sa maman et que Maxwell serait aux États-Unis avec Ally. Cela faisait plus de dix ans maintenant que je vivais en colocation, que ce soit à Bowen ou à Melbourne dans le temps. Je savais que pour une famille, une maison était un meilleur environnement, qu’à un moment il allait falloir que je coupe le cordon avec le #17, mais pour le moment c’était impensable. J’avais un trop fort attachement à cet endroit. Le quitter, c’était juste inconcevable. Je faisais partie des meubles de cette place-là. Cependant, je me réjouissais pour Zelda et je savais que c’était aussi signe d’un nouveau départ pour elle. Jason et Willow, avec des collègues, avaient aidé Zelda pour la grosse partie du déménagement de meubles. Pour aider, j’avais proposé de prendre Lara chez moi tout ce temps-là, sur plusieurs jours, pour lui permettre de bien s’installer sans devoir s’occuper de la petite à chaque dix mètres qu’elle faisait. Pour moi, c’était la job facile, de m’occuper de ma fille. Du temps père-fille de qualité. Quand même, pour ne pas être celui qui ne fout rien pour aider plus que ça, j’avais proposé de prêter mains fortes pour les étapes suivantes, soit la peinture, la pose de cadres ou de tablettes, défaire les dernières boîtes, ce genre de trucs de finition. Je sonnai à la porte de la nouvelle demeure de mon ex. J’entrai quand elle me cria que c’était ouvert, et je me dirigeai au salon. J’avais déjà visité une fois, quand c’était encore tout vide. Je sifflai en rentrant, impressionné du travail. « Wow, vous avez bien travaillé, Jay ne mentait pas ! » Je vis Zelda assise au salon. « J’viens de passer chez lui, j’lui ai laissé Lara pour le reste de la journée, j’me suis dit que les odeurs de peinture, tout ça, c’était peut-être pas l’idéal. » Lui appris-je. De toute façon, c’était elle qui avait proposé que je la laisse chez Jay ou Willow. Et Jay avait eu l’air plutôt ravi de pouvoir passer du temps avec Lara.

Elle était effectivement prête pour mon arrivée, Zelda. Tous ses meubles étaient recouverts de toiles transparentes afin de les protéger de la peinture. Il y en avait, du stock. Tout ça m’angoissait parce que je me disais qu’un jour ce serait à mon tour et en fait, je réalisais qu’à part ce qui meublait ma chambre, je n’avais pas grand-chose. Le reste appartenait à d’anciens colocataires du #17 qui avaient laissé leurs trucs derrière eux, comme un don pour cette petite famille qu’on était dans cet appartement. Du coup, au #17, il y avait un peu de tout le monde, les âmes passées et présentes. En voyant Zelda aller de l’avant dans sa vie comme elle le faisait, je réalisai que j’avais beau avoir trente-et-un an et être père de deux enfants, j’étais encore un gamin. C’était peut-être pour ça que j’étais incapable de bâtir quoi que ce soit de solide. « Parfait ! J’ai apporté des pinceaux et des rouleaux qu’on avait chez Head Ahead en surplus au cas où il te manque du stock mais je vois que t’étais vraiment très prête. » Je déposai ce que j’avais dans les bras sur le plancher, en apprenant à mon ex et amie que j’avais laissé notre fille chez son frère. « Lara doit adorer ça aussi. » Elle était en âge de reconnaître les visages, de rire, de créer des liens. Ça paraissait qu’elle adorait la famille du côté de sa mère. Et de mon côté, et bien, malheureusement, il n’y avait pas grand monde à présenter. Heureusement que j’avais été accepté par Willow et Jay malgré tout ce qu’il s’était passé entre Zelda et moi. Cette dernière se releva enfin de par terre dans le salon et me proposa de faire le tour du propriétaire. Je n’avais pas vu toutes les pièces alors j’acceptai avec plaisir. « Yes, ça va m’permettre de voir aussi à quel point on a du travail pour les prochains jours ! » Parce que la peinture, bien sûr, ça ne se réglait pas en quelques heures. Il y avait plusieurs couches à appliquer en plus du temps de séchage, et puis s’il fallait repeinturer la majorité des pièces, on en avait pour quelques jours. Ça me faisait plaisir, cependant, de donner ce coup de main à Zelda. On se mettrait de la musique et on chanterait à tue-tête en prenant nos pinceaux pour des micros. On aurait de la peinture plein les cheveux et les vêtements et franchement, ce serait des moments parfaits. Je suivis Zelda jusqu’à la chambre de Lara mais on passa d’abord à côté de la cuisine. « Tu sais dans mes années à Melbourne j’ai bossé dans la construction. J’peux donner un coup de main aussi, même venir quand l’entreprise est là si tu veux que je garde un œil sur ce qu’ils font. » Proposais-je. Je n’étais pas le plus grand connaisseur mais je savais de quoi je parlais et j’avais l’œil, si je les voyais tourner les coins ronds je le saurais. On monta à l’étage, voir les chambres, et je souriais devant son enthousiasme à chacune de ses pièces. Je sifflai encore une fois impressionné en voyant son bureau. « Je te juge pas, c’est l’endroit où tu passeras beaucoup de ton temps alors il faut que ce soit à ton goût. C’est à ton image. » On poursuivit la visite, je l’écoutais me raconter tout ce qu’elle avait en tête pour sa bibliothèque, puis pour la chambre de Lara dans laquelle on rentra. Elle avait déjà tout choisi et c’était normal, c’était chez elle. Chez moi, Lara avait sa chambre qu’elle partageait avec Siobhan, la fille de Perry. Et Zelda n’avait pas eu son mot à dire – enfin, pas parce que je l’avais écartée de la décision, mais parce que tout était déjà fait par Perry, vu que Siobhan était plus vieille que Lara. On manquait juste d’espace alors tous les enfants se retrouvaient ensemble, sauf pour Penny qui avait sa chambre à elle vu son âge. « Non, le rouge orangé c’est très beau … c’est juste que … Enfin, j’crois avoir déjà lu … c’est pas une couleur qui empêche de dormir ? Ou alors qui donne des cauchemars ? C’est peut-être une légende urbaine hein, te moque pas de moi, mais je croyais … enfin, je croyais que c’était à éviter. » J’étais mal à l’aise de me prononcer. Avec Ally, j’avais l’habitude qu’on se prenne tout le temps la tête avec des décisions. Je savais bien sûr que Zelda n’était pas Ally mais quand même, j’avais toujours cette crainte quand on n’était pas forcément sur la même longueur d’ondes.

Je ris quand Zelda m’affirma que j’étais parfait. J’inclinai la tête, doutant carrément de ses paroles en grimaçant tout légèrement. « J’aimerais bien oui. » Mais on savait que je ne l’étais pas. Si j’avais réellement été parfait, on serait encore ensemble. Et puis, même en mettant cela de côté, je savais fort bien que ma liste de défauts était longue comme mon bras. Ça faisait quand même plaisir d’entendre Zelda me dire ça. Pour essayer d’être à la hauteur de ce compliment, mais surtout parce que j’avais envie de donner un coup de main là où je pouvais, je proposai à ma meilleure amie d’être là pendant les travaux, question de m’assurer que tout se passait bien. Mon expérience dans la construction me permettrait de savoir si c’était exécuté correctement. Zelda sembla ravie de ma proposition, qu’elle n’osait pas aborder avec moi. « Absolument pas, ça me ferait plaisir. C’était peut-être pas ma grande passion, la construction, mais ça me manque quand même parfois de faire des trucs plus manuels. » Bon, en étant mode superviseur secret, je n’allais pas forcément mettre la main à la pâte puisque l’entrepreneur aurait déjà ses employés, mais c’est pas grave. Et puis il resterait probablement quelques petits trucs par-ci par-là à faire après. Pour les retouches, je me ferais plaisir. « Hésite jamais à me demander, d’ailleurs, Zeld’. » Qu’elle ose, et au pire je dirais non. Mais j’avoue que j’étais plutôt incapable de lui dire non, à mon ex. Je ferais tout pour elle. Je m’en rendais compte trop tard, mais c’était mieux que jamais. Quand la brunette proposa de me payer, j’haussai les sourcils. « Y’en est pas question ! » Dis-je fermement. On continua le tour de la maison, en passant par le bureau de Zelda bien à son image, puis à la chambre de la petite dont le choix de couleur qu’elle me présentait me laissa un peu perplexe. « Traumatisme, j’sais pas si j’irais jusque-là … Mais j’sais pas, peut-être que si ça favorise vraiment pas le sommeil, c’est toi qui écoperas quand elle se réveillera après ses cauchemars. » J’essayais d’ajouter un peu d’humour parce que je voyais bien la moue déçue de Zelda et je regrettais déjà d’avoir parlé. « Oui, un vert pâle très doux ça peut le faire je pense. Léger, comme tu dis. Ça me ferait plaisir de venir voir avec toi les différentes palettes. On pourra s’obstiner pendant trois heures entre Lierre Rampant ou Salsifis sauvage. » Je ris. Je donnais des noms de peinture verte au pif. « Mais tu sais, ta couleur initiale c’est bien aussi. C’est chez toi, hein, c’est selon tes goûts … Enfin, et ceux de Lara mais bon, on va attendre l’adolescence sans doute avant qu’elle te demande de tout repeinturer. » Me rattrapais-je maladroitement. Je ne voulais pas m’imposer avec mes opinions. Ce n’était plus ma place.

J’accueillis Zelda contre moi quand elle me prit dans ses bras pour me remercier. Ça me comblait mon cœur, ça, de savoir que ma proposition la touchait à ce point. J’aimais lui faire plaisir, à ma meilleure amie, et de l’avoir blessée par le passé me tiraillait encore l’intérieur parfois, alors dès que j’avais l’occasion de la faire sourire, je le faisais. « J’hésiterai pas, promis. » Répondis-je avec un sourire. Elle me relâcha et je plongeai à nouveau mes mains dans les poches avant de mon short, en continuant la visite à l’étage. Les couleurs choisies pour la chambre de Lara me firent réagir, et je ne pus m’empêcher de mentionner mes craintes. Après tout, Zelda m’avait demandé mon avis. Je n’allais pas lui mentir. Mais je regrettais quand même de ne pas être sur la même longueur d’ondes. J’aurais préféré qu’on s’entende sur tout, absolument tout, même pour la couleur d’un mur. C’était con, à quel point je détestais les conflits et que je préférais fuir. Surtout qu’avec Zelda, je n’avais pas à avoir peur. Elle était ouverte, compréhensive. Clairement, j’étais encore traumatisé d’Ally. « Ouais, et peut-être même que dans quelques années on ne la verra même plus, la peinture, cachée sous tous les posters de boys band … » Je ris. Est-ce que les jeunes faisaient encore ça ? Quand j’étais adolescent, c’était la grosse mode, de combler chaque espace possible d’un mur avec des affiches de groupes de musiques ou de chanteurs et de chanteuses. Devant ma flagrante culpabilité d’avoir parlé, Zelda se tourna vers moi et me parla à nouveau de cette histoire de vomi qu’elle ne ravalerait pas. « Ouais, je me souviens bien … Haha. » Je riais mais plus par gêne qu’autre chose. C’est vrai que c’était des paroles qui m’étaient restées en tête. Elle se rattrapa sur ce coup-là, et ça me fit du bien. « Merci Zelda. De dire ça. Et je le sais que tu le penses. Je le sais que t’es sincère. Et tout ce que tu viens de dire, ça vaut pour toi aussi. T’es tellement importante à ma vie. » Damn, à chaque fois qu’on se voyait, on finissait par se dire des trucs nianian de meilleurs amis et de parents de notre fille. Mais c’était beau. Et c’était doux aux oreilles. « Ok, allons-y maintenant alors, si on veut avoir le temps de faire une première couche partout. » Je sortis mes clés de voiture de mes poches, prêt à y aller et à conduire. On donnait l’impression d’être un couple qui vient de s’acheter sa première maison, et ce n’était peut-être pas la vérité, mais ce n’en était pas si loin que ça non plus. Cette page que tournait Zelda, je la tournais avec elle, et je voulais être à ses côtés pour cette grande étape.

J’espérais que notre belle Lara ne se rebellerait pas trop. Des posters de groupes de rock de son époque, du rock des années 2035, ça ne me faisait pas si peur que ça, tant qu’elle n’imitait pas ses idoles sur tous les plans de leur vie. Je m’imaginais déjà rester debout toute la nuit tant qu’elle ne serait pas rentrée de ses soirées, je m’imaginais déjà en train de fabriquer de toutes pièces mille et un scénarios catastrophes impliquant du sexe, de l’alcool, de la drogue. Le cauchemar de tout parent. Qu’elle s’en limite à placarder ses murs d’affiches de mauvais goût, ça, mon petit cœur de papa pouvait survivre. Elle aurait le droit de ne pas aimer les choix de couleur qu’on s’apprêtait à faire pour elle, alors qu’elle ne pouvait même pas faire des phrases complètes pour manifester son désaccord. Au moins, ces choix-là, on les faisait à deux. Ça prouvait bien que Lara grandirait dans une famille heureuse, même si ce n’était pas une famille typique. Ça lui crèverait les yeux que Zelda et moi, on s’aimait, même si ce n’était pas d’un amour régulier. « Je serai toujours là pour vous deux. Mes princesses. » La narguais-je parce que ça devenait vraiment ridicule. Je ris en la réceptionnant dans sa course, la serrant contre moi. « Sur cette surdose d’amour – mais que j’apprécie à 110% -, allons-y si on veut y être avant la fermeture. » Je souris, et dix minutes plus tard, nous étions devant les étagères de pots de peinture. On avait l’air de deux brebis égarées devant tous ces choix et tous ces noms bizarres. « Au moins y’a le mot bleu dedans, ça donne déjà l’indice. Regarde ça : Orphin de Perse. J’aurais appelé ça jaune d’œuf, à la limite, on se serait tous bien compris ! » Je secouai la tête en pouffant de rire moi aussi. Je regardais les palettes de couleur par-dessus l’épaule de Zelda. « Oh, vert Yoshi, j’peux pas croire que personne n’y a pensé ! » Mais non. Les créateurs de noms de peinture n’étaient pas assez cools pour ça. « Et celui-là, t’en dis quoi ? » Dis-je en pointant Émeraude orientale. C’était doux, ça faisait un peu aquatique, on aurait pu jouer autour de ce thème-là pour décorer la chambre de Lara ensuite. Enfin … Zelda y verrait. Voilà que je m’emballais déjà comme si c’était aussi ma maison.