come face to face with the dark side, the battle begins on the inside (sean)

Avril 2021.

C’était de plus en plus difficile de faire semblant. De plus en plus risqué de laisser Sean dans le noir. Woody était malade et ce n’était plus qu’un simple diagnostic invisible. À la mi-vingtaine, garder ce secret avait été facile, les symptômes de l’homme n’étaient que très peu apparents, et il savait comment les cacher. Aujourd’hui, à trente-deux ans, les règles du jeu n’étaient plus les mêmes. Le trentenaire avait les traits tirés, la fatigue marquant constamment son visage. Ses jambes ne tenaient plus aussi droites et fortes qu’avant, menaçant son équilibre. Sean était un peu tête en l’air, par moments, mais il n’était pas dupe. Il allait se rendre compte, tôt ou tard, que quelque chose de grave clochait chez son grand frère. Et Woody savait que ça frapperait fort. Encore plus en sachant que Sean avait été le seul à être mis de côté de tout ça, dans la famille. Aussi longtemps que ça, du moins.

Les deux frères ne s’étaient pas vus depuis plusieurs mois. Mois durant lesquels Woody avait vécu plusieurs poussées dont les symptômes ne démordaient pas avant plusieurs semaines. Il n’avait même plus l’énergie de mentir, et il savait que ce secret pesait également très lourd sur ses sœurs et ses parents. Sa mère détestait cacher cette situation si importante à son plus jeune fils. Avery et Nevaeh étaient toujours sur leurs gardes quand Sean était là, de peur de laisser s’échapper des indices, des détails. Elles respectaient le souhait de Woody de ne pas en parler à leur frère s’il n’était à Bowen que quelques jours par année. Mais elles détestaient cette position. Woody le comprenait. Il s’était promis qu’au prochain passage de Sean en ville, il le lui dirait.

C’était maintenant. Sean n’avait que quelques heures avant que son prochain vol ne décolle et Woody sentait l’urgence du temps qui lui filait entre les doigts. Il avait donné rendez-vous à son frère au Elm Street, pour une bière d’au revoir, qu’il l’avait appelée. « Merci de m’avoir rejoint. J’sais que c’était une proposition de dernière minute et que tu repars dans pas longtemps.  J’espère que tes valises étaient déjà faites. » Woody esquissa un faible sourire. Connaissant son frère, les valises n’avaient tout simplement jamais été défaites, à la base. « Ou alors tu portes les mêmes caleçons qu’à ton arrivée et t’es franchement dégueulasse. » Ajouta-t-il, moqueur. Entre frères, les vannes de ce genre n’étaient pas étrangères.

Sean courait encore et toujours après sa vie. Toujours entre deux avions, entre deux shootings, entre deux femmes, il n'avait finalement jamais de temps pour lui, à proprement parler. En fait, les seuls moments où il se sentait lui, à la maison.. c'était bien à Bowen, et même s'il ne disait rien, il faisait tout son possible pour venir voir sa famille qui lui manquait plus que tout quand il était au bout du monde.
Mais à chaque fois qu'il venait, il essayait de se réserver du temps pour ses sœurs et son frère. Il dormait toujours dans sa chambre d'ados, ses parents avaient encore le syndrome du nid vide, et Sean en profitait toujours. Vivre à l'hôtel, il le faisait déjà bien suffisamment, alors retrouver sa chambre destroy, il en était toujours ravi.
Il détestait cette frontière qui lentement se faisait entre lui et sa famille. Même si la coutume un peu familiale voulait que chaque enfant parcourt le monde avant de se poser quelque part, son départ à lui avait été difficile pour tout le monde, lui compris. Il savait. Il savait que ce n'était qu'une fuite en avant, mais il ne pouvait faire autrement. Mais il savait que tôt ou tard, il lui faudra revenir et enfin vivre auprès des siens, il s'e faisait la promesse chaque fois qu'il partait se coucher.

Avril 2021
Il était revenu dans la ville par surprise, sans occasions familiales particulières cette fois ci. Il avait un shooting à faire en Australie et avait grapillé quelques jours pour aller voir ses parents. Étonnamment, Woody faisait partie des absents, et quand Sean évoquait son sujet, ses parents et même ses soeurs évitaient le sujet de son absence à leurs retrouvailles. Avait il fini par se lasser de ses allées et venues incessantes? Ses craintes s'étaient évanouies à la minute où Woody lui avait proposé une bière avant qu'il ne parte.

Il le trouvait assis sur une table un peu à l'écart, leurs deux bières déjà sur la table. En retard, comme d'habitude. Il s'assoit en riant doucement quand il lui parle de ses valises, avant de mimer un coup de poing à l'épaule

-Question hygiène, tu peux toujours parler, comment oses tu sortir avec une barbe aussi mal taillée? Tu veux devenir Gandalf le Gris?

Il n'était pas le dernier pour se moquer gentiment de son frère. Il lève sa bière, heureux qu'il est d'avoir enfin Woody pour lui tout seul.

-Un peu plus et j'ai cru que tu voulais pas me voir. L prochaine fois, je t'appelle trois semaines avant mon arrivée histoire d'avoir plus qu'une bière à partager avec mon grand frère!

Il secouait la tête, tout sourire. Hormis les grands évènements familiaux, Sean ne savait jamais à l'avance quand il allait revenir à la maison. Il regarde autour du lui, le  bar était calme aujourd'hui. Les gens avaient sûrement plus envie de profiter de la plage que d'un bar, même si la bière était juste fabuleuse. Une gorgée, puis deux, et son attention se retourne vers son grand frère. Il le trouvait... changé. Il semblait plus vieux que la dernière fois qu'il avait vu, des cernes qui avaient apparus aussi. Une fille?

-Alors, quelles sont les nouvelles de ta vie Woody? on est pas très bavard tous les deux quand on se voit pas, alors autant en profiter quand on se voit!

C’est que les absences de Sean s’accumulaient et s’allongeaient. Ça s’était d’abord fait sans trop d’inquiétudes, sans trop de regrets de la part des Rutkowski. Ils avaient l’habitude, tous autant qu’ils étaient. Woody avait été le premier à paver cette voie vers l’inconnu. Les compétitions de vélo de montagne s’étaient enchaînées à un rythme effréné, dans des pays différents à tous les mois. Le jeune homme de vingt ans qu’il était alors raffolait de ces escapades, de cette notoriété, de cette aventure qu’était sa vie. Puis, son diagnostic était tombé et il avait tout arrêté, au sommet de la gloire. C’était le meilleur moment, avant que la communauté de vélo ne garde un souvenir effacé de lui, dans le déclin. Puis, ça avait été au tour de Nevaeh de partir aux quatre coins du monde afin de poursuivre son rêve de journaliste. La différence d’avec Sean était que lorsqu’elle revenait, c’était pour plus longtemps, et plus fréquemment aussi. C’est pourquoi, lorsque Sean avait décidé à son tour d’aller mener une carrière à l’étranger, les Rutkowski comprirent rapidement que ce ne serait pas calqué sur les habitudes de Woody ou de Nevaeh qui avaient d’abord emprunté ce sentier. C’est aussi pourquoi il était encore à ce jour le seul à avoir été gardé dans le noir concernant l’état de santé de l’aîné de la fratrie.

Aujourd’hui, cela changeait. Il était plus que temps. Quand Sean évoqua sa barbe mal taillée, Woody porta machinalement sa main à son menton, caressant du bout de doigts les poils qui piquaient sa peau. « Y’a de pires façons de vieillir. » Fit-il remarquer à propos de devenir Gandalf le Gris. Il sourit. « Et puis, elle fait fureur auprès de ces dames, cette barbe mal taillée. » Elle faisait fureur auprès de Charlie, du moins, mais face à son frère, Woody avait toujours conservé ses allures de tombeur – qu’il n’était plus du tout. Woody leva sa bière à son tour avant de la porter à ses lèvres en écoutant son frère se plaindre du délai avant que cette rencontre n’ait lieu. « Je sais, sorry about that. En même temps, est-ce que tu pourrais vraiment me prévenir trois semaines à l’avance ? Tu débarques toujours ici à l’improviste. » Lui reprocha-t-il. C’était con, peu importe quand Sean débarquait, son frère aîné allait toujours être en mesure de lui dégager un peu de temps. Cette fois, si Woody avait été aussi lent à la détente, c’était parce qu’il avait l’angoisse grimpante.

Il ne savait d’ailleurs pas par où commencer. Son cœur se débattait dans sa poitrine alors que Sean regardait autour d’eux. Le silence n’avait jamais été un problème entre eux, mais maintenant qu’il avait quelque chose d’important à lui larguer en pleine gueule, c’était insoutenable. Avant que Woody ne trouve les mots, son cadet lui demanda des nouvelles. « Tu te souviens de Charlie, right ? Que j’ai commencé à fréquenter l’été dernier … On a récemment décidé de se laisser une chance pour de vrai, d’arrêter de juste se voir sans trop savoir ce qu’on ressentait l’un pour l’autre. » Il était loin de se douter, en ce mois d’avril, que quelques semaines plus tard elle allait embrasser Milo. Il avait cru s’éloigner des drames romantiques qu’il avait pu connaître avec Freja, mais voilà qu’il s’embarquait encore dans quelque chose de compliqué. « Et toi, y’a quelqu’un qui t’attend à l’autre bout du monde ? » C’est maman Rutkowski qui en aurait été ravie. Quoique … elle aurait sans doute préféré que son plus jeune fils se trouve quelqu’un ici, à Bowen.

Woody lui avait manqué. Plus encore après tout ce silence, même s'il était loin de se douter de ce qu'il pouvait se passer dans la vie de son grand frère. A l'évocation de sa barbe, Sean soupire en secouant la tête.

-A ton avis, pourquoi est ce que j'ai toujours l'air aussi mal rasé, hein? Je confirme, ça plaît! Tu sais bien que j'ai une fille dans chaque grosse ville du monde! Impossible de choisir, donc.. je profite!

Mais son sourire n'allait pas jusque ses yeux. Ah ça, la vie de célibataire, une femme dans chaque ville, belle fresque qu'il présentait à qui voulait l'entendre. Il passait ainsi pour quelqu'un qui était heureux de la situation. Il faisait référence à ses nombreuses idylles qui naissaient dans les journaux à scandale, à qui demandait où il en était. Même si ces papiers étaient loin de la vérité, Sean enchaînait les flirts sans grande importance. Sa vie était beaucoup trop dissolue pour qu'une fille ne s'accroche à lui, en tout cas, c'est la raison qu'il donnait à qui voulait l'entendre même si c'était loin de la vérité.Seulement, quand on regardait Sean de plus près, son "bonheur" ne faisait pas illusion. Il avait dans son regard cette lueur d'un homme qui avait été blessé et qui n'avait pas réussi complètement à guérir de son cœur brisé. La solitude de son quotidien était plus que pesante, sa famille lui manquait horriblement, Bowen même lui manquait. Mais impossible d'avouer à qui que ce soit son mal être. Il mettait un point d'honneur à ne jamais inquiéter ses proches. Leur maman avait fait quelques remarques sur son célibat, mais Sean avait réussi à noyer le poisson. Il espérait avoir réussi à le faire aussi avec Woody.
Il secouait plus vivement la tête, conscient qu'il était de son absence toujours plus importante à Bowen.

Franchement, non, impossible de prévoir à plus de quelques jours. Ton frère sous les feux des projecteurs, autant en profiter tant que ça dure, et puis... chacun son tour, n'est ce pas?
Quand il lui parle de Charlie, le regard de Sean brille d'intérêt, et tout son corps se penche vers lui, presque avide de savoir ce qu'il se passe un peu entre eux deux.

Charlie, LA fille, et beh je comprends mieux ton silence n'est ce pas? Trop occupé à vivre d'amour et d'eau fraîche!

Sean était visiblement heureux pour son frère. Même si pour lui, l'Amour avait ce langage qui ressemblait à une langue étrangère, il trouvait ce sentiment magnifique chez les autres. Il montre à soin frère ses doigts croisés, avec un petit regard espiègle.

Je croise les doigts pour que vous arriviez jusque l'autel! j'suis trop beau gosse en costume, ce serait dommage de rater ce spectacle, nan? Il se met à glousser, fier de sa petite blague, et porte un toast imaginaire en levant sa pinte, mort de rire. Il était loin de se douter que Woody allait changer sa vie à jamais.

Il avait l’impression de s’entendre dix ans plus tôt, quand il écoutait son frère Sean. Woody avait été comme ça, à une époque. Il avait une copine dans tous les pays dans lesquels il avait mis les pieds. Des filles qui attendaient son prochain passage, qui faisaient toujours un peu de place dans leur lit quand l’homme en avait marre de l’hôtel et de son équipe de soutien bien trop accaparante. C’était au tour de Sean d’être le tombeur de ces dames de la famille Rutkowski. À quelque part, Woody le jalousait. Cette époque-là avait été la plus belle de sa vie et c’était toujours avec une douloureuse nostalgie qu’il s’y replongeait. Sean y était encore, à fond, et il lui souhaitait qu’on ne lui vole pas ce temps-là comme on le lui avait volé à lui. « De toute façon, pourquoi choisir quand tu peux vivre ce que t’as à vivre avec sans que ça te crée d’ennuis ? C’est l’avantage qu’elles soient toutes à des milliers de kilomètres les unes des autres. » Lâcha Woody avec un sourire amusé. C’était ce qu’il pensait réellement, à l’époque où c’était lui dans les souliers de Sean. Il était insouciant, un peu – beaucoup – con.

Parce qu’il était trop concentré à se voir lui-même dans le regard de son frère, Woody ne remarqua même pas les yeux blessés de Sean. Il ne remarqua même pas que derrière ces fiertés de coq, derrière ce rideau d’illusions, se cachaient des plaies qui ne guérissaient pas. Il n’avait jamais été le genre de frère à réellement s’intéresser aux histoires personnelles de sa fratrie, de toute façon. Lui-même secret, il s’imaginait que les autres non plus n’avaient pas envie de s’ouvrir le cœur. « Ouais c’est ça, chacun son tour. Profites-en, dans quelques années t’auras des rides et des cheveux blancs et tu seras de l’histoire ancienne. » Il disait ça avec un brin d’humour mais ce n’était pas très gentil, au fond. Mais c’était aussi la réalité. Ça avait été la sienne, en tout cas. Aussitôt retraité du monde du vélo, aussitôt tombé dans l’oubli.

Quand Sean demanda des nouvelles de son aîné, ce dernier n’arriva pas à plonger directement dans le vif du sujet. Il préféra parler de Charlie, contre toute attente. Parler de ses amours n’avait jamais été le truc de Woody. « Oh avec Charlie c’est pas que de l’eau fraîche … elle est pâtissière, j’te rappelle. J’vais avoir pris dix kilos à ton prochain passage. » Il rit. Il ne fallait pas qu’il se laisse trop aller, son alimentation équilibrée étant la clé dans le contrôle et le maintien de son état de santé. « T’fais pas trop d’espoirs, le mariage est pas dans les plans. Pas parce que c’est Charlie, by the way. J’crois pas que ça arrivera avec qui que ce soit. » Il avait bien trop peur de s’engager, Woody. Parce qu’il savait qu’il deviendrait trop vite le fardeau de l’autre. Il préférait avoir le moins d’attaches possibles pour ne pas les voir se défaire une à une, impuissant.

Sean sentait le regard à la fois fier et un peu envieux sur lui quand lui même se mettait à blaguer sur ses prétendantes dans chaque ville où il passait. C'est clair qu'il profitait de la situation, se sentant encore trop jeune pour avoir des "problèmes" comme avait suggéré Wood'.

"La jeunesse me passera un jour, et ce jour là, je serai comme toi, quelques cheveux blancs, un petit bidon qui se dessine et un air lassé de la vie!"

Ses lèvres se pincent et ses joues se gonflent, avant de glousser en silence en avalant la dernière gorgée de sa pinte. Il n'avait pas l'habitude de partager ses états d'âme avec sa famille, et sans pour autant s'en désintéresser, il ne voulait pas forcément partager tous les petits secrets de la vie amoureuse de son frère et de ses sœurs. Trop pudique pour être le confident de la famille, trop timide, et surtout, toujours trop loin, en fait. Le fils absent de la famille.
A la remarque de son frère sur sa non envie de mariage, le jeune homme hausse des épaules, un air triste sur son visage.

"Et donc tu prives ton frère d'une jolie demoiselle d'honneur prête à tout pour ne pas passer la soirée seule? Tss... je me souviendrai de l'entraide entre frères, tiens!."

Cette fois-ci, il riait à sa propre blague. Il n'avait encore jamais dragué à un mariage, l'occasion ne s'était encore jamais présenté.

"Pas grave, j'irai me consoler en dévalisant la boulangerie où travaille Charlie, pour la peine. Les parents ont déjà fait sa rencontre? Les sœurs aussi? Dis moi en plus! je suis du coup extrêmement curieux.. pour que tu me parles d'une fille, c'est qu'elle doit compter un peu beaucoup quand même...

Il ne l'avait pas remarquer, mais Woody avait cette petite étincelle quand il prononçait le nom de sa dulcinée. Ce petit éclat avait suscité l'intérêt du petit frère qui malgré ses airs de don Juan, était profondément romantique, peut être même plus que toute la fratrie réunie. Il aimait savoir que ses proches étaient heureux. S'occuper des autres, pour ne pas s'occuper de ses idées qui tournaient en boucle dans son esprit.

L’égo de Woody fut frappé de plein fouet quand Sean parla de son petit ventre. Les quelques cheveux blancs, l’air lassé de la vie, Woody ne pouvait que l’admettre. Le stress de la dernière décennie n’avait pas aidé à ménager sa chevelure brune. Cependant, malgré sa maladie, il s’efforçait tant bien que mal de poursuivre ses activités physiques. Lorsque ses symptômes n’envahissaient pas son corps, il continuait la musculation, la marche, et plus que ça lorsqu’il en était capable. Il n’avait jamais réalisé que son apparence physique ait pu changer à ce point-là dans le regard des autres. C’était une flèche bien décochée. « Hey, j’ai même pas de bid’. Pas encore. » Se défendit-il en essayant de ne pas avoir l’air trop atteint par cette remarque qui ne se voulait pas méchante de la part de Sean, il le savait. Woody ne le reprochait pas à son frère. Il se reprochait à lui-même de s’être peut-être un peu trop laissé aller. La longue dépression des dernières années avait certainement laissé sa trace. Il allait bien devoir l’accepter un jour ; il ne pourrait pas indéfiniment avoir de l’avance sur la maladie. Elle le rattraperait, tôt ou tard. C’était d’ailleurs pour cette raison que l’aîné des Rutkowski ne pensait pas au mariage, à la fondation d’une famille. Il ne voulait pas s’ancrer si c’était pour devenir un fardeau. « T’auras les demoiselles d’honneur de Nev’ et d’Avery, t’es pas à plaindre non plus. » Il esquissa un sourire. Elles étaient assez bien entourées, leurs sœurs. Sean questionna davantage son grand frère à propos de cette fameuse Charlie. « Non, j’l’ai pas encore présentée officiellement à maman et papa. Nevaeh et Avery l’ont rencontrée, ouais. » Maman Rutkowski insistait cependant de plus en plus, et il était inévitable que la pâtissière soit tout bientôt invitée à l’un de leur traditionnel repas du dimanche soir. « Ouais, elle compte. Mais, j’sais pas … Elle est géniale, gentille, douce, compréhensive … La crème de la crème, quoi. J’la mérite absolument pas. C’est peut-être pour ça que j’arrive pas à … à être all in. » Admit-il. Mais il y avait bien plus que ça. Il y avait le nuage pesant de sa maladie qui flottait au-dessus d’eux mais ça, Sean l’ignorait. Plus pour très longtemps.  

Sean s'était légèrement penché vers son frère quand celui-ci recommençait à parler de sa dulcinée. Il fronce un peu des sourcils devant les "mais" de son frère. Ne pas mériter une fille aussi géniale, apparemment? Il faudra me faire les présentations, et là seulement, je pourrais dire si elle mérite un petit crétin comme toi! Derrière ce mot peut être un peu fort, Sean s'était voulu un peu rentre dedans: Woody ne se rendait absolument pas compte à quel point son petit frère le prenait pour modèle. Bien sûr, Wood était rempli de défaut, et le fait de se sentir non méritant d'une fille en faisait partie, mais il doutait constamment de lui. Ce constat, Sean le fit rapidement et il se met à mordre sa lèvre nerveusement. Ca te ressemble pas de croire qu'une fille ne te mérite pas. J'avais plutôt le souvenir que c'était le contraire et même, la raison de plus d'une de tes ruptures, ex Don Juan. Sean n'est pas très doué avec les gens, en règle générale, et encore moins avec sa famille. Mais il sentait son grand frère légèrement tendu depuis qu'il était arrivé au bar, et il se demandait à présent pour quelles raisons il le trouvait plus fermé encore que d'habitude.
Dis moi si je me trompe, okay? tu m'évites tout le long de ma venue ici, les soeurs évitent ton sujet quand je l'évoque, et là, t'es tendu du string frère. Qu'est ce que tu vas me dire? T'as appris que tu avais été adopté, c'est ça?

Non seulement Woody ne pourrait jamais offrir à Charlie l’avenir qu’elle chérissait sans doute, mais en plus, il traînait derrière lui un passé qui n’avait rien de bien glorieux. Après tout, ce n’était pas pour rien que plusieurs personnes avaient mis Charlie en garde contre lui. De ne pas trop s’attacher, de ne pas se faire d’espoir, de ne pas lui ouvrir son cœur. Parce qu’il risquait de le réduire en miettes, son cœur. Par le passé il est vrai que l’aîné des Rutkowski avait fait des ravages dans les vies sentimentales de plusieurs femmes de la ville. Il n’en faisait qu’à sa tête, et sa tête était parfois entre ses jambes. Présentement, cependant, s’il brisait le cœur de Charlie, ce ne serait pas en raison de son insouciance d’avant. Ce serait pour la préserver – c’est ce dont Woody s’était toujours convaincu, qu’il préservait les femmes qu’il laissait aller. Sara. Freja. Et peut-être Charlie un jour, qui sait. « Si tu m’traites déjà de petit crétin alors c’est perdu d’avance, tu vas me donner raison dès la première seconde. » Il sourit. « Je te la présenterai avec plaisir. » Woody avait quand même hâte que la pâtissière rencontre son frère. Évidemment, les deux hommes avaient une relation différente de celles que Woody entretenait avec ses sœurs. Ils étaient les deux garçons, à faire les quatre cent coups. Sean releva que ce n’était pas son genre, de ne pas penser mériter une femme. Au contraire. L’aîné de la famille serra la mâchoire, sentant les battements de son cœur s’accélérer. « J’me pensais pas non plus au-dessus de toutes, hein … C’était des excuses pour pas m’engager, surtout … » Expliqua-t-il, voulant s’éloigner du sujet alors qu’il aurait dû en profiter pour plonger dedans. Mais Sean plongea à sa place. Tant mieux. Ils étaient là pour ça, après tout. Woody soupira. Il ne rit même pas sur l’hypothèse-blague d’adoption. Il se racla la gorge, fuyant le regard de son frère. « Si seulement. » Avoua-t-il, avant de lever enfin les yeux vers Sean. « Je suis malade, Sean. Ça fait un moment. J’ai la sclérose en plaques. J’ai jamais su comment te le dire quand t’étais que de passage. J’ai jamais voulu gâcher les courts moments qu’on avait ensemble. » Lâcha-t-il d’un coup. Il aurait appris, tôt ou tard, qu'il était le dernier à l'apprendre, près de dix ans plus tard. Il valait mieux tout vivre là, maintenant.