Si la mémoire est à la tête ce que le passé... ft Valentina Gonzalez

Le service livraison ne fait pas partie de ses prestations en temps normal, Manwë préfère rester cloitré dans sa modeste petite boutique, au cas où un client se pointerait. Chaque minute de fermeture est une potentielle clientèle de perdue ! Néanmoins, ce client vaut la peine qu’il se déplace, celui-ci lui avait envoyé un simple texto pour lui signifier qu’il aurait besoin de sa guitare plus tôt que prévu pour un concert ouvert sur Mullers Lagoon pour la promotion surprise du prochain album du band. Ce ne sont pas de grandes célébrités, mais Manwë apprécie leur musique, assez pour avoir mis de côté d’autres instruments et se charger de cette fameuse guitare. Une fois les réglages du manche achevés, la guitare sonnait comme le véritable bijou qu’elle est. Il contacte le musicien pour lui dire que l’instrument est prêt, mais celui-ci l’informe de son impossibilité de se rendre à Western District et qu’il fera malheureusement le show avec une guitare empruntée. La suite est prévisible : Man’ se propose de l’apporter à Mullers Lagoon en échange d’un accès pour ce fameux concert, ça le sortira et lui changera un peu les idées se dit-il… Et surtout, ça renforcera son lien avec le band, qui sait, s’ils deviennent célèbre un jour ça pourrait faire du bien à son petit commerce effacé par les grands noms des centres commerciaux.

Guitare sur le dos dans son étui de protection rigide, il se dirige à pied jusqu’au parc. Bowen reste une petite ville ou tout est accessible à pied, de plus, Man’ déteste vraiment conduire. Il ne se sert de son véhicule qu’en cas de réelle nécessite, trouvant sa conduite assez dangereuse, notamment par le fait de ne pas distinguer les couleurs… Les feux tricolores sont ses pires ennemis ! À pied, il prend moins de risque, sauf lorsqu’il ne voit pas la couleur du petit bonhomme du passage piéton, en général il fait au feeling selon le comportement des voitures ou des autres piétons aux passages perpendiculaires au sien.

Il est encore tôt lorsqu’il arrive sur les lieux, il y a déjà du monde, la plupart découvrent qu’un concert va se jouer près du lac et tentent de se procurer un accès sur leur smartphone. Derrière ses lunettes noires qui le protège des agressions que représentent pour lui les rayons du soleil, Manwë lève les yeux au ciel lorsqu’il lit l’indication “Concert, suivez les flèches bleues.” Voila une indication peu aidante pour le luthier.

- Tu crois que c’est un membre du groupe ? demande une voix féminine dans son dos, faut dire que Manwë n’ayant pas une bonne perception des couleurs et lumières, il ne sait pas que son style du jour est vraiment… Visuellement apocalyptique.

Lui qui ne se voit qu’en noir et gris, c’est grandement planté, une fois de plus… De bas en haut nous avons : Des chaussures marron, chaussettes rouges, blue jeans, ceinture imitation croco vert (yurk), chemise kaki ouverte donnant sur un t-shirt noir… On était presque bon avec le t-shirt noir, mais celui-ci est PAILLETÉ ! Et pour boucler l’ensemble, les montures de ses lunettes sont noires avec reflet violine. Face à une telle excentricité et la guitare sur le dos, on peut facilement excuser que la jeune femme se questionne sur l’identité de ce personnage qui semble suivre de manière plutôt aléatoire des flèches… Il fallait bien que le parcours de canicross soit également balisé par des flèches, mais blanches ! Manwë n’est pas du genre à se décourager… Mais il s’allume une petite clope pour apaiser son agacement lorsqu’il passe pour la troisième fois devant les mêmes bancs.

Une fois le bâton de nicotine allumé, son regard se pose sur les dits bancs, les occupants ont changé à chacun de ses tours, mais celle qui se trouve sur celui de droite accapare toute son attention. Un visage sublime comme l’on en voit rarement, un visage que l’on ne peut oublier… Valentina. Son cœur se serre, l’envie de partir est aussi fort que celui d’aller à sa rencontre. Incapable de trancher, il opte pour laisser la brune en décider si elle ne l’a pas oublié avec toutes ses années qui les séparent, eux qui avaient été si proches. Elle était un peu comme la sœur qu’il n’a jamais eue, il rêvait d’une vie comme la sienne, d’une famille comme la sienne, d’une maison comme la sienne…

Vingt ans plus tard, il n’a toujours rien de tout ça.

“ Bonjour, je tourne un peu en rond depuis tout à l’heure, vous savez exactement où va se jouer le concert ? Près du lac je sais, mais sur quelle rive ? “ Il n’a clairement pas envie de faire tout le tour du lac, bien que s’il avait fait ça depuis le début, il y serait déjà… Faire comme si rien n’était n’est pas trop son genre, mais avec un peu de chance elle le reconnaitra et il pourra pouffer de rire, ou au contraire elle pourrait ne pas se souvenir de lui et il ne serait que déçu bien qu’un peu habitué.

Les yeux verts de Manwë se laissent engloutir par la profondeur du regard profondément sombre de la belle Valentina. Pas vraiment surprenant que les cœurs chavirent avec un tel regard, un tel charisme. Déjà dans leur jeunesse, il se souvient qu’elle impressionnait certaines personnes, pas lui… Il en faut beaucoup pour impressionner Manwë, une vraie tête brulée qui ne craint pas grand-chose. À quoi bon avoir peur ? Le monstre était chez lui, dehors il s’est toujours senti en sécurité. Les années se sont écoulées depuis leur dernière rencontre, il a dû changer de quartier suite à l’incarcération de son père, il est allé dans une école spécialisée pour les mômes perdus comme lui et ensuite… Ensuite il s’est concentré de survivre sans trop laisser de place à l’amour ou à l’amitié dans sa vie, il s’est dis que les choses étaient mieux ainsi. Valentina est une preuve vivante de plus que les gens s’en sortent bien mieux sans lui. Dieu sait ce qu’elle aurait pu devenir si elle avait eut un Manwë entre les pattes tout ce temps.

“ Le seul et unique. “ Répond-il avec une pointe d’humour, parce que les Manwë ne courent pas les rues mais qu’il n’a jamais vraiment eut l’air d’aimer particulièrement ce nom. Le sourire de la brune lui semble sincère et ses lèvres s’étirent discrètement pour lui adresser également un semblant de sourire. Man’ marche continuellement sur des œufs dans ses interactions sociales, il a beau avoir un commerce, avoir des aspirations de justicier, il n’est pas très doué avec les gens. Parfois il faut simplement faire comme on le peut.

Le brun est surpris d’apprendre que Valentina se rend bel et bien à ce concert et seule qui plus est ! Doublement surprenant. “ Je n’aurai jamais deviné que tu puisses aimer ce genre de musique, mais ça m’arrange bien pour le coup. “ Il pourrait lui en vouloir, être jaloux ou éprouver un autre sentiment de noirceur, parce que c’est ce que l’on imagine de lui au premier coup d’œil. Un homme aigri et putride de mauvaise humeur. Man’ n’a jamais été ainsi, solitaire et aigri oui ; mais aussi serviable et résigné. La résignation l’aide à accepter son sort, à ne plus se comparer aux autres, à ne pas vouloirs s’octroyer une part de leur réussite, la résignation le fait rester à sa place sans broncher. “ Il faut suivre les flèches bleues. “ Il pointe du doigt une flèche, malheureusement pas bleue (mauvaise pioche !) car il s’agissait d’une des flèches blanches pour le parcours de courses de demain. Valentina sait qu’il souffre d’achromatopsie ; ils ont pas mal échangés quand ils étaient jeunes puisqu’il squattait pas mal chez les Gonzalez pour prendre ses distances avec son père violent et sa mère junkie du temps où elle était encore en vie. Alors puisqu’elle sait qu’il ne perçoit pas les couleurs et pas toujours les reliefs en fonction de la luminosité il en remet une couche, pour une fois qu’il peut plaisanter sur le sujet en ayant la quasi-certitude qu’elle ne le regardera pas comme un OVNI ou un freak. “ A moins que t’aie un peu honte de t’afficher avec moi, je n’ai aucune idée de savoir de quoi j’ai l’air. J’en ai croisé quelques-uns qui me regardaient étrangement… Me dis pas que j’suis en rose, parce que j’ai bien l’impression que c’est toujours aussi horrible comme couleur. “ Rose, ça lui a valu de nombreuses remarques le rose ! Man’ se souvient que son père lui disait que ça fait tapette, alors le rose c’est non ! Les paillettes non plus, mais ça, il n’y a pas même songé. Pourquoi est-ce que l’on vend des vêtements pareils ?! Pour sur, le magasin doit être ravi quand Man se pointe, ils savent qu’ils vont pouvoir se débarrasser des articles invendables par leur couleur.

“ Je suis content de te revoir, tu as l’air plus qu’en forme et tu es toujours aussi belle. “ Ses mots sont sans arrière-pensées, Man’ s’adresse à la mannequin comme un homme parlerait à sa sœur. Ça n’a pas vraiment changé dans sa tête malgré toutes ces années, elle l’a vu tellement mal et faible ce n’est pas quelque chose qu’il pourra oublier un jour… Son sourire alors qu’il se pointait devant chez elle sans vraiment oser lui dire qu’il n’avait rien eu à manger depuis des jours, il n’a jamais vraiment eu besoin de lui dire ses choses là. Quant à lui, il a toujours su la complimenter sans lui demander d’éloges en retour, il n’a rien de spécial pour en mériter.

Manwë à faiblement opiné du chef, retournant ainsi la politesse et l’enthousiasme de la revoir bien qu’il ne soit pas du genre à sauter dans les bras des gens. Il ne l’aurai pas repoussé si elle avait souhaité le prendre dans ses bras, mais il imagine qu’elle se souvient malgré tout que le contact humain lui est souvent compliqué… Une fois de plus : les joies d’avoir eut un père violent.

“ Oh tu as une fille ? Euh… “ Son regard se lève dans le vide, cherchant ce qu’il était censé dire après cette révélation, c’est en grimaçant qu’il tente “ Félicitation ? “ C’est toujours mieux que de ne rien dire du tout ! Une fille assez âgée pour aller à des concerts, il se doute que cela doit être une preuve de lâcher du lest avec son enfant. Il se réjouit alors de ne pas en avoir, de ne pas avoir cette torture supplémentaire. Pauvre gamine avec un père aussi… Étrange. Il sait ce que c’est que d’avoir honte de ses parents. Il a beau avoir aimé sa mère de tout son cœur, il ne faisait pas étalage de son identité, de ce qu’elle était… Une droguée, une désespérée, une loque pathétique. L’amour rend aveugle, ou pas, parce qu’il a toujours su et vu, ça ne l’a pas empêché de l’aimer, sans pouvoir être fier d’elle un seul jour de sa jeunesse. Il n’aurait jamais eut honte d’une père comme Valentina, au contraire, mais il imagine que les ados ont toujours honte de leurs parents, tôt ou tard. Pour lui, ça été juste… Trop tôt.

“ Ça explique sans doute pourquoi je tourne en rond depuis tout à l’heure. “ Soupire-t-il alors qu’elle affirme que la flèche n’est pas bleue, toujours un rictus pour prendre avec dérision son cas, bien que jamais très à l’aise avec le fait que les gens puissent savoir qu’il est anormal. “ Pas de rose, mais osé ? Ça me va… “ Il sourit plus largement, parce qu’il sait que même s’il voyait plus les couleurs, il s’en ficherait tout autant de son look. Malgré tout, Man parvient en général à avoir un certain style, plutôt bad boy qui lui va bien, le côté décalé passe car il semble complètement assumé par celui qui le porte.

“ Oui… Oui je vais bien. “ Il a un peu honte de mentir à la brune, mais ils viennent à peine de se retrouver, il se voit mal lui dire qu’il est en panique parce que son père est sorti de taule, qu’il a croisé des amis de son père qui ne sont pas venu en ville depuis des années et qu’il craint sans cesse qu’un malheur arrive à Bowen de la main de Keynes… Qu’est-ce qu’il mijote ? Si seulement il le savait, ça le rend fou. “ Ouais… Bien sûr, allons-y. Je dois remettre ça à l’un des musicien. “ Il désigne son bagage sur son dos, des fois qu’un étui de guitare soit trop discret pour qu’elle comprenne à quoi il fait allusion… Eh non, il n’est pas un membre du groupe, encore heureux, il n’a certainement pas envie d’être populaire un jour. Il aime bien trop sa tranquillité ! “ Si ta fille aime le groupe, j’peux peut-être arranger une photo avec eux… Les jeunes arrêtent jamais de tout photographier. “ Il ne comprendra jamais ce comportement, mais il n’a pas l’intention de creuser. Valentina l’aide à retrouvé son chemin, alors il peut bien lui rendre ce service, après tout ce qu’elle a fait pour lui alors qu’ils étaient plus jeunes. Loin d’imaginer que Valentina était aussi du genre à être saisie par l’objectif, qu’elle était une star de la photo en quelque sorte…

Man’ suivit donc la belle brune sur les chemins qui mène au concert, il connait Bowen comme sa poche, mais lambiner dans les parcs ne fait pas vraiment partie de ses activités habituelles. “ J’aurai sans doute dû te donner des nouvelles plus tôt, à vrai dire, j’ignorais si tu étais toujours à Bowen et puis quand je suis sorti des services sociaux… J’avais pas franchement beaucoup évolué. “ Ça lui a prit dix années avant de chercher à donner un sens à sa vie, mieux vaut tard que jamais à ce qu’il parait. Il lui avait fallu un électrochoc pour sortir de sa coquille de médiocrité. " Désolé..."

Manwë sourit alors qu’elle lui fit remarquer que sa fille est une adolescente, en plein dans l’âge ingrat il parait. Il se souvient que Valentina ne semblait pas plus perturbée que ça à l’époque où elle se transformait en très belle jeune femme. Il avait seize ans quand les services sociaux l’ont placé, c’est presque étonnant qu’après tout ce temps ils puissent se reconnaitre ! Il faut bien admettre qu’elle a beaucoup moins de ridules que lui et ce n’est pas cette petite année qui les sépare qui leur coute une telle différence. N’étant pas confortable sur le sujet, ils en reviennent vite au fléchage et au fait qu’il se soit perdu pour une stupide histoire de couleur ! Tout comme ces vêtements, il n’a jamais la moindre idée de ce que ça peut donner, le plus frustrant c’est de n’avoir jamais perçu les couleurs… Il ne peut même pas comprendre, imaginer ce que ça peut vraiment être une couleur. Il comprend ce que l’on associe au jaune, comme des règles de savoir vivre, des moeurs auxquelles il ne réfléchis pas et dont il ne peut avoir aucun opinion. Parfois il se demande comment il réagirait si par miracle la science pouvait guérir ses cônes rétiniens atrophiés, s’il pouvait tout à coup voir les couleurs ! Serait-ce effrayant ou merveilleux ? Sa mère lui disait que les couleur la rendait heureuse, c’est vraiment pas de bol pour lui…

Il est gêné de mentir à son amie, même si clairement Man’ ne va jamais complètement bien… Photosensibilité, migraine, contrariété et problèmes financiers forment son lot quotidien. Désormais son son père est libre, ce soucis s’ajoute à l’addition et tout cela pèse mine de rien.

“ Celle-ci non… Je l’ai juste réparée. “ Et améliorée, mais il n’est pas du genre à se la raconter, il espère que les modifications apportées ne perturberont pas le guitariste, il en doute fortement même si certains artistes sont attachés (à tort) aux défauts de leurs instruments… “ Ce sera sûrement après le concert par contre… “ Les artistes sont souvent trop stressés pour se prêter au jeu des photos et autographes avant le show, Man’ a fait beaucoup de concerts dans sa vie en tant que roadie notamment , pas pour ce groupe. C’est cependant un homme de l’ombre reconnu dans la profession, c’est ce qui fait la survie de son magasin aux allures trop austères pour de la clientèle occasionnelle.

“ Je sais, mais j’avais probablement besoin de faire ce chemin seul pour me prouver que même sans rien… Je n’aurais pas fini comme mon père. “ Parler de son père le rend toujours amer et nerveux. Il y a eu un tel tourbillon de doute sur sa vie pendant près de dix ans, mais il a finit par réussir à se trouver dans tout ce capharnaüm de mauvaises ondes. Mais pourquoi ne pas avoir renoué le contact il y a dix ans ? Outre le fait qu’il ne savait pas trop si elle était encore là, c’est une petite ville malgré tout il aurait pu se renseigner un minimum… Il y a eut une grande part d’oublie et surtout du : à quoi bon ? “ J’te l’ai jamais dis, mais tu l’avais sans doute deviné… “ Pas très compliqué à deviner ceci dit ! “ Mais, t’étais la meilleure chose qui me sois arrivée après la mort de ma mère, j’t’ai jamais remercié pour ça. Pour toutes les fois où… Où j’ai pu m’échapper chez toi. “ S’évader de chez lui était vital, Valentina aurait pu avoir tous les amis du monde, mais elle le faisait venir, lui. Seulement lui parce que trop de monde le rendait nerveux, parce qu’il ne voulait pas que tout le lycé sache qu’il creuvait de faim et qu’il faisait sa lessive chez elle parfois, il ne voulait pas qu’on se rit de lui ou qu’on veuille l’aider. Il n’y avait que l’aide de Valentina qui lui convenait, en qui il avait confiance. “ Assez parlé du passé ? “ Question rhétorique accompagné d’un sourire. C’est surtout lui qui n’aime pas en parler, il n’évoque ses antécédents avec personne, mais avec elle c’est tellement différent. Il n’est plus aussi vulnérable qu’autrefois, bien au contraire, c’est un homme fort et redoutable quand il faut défendre sa peau ou le peu qu’il ait.

Ils se dirigent vers la scène, Manwë sort de sa poche une sorte de badge qu’il a imprimé sur un papier libre, un laissez-passer pour la sécurité afin de rejoindre le groupe.

- Manwë Druid ! On vous attends depuis tout à l’heure !

Ça lui fait toujours quand on l’appelle aussi respectueusement tout en le rouspétant, que ce soit au poste de police où là par un petit stagiaire régisseur son. “ Oui bah ça va, j’suis là…” Qu’il grogne en pressant avec modération le pas, il se tourne vers la brune pour lui dire “ Oh c’est vrai, j’te l’ai pas dis, mais… Je ne m’appelle plus Keynes, le nom d’mon père. “ Druid c’est celui de sa mère, ça lui a couté un bras de faire cette procédure mais ça en valait la peine pour qu’il puisse commencer à se supporter. Mais assez parlé du passé…

D’ailleurs voici le guitariste qui lui fait de grand signe, les joues rosies par le stress et l’alcool qu’il a probablement déjà ingurgité. Il s’empresse de prendre sa guitare

- Man’ ! J’ai cru que tu m’avais oublié ! Salut…

Le regard du guitariste dégouline sur les formes de la mannequin “ Hey ! Oh ! Arrête de la regarder comme ça gros dégueulasse ! “ Les insultes c’est toujours bon enfant dans le milieu, enfin ça dépend avec qui bien entendu… Le guitariste se mit à rire en reportant son attention sur son instrument chéri.

- Désolé ! J’savais pas que t’avais une soeur...

Manwë lève les yeux au ciel avant de répondre “ Ce n’est pas ma soeur. “

- Sérieux ?!

“ Ce n’est pas non plus ce que tu crois… “ Désespérant, non ?

- Ah j’me disais aussi…

Un chouilla insultant, néanmoins Man’ est d’accord sur le fait qu’il ne serait certainement jamais assez bien pour une femme comme Valentina, il a déjà beaucoup de chance de l’avoir comme amie, une chance inestimable qu’elle le soit encore après toutes ces années. “ Heureusement, c’est pas le cerveau du groupe… “ Soupire-t-il à l’attention de la belle brune. Il n’a jamais supporté qu’on la regarde comme un morceau de viande, c’était déjà le cas autrefois, dans un sens, il a toujours été un peu comme un frère avec elle. Son père considérait bien trop les femmes comme des objets, des biens acquis… Au final ce minable lui a inculqué des bonnes valeurs tant il dégoutait Manwê au plus haut point.

Il acquiesce alors qu’elle lui demande s’il crée également des instruments, quelques pièces sont en ventes dans son magasin, mais il n’a pas vraiment le temps de créer beaucoup, c’est long, fastidieux et moins rémunérateur car les achats d’instruments sont plus rares que les réparations en elles même. “ Merci. “ A-t-il seulement répondu avec un léger sourire face à tous ces compliments, il n’en a pas réellement l’habitude, cela lui fait néanmoins plaisir de la part de Valentin, il devine qu’elle a bien réussi sa vie, il n’ose pas vraiment lui demander ce qu’elle fait, c’est stupide… Cela viendra sans doute plus tard, ils ne se sont pas vu depuis si longtemps, il sait que contrairement à lui jadis, elle avait de l’ambition, des rêves.

Il s’engage à tenter d’organiser une rencontre avec le groupe, ce qui devrait ravir sa fille. Ça lui fait plaisir de faire ça, bien qu’il percute plus tard qu’il va “rencontrer” cette dite jeune fille. Il n’est pas très à l’aise avec les enfants, ça lui rappelle pas vraiment de bons souvenirs. Juste pour ça il ne s’imagine pas être père un jour, il parait que l’on répète le schéma familial que l’on a vécu.

Parler du passé, de son père, de son besoin de faire ses preuves. Manwë ne sait pas s’il avait raison d’agir ainsi, mais c’est fait. Il ne peut pas revenir en arrière, rattraper les années perdues sans son amie Valentina, une amie chère dont personne n’a jamais pu prendre la place dans sa vie. Il sourit presque amusé de savoir qu’elle s’est attachée à lui, il n’ont jamais eut cette conversation, à ce dire ce qu’ils représentent pour l’autre, à parler tout simplement d’émotions, d’attachement. C’est pas le genre de chose qu’il fait, ça lui parait toujours trop compliqué de parler à cœur ouvert.

Une fois sur place, il passe avec son badge, explique à la brune le changement de nom qu’elle ne désapprouve pas. Puis la rencontre avec le musicien excède le luthier qui conserver malgré tout extraordinairement bien son calme.  Il eut un sourire satisfait de voir que la brune ne se laisse pas faire, ça ne l’étonne pas, elle a toujours su se défendre. Il se souvient que plus jeunes, elle avait eut de la peine à le retenir tandis qu’il voulait coller son poing dans la face d’un petit merdeux qui lui avait fait de la peine. Comme quoi, il n’avait pas vraiment besoin de mots pour lui montrer qu’il tenait à elle. “ Oh… Y’a pas de quoi... “ Un peu surpris de ses remerciements, Man’ reporte son regard sur l’imbécile de guitariste “ Alors ? “

- C’est parfait, mec !

Bon voilà une chose de faire. “ Il est où Greg ? “ Le guitariste leur indique la direction, sans lui dire au revoir, Man s’y rend en compagnie de la brune. “ Greg c’est leur… Manager... “ On va appeler ça comme ça…  Le seul vrai cerveau de la bande.

Greg les salue chaleureusement, rien à voir avec l’autre tête à claque !

- Oui y a pas de soucis, les amis de Man’ sont mes amis ! C’est tellement nul comme réplique, mais je le pense ! On fait ça après le show ?

La rencontre organisée, la guitare livrée, sa part semble faite. “ Préviens ta fille de nous rejoindre au niveau des barrières de sécurité à la fin du concert… Donc nous… On peut regarder depuis les coulisse, ou on peut essayer de se glisser dans la fosse si c’est ce que tu veux… Perso, je les ai vu des dizaines de fois. “ Autant faire comme elle le souhaite, il n’avait même pas prévu de rester à l’origine, il n’a plus vraiment le temps de se récréer avec tous ces problèmes. Sans gêne, le bun ouvre la glacière laissée à l’abandon pour prendre une bière, puis deux, il propose à la brune sans trop savoir à quoi s’attendre. Lui boit un peu, fume beaucoup… C’est un train de vie pas spécialement sain qu’il mène, fort heureusement il fait assez de sport pour se défouler certes, mais cela le maintient en forme suffisante pour ne pas être une loque à peine la quarantaine passée. Val est magnifique, elle a probablement une vie super saine, il espère juste qu'elle n'est pas végan... Il les trouve souvent insupportables.

L’enthousiasme de Valentina fait grandement plaisir au brun, après tout ce qu’elle a fait pour lui autrefois, c’est la moindre des choses. Il sait qu’elle n’a jamais rien réclamé en retour qu’ils n’ont pas tenu les comptes de ce qu’ils se sont mutuellement apporté, mais il sait qu’il lui en doit sans l’ombre d’un doute beaucoup plus.

“ Va pour les coulisses dans ce cas. “ Comme il l’a dit, les deux lui conviennent, même s’il préfère rester effectivement ici. Prendre part à la foule, il l’a déjà fait plus jeune malgré ses problèmes de santé, les risques de pertes d’équilibre ou de ne pas supporter les lumières des spots. Partager une bière avec son amie, ça lui rappelle l’époque d’autre fois, quand il se pointait derrière chez elle avec une canette qu’il avait piqué dans le frigo, au risque de se prendre une branlée par son père ; non pas parce qu’il était trop jeune mais parce que ça lui en faisait une de moins pour lui. Les souvenirs avec Valentina sont nombreux, heureux pour la plupart, mais souvent tinté de malheur. Heureux à chaque fois qu’elle lui souriait, qu’elle le traitait comme les autres et ce même s’il se pointait avec un œil au beurre noir parce qu’il s’était encore battu. C’est presque un miracle qu’il n’est pas mal tourné.

“ C’est une petite ville et pourtant nos chemins ne se sont pas recroisé toutes ces années, c’est presque le contraire qui parait fou, non ? “ Preuve est faite qu’ils ne sont pas du même monde, ne fréquentent pas les mêmes gens, ne vont pas aux mêmes endroits. Le monde n’a pas besoin d’être si grand que ça finalement pour ne plus revoir quelqu’un. La vie ne voulait peut-être pas les réunir avant ce jour. “ J’espère qu’on mettra moins de temps pour se recroiser la prochaine fois. “ Ce serait dommage. Manwë aurait aimé avoir une vie à lui montrer, mais il n’a pas grand-chose à prouver à la brune, son évolution n’est pas énorme quand on regarde les autres personnes de son âge. Il a atteint un stade de sa vie qu’il aurait dû accomplir dix ans plus tôt s’il n’avait pas gâché tout ce temps à juste se laisser vivre.

Il s’assoit sur une malle destinée à transporter du matériel de musique, c’est du solide et le brun n’est pas un poids lourd. “ Alors, qu’est-ce que tu deviens ? J’veux dire… En dehors de maman. “ Maman c’est censé être un métier de fou, mais il ne connait pas trop ça, il peut pas trop juger et franchement, il ne compte pas se lamenter à ce sujet. La crise de la quarantaine ne l’a pas frappé, certes cette nouvelle décennie ne fait que débuter, mais il n’a pas le temps pour les crises existentielles. Est-ce que seulement il s’est donné le temps une fois dans sa vie de vivre à cent pourcent ses émotions ? “ C’est super maman bien sûr… “ Il ne sait pas vraiment comment engager la conversation sans que ça ne lui retombe dessus, il sait qu’elle le connaissait, qu’il peut s’intéresser aux autres mais peine à accepter les questions en retour. Pour Val’, il avait toujours fait l’effort, les choses ne seront peut-être pas si différentes malgré toutes les années qui les séparent désormais. “ T’as pas de bague ? “ Au top des questions gênantes le Manwë, c’est que malgré tout, il s’inquiète de savoir qu’on ait pu briser le coeur de ce diamant qu’est cette femme. Ça le mettrait en rogne, bien plus encore de savoir qu’il ne peut rien y faire, que c’est juste comme ça, une injustice de plus dans ce bas monde, rien d’étonnant. Peut-être qu'elle est juste anti-mariage, elle aurait pas tort selon lui.

“ Je vois… “ Elle était à Bowen sans y être, même si ça ne l’empêche pas de se dire qu’ils auraient pu se revoir bien avant, qu’importe, le passé ne se modifie pas, il est assez bien placé pour la savoir ! “ Oui bien sûr ! Je… J’vais te donner mon numéro. “ Il cherche dans ses poches, il faut dire que ses cartes de visites sont un peu datées, mais il n’a pas vraiment les moyens d’en faire de nouvelles et il trouve pas vraiment d’utilité à tous ces petits papiers avec internet. Même si internet n’est pas très élogieux envers son magasin, les commentaires négatifs sont nombreux en raison de l’espace de vente loin d’être agréable visuellement, un peu à l’image des tenues vestimentaires de Manwë. Il finit par mettre la main sur son portefeuille et trouve une de ces cartes de visite écornées “ Elle est pas toute jeune ! “ Dit-il avec un sourire, pas vraiment gêné mais c’est vrai que dans la main délicate de son amie c’est un sacré contraste…

Ses sourcils s’envolent alors qu’elle lui apprend faire du mannequinat, non pas qu’elle n’a pas le physique pour, mais c’est qu’il n’a pas l’habitude de trainer avec des top models… Non, lui il tape en général plutôt dans le cageot en général, c’est plus à sa portée et sa demande à faire moins de courbettes pour tirer un coup de temps en temps.

“ Si tu as besoin de conseils en mode, tu peux toujours m’appeler. “ Plaisante-t-il avant d’ajouter “ Je suis content que tu aies réussit à faire la carrière que tu voulais, j’en doutais pas, mais je n’en savais juste rien. “ Et il n’a aucune idée de comment fonctionne ce monde, oui un monde auquel il n’appartiendra jamais et qui ne l’intéresse pas. À quoi bon ? Il est sur le banc de touche quand il es question d’accorder des couleurs ou de se faire élégant. Valentina l’intéresse, mais ça s’arrêtera là.

Ses yeux verts se posent sur la bague qu’elle porte à son cou, il comprend immédiatement que son mari est décédé, mais elle eut le courage de lui  expliquer son veuvage. Le brun détourne le regard lorsqu’elle efface cette larme avec fierté, c’est ce qu’il faisait déjà lorsqu’ils étaient môme. Il détournait le regard quand elle pleurait, pour qu’elle ait le droit de pleurer autant qu’elle le souhaite. Ça lui arrivait de la prendre dans ses bras, mais il sait que cette fois ce n’est pas nécessaire. “ Je suis désolé. “ Elle méritait pas de vivre un tel drame, et il sait ce que c’est que de perdre un être aimé.

“ Moi ? “ S’étonne-t-il, la regardant à nouveau. “ Franchement… Pas grand-chose. “ C’est un peu triste de résumer sa vie ainsi, mais ça lui pose pas de problème puisque c’est la réalité. “ J’ai enchainé les p’tits jobs, je me suis planté un paquet de fois. J’ai même eu le lubie de devenir flic, mais j’me suis vautré à l’entrée de l’académie de Police. “ Il rit, comme si c’était risible qu’un type comme lui devienne flic, en même temps il se dit réellement que ça l’est… “ Ensuite j’ai fais la formation de luthier. “ Une vraie formation horrible avec un tuteur immonde, mais le résultat est là. “ Le magasin… Et… Et de temps en temps je travaille quand même au poste de police en tant que portraitiste, ça c’était après l’autre lubie où j’pensais devenir artiste. “ Lui doit faire des choses terre à terre, des choses qui ne soient pas trop ambitieux, l’ambition c’est pas pour lui, il a compris désormais, ou plutôt : de nouveau. Il a passé dix années de sa vie à n’en avoir aucune avant de vouloir tout à coup donner trop de sens à sa vie. La crise de la trentaine peut-être…

Il but une gorgée de bière avant d’ajouter “ J’en avais oublié que j’étais limité par ma maladie, mais je pense que tout c’est plus ou moins équilibré maintenant. “ Pour ce qui est de sa vie personnelle / amoureux / familiale, c’est le désert total, alors pas la peine d’ouvrir ce chapitre vide, la seule chose qui pourrait en ressortir c’est malheureusement son père.

Il ne pensait pas qu’elle lui enverrait immédiatement son numéro, Man’ n’est pas très au fait de la technologie, non pas que ça l’intéresse pas, mais c’est très cher… Alors, il s’abstient de s’en intéresser. Ça lui fait malgré tout plaisir, les gens ne gardent pas forcément contact avec lui, c’est difficile d’à nouveau apprivoiser une amitié laissée de côté pendant des années, mais si quelqu’un doit en être capable, c’est bien eux. Il sort donc à son tour son téléphone portable pour tenter d’enregistrer le numéro de la belle brune.

La conversation concernant le mari de Valentina fut assez dérangeante bien qu’il aurait aimé que ce ne soit pas le cas, il aurait aimé qu’elle ne traverse pas une telle tragédie. Au moins elle a été heureuse avec lui, encore heureux parce qu’il ne pourra pas lui mettre son pied au cul à l’heure qu’il est ! Manwë s’en veut presque d’avoir posé la question, mais ils ont tellement à rattraper, y compris les sujets qui fâchent ou rendent triste. Il n’y avait pour le coup rien strictement à ajouter sur le sujet, il se doute qu’elle lui donnera plus de détails un autre jour si elle le souhaite, mais aujourd’hui reste un moment joyeux, celui de leurs retrouvailles, il ne souhaite pas provoquer chez elle une avalanche de larmes.

“ C’est rien, c’est toujours mieux que ce que je faisais avant… “ Commis de cuisine et / ou serveur, ça va bien un temps, faire ça jusqu’à ses trente ans c’était déjà long, mais cela aurait pu durer bien plus longtemps s’il n’avait pas eu un tel déclic. “ Le magasin… C’est un peu compliqué, mais si tu demande si j’aime mon job, oui. “ À défaut de faire ce qu’il voulait vraiment, il s’est lancé dans cette carrière particulière et minutieuse. Ça l’apaise. “ Mais j’ai pas encore mis la clé sous la porte, donc c’est que je dois pas si mal m’en tirer ! “ Heureusement qu’il a de nombreuses connaissances à Bowen, des clients musiciens qu’il connait depuis des années et qui lui sont fidèles.

“ Artiste photographe ou peintre, mais on m’a fait comprendre que le full black and white, c’est has been. “ Il accompagne cette phrase d’un haussement d’épaules avant de dire avec un sourire espiègle puisque la brune est mannequin “ Si ça se trouve, t’aurai posé pour moi ! “ Il eut un léger rire, parce qu’il n’aurait jamais pu bosser pour la mode. “ C’est gentil, je sais que j’dois pas me limiter à cette maladie, mais j’peux pas non plus complètement agir comme si elle n’était pas là. “ Elle peut y croire pour deux, mais il sait que sa pathologie est un obstacle pour bien des choses dans sa vie, comme trouver son chemin dans un festival ou s’habiller correctement pour un entretien… “ En plus j’ai du changé de médecin, le vieux est parti à la retraite. Là j’suis tombé sur un p’tit jeune qui s’obstine à vouloir me refaire passer des examens visuels, comme si j’allais guérir. C’est trop tard, je ne verrais jamais les couleurs et ne supporterais sans doute jamais le soleil. “ Ça peut sembler fataliste, mais il s’efforce d’être réaliste, il n’y a rien de plus toxique que les faux espoirs ou les rêves impossibles. “ Je ne saurais jamais de quelle couleur sont tes grands yeux… “ Lui dit-il en arquant légèrement un sourcil, il adorerait pourtant, les gens ont l’air de les trouver tellement beau et lui… Parait-il qu’il a les yeux verts, il n’a aucune idée de ce que ça peut donner et pourtant, cela semble être une des choses que l’on complimente le plus à son égard, un homme aux beaux yeux verts… Il laisse le plaisir aux autres de les contempler.

" Et, tu sais quoi ? " Il lui sourit " J'prefère toujours quand on parle de toi. " On ne change jamais totalement, pas vrai ?