Trouble will come, trouble will go. This is not the end + Violence

Part I - There is a violence in love

La maison était calme, à la tombée de la nuit on voyait encore les fines particules de poussière qui dansaient dans les rayons de lumière. Il y avait encore tellement à faire pour que ce nid soit un véritable cocon. Terrence l'avait imaginé dans les moindres détails, sa maison, leur maison, à Violet, June et lui. Celle qui verrait passer les frères retrouvés, la fille aînée qui avait sa chambre, les amis, celle qui serait témoin des éclats de rires et de scènes de vies tellement banales, tellement précieuses. Il avait pensé à tout, mais ce tout lui semblait à présent tel une montagne qui se dressait face à lui. Il ne s'en sentait pas capable, il n'était plus sûr de rien. Il se disait qu'il avait passé l'âge pour toutes ces conneries, celle, follement utopique, de fonder une famille à l'aube de la quarantaine alors qu'il n'était plus patient, alors que les pleurs de bébé l'épuisaient, celle de retaper une maison de toute pièce, alors qu'il n'avait pas la santé pour. Ca devait être une belle année, 2021, une année pleine de promesses, mais petit à petit tout volait en éclat. Et ce soir il avait le sentiment que son couple allait avec. Il s'était disputé avec Violet qui, selon lui surprotégeait leur fille, elle lui avait reproché de ne jamais s'en occuper, elle avait claqué la porte. Trois jours plus tôt le verdict était tombé, le jury avait délibéré, son commercer allait être démantelé de toutes pièces, sa petite bicoque, son premier bébé, rasé en quelques coups de buldozer parce qu'elle n'aurait jamais dû avoir lieu d'exister, pour mieux assouvir les idées mégalomanes d'un investisseur. Alors non, il fallait l'avouer, il n'avait pas la force de supporter les larmes de sa fille, ni même de s'en occuper. Il n'avait la force de rien et il s'en voulait d'autant plus. Cette annonce, attendue, vu la façon dont le procès s'était déroulé, ça avait vite été plié, elle avait pourtant eu le mérite de le détruire à petit feu, lui qui était déjà vascillant. Et cette jambe qui le faisait toujours souffrir, il forçait trop dessus, il en demandait trop à ce corps qui criait stop. Dans sa main ce soir, une quantité suffisante de calmants pour assommer un cheval, il ne pensait pas au suicide, il n'était pas aussi mélodramatique, Terrence, mais il avait besoin que la douleur, la peine, l'esprit, que tout s'arrête, au moins pour une nuit, juste une nuit de sommeil lourd et sans rêves. Il avala la poignée de pilules, un grand verre d'eau. Et puis il s'allongea dans le canapé tout confort flambant neuf ... et attendit. Mais le sommeil, ce traitre, ne venait pas, alors il se leva en soupirant et parcouru les quelques pas jusqu'à son bar, l'impression de s'enfoncer dans du coton aurait dû l'alerter, mais lui il ne voulait pas planer, il voulait dormir. Il ne buvait pas d'alcool fort habituellement, il trouva tout de même une bouteille de rhum qui servait pour les invités et en versa une bonne quantité dans son verre, qu'il but cul sec en grimaçant, vraiment, ça n'était pas son fort. Et puis le temps de revenir jusqu'au canapé, il s'écroula, le verre se brisa sur le sol dans un bruit qu'il n'entendit pas, sa tête cogna contre la table basse et enfin il sombra dans les limbes. Bonne nuit.

Qu'est-ce qui s'était passé pour qu'ils en arrivent là? Comment avaient-ils pu laisser les choses déborder à ce point? La réponse résultait sans aucun doute dans les multiples dernières semaines difficiles. Les soupirs étouffés et les nuits à dormir séparés parce que les tensions étaient de trop. Violet aurait pu être fidèle à elle-même, chiante et vivace, jouer cartes sur table en explosant la vérité : l'ambiance de la maison était insupportable. Maison.. Cette maison qu'ils avaient tenté de se bâtir ensemble et qui, à présent, était au centre de leurs soucis. Cette maison qu'il avait insisté à appeler la leur. Par malheur, Violet avait succombé à cette idée qu'ils formeraient maintenant, et à jamais, à leur humble façon, une famille. Que cet enfant surprise, qu'ils n'attendaient plus ni l'un ni l'autre, avait été le signe de leur amour qui devait perdurer pour toujours. Elle avait vendu sa maison, s'était laissé emporter dans une illusion d'une petite famille qui, à présent, vivait au bord du précipice.

L'histoire avait commencé il y a déjà plusieurs semaines. La nouvelle était tombée, Bowen se projetait dans une refonte touristique permettant à la ville d'avoir un souffle nouveau. Sans doute une idée folle du Maire ou de sa femme qui l'avait poussé à aller dans ce sens. Qui saurait, au final, d'où était venue l'idée? Ce qu'ils savaient, c'était que des investisseurs avaient en mire l'emplacement de la boutique de surf de Grays Bay, et qu'ils le voulaient no matter what. S'en était suivi une poursuite infernale entre eux et Terrence, Kelly s'était allié d'une avocate en qui il avait donné toute sa confiance. Et il avait semblé, au début, plutôt semi-confiant que le mot final n'avait pas été dit. Mais plus les semaines avançaient et plus l'histoire se concrétisait en sa défaveur, plus Terrence se laissait miner et plus leur petite famille en souffrait.

Violet se sentait seule. Elle était seule en tant que mère, seule en tant qu'amoureuse, seule pour affronter le mal de son petit ami, amour de sa vie, homme qu'elle ne pourrait jamais cesser d'aimer. Mais à un moment, la solitude avait trop pesé, la vérité était sortie de ses lèvres en explosion de les choses doivent changer et je n'en peux plus. Et bien que Violet comprenait la peine que son petit ami traversait, alors que le verdict final venait de tomber, elle qui aussi avait pensé perdre son gagne-pain à un moment, elle était exténuée de tenir le fort de leur famille à bout de bras. La brune avait donc fini par ramasser quelques affaires dans un grand sac fourre-tout et elle lui avait donné de l'espace dont il semblait avoir besoin pour passer quelques jours chez une amie.

Ce soir, alors qu'elle avait déjà endormi June, elle s'était rendue à la maison dans l'espoir de pouvoir discuter avec Terrence, de mettre toutes les cartes sur la table et de leur trouver une solution. Elle venait avec dans son sac beaucoup de douceur et de bienveillance, beaucoup de tendresse à l'égard de l'homme qu'elle aimait qui souffrait. Elle venait avec des pistes de solutions, des noms de psy qui pourraient peut-être l'aider lui ou les aider eux, elle n'en savait rien vraiment, mais elle venait réparer ce qui était brisé, peut-être le retrouver, parce qu'au fond d'elle résidait cette envie et ce besoin de le soutenir encore, comme elle l'avait fait durant tout le procès. Mais le problème, c'était que Terrence ne se laissait pas réellement aider et elle avait fait les frais à de nombreuses reprises dans leur vie amoureuse. Il haussait le ton, se fâchait, était sec et, tout ça, Violet ne le supportait plus. Elle ne supporterait plus qu'il lui repousse son aide.

En entrant dans la pénombre de leur maison, Violet fronçait les sourcils. Tout était si calme, si paisible, doux tout comme elle avait imaginé leur vie ici. Seul le bruit des vagues qui heurtaient la baie teintait la soirée de fin août, fenêtres ouvertes. Elle ouvrit les lumières de l'entrée et s'enfouissait dans la pénombre du séjour, là où sa vision d'horreur lui glaça le sang. Elle avait tout à coup l'impression de revivre une scène déjà jouée, mais rôles inversés. Terrence allongé au sol depuis on ne sait combien de temps, inerte. Violet hurlait, se précipitant près de lui pour le secouer sans vraiment savoir quoi faire dans une telle situation. « Terrence? », faisait-elle en tapotant son visage. Maladroitement, elle attrapa son portable et composait, tremblotante, le numéro des secours. « J'ai besoin d'aide », sanglotait-elle. « Mon amour, mon amour, réveille-toi.. »

Terrence ne s'était pas senti partir. Lui qui voulait un sommeil lourd et sans rêves, il était tombé dans les limbes. Souvent, par le passé, il avait pensé à la mort, comme une délivrance, pour le libérer de ses souffrances, de cette vie qui ne lui correspondait pas. On l'avait traité de beaucoup de choses, Kelly, de criminel, d'assassin, de mafieu, de raclure et bien d'autres choses. On lui avait craché au visage, plusieurs fois, même sa propre mère lui avait tourné le dos. Alors à quoi bon continuer ? Il fallait admettre qu'il n'en avait jamais eu le courage, tout simplement. Les plus optimistes diraient qu'il avait encore de l'espoir en cette vie. Peut être. Et heureusement même. Parce que Violet avait fini par débarquer dans son quotidien, comme une tornade, une tempête au départ. Il se souvenait encore de leurs innombrables disputes, pour un oui ou pour un non. Il l'avait détestée… ou bien aimée sans se l'avouer, avec tellement de force, comme s'il s'était jeté dans un nouveau combat, au point de lui redonner envie de se lever tous les matins. Il se rappelait de chaque détail de leur première nuit, si inattendue, si soudaine, un ouragan dans sa vie, une nuit de tendresse et de fougue mêlée, comme si l' univers avait enfin trouvé un moyen de les réunir. Depuis Violet, plus jamais la tentation de la mort ne s'était rappelée à lui. La vie n'était pas toujours belle, il ne fallait pas rêver, Terrence restait lui-même, bourru, solitaire, l'américaine avait elle aussi son caractère. Mais ils s'aimaient, envers et contre tout. Même contre la tempête qu'ils traversaient actuellement. Pourtant le surfeur était là, étendu sur le sol, une tâche de sang commençait à s'incruster dans le tapis berbère. Stan, l'œil humide, semblait pleurer son maître silencieusement quand Violet arriva. Kelly n'entendit rien des supplications de sa compagne, ni des sirènes de pompiers. Seule la piqûre d'adrénaline réussit à le réveiller en sursaut, mais alors qu'il partait déjà dans l'ambulance, il s'enfonçait à nouveau dans le néant. Lui qui voulait dormir, il dormit, des heures durant, il fit le tour de la pendule sur son lit d'hôpital, pour enfin se réveiller en milieu d'après-midi le lendemain, la main de Violet dans la sienne. La fatigue était toujours là, pire encore, le plombant comme une chape sur la tête. Portant la douceur de la peau de Violet lui faisait du bien. Il la serra, avant de tourner son visage épuisé vers elle. Hey ! Tu es là depuis longtemps ? Où est June ? Il pensait à sa fille, le silence dans cette chambre lui semblait anormal et, malgré le bien que ça pouvait lui faire, ce petit être lui manquait. Après un long silence, Terrence reprit la parole, ça lui coûtait beaucoup, tant il se sentait mal. C'est pas c'que tu crois, mon amour. Il ne voulait pas qu'elle croit qu'il avait voulu mettre fin à ses jours. Il ne comptait pas l'abandonner, il ne renoncerait pas à elle, à eux, jamais.