I Need A Favor ft. Blake

Voyager coûte cher. L’imprévu coûte cher. Alors un voyage imprévu, ça coûte encore plus cher. J’avais déjà dépensé la plupart de mes économies rien que dans le billet d’avion pour l’Australie – adieu ma retraite au soleil dans une villa en bord de mer, et mon statut économique ne s’arrangeait pas vraiment depuis que j’étais arrivé à Bowen. Tout était cher, dans ce pays, plus que ce que je m’étais imaginé en tout cas. Et même si je n’étais pas le plus à plaindre, cela commençait à devenir un problème. Un souci de plus en tête, comme si je n’en avais pas déjà suffisamment.

Il fallait que je règle ce problème.

Un matin, je me décidai donc à parcourir la ville en quête d’un petit boulot. Je n’essuyai que des refus – les patrons étaient frileux à l’idée d’engager un étranger sans visa de travail, et s’ils avaient tout à fait raison de l’être cela n’arrangeait pas mes affaires. Je ne demandais pas grand-chose pourtant, juste de quoi me renflouer un petit peu, quelques heures de labeur à peine ; mais rien à faire. Pourtant, je persistais. Cela n’avait jamais été dans ma nature de renoncer. J’y passai la journée entière. Le soir venu, je n’avais toujours rien trouvé. Puis j’eus une idée.

Il y avait une boîte de nuit, dans cette petite ville. Et pour en avoir fréquenté un certain nombre, pour le travail ou non, je savais qu’elles n’étaient pas toujours regardantes qui elles employaient. Enfin, c’était le cas chez moi en Amérique. C’était peut-être différent ici … mais je pouvais toujours tenter le coup, n’est-ce pas ? Comme je l’ai dit, je n’abandonne jamais.

Après être revenu à mon hôtel pour mettre une tenue plus appropriée, un costume gris très simple que j’étais pour le coup assez content d’avoir emmené dans mes bagages, je me remis en route. Je ne tardai pas à trouver la boîte – après tout, il était difficile de la rater. Je n’entrai pas tout de suite. Il était encore tôt, et je ne voulais pas avoir l’impression de déranger. Alors j’en profitai pour observer un peu. Observer les employés qui allaient et venaient, le type de clientèle. Scruter les alentours à la recherche du moindre élément suspect. Pourquoi ? Aucune idée … Déformation professionnelle sans doute. J’avais beau être officiellement en congé, je ne pouvais pas m’empêcher de continuer à agir comme un flic. Il me fallut bien une heure pour me rendre compte que cela n’avait aucun sens.

J’entrai finalement dans la boîte. Je me dirigeai tout naturellement vers le bar. J’avais bien envie d’un remontant après cette journée … infructueuse. L’échec, je déteste ça ! j’étais d’assez mauvaise humeur – pas dans la meilleure des dispositions pour rencontrer un potentiel futur employeur, donc. Le goût de l’alcool me remonta un peu le moral. C’est pourtant loin d’être ce que j’aime le plus. Mais je me sentais étrangement … las. Comme une envie de tout foutre en l’air, je ne saurais l’expliquer exactement. En fait, tout le stress que j’avais accumulé ces derniers temps commençait à m’affecter.

Mais je ne devais pas me laisser aller. J’étais venu ici pour une raison précise. Trouver un boulot. Alors mon verre à peine terminé, je m’adressai au barman : « J’aurais besoin de voir votre patron. S’il vous plaît. » Il me sembla voir l’homme lever les yeux au ciel. « Pourquoi faire ? Il est très occupé. » Je hochai la tête. « Je m’en doute bien. Mais c’est assez … important. » Je savais que je pouvais simplement dire ce qui m’amenait, que je cherchais un boulot. Mais je le voyais déjà répondre que je n’avais qu’à envoyer un CV comme tout le monde et qu’on me rappellerait s’ils étaient intéressés, bla bla bla. Et je n’avais pas vraiment de temps à perdre avec ça. « Je vous l’ai dit, il est occupé. Si c’est si important que ça, je peux lui dire de vous appeler pour prendre un rendez-vous avec vous, ou alors … Pourquoi vous tenez tant que ça à le voir, d’ailleurs ? » Je soupirai. Visiblement, il ne comprenait pas l’urgence de ma situation. Bon, c’était vrai que je ne lui en avais pas parlé du tout, mais … oh et puis merde, j’ai pas le temps pour ces conneries ! je dégainai ma carte de police et la plaquai contre le bois du bar. « C’est une bonne raison pour le voir, ça ? », demandé-je en élevant un peu la voix.

« Vous êtes de la police ? », s’inquiéta le barman. J’acquiesçai d’un signe de tête. « Je … d’accord, je vais l'appeler, voir s’il peut vous recevoir. »

Bon, la situation avançait un peu, c’était déjà ça.

Joey & Blake

Ce que je venais de faire était clairement de l’abus de pouvoir de ma part- mais du pouvoir je n’en avais aucun ici alors ça ne comptait pas vraiment, n’est-ce pas ? Du coup, cela devenait … un simple mensonge. Et encore, je n’avais menti sur rien. J’étais vraiment flic et j’avais vraiment besoin de parler au patron de l’établissement – juste pas … pour les raisons qu’il était probablement en train de s’imaginer. Alors au final, je n’avais rien fait de mal. Bon, disons que j’étais … à la limite. Le genre de limite que de toute façon quelqu’un comme moi est obligé de mordre, voire de franchir à un moment ou à un autre. Parce que parfois, tu ne peux pas suivre la procédure, les choses qu’il convient de faire, les ordres, la morale parfois même. Il faut juste savoir quand il faut franchir cette limite. Et ce soir-là, j’avais senti que j’en avais besoin. Et pour une fois, ce n’était pas pour sauver la veuve et l’orphelin, c’était purement égoïste. Bref.

« Il arrive », déclara le barman. Je le remerciai d’un sourire. « Je vais vous reprendre un verre en attendant. » Je le vis froncer les sourcils, comme s’il était en train de comprendre quelque chose. Les flics ne sont-ils pas censés ne pas boire d’alcool en service, se demandait-il probablement. Mais en même temps, pourquoi serait-il encore en service à cette heure-ci ? Il sembla vouloir me dire quelque chose, quand l’arrivée d’un homme l’interrompit dans son élan. Je tournai la tête vers lui. « Qui voulait me voir ? », demanda-t-il au barman qui me désigna d’un signe de tête. Je fis un pas vers l’homme, qui ne tarda pas à se présenter. Blake Morgan. Le patron, donc – et si tout se passe bien, que je joue correctement mes cartes, peut-être mon futur patron. Je serrai sa main avec un sourire. « Inspecteur Joey Davis », me présenté-je à mon tour. Pas de « enchanté » ni de « ravi » bien sûr, les flics ne disent pas ça. Cela risquerait de lui mettre la puce à l’oreille et j’attendais un moment propice pour lui avouer la raison de ma venue ici.

Nous serions mieux dans mon bureau, proposa-t-il. « En effet. Après vous. » Il s’attendait sans doute à devoir parler de sujets sensibles et il y avait ici trop d’oreilles, et de regards indiscrets. Sans oublier la musique forte et la lumière inégale qui n’aidaient pas vraiment à bien communiquer, bien sûr. Je lui emboitai le pas. Etrangement, je me sentais un peu nerveux. Mon fichu stress qui tentait de prendre le dessus. Je fermai les yeux une seconde, tentai de penser à autre chose. Ma sœur, par exemple, qu’est-ce qu’elle faisait pendant ce temps-là ? Hum … avec les quatorze heures de décalage horaire, elle était sans doute en train de se préparer pour aller au lycée, ou bien elle venait tout juste d’y arriver. C’était encore le matin, là-bas. Et ça avait un côté fascinant, en un sens. Mais je n’eus pas le temps d’y réfléchir d’avantage – nous arrivions dans le bureau de monsieur Morgan.

C’est là que je décidai de prendre les devants, de lui révéler une partie de ma raison d’être ici, avant qu’il ne commence à se poser trop de questions : « Je dois vous avouer que je ne suis pas vraiment ici à but officiel. En fait, je ne suis même pas de la police locale. » Je ressortis tout de même ma plaque, pour lui montrer que j’étais quand même de la police – même si le barman l’avait déjà vue, bien sûr. Etrange d’ailleurs qu’il n’avait rien trouvé à redire ; pas que ça me dérangeait, bien au contraire.

« J’ai besoin de votre aide pour quelque chose », je repris. « Peut-être même plusieurs choses, en fait » Car le nom de Joe Davis m’était revenu à l’esprit – enfin, c’est pas comme s’il me quittait de toute façon. Il était la raison de ma venue dans ce pays, après tout. Un propriétaire de boîte de nuit connaissait forcément beaucoup de monde. Avec un peu de chance, il avait mon double dans ses clients réguliers. On ne savait jamais.

Autant essayer de faire d’une pierre, deux coups.

Joey & Blake

C’était une bonne chose de faite ; enfin, une première chose de faite. Le plus difficile était encore à venir, convaincre Monsieur Morgan. Il y avait plusieurs façons d’y parvenir ; l’une d’elle était tout simplement d’être honnête avec lui. L’intimidation ne marcherait pas sur quelqu’un comme lui, le chantage non plus – surtout que je n’avais rien pour le faire chanter. Puis c’était une méthode de ripou et je ne voulais pas m’abaisser à cela. Ce serait franchir la limite. Non, le mieux était bien de lui dire la vérité. Ce que je commençai à faire à peine entré dans son bureau. Je lui expliquai que je ne venais pas vraiment pour une affaire officielle, sous-entendant de fait que j’avais … disons abusé quelque peu de ce que représentait mon badge. L’homme me parut un peu surpris, mais ne sembla pas s’en formaliser plus que ça. « On peut dire qu’il ne sait pas lire cet idiot … », déclara-t-il, parlant du barman. J’eus un léger sourire. « Je ne lui en veut pas. Certains se focalisent tant sur le mot ‘police’ qu’ils oublient ce qu’il y a autour ». Ou le mot shérif, en l’occurrence. Petite particularité des services de police de Jacksonville, entre autres. Mais passons.

« Et qu’est-ce qui vous fait penser que je suis en mesure de vous aider ? », m’interrogea Morgan lorsque j’eus fini de lui avouer ce que je voulais de lui. Je cherchai mes mots une seconde. Eh bien … rien, en réalité. Il pouvait comme tous les autres refuser ma demande. Cela ne me surprendrait pas. J’étais un peu venu par désespoir, pourrait-on dire. Tenter ma chance une dernière-fois parce qu’on ne savait jamais. « Absolument rien. J’espère avoir un peu de chance », avouai-je. « On verra bien si je peux vous aider déjà pour une chose, mais je vous laisse m’exposer votre situation », reprit l’homme. Je hochai la tête. Bon. C’était là que tout se jouait. Il fallait que je réussisse à le convaincre, à lui laisser penser qu’il avait besoin de moi tout autant que l’inverse. Parce que j’avais besoin de lui. Enfin, c’était de me faire un peu d’argent donc j’avais besoin mais j’étais persuadé qu’il pourrait m’aider avec ça.

« Je suis ici, à Bowen, pour une affaire personnelle. Je ne sais pas vraiment pour combien de temps, mais ce que je sais c’est que la vie est chère dans ce pays et que j’ai … disons besoin de couvrir mes frais. » Voilà, ma situation était exposée. Maintenant, il fallait que je me vende un peu. « J’ai besoin d’un travail rapidement et je me disais que vous pourriez peut-être m’en donner un. Je ne demande pas grand-chose, juste quelques heures par jour. Je peux … hum, faire de la sécurité, par exemple. M’occuper des indésirables, ce genre de choses. Surveiller les clients, et le personnel aussi. » Parce que tout le monde ne travaille pas toujours dur pour gagner son salaire, ou parce que certains objets peuvent « disparaître » de temps à autre. Cela n’est pas rare, dans ce genre d’endroits. « Je peux même faire le chauffeur, ou la protection rapprochée de VIP. Il m’est arrivé de faire quelques escortes de personnalités. De transports de prisonniers, aussi. » Bien sûr, ce n’était pas ce que j’avais fait le plus. Jacksonville n’était pas une ville très … palpitante de ce côté-là. Même si elle l’était toujours plus que Bowen, évidemment. Mais ce n’était pas vraiment comparable après tout … Bref, passons.

« Et si vous ne pouvez pas m’aider avec ça, vous pourrez peut-être m’aider avec autre chose ? L’homme que je recherche se fait appeler Joe Davis. Il habite quelque part en ville, je me demandais si vous le connaissiez », enchaînai-je. J’avais bien l’intention de repartir avec au moins une de mes requêtes satisfaite.

Quoi qu’il en fût, la balle était désormais dans le camp de Monsieur Morgan. A lui de décider.

Joey & Blake

Les forces de l’ordre et les travailleurs du monde de la nuit ne sont pas les meilleurs amis du monde, en général – de toute façon, personne n’aime les flics jusqu’à avoir besoin d’eux n’est-ce pas ? Et encore, je n’ai pas trop à me plaindre, j’aurais pu être flic en France par exemple …. Bref. Ce n’était pas une surprise pour moi que Blake soit un peu … sur ses gardes. Enfin, il avait été tout à fait courtois et sympathique avec moi jusque-là (et en un sens il avait tout l’intérêt à l’être, surtout si j’étais effectivement venu pour ce qu’il devait s’imaginer) mais j’avais bien senti que ma présence le gênait. Ou tout du moins, qu’il la redoutait un peu, tout comme ce que je pouvais bien avoir de si important à lui dire. Le fait que je lui dise que tout ce que je voulais, c’était un petit boulot dût un peu le rassurer. Enfin, sûrement, j’en savais rien, j’étais pas dans sa tête – mais sans doute qu’il se demandait déjà ce que j’allais bien pouvoir lui reprocher. Une chance pour lui donc, je n’étais pas venu pour ça. Et même si j’avais effectivement repéré quelque chose … disons digne d’intérêt, pour être honnête cela aurait été le cadet de mes soucis.

« Vous ne savez pas combien de temps vous allez être ici, alors quel serait l’intérêt pour moi d’engager quelqu’un qui pourrait décider de partir à tout moment ? », m’interrogea l’homme. Il n’avait pas tort. Mais je savais tout à fait quoi répondre : « Je ne vais pas disparaître du jour au lendemain. Vous aurez le temps de vous organiser avant mon départ. » Certes, cela ne répondait pas tout à fait à sa question. Mais à une autre qu’il pourrait tout aussi bien se poser – j’espérai avec ça lui montrer que j’avais pensé à tout, ou presque. Que j’avais réponse à tout, aussi. En réalité, j’improvisais. Mais cela n’avait aucune importance tant qu’il pouvait se rendre compte de mon sérieux et que j’étais sûr de moi. « Je peux comprendre que vous ayez besoin d’argent, mais je n’apprécie pas qu’on fasse peur à mes employés pour me parler ! Par contre… je dois dire que vous savez vous faire comprendre », reprit Morgan. Il eut un bref sourire. Je l’imitai. Il me demanda ensuite si j’avais un permis de travail. Eh bien … c’était là que le bât blessait. Je n’en avais pas, évidemment. J’étais venu à Bowen presque du jour au lendemain, sans rien prévoir. D’où d’ailleurs l’état peu enviable de mes finances.

« Non », commençai-je à répondre. « C’est pour ça entre autres raisons que j’essaierai de rester un minimum … discret. C’est une de mes compétences, en plus d'avoir, hum ... de la ressource ? » Il comprendrait aisément ce que je voulais dire, pensai-je. Après tout, j’aurais pu employer une manière plus forte avec le barman, ou faire comme n’importe qui d’autre aurait fait et risquer de me faire recaler. Le barman, d’ailleurs … « Je n’avais pas l’intention de faire peur à votre employé », je repris en hochant la tête. « Je voulais juste me simplifier un peu les choses. » Et puis si je lui avais fait « peur » c’est que quelque part il avait une raison pour, non ? me retins-je de rajouter.

Il y avait aussi Joe Davis. J’avais demandé à Monsieur Morgan s’il le connaissait. Avec un peu de chance …

Il me répondit par la négative. Bon, tant pis. Je m’y attendais un peu … mais c’était quand même dommage. « Je ne crois pas qu’il sait que je suis là pour lui », répondis-je à sa remarque. Ni même qui je suis … « Mais vous avez raison, il faut que je reste, hum, discret sur ça aussi. »

Bon … et maintenant ?

Je croisai les bras devant ma poitrine et demandai à mon interlocuteur : « Vous avez pris une décision ? Même si vous avez probablement besoin de temps pour y réfléchir … »

J’espérais l’avoir convaincu.

Joey & Blake

J’avais vraiment besoin de ce boulot. Mais il ne fallait pas que j’ai l’air trop désespéré ou Blake pourrait en jouer – alors je choisis de paraître comme à mon habitude. Calme, stoïque mais aussi un minimum souriant et ouvert, charmeur presque ; après tout se vendre auprès d’un potentiel employeur ce n’était pas très différent de se vendre auprès d’une prétendante. Dans les deux cas il faut se montrer sous son meilleur jour, mettre en évidence ce qu’on sait faire de mieux, les meilleurs traits de notre personnalité, estomper ses défauts, parfois mentir un peu. Mais mentir, ce n’était pas mon truc. Et puis j’avais été honnête avec Blake dès le début alors je n’allais pas changer maintenant.

L’homme parut intéressé par ce que j’avais à lui proposer. Même lorsque je lui avouai par la suite que je n’avais pas de permis de travail, malgré tous les risques que cela impliquait pour lui ; il pourrait avoir des problèmes en cas de contrôle ou … de descente, comme il m’en parla par la suite. Ouais. Mes confrères ne peuvent s’empêcher de mettre leur nez dans les affaires des confrères de Blake – parce que dans ce genre d’endroits tu peux toujours trouver quelque chose d’illégal si tu cherches bien. Il y a toujours un ou deux dealers qui zonent, ou bien des règles de sécurité pas respectées, ou bien un business bien moins légal derrière la façade. Je ne pensais pas que c’était le cas pour la boîte de Blake, hein ! son affaire me paraissait clean du (très) peu que j’en avais vu – mais ça mes confrères australiens ils s’en fichaient, ils ne manqueraient certainement pas de passer faire un petit coucou à un moment ou à un autre. Espérons que je ne sois pas dans le coin à ce moment-là.

« Je saurais quoi leur dire pour qu’ils ne se posent pas trop de questions », répondis-je. « Ou bien je leur ferai croire que je suis en mission ultrasecrète et que je suis là incognito », je repris malicieusement. Il y avait pas de mal à faire une petite blague, non ? Même si bon, sur le coup je ne serais sûrement pas d’humeur à plaisanter. Eux non plus, d’ailleurs. Mais passons. Nous n’y sommes pas encore, à ce moment-là. Et puis ce n’est pas certain que ça se passe, d’ailleurs.

Et pas non plus certain que je sois là à ce moment – cela dépendait de Blake. L’avais-je convaincu ? Accepterait-il ma requête malgré les risques ? Je trouvais qu’il était plutôt gagnant dans tous les cas – il disposerait de mes compétences sans devoir s’embêter avec de la paperasse et ça ne lui coûterait pas beaucoup. J’étais prêt à me brader, jusqu’à un certain point tout de même, après tout je n’avais pas non plus besoin d’une fortune. Je ne comptais pas rester à Bowen plus longtemps que nécessaire pour achever mon enquête – et même si je le voulais je ne le pourrais pas, je n’ai pas de jours de congés en illimité. Bref.

« Je vais te donner une chance … », commença Monsieur Morgan. Je ne pus réprimer un sourire. « Sache seulement que je n’ai pas l’habitude d’en accorder une seconde. Si j’ai le moindre doute, tu vas devoir te débrouiller seul ! Tu peux m’appeler Blake. Par contre on va avoir quelques détails à voir ensemble. J’ai certaines conditions. » Je hochai la tête. Evidemment. C’était moi qui lui demandais une faveur, lui qui prenait les risques alors c’était tout à fait normal. « Bien sûr, je comprends. » Son entreprise, ses règles, et puis je n’étais pas en position pour négocier quoi que ce soit. Tant que l’on s’y retrouvait tous les deux … « En tout cas, j’espère ne pas te décevoir. » Ca ne serait pas une bonne idée, inutile d’expliquer pourquoi. Cette opportunité que Blake m’offrait était la seule que j’aurais dans cette ville, je le savais bien.

Alors il fallait que j’assure.

Joey & Blake

C’était bon. Blake m’engageait. Enfin … je ne voulais pas crier victoire trop vite, mais c’était l’impression qu’il me donnait. Même s’il était naturellement … un peu inquiet des répercussions possibles sur chacun d’entre nous ; enfin surtout sur lui et sur son business. Ce qui était bien normal. Il tenait une affaire plus ou moins respectable et je pouvais très bien tout gâcher du jour au lendemain ; bon, pas moi directement, mais … il fallait que je fasse bien attention, quoi. J’avais conscience des risques, ce qui me rendrait déjà un minimum prudent mais on ne savait jamais.

Blake déclara qu’il me donna une chance, ce qui confirma ce que je pensais – que j’allais travailler pour lui ! que ma mission était accomplie. Et que maintenant, je pouvais plus sereinement me consacrer à ma véritable mission. Ce serait plus facile avec la question des finances réglées. Même si, de toute façon, je ne comptais pas rester ici plus longtemps que j’aurais besoin pour régler cette affaire. Le moins de temps possible, j’espère. Je ne tiens pas à rester dans le coin plus longtemps que nécessaire.

Ceci dit, il y avait encore quelques affaires à régler. « Il faut me laisser le temps de réfléchir à tout ça, j’aimerais que tu viennes me rencontrer à 20h demain », reprit Blake. « J’aurais les termes et conditions et tu commencerais dans la foulée ! Je vais avoir besoin de quelques infos supplémentaires. » Je hochai la tête silencieusement. Bien sûr. Embauche express ou non, on n’échappe pas à la paperasse – même s’il y en aurait sans doute un peu moins que si je n’étais pas dans ma situation actuelle. Blake, entre autres choses, avait besoin de mon numéro. Je lui donnai de suite et, ne pouvant réprimer un sourire satisfait de cet objectif rempli, je déclarai : « Merci … pour ça. Je tâcherai de ne pas vous le faire regretter. » Il m’avait rendu un grand service, et c’était tout naturel que j’en fasse de même. Je ne manquerais pas le lui dire, à l’occasion.  

Joey & Blake