sha-la-la-la-la-la my oh my (concho)

Une balade en chiens de traineau, avec les huskies, je savais que c’était trop demander à Liam qui détestait le froid, et qui était rentré frigorifié de notre balade dans la neige, la veille. Je m’étais assurée auprès de lui que cela ne le dérangeait pas que je sorte seule, aujourd’hui, ayant toujours rêvé de faire du traineau avec des huskies. Je sortis donc de notre chalet, laissant mon époux à sa visio professionnelle. Etre ici, à Chamonix, me faisait le plus grand bien. Voyager m’avait manqué et j’adorais découvrir de nouveaux lieux, faire de nouvelles choses, des choses que je ne faisais jamais à Bowen. Et faire du chien de traineau dans la neige, à Bowen, c’était un peu compliqué disons. J’arrivai à la Huskydalen un peu avant midi et me présentai à l’accueil. On m’indiqua le chenil où attendait un guide, avec la meute de huskies qui allait me faire découvrir le coin. Lorsque j’arrivai, je fus surprise de découvrir que je n’étais pas la seule cliente qui avait réservé un créneau. Mon sourire s’élargit davantage lorsque je reconnus Concho.
— Hey ! C’est fou de te trouver là !
Je savais qu’il était à Chamonix, mais je trouvais ça dingue que nous ayons eu l’idée, en même temps, de réserver une balade. La sensation dans le creux de mon ventre quand son regard percuta le mien me déstabilisa un instant. J’étais heureuse de le voir, et…troublée.
— Lara et Max ne sont pas avec toi ?
Ce fut tout ce que je trouvais à dire. Comme si, intuitivement, j’avais eu besoin de faire diversion. Notre guide arriva à ce moment-là, il se présenta à nous et nous invita à rencontrer les chiens, avant le départ. Nous le suivîmes, nos pas crissant dans la neige.  

@Conchobáhr Rosenbach

J’avais prévu aller au Huskydalen avec Penny, aujourd’hui, parce qu’elle nous cassait les oreilles – je dis ça avec amour ! – depuis notre arrivée à Chamonix, et qu’aujourd’hui semblait la journée idéale. Perry ne pouvait pas se joindre à nous, il avait une matinée prévue avec un ami à lui. J’avais proposé à Maxwell de venir avec nous, je trouvais que c’était le genre d’expérience géniale pour lui, mais il avait préféré se rendre quand même à ses cours de ski qui duraient jusqu’à midi. Il s’était fait des amis en si peu de temps et il avait eu envie de les retrouver à tous les matins d’ici son départ. Évidemment, je n’allais quand même pas empêcher mon fils de faire un peu de social. J’étais agréablement surpris de le voir tisser des liens aussi rapidement. C’était peut-être dû au fait qu’il était constamment en train de vivre entre New York et Bowen, ça lui avait créé une facilité d’adaptation qu’il te tenait clairement pas de son père. Lara, de son côté, était avec Zelda et son petit ami. J’avais donc proposé à Penny de l’emmener au Huskydalen puisque son père était occupé. J’avais réservé nos places, notre créneau horaire, tout ça, jusqu’à ce qu’elle m’arrive à la dernière minute avec un changement de plans. Je me retrouvais donc tout seul ce matin, partagé entre l’envie d’en profiter pour jouer les paresseux dans le chalet ou bien d’aller quand même à l’activité de traîneaux à chien. Je me bottai les fesses, réalisant que je pourrais me prélasser chez moi au retour en sol australien. Aller dans la neige avec des huskies, je ne savais pas quand je pourrais le vivre à nouveau. J’étais donc en train d’attendre les autres participants du petit groupe quand je vis Pippa débarquer. Mon cœur rata un battement, de surprise sans doute, peut-être un peu plus. « Hey ! La coïncidence de fou, ouais ! » Quelles étaient les chances qu’on se retrouve, elle et moi, à la même activité, à la même heure ? Et … tous les deux seuls ? « Non, Lara est avec sa maman et Max’ a insisté pour ne pas rater son cours de ski ce matin. Je devais venir avec Penny mais elle a trouvé mieux que son vieux faux oncle comme compagnie. » Je souris. « Et toi, Liam est pas avec toi ? »  Demandais-je en fronçant tout légèrement les sourcils, faisant mine de le chercher derrière elle, même si en fait je préférais qu’il n’y soit pas. Ça m’éviterait un malaise. Le guide arriva finalement, annonçant que le groupe était complet et qu’on pouvait aller rencontrer les chiens. Je le suivis, côte à côte avec Pippa, jusqu’aux traîneaux où les chiens étaient déjà attachés.

Retrouver Concho, à l’autre bout du monde, à une activité pas vraiment si commune que ça, exactement à la même heure et seul…c’était dingue, vraiment dingue. Au point que j’entendis presque la voix de ma petite soeur Polly, dans ma tête, me dire « C’est un siiiiiiiiiiigne ! ». Et en vrai, j’étais à deux doigts d’y croire moi-aussi.
— Euh…non, Liam est resté au chalet, dis-je sans trop m’étaler.
Nous avançâmes à la suite de notre guide qui nous amena jusqu’au traîneau où la meute de huskies avait déjà été attelée. L’excitation de cette activité me gagna et chassa un instant le trouble que je ressentais de retrouver Concho.
— Woaaah, j’ai jamais fait ça ! m’écriai-je en frappant dans mes mains gantées.
Le guide nous invita à caresser les chiens, puis nous indiqua les places assises dans le traineaux, lui-même se plaçant derrière nous, debout pour pouvoir diriger la meute.
— Devant ou derrière ?, demandai-je à Concho, sans réussir à retenir un sourire équivoque.

Je baissai les yeux, mal à l’aise, quand j’entendis Pippa m’avouer que Liam était resté au chalet. Je me souvenais notre rencontre avant Noël, à la mi-novembre, quand on avait vainement essayé de se mettre dans l’esprit des Fêtes mais que notre discussion avait rapidement mis son voile sur l’ambiance. J’imaginais alors qu’elle n’avait pas eu de grande discussion avec Liam pour tenter de réparer ce qui, visiblement, continuait de s’effriter dans le cœur de mon amie d’enfance. Je me sentais mal pour elle mais je ne voulais pas trop le ressentir. Pour mon amour-propre, je ne voulais pas la plaindre, parce que malgré notre conversation en novembre, j’avais encore une certaine rancune. Ce n’était pas un sentiment qu’on pouvait effacer en quelques paroles échangées. Encore plus que le sentiment de trahison, j’en voulais maintenant à Liam de ne pas rendre Pippa heureuse comme elle aurait dû l’être. Ça crevait les yeux aujourd’hui encore. « Il a du travail à faire, j’imagine. » Conclus-je avec une certaine pointe de méchanceté, assez dissimulée, mais pas assez pour les oreilles de la femme qui me connaissait si bien. Je suivis finalement le guide jusqu’aux chiens de traîneaux. Ils étaient adorables. De quoi faire fondre mon cœur qui s’était crispé et emballé en voyant Pippa. Je caressai les chiens un moment, en riant, échangeant des regards complices et amusés avec la blonde, avant qu’on nous invite à nous installer dans les traîneaux. Je détournai le regard de son sourire ambigu, les joues rosies. « Je vais aller derrière, j’vais te cacher toute la vue sinon. » Dis-je avec un mince sourire. Elle était assez grande, Pippa, mais j’étais plus grand qu’elle. Je m’installai donc derrière, nos corps se touchant inévitablement si je voulais bien me tenir au traîneau. Je pouvais sentir l’odeur de son shampooing, ou peut-être était-ce son parfum ou un mélange des deux. C'était de la torture.

Ma tentative de détendre l’atmosphère eu l’effet inverse, et je me sentis aussitôt nulle. Concho avait détourné le regard, géné. J’avais le chic pour mettre les deux pieds dans le plat.
— Euh…ouais ok.
Je le laissai prendre place dans le traineau, puis y grimpai à mon tour. Les jambes de Conchobahr s’étendaient de chaque côté de moi; cela aurait pu paraitre complètement anodin, mais étrangement, cela ne l’était pas. Je ne sentais mon ami d’enfance plus que je ne le voyais et c’était perturbant, la chaleur qui irradiait derrière mon dos était la sienne, et si je trouvais ça agréable, je préférai éviter de me concentrer dessus.
Le guide pris place, debout, derrière nous, puis lança le traineau. D’abord, les chiens trottinèrent, puis après quelques sifflements de leur maitre, ils se mirent à accélérer. Je lâchai un petit cri de surprise, et, par réflexe, attrapai le genoux de Conchobahr. Je n’étais pas particulièrement fan de vitesse, et rapidement, je m’accrochai à Concho, revivant presque les fois où mon meilleur ami et moi nous étions aventurer aux manèges à sensation lorsque la fête foraine s’installait à Bowen durant notre adolescence. Enfin, après ce qui me paru être une éternité, nous nous arrêtâmes, sur le chemin et le guide nous désigna la vue. Il nous invita à sortir un peu de traineau pour profiter du paysage. Je m’extirpai de ma place, les jambes légèrement tremblantes.
—
Je remerciai notre guide pour cette information, puis me tournai vers Concho avec un sourire.
— Tu viens ?

Je pris place dans le traîneau, écartant mes jambes pour que Pippa puisse s’installer sur le bois de la luge, elle aussi. C’était la première fois que je respirais son odeur aussi nettement depuis la nuit que nous avions passé ensemble. Ce soir-là, j’avais pu laisser tous mes sens prendre connaissance de mon amie d’enfance, comme jamais auparavant. Et maintenant que cette étape avait été franchie, il m’était impossible de ne pas y songer à nouveau désormais, même dans des situations anodines comme celle-là. Elle avait beau m’avoir fait bien du mal quelques jours à peine après ce moment-là, mon esprit se tournait inévitablement vers ces souvenirs. Et ravivait la plaie, le manque, le désarroi.

Heureusement, dès que le traîneau fut lancé dans sa course par les huskies qui le tiraient, la langue pendouillant de chaque côté de leurs gueules, je fus pris d’une légèreté, d’une joie de vivre. Je lâchai un léger cri à la première poussée, avant de me mettre à rire en regardant partout autour de moi. Le paysage défilait à vive allure autour de nous, les sapins s’enchaînant les uns après les autres, couverts de neige. C’était magnifique. Pippa s’accrocha à moi, elle ne riait pas autant que moi, mais je savais que sa peur était également accompagnée du même émerveillement que le mien. Les chiens s’arrêtèrent sous les directives du guide, et il nous invita à nous dégourdir un peu les jambes en profitant du paysage. « Hmm, ouais … » Je ne m’attendais pas à devoir passer un moment seul avec Pippa et tout d’un coup, je ne savais plus trop comment envisager le déroulement de l’activité. Je marchai vers le bord du chemin, où la vue était la plus appréciable, suivant la blonde. « J’croyais que t’avais peur de la vitesse juste quand elle était accompagnée de la hauteur, mais visiblement, t’as juste peur en toutes circonstances. » La narguais-je, essayant de me détendre moi-même.

Ce n’était pas nouveau, mais la vitesse m’avait toujours fait crisser des dents. Pourtant, mon tempérament joueur et aventureux me faisait toujours tenter des expériences qui mettaient mes nerfs à rude épreuve. Cette balade en chiens de traineau ne fit pas exception. Je m’accrochai à Concho du mieux que je le pus, serrant les dents et les poings, crispant chaque muscle de mon corps et réalité. Aussi, quand nous ralentîmes jusqu’à nous arrêter enfin, je ressentis un petit soulagement. Je m’extirpai de la luge, les jambes un peu flagada et alors que guide nous indiqua un petit chemin, je sautai sur l’occasion de me dégourdir un peu. Concho accepta de m’accompagnait et si la perspective de me retrouver seule avec lui était déstabilisante, cela me fit plaisir, du même coup. Après quelques pas, mon ami d’enfance fit une remarque sur ma peur de la vitesse et je ne pus retenir un rire.
— Ce serait beaucoup trop simple, admis-je, la hauteur ne fait qu’amplifier le reste, je crois.
Nous marchâmes encore un peu et je manquai de glisser sur la neige au moins trois fois sur le chemin, puis nous débouchâmes enfin sur le lac que nous avait indiquer le guide. La vue était splendide, à tel point qu’un sourire gagna aussitôt mes traits. Nous restâmes silencieux un long moment, profitant simplement de l’instant, mais, rapidement, je ressentis le besoin de dire à Concho quelque chose que j’avais en tête depuis que le traineaux avait démarré, ou peut-être même bien avant ça, si j’osai me l’avouer.
— Tu me manques, dis-je. Ca me manque ces moments où tu me faisais rire d’un rien, ceux où je t’entrainais dans mes délires, nos soirées chills, celles plus mouvementées aussi, nos battles Just Danse…mon ami me manque…
Je laissai ma phrase en suspend quelques secondes avant de reprendre.
— Pas seulement, c’est vrai, je mentirais si je te disais que je ne pense qu'à mon ami quand je pense à toi, mais je déteste surtout me sentir étrangère dans tes yeux…Je sais que je n’ai pas le droit de te dire ça…et t’es pas obligé de me répondre, mais…voilà.

J’esquissai un sourire tout simple à sa réponse, plongeant mes mains dans les poches de mon manteau d’hiver prêté par quelqu’un. Je n’en avais pas, évidemment, moi qui passais l’année longue en Australie. C’aurait été bête de m’équiper complètement pour de courtes vacances. « Heureusement que moi, c’est que les hauteurs, et pas la vitesse. On aurait été un sacré duo, toi et moi, là-dedans, sinon … » Les deux à nous époumoner de peur, de stress, de tension. Je marchai silencieusement par la suite, essayant de retenir Pippa lorsqu’elle glissait, manquant de tomber à mon tour par la suite. Deux maladroits sur la neige. Ça me soutirait quelques rires discrets. On arriva finalement au lac décrit par le guide. C’était encore plus beau que ce que je m’étais imaginé, à l’écouter. Les arbres avaient la neige parsemée sur leurs branches et sur leurs troncs, les épinettes portaient des fioritures blanches, le lac pas tout à fait gelé s’étendait devant nous dans son immensité intimidante. Il n’aurait manqué que les flocons dansant au-dessus de nos têtes jusqu’à nos pieds. Je tournai la tête vers Pippa lorsqu’elle rompit le silence entre nous. Mon souffle se coupa dès ses premiers mots. Et quand les phrases défilèrent, c’est mon cœur qui se dérégla. Je soupirai doucement, laissant mon regard se perdre à l’horizon, un moment. Je le reportai vers celui de Pippa, puisant tout le courage que j’avais. « Tu me manques aussi, Pippa. J’aurais dû savoir que mêler l’amour à notre amitié, cette fois-là à notre pique-nique, quand j’t’ai tout dit … J’aurais dû savoir que y’avait pas de retour possible. J’aurais dû me taire. Probablement qu’l’année dernière, rien de plus ne se serait passé que deux amis qui se réconfortent, tout simplement. » Mais j’avais ouvert mon cœur sur toutes les possibilités que je m’étais déjà imaginées pour Pippa et moi, le gamin que j’avais été l’aimant naïvement. Et des mois plus tard, quand elle pleurait Juliann et moi Freja, ça avait altéré nos réflexions. On s’était dit et pourquoi pas ?, une question qui jamais ne se serait posée si j’avais tenu ça mort, ces sentiments enfouis. « Je ne sais plus comment être avec toi, Pippa. » C’était dur, c’était triste, mais c’était la vérité. Nous étions dans un flou, pas tout à fait sur la ligne mais pas tout à fait à côté non plus. Nous n’étions nulle part. Introuvables.

Nous aurions pu simplement observer le paysage magnifique qui s’étendait devant nous, profiter du moment, laisser cette promenade se dérouler naturellement sans que nous ayons à parler des choses sérieuses. Mais cela ne me ressemblais pas de garder pour moi quelque chose que j’avais sur le coeur, encore moins avec Conchobahr avec qui j’avais grandi. Néanmoins, cela aurait été mentir de dire que cela ne me fit rien d’entendre Concho exprimer ce qu’il avait, lui, sur le coeur. Il remettait en cause ce que nous avions vécu, et si je regrettai un instant d’avoir évoqué le sujet, je ne pouvais pas me défiler et devrais affronter la douleur que cela créait en moi.
— Je suis désolée d’apprendre que tu regrettes, fis-je la gorge légèrement nouée, ça n’a pas changé pour moi.
Je baissai les yeux pour cacher mon désarrois, puis me raclai la gorge avant de lever à nouveau le regard vers Concho qui me confiait ne plus savoir comment se comporter avec moi.
— C’est ma faute, j’imagine…mais…
J’inspirai longuement, puis pris un temps pour réfléchir avant de reprendre.
— Tu dirais la même chose si je n’étais pas mariée à Liam ? Tu considérerais qu’on a fait un erreur de mélanger amour et amitié ? Je sais que ça tient de l’hypothèse mais il n’y a pas si longtemps tu me disais que toi et moi, ça aurait pu être quelque chose, et maintenant…
Je ne parvins à finir ma phrase, ma voix s’enroua et se mêla de quelques trémolos, je dus me taire un moment pour reprendre mes esprits.
— Je sais qu’on ne peut pas être ensemble, par ma faute, mais…je ne peux pas m’empêcher d’en avoir envie, fis-je avec la voix tremblante. J’arrête pas d’y penser depuis qu’on s’est vu l’autre fois, au magasin de déco…t’es dans ma tête, constamment. Et ça me tue parce que je sais que je n’ai pas le droit…

Je me sentis bien salaud, lorsqu’elle mit des mots plus clairs sur ce que je venais de dire : je regrettais. J’aurais pu nier, me reprendre, me justifier autrement, mais finalement Pippa avait raison. Je regrettais. Ça avait beau avoir été une nuit magique, dont je ne gardais que de doux souvenirs, enivrants aussi, ça ne valait pas le froid et la distance qui s’en était suivie. J’avais eu du mal à me réjouir pour Liam et elle, rien que pour ça. J’avais encore du mal aujourd’hui à accepter ce mariage, en raison de ce qui s’était passé entre nous une semaine avant. Si nous n’avions pas vécu ce moment précieux, Pippa et moi serions sans doute encore très proches aujourd’hui. Pas des étrangers dans la vie de l’autre. « Désolé. J’sais que c’est pas cool à entendre. C’est juste que … j’aurais préféré t’garder comme meilleure amie, à la place. » Dis-je en haussant les épaules. Là, on pouvait dire qu’elle était réellement passée au stade d’amie d’enfance, mais que le temps n’a pas épargné. Des amis d’enfance qui prennent des nouvelles de temps en temps par principe, mais entre qui un malaise est toujours en suspension tout autour. Dans notre cas, cependant, ce n’était pas le temps qui avait fait des ravages, c’était nous-mêmes. À la question de Pippa, je détournai le regard, le cœur serré. « Ça dépend. Je pense que si tu ne t’étais pas mariée à Liam, ça nous aurait au moins permis de reparler ouvertement de ce qui s’est passé, et de discuter ensemble de ce que ça signifiait, de ce qui nous attendait. On aurait vu ça ensemble, tu vois ? Là … t’as décidé par toi-même. » De me relayer au second plan, de balayer du revers de la main ce qui s’était passé. Ce qu’elle me dit ensuite m’acheva. Elle n’avait pas le droit, Pippa, de tenir ce discours-là. Je lui en voulais pour les mots qu’elle me déversait dessus injustement. « Arrête, Pippa. » Dis-je en la regardant dans les yeux, les sourcils tout légèrement froncés. « C’est vrai que t’as pas le droit de me dire ça. It’s fucking unfair. T’es mariée à Liam. Tu peux pas v’nir me jouer dans la tête comme ça alors que t’es mariée à un autre. J’en ai marre d’être le second choix de tout le monde. » Freja avait choisi Woody, Alba avait choisi Léo, Emilia avait choisi Max, Pippa avait choisi Liam, et moi là-dedans ? Qui me choisirait moi, dès le départ ?

J’avais dans la gorge, comme une boule qui refusait de partir, et c’était douloureux. Tout comme cette gêne au niveau de ma poitrine, comme un main de métal qui enserrait mon coeur. La conversation avec Concho était tendue et la culpabilité m’assaillait. Je ne pouvais pas vraiment en vouloir à Concho d’être si cash avec moi, son ressenti était valable et je ne trouvais rien à dire. Cela me blessait, bien sûr, de l’entendre me dire qu’il aurait préféré que la nuit charnelle que nous avions vécu n’ait jamais eu lieu, mais j’étais forcée d’admettre, même si je restais attacher à ce souvenir, que les choses avaient changé entre nous depuis. Par ma faute. Notre amitié s’était dégradée et elle me manquait, mais si je devais être honnête, je ne voyais plus Conchobahr comme un simple ami, même si je ne savais pas encore comment gérer les sentiments qui naissaient en moi et qui foutaient un sacré bazar. Je prenais les reproches de Concho de plein fouet. J’avais épousé Liam, ça je ne pouvais le nier, c’était un fait et cela avait mis de la distance entre nous, bien évidemment, pour autant, les choses avaient totalement échappé à mon contrôle. J’en subissais aujourd’hui les conséquences, et elles étaient amères. Mon seul recours, avouer à Conchobahr ce que j’avais sur le coeur. Je ne savais si c’était une bonne idée ou non, mais j’avais besoin de me raccrocher à la bouée même si cela me donnait le sentiment de perdre mon ami de plus en plus. Quand il m’interrompit avec dureté, mon coeur se serra dans ma poitrine.
—T’es pas un second choix…
C’était facile à dire, j’en avais bien conscience, les circonstances laissaient croire le contraire, mais Concho ne connaissait pas toutes les parties de l’histoire. C’était peut-être le moment, à l’autre bout de la planète, perdu au coeur d’une forêt enneigé, seuls au monde, de lui dire enfin la vérité.
— Je t’ai dis que ce mariage n’est pas ce qui semble être…j’ai épousé Liam pour ne pas voir son rêve réduit à l’état de poussière. Je sais que ça peut paraitre dingue, je sais que…pour toi, le mariage, c’est important, c’est un engagement, mais…pour moi, avec Liam, c’est un bout de papier. Ca l’était au départ en tout cas. Liam allait être expulsé du pays et j’avais une solution à portée de main. Je ne pouvais pas le laisser tout abandonner…
À l’époque, cela m’était apparu comme la chose à faire, je n’avais pas pu supporter l’idée de voir Liam renoncer mais je n’avais jamais imaginer les conséquences et il y en avait eu, du genre qui avait fait souffrir du monde, moi y compris.
— C’était agréable au début, et je te mentirais si je te disais que je ne l’ai pas aimé, mais…c’était une idylle éphémère, une lune de miel…en dehors de la réalité. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai oublié l’essentiel…je me suis oubliée moi-même.
Je marquai un pause, et tentai de refouler les larmes qui cherchaient à sortir.
— Liam n’est pas un premier choix, tu n’es pas le second non plus…j’ai pas envie de hiérarchiser quoique ce soit, je sais seulement que je peux plus rester indifférente à ce qui se passe en moi quand je te vois. Peut-être qu’on a besoin de temps…peut-être pas…peut-être que tu ne me pardonneras pas et ce sera ton choix…
Je me mordis la joue mais l’émotion me submergea.
— je ne supporterais pas de te perdre, même si…ce serait totalement de ma faute si notre amitié est brisée

Il y avait belle lurette que Pippa n’était plus juste une simple amie, pour moi, au fond. Ça remontait à loin, à l’adolescence, ça remontait à lorsqu’elle était l’une de seules personnes à me regarder pour qui j’étais vraiment et pas juste pour l’enveloppe qui ne plaisait pas forcément. Ça remontait à quand la puberté l’avait prise d’assaut et que j’avais regardé ses courbes se dessiner un peu plus de semaines en semaines. Certes, c’était un amour qui s’en était allé et qui était revenu à tout un tas de périodes de ma vie, on aurait pu dire que ça n’avait rien de sérieux, que c’était une fantaisie, un unfinished business auquel je m’accrochais et vers lequel je revenais inlassablement, un peu par habitude. Il y avait peut-être un peu de ça. Mais notre nuit ensemble avait concrétisé des années de what if en me prouvant que Pippa et moi, on allait bien ensemble, on s’accordait. Malheureusement, une semaine plus tard, la blonde me confirmait aussi qu’une fantaisie reste une fantaisie, même si elle s’entremêle au réel l’instant d’une nuit. « Ne pas être celui qui t’a passé la bague au doigt ça me donne un peu cette impression, quand même. » Dis-je, d’un ton massacrant même s’il demeurait à un volume bien bas. Je n’avais pas envie de me donner en spectacle mais je voulais que Pippa comprenne que cette conversation n’avait pas lieu d’être si elle était l’épouse d’un autre. Je ne disais pas là avoir envie de marier Pippa sur-le-champ, je savais que même s’il y avait effectivement quelque chose entre nous, nous n’en serions pas encore là. Mais qui sait, un jour, peut-être aurions-nous pu être ceux à s’unir devant nos proches ? Pippa m’expliqua encore la signification peu commune de ce mariage, m’accordant davantage d’indices cette fois. Si elle était mariée à Liam, c’était pour qu’il puisse rester au pays. Je fronçai les sourcils tout légèrement, laissant l’information se faire un chemin en-dedans de moi. « Pourquoi tu m’as pas juste dit ça, alors, Pippa ? Pourquoi tu m’as pas dit dès le départ « Hey, Concho, un petit heads up : la semaine prochaine je vais me marier à quelqu’un mais c’est du fake, c’est pour l’immigration » ? Tu sais bien que j’en aurais parlé à personne. Ça nous aurait juste permis de ne pas perdre une année entière, toi et moi. » J’avais beau vivre le soulagement de savoir que Pippa n’aimait pas Liam, pas d’un amour fort et beau d’un couple marié pour les vraies raisons, je ne pouvais m’empêcher de lui en vouloir quand même pour tous ces choix. « Et quand même, Pippa, pour un bout de papier ou pas, ça ne change rien. T’es mariée à lui pareil. Sans doute que lui, il t’aime, peu importe pourquoi vous êtes mariés. Comment pourrait-il faire autrement de toute façon ? » On parlait quand même de Pippa. « J’peux pas être mêlé à ça tant que t’es mariée à lui. » Conclus-je, sachant fort bien que cela signait l’arrêt de toutes possibilités, puisque Pippa s’était enchaînée à Liam pour l’aider et si elle ne voulait pas foutre en l’air ce plan, elle devait rester auprès de lui.

Il n’y avait rien que je puisse dire pour apaiser les tensions qui semblaient nous séparer. Cela me trouait le bide, me tordait les viscères mais il n’y avait strictement rien que je puisse faire pour changer ce qui ne pouvait l’être. J’étais marié, à Liam et non Concho, c’était un fait. Et si nos discussions récente m’avait réveillée, au même titre que les sentiments endormis que je nourrissais pour mon ami d’enfance, je ne pouvais pas revenir sur le passer en un claquement de doigt. Cela ne se passait pas comme ça dans la vraie vie. Conchobahr s’interrogea, mais je ne sus quoi répondre. Qui avait-il a dire en réalité ? Oui…j’aurais pus tout lui dire, mais je n’étais pas certaine que cela aurait changer quoique ce soit, et puis…à nouveau, je ne pouvais changer les choses.
— Je comprends…que tu ne veuilles pas être mêlé à ça, je…
Je baissai le regard et serrai mes bras autour de moi, autant que ma doudoune me le permettait, puis, je me me détournai.
— Je crois qu’on ferai mieux d’y aller, il fait froid et…le type va se demander si on ne s’est pas perdus.
Sans attendre sa réponse, je détournai les talons et commençai à remonter la pente enneigée que nous avions descendus un peu plus tôt, forçant sur mes jambes, préférant songer à l’effort que cela me demander qu’à tout le reste.

On clôture ?

Toutes mes interrogations, elles demeureraient en suspens. Pippa n’avait pas les réponses, pas envie de me les donner, peu importe. Peut-être ne s’était-elle-même pas questionnée jusque-là, l’année dernière elle avait probablement cru faire ce qui était le mieux pour elle et pour Liam. Ce mieux n’était pas le même pour moi, pour nous. Il fallait que je digère ce morceau, que j’accepte qu’elle avait priorisé le statut d’immigration de Liam plutôt que notre relation – qu’on la considère amicale ou potentiellement amoureuse. C’était difficile à encaisser, mais soit. « Ouais, on ferait mieux. D’toute façon on gèle à faire du sur-place. » À prendre dans le sens qu’on veut. J’avais froid autant en-dedans que dehors, de toute façon. Je soupirai, regardant Pippa qui avait déjà tourné les talons avant même que j’ouvre la bouche, de toute façon. Je la suivis, surtout parce que je n’avais pas le choix de retourner, moi aussi, aux traîneaux. J’aurais été incapable de faire le chemin à pieds, je me serais perdu autant que je l’étais dans ma tête. Prétendre m’amuser pour le rester de la balade ne fut pas une tâche facile ; je n’avais plus trop le cœur à sourire.

FIN