Je préserve mes silences étouffés ı River

Ces dernières semaines s'était avérées sacrément merdiques. Entre les emmerdes à gérer au sein de ma famille, mes prises de bec avec mon père, le soucis que je me faisais pour ma petite sœur et le bordel qu'il y avait dans ma tête à cause de mes sentiments refoulés pour Ams', je ne savais plus sur quel pied danser. J'en avais marre de tout et tout le monde me gonflait, alors ce soir j'avais décidé de sortir seul et de trouver éventuellement une partenaire éphémère pour me distraire. C'est au Chiki Boom que je me rendis, espérant n'y rencontrer personne que je connaissais et ainsi pouvoir m'amuser avec qui je voulais sans être jugé.

Je décidai de m'installer au bar pour consommer avant tout et fut surpris de découvrir le visage de la serveuse lorsque je m'assis sur le tabouret. Merde... Grace. Elle travaillait ici ? C'était bien ma veine ça... Je restai muet lorsqu'elle s'adressa à moi, feignant de ne pas me reconnaitre. Elle était toujours aussi belle, toujours aussi époustouflante et je m'en voulais de la façon dont ça s'était terminé entre nous. Je l'avais jetée comme une merde, me montrant à nouveau indigne d'une femme superbe. Ce n'était pas la première fois, mais cette fois-ci je regrettais mon attitude. Elle m'avait à peine regardé, son air était glacial et son sourire absent. J'étais parfaitement conscient que c'était moche la façon dont je l'avais traité. Sur le moment, j'avais laissé mon ego blessé s'exprimer grossièrement, mais je n'avais pas voulu la blesser et je voulais qu'elle le sache. Mais n'étant pas très doué pour les excuses, je ne savais pas trop comment m'y prendre. Je savais que de toute façon elle ne voulait pas de moi, qu'elle s'était abandonnée dans mes bras juste sur l'instant et qu'à aucun moment elle n'avait envisagé plus que ça. Malgré cette certitude, je ne voulais pas qu'elle me déteste. Même si je savais pertinemment que jamais il ne se repasserait quelque chose entre nous. C'était quelqu'un de bien, une femme de classe, et je regrettais de lui avoir fait de la peine.

- Grace... Je pensais pas tomber sur toi.

Un peu embarrassé de devoir tenir une conversation pleine de repentance avec tous ces gens assis non loin de moi, je réfléchissais à ce que je pouvais bien lui dire pour me faire pardonner. Je lui aurais bien proposer de sortir pour qu'on puisse parler dans le calme, mais j'étais certain qu'elle allait m'envoyer sur les roses.

- Écoute Grace... Je suis un gros con, d'accord ? Je m'en veux de la façon dont je t'ai parlé l'autre soir, c'était dégueulasse et je regrette. Je voulais pas te blesser, j'étais juste... un peu vexé et déçu... C'est pas une excuse, je sais, mais c'est trop tard pour revenir en arrière. Mais je veux que tu saches que je suis vraiment, vraiment désolé. Et j'aimerais qu'on puisse rester ami si tu es d'accord... chuchotai-je pour préserver notre conversation des oreilles curieuses.

Je m'en tirais pas trop mal finalement. J'étais même plutôt fier de moi sur le moment, j'avais pas trop bafouillé, j'avais dit l'essentiel. J'espérais seulement que Grace verrait que j'étais sincère. C'était peut-être pour ça que j'avais réussi à lui dire tout ça, parce que j'en pensais chaque mot.

Grace ne cachait pas sa colère, mais je ne pouvais pas lui en vouloir. J'avais vraiment été con avec elle. Je m'en voulais d'être comme ça... J'arrivais pas à me raisonner sur le moment, je laissais ma frustration parler et ça finissait toujours comme ça. Des fois je regrettais pas, mais avec Grace je devais avouer que ça me faisait chier qu'elle m'en veuille. Je voulais pas qu'elle me déteste. Même si je savais qu'on en resterait là. Au-delà du désir physique que j'éprouvais pour elle, il y avait autre chose qui me plaisait. Je ne savais pas trop ce que c'était puisque je ne la connaissais pas, mais c'était indéniable. J'avais envie qu'on garde de bons rapports.

- Tu ne pouvais pas le savoir mais en venant ici, tu es presque certain de tomber sur moi. Je suis la propriétaire de cet endroit.

Ah... Je m'attendais pas à ça. Je ne cachais pas mon air surpris, étonné de ce que je venais d'entendre. Mais c'est vrai que je lui avais rien demandé le soir où on avait couché ensemble, on avait à peine parler. On s'était fait du rentre-dedans rapidement et on avait baisé. Rien d'autre. J'en apprenais enfin un peu plus sur elle, ça me faisait plaisir. Mais je ne pouvais m'en prendre qu'à moi si je ne savais rien sur elle, après tout je ne lui avais posé aucune question, j'avais pas cherché à la connaître. My bad...

- Tu n'as pas l'air d'être quelqu'un de mauvais, tu sais. Mais effectivement, c'était blessant et je le nierais pas. Je ne vais pas t'envoyer bouler, ni même t'afficher devant tout le monde. Tu as parlé sans réfléchir parce que ma réponse a pu te vexer, je le conçois et je passe l'éponge là dessus. La seule chose que je souhaite, c'est que tu puisses en tirer une leçon pour les femmes avec qui tu pourrais passer une nuit voir même plus à l'avenir, d'accord ?

Je pouvais sentir à sa voix qu'elle se radoucissait, et puis elle se montrait indulgente avec moi. Elle était vraiment cool en fait. Je m'étais mangé des mandales avec certaines pour moins que ça ! Grace c'était visiblement la gentillesse incarnée. Malgré le mal que je lui avais fait, elle semblait prête à me pardonner. J'étais agréablement surpris et soulagé. Bon, je grimaçai un peu quand elle me fit la morale sur ma façon de me comporter avec les femmes en général, mais je savais qu'elle avait raison. Mais honnêtement, y avait beaucoup de nanas dont je me foutais complètement, et j'avais pas trop envie de me prendre la tête avec la plupart d'entre elles. Mais je n'allais pas lui dire ça, je me contentai de hocher la tête en signe d’acquiescement.

- On peut rester dans de bons termes tous les deux. On peut même garder contact. Je te souhaite du positif, tu sais.

- Merci Grace, t'es une femme exceptionnelle, vraiment. Je serais ravi qu'on garde contact. J'ai envie de mieux te connaître, en tout bien tout honneur, promis, je te draguerai pas. Et moi aussi je te souhaite que du positif. On a passé un super moment jusqu'à ce que... je gâche tout. Et j'aimerais vraiment qu'on puisse devenir amis toi et moi.

Je lui adressai un sourire sincère. J'étais vraiment content qu'elle le prenne comme ça et qu'elle soit capable de passer à autre chose. J'avais ressenti le besoin de m'excuser, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi compréhensive. Elle était vachement intuitive comme femme. Elle me voyait pas comme un monstre sans cœur contrairement à beaucoup d'autres. C'est vrai que je pouvais manquer de compassion parfois, et que je pensais surtout à moi. Mais au fond, j'étais pas si pourri que ça non plus. Je mettais juste du temps à réaliser mes erreurs, et je ne les constatais qu'une fois que les conséquences m'explosaient à la gueule, malheureusement...

- C'est vraiment génial cet endroit. Je suis impressionné. Tu dois être une sacrée bosseuse pour en être arrivée là.

Ouais, pas comme moi... Pour se retrouver à la tête d'un tel établissement, elle avait pas dû chômer. Comme mon père, elle avait probablement travaillé dur pour réussir aussi bien. C'était pas à moi que ça risquait d'arriver...

Grace avait un grand cœur, de toute évidence c'était quelqu'un de particulièrement bienveillant parce que malgré l'attitude exécrable que j'avais eu envers elle le soir de notre rencontre, elle avait l'air prête à me pardonner. C'était inespéré... Comme quoi, j'avais bien fait de m'excuser. J'étais ravi de voir qu'elle semblait capable de mettre cet incident derrière nous pour nous permettre d'avancer sur de bonnes bases, en devenant amis. Même si, je devais l'avouer, son corps voluptueux allait me manquer. Si elle avait était partante pour remettre ça, elle n'aurait pas eu besoin de se faire prier. Malheureusement pour moi, il y avait déjà quelqu'un qui faisait vibrer son petit cœur. Je ne pouvais pas lui en vouloir, c'était pas comme s'il y avait eu une chance pour que je lui apporte plus que du sexe. Sur le moment, j'avais été déçu, et j'avais exprimé ma frustration de la pire des manières. En l'envoyant balader, sans ménagement. C'était moche quand même, je le savais bien. Cependant, ce n'était pas la première fois que je me débarrassais d'une nana avec aussi peu de délicatesse. Mais d'habitude, je m'en fichais de blesser mes conquêtes. Honnêtement, avec Grace, ça m'ennuyait. Même si je ne savais pas trop pourquoi. Je ne voulais pas qu'elle reste focalisée sur cette mauvaise image que je lui avais renvoyé ce soir-là. J'avais une réputation suffisamment déplorable comme ça...

- Moi aussi, j'ai envie d'apprendre à mieux te connaître et en tout bien tout honneur. Puis pour la drague, je ne m'inquiète pas pour ça, je pense qu'on est passé à autre chose maintenant. Ne pensons plus à la fin de cette soirée et gardons le meilleur. Qu'en penses-tu ? Je pense que l'on pourrait effectivement devenir amis, tous les deux.

Oui, on était tous les deux passé à autre chose. Elle, parce que je l'avais jetée comme une malpropre et qu'elle en aimait un autre. Et moi, par la force des choses. Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais continué à la courtiser, mais ça ne dépendait pas de moi. Elle voulait qu'on en reste là, alors je n'insisterais pas. J'étais peut-être du genre dragueur, mais je n'étais certainement pas un harceleur ! Si je sentais que c'était mort, je laissais tomber. Normal, quoi.

- Je suis d'accord. C'est cool de ta part. Je suis content que tu le prennes comme ça, lui répondis-je avec un sourire sincère.

Certaines de mes conquêtes s'étaient offusquées et m'avais maudit sur plusieurs générations pour moins que ça. Pourtant, au fond, ce qui s'était passé avec Grace n'était pas si grave que ça. Je m'étais mal exprimé et je l'avais blessée sans le vouloir vraiment. Mais en soi, il ne nous était pas impossible de nous en relever. Ce n'était pas comme si nous avions été un vrai couple et que je lui avais fait des promesses en l'air. On n'avait passé qu'une seule soirée ensemble, on ne se connaissait même pas et on n'avait rien partagé de plus que du sexe. Alors, il n'y avait pas de raison pour qu'on ne puisse pas tourner la page. Malgré ça, elle aurait quand même pu m'envoyer bouler, puisqu'elle avait toutes les raisons du monde de ne pas souhaiter me revoir, même pour une éventuelle amitié. Elle avait peut-être réussi à voir en moi que je n'étais pas si mauvais. Ou alors j'étais vraiment un connard de première, et elle se faisait des idées sur mon bon fond. Je ne savais pas trop, je ne pouvais pas être objectif vu qu'il s'agissait de moi. Mais j'aimais à croire que je n'étais pas pourri jusqu'à la moelle et qu'il y avait une part de bonté en moi, aussi discrète soit-elle.

- Disons que ça m'a demandé beaucoup de temps, de patience et d'investissements mais je suis fière d'en être la propriétaire. Pourtant j'étais pas réellement prédestinée à finir à la tête d'une boîte de nuit...

Je haussai un sourcil en souriant, me demandant ce à quoi Grace était prédestinée en premier lieu. Elle était pleine de surprises et j'étais curieux d'en savoir un peu plus sur elle.

- Comment ça ? Tu pensais faire quoi comme boulot à la base ?

Grace et moi semblions sur la même longueur d'ondes. On avait eu un accrochage, par ma faute, mais ce n'était rien de plus que ça. Elle s'en était visiblement déjà remise et ne ruminait pas à mon égard une rancœur insurmontable. Tant mieux, ça en faisait une de moins qui me détestait. Il y en avait suffisamment comme ça. J'avais tendance à m'attirer les foudres des filles avec qui j'avais été intime. Notamment celles qui se faisaient des films toutes seules dans leurs têtes, s'imaginant qu'après une coucherie d'un soir on finirait par partager quelque chose de plus. Ce n'était pas que de leur faute cela dit. Je devais avouer qu'il m'était arriver de faire des promesses en l'air pour convaincre des nanas qui me plaisaient de succomber à mon charme. Je leur disais ce qu'elles voulaient entendre, je laissais planer le doute et les laissais croire que je pouvais éventuellement m'éprendre d'elles sur le plan émotionnel. Ça n'était jamais arrivé. Et j'en étais parfaitement conscient au moment-même où j'évoquais un potentiel désir d'entretenir une relation sérieuse avec elles. C'était dégueulasse, je sais... J'étais une crapule en fait.

- Tu sais, on risque de se croiser en ville. Plus d'une fois d'ailleurs. Je ne veux pas que ce soit un moment horrible, que ce soit pour toi ou pour moi. Après tout, il y a bien plus grave dans la vie.

J'étais surpris de voir à quel point elle le prenait bien et sa facilité à être lucide sur le peu d'importance qu'avait cet incident au final. Elle était beaucoup plus éclairée que la plupart des femmes que j'avais côtoyées dans ma vie. Peut-être parce qu'elle était plus âgée. Elle avait la tête sur les épaules de toute évidence, et ne se laissait pas peiner par ce genre de manque de considération. Et puis surtout, elle n'avait aucune attente me concernant, ça facilitait grandement les choses.

- On est bien d'accord là-dessus, il y a pas mort d'homme. Et puis, moi aussi j'ai envie qu'on puisse se recroiser sans que ce soit désagréable pour nous deux, lui répondis-je en souriant.

Le fil de la discussion s'adoucissait nettement et j’étais ravi de la tournure que prenaient les choses. J'étais plus détendu, content de mettre cet écart de conduite de ma part derrière nous. Peut-être trop détendu ? Maintenant que je savais qu'elle n'était plus offensée par la façon dont je l'avais plus ou moins jetée de chez moi, je pouvais à nouveau prendre plaisir à la regarder, oubliant notre prise de bec passée. Elle était toujours aussi belle et sexy. Grace était vraiment unique en son genre, tant par sa personnalité que par son physique outrageusement avantageux. Je me permis de plonger mon regard dans son décolleté pigeonnant, me rappelant de notre première rencontre. C'était quand même dommage que les choses aient mal tourné, j'aurais bien refais un tour de manège.

- En réalité, c'est un métier que j'ai pu faire. J'étais administratrice judiciaire pendant plusieurs années mais ce n'est pas du tout un domaine dans lequel je m'épanouissais et je me suis lancée dans une reconversion des plus totale.

J'acquiesçai d'un air impressionné, je m'en donnais l'air en tous cas, ne sachant même pas ce que c'était qu'une administratrice judiciaire. Quelqu'un qui... administre ? Des trucs apparemment... judiciaires ? Bref, c'était totalement abstrait pour moi. En tous cas ça sonnait grave ennuyeux ! Heureusement, je pouvais me distraire en observant les courbes de Grace, délicieusement moulées dans une robe qui lui allait comme un gant. Merde ! Je venais de lui dire que j'avais envie d'apprendre à la connaître et, même si c'était la vérité, voilà que j'écoutais à peine ce qu'elle disait, trop occupé à la reluquer. Pour ma défense, son ancienne carrière n'avait rien de palpitant, et son corps magnifique avait de quoi retenir toute mon attention.

- Et toi alors, ce serait quoi le boulot que tu rêverais de faire ?

Voilà une question qui me fit grimacer. Haussant les sourcils, je me creusai la tête. Pas seulement pour lui répondre, mais aussi pour moi en fait. Je crois que je ne m'étais jamais posé la question. J'avais utilisé mes études supérieures comme prétexte pour rallonger un peu ma folle adolescence et retarder mes débuts dans la vie active. Au final, je n'avais jamais rien fait dans la vie en ayant pensé à mon avenir au préalable. J'avais été à la fac, mais je n'avais pas étudié quoi que ce soit. Et maintenant je bossais dans un bar, sans aucun enthousiasme.

- Heu... Bonne question.

Il n'y en avait aucun au final. Il n'y avait pas de job qui me faisait rêver. Je n'avais jamais pris le temps de me poser la question et de chercher ce qui pouvait m'intéresser professionnellement parlant, sachant probablement que c'était peine perdue.

- Honnêtement si le fric pouvait tomber du ciel, ça m'arrangerait... plaisantai-je en souriant.

Oui enfin... J'étais sérieux en fait. Mais avouer qu'on était un branleur, ça passait toujours mieux sur le ton de la plaisanterie. Je ne pouvais pas assumer ouvertement que dans la vie, j'avais pour seule et unique vocation de glander et de faire la fête. C'était le genre de trucs qui attiraient des regards désapprobateurs. Les gens en général jugeaient mal le manque d'ambitions et d'aspirations. En plus de ça, Grace avait dû trimer pour en arriver là où elle en était aujourd'hui. C'était typiquement le genre de personnes devant qui je ne pouvais pas assumer mon envie de rien foutre de ma vie.

- Et sinon, tu fais quoi de ton temps libre quand t'es pas en train de bosser ici ? demandai-je avec un air malicieux que je ne parvenais pas à dissimuler.

Peut-être que c'était dans ses habitudes de trainer dans les bars en quête de soupirant éphémères. Et peut-être même que, vu qu'il n'y avait plus de tensions entre nous, on pourrait éventuellement envisager de partager à nouveau de bons moments, même en catimini si elle souhaitait que ça reste secret. Putain ! Chassez le naturel et il revient au galop comme un putain de boomerang ! Je lui avais dit que je la draguerais plus et j'étais déjà en train de déraper... Bon, j'avais rien fait de mal, j'avais juste imaginer des trucs salaces dans ma tête en repensant à cette fameuse soirée. J'y pouvais rien, cette nana c'était une vraie sirène. Elle avait un genre de pouvoir hypnotisant auquel j'avais du mal à résister.