pushin' too far (woody)

Il avait si longuement été habité par la colère, Woody. Sa rage avait pendant plusieurs années dicté sa conduite. Il avait trop souvent sorti les poings plutôt que les mots. Aujourd'hui, son calme ne prenait pas source dans une grande sagesse, non. Son calme coulait du vide qui creusait son chemin dans l'être du trentenaire. S'il ne réagissait pas plus que ça, Woody, c'est qu'il n'en avait plus l'énergie, plus la force. Il y avait trop peu d'émotions qui l'habitaient, autant les bonnes que les mauvaises. Il était comme ... éteint. « C'est pas comme si j'en voulais, du soutien de qui que ce soit, hein. » Lâcha-t-il, bien conscient qu'il avait repoussé tout le monde, et que cette attitude n'avait probablement pas aidé sa relation avec Elias. S'il avait été ouvert dès le départ, ce fossé ne se serait peut-être pas creusé entre eux. Il l'avait quand même bien cherché, l'aîné. « Vous la subirez tous aussi, ma condition, à un moment. C'est un peu pour ça que j'ai pas cherché plus que ça à nous réconcilier ... T'étais le seul au fond qui semblait faire ce que je voulais : tu t'éloignais de moi. » Le trentenaire soupira en haussant les épaules. « Mais j'suis plus certain que ce soit ce que je veux. J'vois bien que ça n'aide personne. Pas moi, pas les autres. » Et Woody avait de plus en plus peur de se retrouver complètement seul, finalement.

Mon frère est particulièrement doué pour repousser les gens, même pour repousser ceux qui l’aiment sans condition. Il me l’avoue sans langue de bois, il voulait que je m’éloigne de lui, cette distance, il l’a désiré. Et au fond de moi, je crois que je l’ai voulu moi aussi, un peu. C’était plus facile, de laisser monter la rage, plutôt que d’affronter le désarroi profond. Je hoche la tête, trouvant écho dans les explication de Woody. Il a voulu cette distance, oui, mais aujourd’hui, c’est différent. Il avoue que ce n’était peut-être pas la solution. Une drôle de sensation s’infiltre en moi, comme si la pression se relâchait d’un seul coup. Une tension trop longtemps contenu.
— C’est déjà un bon début d’en prendre conscience, je lui dis avec un sourire d’encouragement.

Un haussement d'épaules plus tard, Woody soupira en jetant un coup d'oeil vers la fenêtre. « I guess. » Souffla-t-il seulement tout en regardant leur mère qui s'affairait encore au jardin. Elle avait son chapeau de soleil sur la tête, son sécateur dans les mains, ses pantalons beiges en lin aux genoux tachés par la terre. Elle regardait de temps en temps vers la maison. Woody esquissa un faible sourire en secouant la tête lentement, de gauche à droite. « On devrait aller la chercher, maman. Lui dire qu'elle n'a plus besoin de nous laisser du temps et de l'espace. Sinon elle va se mettre à couper ses belles plantes, faute de mauvaises herbes à continuer d'arracher. »  L'aîné de la fratrie termina son verre d'eau d'un trait et se leva de sa chaise. Ce moment de confidences avec son frère avait assez duré et il ne se sentait déjà plus trop à l'aise dans ces émotions-là.

FIN