(Not) nice to meet you - [Marlon]

J'avais pas été bosser hier soir... Toute cette histoire avec Amara me prenait grave la tête. J'avais jamais été dans cet état à cause d'une fille, et j'étais pas sûr de kiffer ça. De toute façon, c'est pas comme si j'avais le moyen de désactiver mes sentiments avec un interrupteur. Ils étaient là, que je le veuille ou non. J'adorais Ams', et j'attendais que ça que les choses se concrétisent entre nous, mais ça me faisait aussi carrément flipper ! J'avais peur de la faire souffrir, de la décevoir, et de perdre jusqu'à son amitié. Je risquais de tout gâcher en m'embarquant là-dedans, mais on en avait parlé et il était trop tard pour faire marche arrière. On ne pouvait pas effacer ce qu'on s'était dit et faire comme si de rien était. En tous cas, je n'en étais pas capable.

Tant pis pour le taf, j'irais ce soir. C'était pas la première fois que je désertais de toute façon. Et puis si, avec un peu de chance le gérant n'avait pas été présent la veille, vu qu'il n'était pas toujours là, je savais que Oz ne m'aurait pas balancé. Chelsea non plus. Par contre, j'espérais que Luna n'était pas de service, parce qu'elle se serait pas gênée pour cafter. Elle prenait son job beaucoup trop à cœur à mon goût...

Je m'étais levé tard, vu que j'avais pas réussi à m'endormir avant 4h du matin, encore perturbé par la conversation que j'avais eu avec Ams' et le léger accrochage qu'on avait eu par textos. On était pas encore ensemble officiellement que c'était déjà le bordel dans ma tête et dans mon calcif ! Oui parce qu'en plus je devais accuser le coup de la monogamie vers laquelle je m'engageais difficilement. Je n'avais jamais été fidèle avant, alors je devais avouer que je n'étais pas serein quant à mes capacités à laisser mon passé de queutard derrière moi.

Bref, quand je voulais m'isoler, comme aujourd'hui, j'allais au skate park. Pourtant je ne faisais pas souvent du skate. Ces temps-ci, j'y allais surtout pour décompresser. Je me calais dans un coin pour fumer ou pour picoler, au calme, sans forcément être obligé de causer avec qui que ce soit. C'était presque 14h quand j'arrivai au skate park. Je m'assis sur le rebord d'une rampe et regardais les deux seuls skaters présents sans vraiment d'enthousiasme. Je me roulai un joint et décidai de le fumer tout seul, histoire de me vider la tête. Je regardais autour de moi pour tuer l'ennui et aperçus un mec aux cheveux bleus qui passait par là. Je me redressai et plissai les yeux à cause du soleil. Marlon... C'était le mec qui arrêtait pas de commenter l'insta de Ams'. Des commentaires qui ne plaisaient pas du tout. Et comme si ça ne suffisait pas, il en laissait aussi sur l'insta de ma petite sœur. Ce qui me saoulait tout autant. Ils avaient même l'air de bien se connaître. Je ne savais pas qui c'était ce mec au final, mais je me demandais s'il ne jouait pas sur les deux tableaux. J'étais mal placé pour juger, mais il s'agissait d'Ams' et de ma sœur. Alors j'avais le droit de pas kiffer ce qui avait l'air de se tramer. Et j'avais pas non plus envie d'avoir de la concurrence auprès d'Amara. Déjà que j'étais loin de la mériter, si en plus j'avais un rival, ça s'annonçait merdique.

Je me levai, tirant sur mon joint pour essayer de garder mon calme qui semblait déjà commencer à m'échapper. Je n'avais rien de concret à reprocher à Marlon, mais je ne pouvais pas m'empêcher de le détester. J'aimais pas ses commentaires, j'aimais pas la possibilité qu'il puisse se passer un truc entre lui et Amara, ou entre lui et ma sœur. Je le sentais pas, c'est tout. Je m'arrêtai net devant lui, ne sachant même pas s'il savait qui j'étais.

- C'est toi Marlon, non ? demandai-je comme si j'avais un doute.

Je n'en avais pas. Je le regardais en fronçant légèrement les sourcils, tant à cause du soleil qu'à cause de mon agacement.

Il avait l'air surpris de voir que je savais qui il était, d'ailleurs il m'observait avec autant de méfiance que je le regardais avec dédain. Puis soudain, il sembla deviner qui j'étais, esquissant un sourire qui témoignait d'un amusement mal placé. Il se moquait de moi ou je rêvais ? On ne s'était jamais rencontré, mais il devait avoir entendu parler de moi, vu qu'il côtoyait ma sœur et Amara. Je ne savais pas à quel point il était proche d'elles, mais ça me dérangeait quel que soit le degré de cette proximité. Je n'avais pas envie de devoir partager Ams' avec qui que ce soit, même sur le plan amical. Certes elle avait d'autres amis, mais d'après ce que j'avais lu sur insta, Marlon avait l'air de faire partie de ses plus proches amis. Et ça je pouvais pas l'encaisser. Ça ne tenait même pas à Marlon en particulier, je crois que ça aurait été quelqu'un d'autre, j'aurais réagi pareil. Après tout, je ne le connaissais pas, je n'avais pas de raison d'avoir quoi que ce soit de personnel contre lui. Mais j'aimais à penser que c'était un connard, ça me donnait l'illusion d'éprouver une haine légitime à son égard. Mais au final, je lui en voulais simplement d'être présent dans la vie des deux femmes que j'aimais. On m'avait souvent reproché d'être possessif, ce qui était assez paradoxal vu que je m'attachais rarement aux gens. Je n'avais jamais ressenti quoi que ce soit qui se rapproche de près ou de loin à de l'amour jusqu'à Amara. Et ma sœur, ben c'était juste ma sœur quoi, donc forcément je l'aimais comme je pouvais aimer personne d'autre ! Et forcément, j'avais envie de la protéger de tous les tocards dans mon genre qu'elle pouvait rencontrer. J'ignorais si Marlon était de ceux-là, mais je le supposais par défaut, ne me basant sur rien de concret, parce que je ne prenais pas de marge d'erreur quand il s'agissait d'envisager que ma petite sœur puisse avoir le cœur brisé.

Finalement, tout ça n'était peut-être bien qu'un malheureux concours de circonstances placé dans un mauvais contexte. Mais je n'arrivais pas à lutter contre ce que je ressentais à l'encontre de ce mec à qui je n'avais jamais parlé jusque là. Les arguments que j'utilisais pour tenter de me convaincre que ma haine envers lui était justifiée, ne pouvait persuader que moi. Mais tant pis ! Je ne savais pas me raisonner quand il s'agissait des gens que j'aimais, et si ce Marlon devait en faire les frais, j'en avais rien à foutre !

- Oh, River ? C'est ça ?

Je ne répondis même pas, le fixant de mon regard toujours aussi peu enclin à faire du copinage avec celui que je voyais comme un rival.

- Tu me veux quoi ?

J'avais une furieuse envie de lui casser la gueule honnêtement, même s'il n'avait, à ma connaissance, rien fait pour mériter ça. Mais rien que sa façon de me sourire m'horripilait au plus haut point. Il avait dû le sentir à des kilomètres que j'étais du genre à vriller pour trois fois rien, et il avait l'air de beaucoup s'en amuser. Il n'en fallait pas plus pour me gonfler comme c'était pas permis !

J'écrasai mon bédo sous ma godasse et rangeai mes mains dans mes poches, toisant mon interlocuteur sans cacher le mépris que j'avais pour lui.

- Tu connais Amara, je crois ? Vous êtes quoi en fait, des potes ?

Je n'étais pas du genre à prendre des pincettes, ni même à tourner autour du pot. Et mon côté cavalier avait tendance à agacer la plupart des gens. "Cavalier" c'était peut-être même un mot un peu trop gentil pour dire "arrogant". Je serrais les poings dans mes poches, déjà énervé, alors qu'il n'avait encore rien dit. Mais rien que sa gueule me revenait pas. Même si les cheveux bleus, je trouvais ça plutôt cool. Kaz aussi devait probablement trouver ça très cool... Fait chier, putain !

Ne sachant rien sur Marlon, je ne savais pas trop comment il allait réagir à ma question indiscrète. Ce que je savais en revanche, c'est que  je n'apprécierais pas de ne pas avoir de réponse. J'aurais aussi bien pu demander à Ams', ça m'aurait évité de me mettre dans une situation potentiellement conflictuelle, mais j'étais tombé sur lui. Je ne pouvais pas passer mon chemin et l'ignorer. Et puis, Amara m'aurait probablement reproché d'être jaloux alors qu'on n'avait encore rien commencé et que je n'étais plus très sûr qu'elle ait toujours envie qu'on soit plus que des amis.

Marlon était légèrement plus grand que moi, mais ça ne m'inquiétait pas une seule seconde. J'étais du genre téméraire, aussi stupide que ce soit. Alors quel que soit le gabarit du mec en face, je ne me démontais pas. Bon parfois je me faisais démonter par contre, mais pas toujours. Les plus grands ne sont pas toujours les plus rapides, et les plus costauds ne sont pas toujours les plus forts. De toute façon, je ne réfléchissais pas à ce genre de détails et me contentais de constater ça sur le tas.

- Et je peux savoir ce que tu fous à trainer avec ma sœur ? C'est une gamine, tu peux pas te trouver une nana de ton âge ?

Je voyais Kaz comme une petite chose fragile, peut-être plus qu'elle ne l'était. Mais elle avait un cœur en or et attirait souvent le genre de mecs qui aimaient en profiter. Je ne savais pas exactement quel âge avait Marlon, mais de toute évidence il était plus âgé. Je n'avais pas envie de voir roder un mec de son âge autour de ma petite sœur à peine sortie de l'adolescence...

Je n'étais pas non plus ravi de cette rencontre, même si c'était moi qui avais pris l'initiative de venir parler à Marlon. J'aurais simplement préféré ne pas le croiser. Mais l'ayant aperçu, je ne pouvais pas résister à l'envie de mettre les choses au clair avec lui. Ce n'était peut-être pas très futé, mais mon instinct et ma jalousie prenaient toujours le dessus sur ma raison, si tant est que j'en sois doté.

Je fronçais un peu plus les sourcils en entendant son rire moqueur. Je n'aimais pas du tout sa désinvolture, même si j'avais tendance à me montrer tout autant impertinent avec la plupart des gens. Je comprenais maintenant que ça puisse saouler mon entourage. Mais j'aurais bien vite oublié cette empathie.

- T'es sérieux ?

J'inspirai lourdement à sa question rhétorique, déjà bien gonflé par sa réaction. Évidemment que j'étais sérieux, putain ! Il avait l'air de minimiser l'intérêt que ça avait pour moi, ou plutôt il s'en fichait royalement. Ce n'était pas étonnant cela dit, il ne me connaissait pas, il ne me devait rien. Mais comme je n'étais pas du genre à me mettre à la place des autres, je me focalisais uniquement sur ma propre contrariété, sans me soucier une seconde que ça puisse le faire chier de se faire emmerder alors qu'il n'avait rien demandé.

- Ouais, avec Amara on se côtoie depuis un moment. On est potes, rien d'autre si ça peut te rassurer. Ça te dérange ?

Rien d'autre ? J'en doutais. Ses commentaires sur la toile me paraissaient bien déplacés pour quelqu'un qui n'avait aucunement l'intention de passer à l'attaque avec Amara. Et il faisait exactement pareil avec Kaz, jouant sur les deux tableaux. C'était en tous cas la déduction que j'avais faite. Peut-être que je me montais la tête tout seul, mais dans le doute je préférais foncer dans le tas plutôt que d'ignorer cette menace de concurrence qui planait au-dessus de moi.

- J'apprécierais que t'évites de dire à ma nana que tu la trouves sexy, tu vois... répondis-je en serrant les dents.

Ok, je m'avançais un peu... Ams' n'était pas ma nana, il n'y avait encore rien eu de concret entre nous, mais notre dernière discussion était suffisamment éloquente pour que je sois convaincu d'une issue romantique. Cependant, elle s'était montrée réticente à s'engager dans une relation avec moi, et je ne pouvais pas lui en vouloir. Tant pis pour le petit mensonge que je venais de lâcher à Marlon. Si ça pouvait l'inciter à garder ses distances avec celle que mon cœur convoitait, ça ne m'empêcherait pas de dormir la nuit. De toute façon, jamais le fait de mentir ne m'avait perturbé au point de m'en faire un cas de conscience. Raconter des bobards, ça ne me posait aucun problème tant que ça servait mes intérêts. La fin justifie les moyens, après tout !

Lui souriait toujours, moi pas du tout. Je voyais bien que je le gonflais, même s'il ne laissait paraître que l'amusement qu'il avait à me voir aussi agacé. Je supportais pas qu'on se foute de ma gueule quand j'étais sérieux. Ça n'arrivait déjà pas souvent, alors je voulais être entendu, bordel de merde !

- J'peux savoir tu te prends pour qui ?

Marlon perdait enfin son sourire, ce qui me rendit le mien par contre. Il perdait enfin le contrôle. Non pas que ça m'amuse mais... Si, si carrément en fait ! Ça m'amusait grave ! J'étais trop un sadique... Mais je préférais le voir perdre son sang-froid que de continuer à me narguer comme il le faisait depuis le début de cette conversation.

- T'es qui pour me dire avec qui traîner ? poursuivit-il en me menaçant du regard.

- Qu'est-ce que ça peut t'foutre ? On s'entend bien, on s'apprécie, je vois pas où y a le mal ?

Marlon s'avançait lentement vers moi, m'obligeant à reculer à moins que je ne décide de lui envoyer un coup de boule. Trop tôt... Je voulais le voir perdre un peu les pédales avant.

- Tu joues sur les deux tableaux avec ma meuf et ma sœur en même temps, normal que j'apprécie pas... répondis-je en le fixant moi aussi, mais en souriant de plus belle.

Mon interlocuteur perdait visiblement patience et sortis les mains de ses poches pour me pousser. Sérieux, on allait jouer à ça ? Ok ! Je n'étais pas du genre raisonnable de toute façon.

- Je te conseille d'arrêter de monter sur tes grands chevaux. T'es personne pour me dire qui je dois voir ou non.

Putain que je m'aimais pas ça les conseils ! Surtout quand c'était plus des menaces qu'autre chose. Je fronçais à nouveau les sourcils... Personne ? Je me trouvais au contraire particulièrement concerné par les agissements de Marlon quand il s'agissait de Kaz et d'Amara. Et que ça lui plaise ou non, j'avais bien l'intention de m'en mêler. Fouille-merde que j'étais en plus, je lâchais encore moins l'affaire quand mon rival se mettait à me menacer. Plus il essaierait de me dissuader de lui chercher des poux, plus je l’emmerderais. J'étais une putain de teigne !

- "Tu me conseilles ?" Trop aimable à toi, mais moi je te conseille de foutre la paix à Ams' et ma sœur.

- T'as rien d'autre à foutre que de venir m'emmerder avec ta jalousie de prépubère ?

Prépubère ? Quel enfoiré, putain ! Il croyait vraiment pouvoir tout miser sur ses quelques années de plus que moi ? C’est pas parce qu'il était plus âgé qu'il avait un quelconque droit d'exiger que je lui foute la paix. J'en avais rien à foutre de son délire "moi je suis adulte, je joues pas dans un bac à sable..." Je supportais pas les gens qui se servaient de mon jeune âge comme d'une excuse pour me mépriser.

- Va te faire foutre, tocard !

Ok, j'étais vexé... Dans ces cas-là, je lâchais les mots comme ils venaient, sans filtre. J'avais réussi à piquer où ça faisait mal et lui aussi. On se toisait maintenant comme deux chats prêts à se sauter à la gorge. J'étais bien content que ni Amara ni Kaz ne soient là pour assister à notre prise de bec, ni l'une ni l'autre n'aurait pu comprendre...

- Que ça te plaise ou non, je continuerai de voir Amara et Kaz, tu peux compter sur moi. Va falloir que tu t'y fasse.

Je secouai la tête en signe de désaccord. Hors de question ! Maintenant qu’il m'avait bien gonflé en plus, je ne lâcherai pas l'affaire. Quelque soit l'issue de ce conflit, je persisterai. Il ne me connaissait pas, sinon il se serait douté que c'était peine perdue d'essayer de me faire entendre raison. Si je devais lui pourrir la vie de bien des façons pour le convaincre d'abandonner, je ne me gênerai pas. Et puis, je savais être inventif quand il s'agissait de me venger de quelqu'un.

- Ça, mec, ça va pas être possible. Je m'y ferai pas. Alors tu vas te trouver n'importe quelle meuf, j'en ai rien à foutre, mais t'arrêtes de tourner autour d'Amara et de Kaz !

En réalité, je m'en foutais bien que Marlon soit plus âgé. Moi-même je ne regardais pas l'âge de mes partenaires. Plus jeunes, plus vieilles, ça m'était complètement égal. Mais c'était le seul argument valable que j'avais trouvé contre Marlon.

J'avais envie de lui défoncer la gueule, mais je savais que Kaz m'en voudrait. Ams' probablement aussi. Quoi que, fallait-il encore que l'incident ne revienne à leurs oreilles. Et ce n'était sûrement pas moi qui irais leur en parler. J'avais pas envie de les avoir contre moi. Je ne voulais pas gâcher mes chances avec Amara, et je n'aimais pas que ma petite soeur m'en veuille. Je ne supportais pas ça, même. L'idéal serait que Marlon porte le premier coup, comme ça je pourrais dire que c'était pas de ma faute et que je m'étais simplement défendu. Peut-être même que je pourrais passer pour une victime, ce qui me permettrait de ne pas m'attirer les foudres des deux femmes de ma vie, tout en faisant passer Marlon pour un vrai connard, les incitant à le sortir de leur vie. Ça paraissait simple, peut-être trop simple. Mais je ne connaissais pas Marlon. Avec un peu de chance, il laisserait sa rage parler et je n'aurais rien à faire du tout pour le faire dégager de la vie de Kaz et celle d'Amara.

- C'est quoi ton problème en fait ? T'es une espèce de marginal mal dans sa peau ? demandai-je en faisant référence à la couleur de ses cheveux, qui pouvait passer pour un délire qui correspondait plus à un ado qu'à un mec de son âge.

- Du coup, tu t'accroches à des nanas qui sont trop gentilles pour t'envoyer bouler ? Et puis tu sais, c'est pas parce qu'elles font comme si elle t'aimaient bien que c'est le cas. Je pense en fait qu'elles ont pitié de toi, tu vois ? Parce que ça se voit que t'as des problèmes dans ta vie. Et elles sont trop altruistes pour envoyer balader un pauv' mec dans ton genre.

J'avais plus de chance de lui faire mal avec mes mots qu'avec mes poings. Cela dit, l'envie de lui maraver la gueule me démangeait toujours les doigts. Mais je résisterai autant que possible, de manière à ne pas me mettre dans une mauvaise posture. Il fallait simplement que j'attende qu'il sorte de ses gonds une bonne fois pour toutes. Ce qui me semblait imminent. Quand je voulais agacer quelqu'un, j'étais le roi. Personne jusque là n'avait réussi à ne pas vriller en m'entendant déblatérer des saloperies sur son compte. Et vu l'état de nervosité de Marlon, je doutais qu'il déroge à la règle.

- Tu sais, si t'as des soucis, y a des gens qui peuvent t'aider, des gens dont c'est le métier et qui sont payés pour ça. Ça t'éviterait d'abuser de la gentillesse des nanas, tu vois ? demandai-je sur un ton faussement innocent.

C'était à mon tour de me moquer de lui ! Je le regardai avec un faux air compatissant, comme si j'avais pitié de lui et posai une main sur son épaule pour le pousser à mon tour. Le voir à deux doigts de péter les plombs me fit esquisser un sourire machiavélique tandis que je me délectais d'attendre patiemment sa réaction.

C'était sorti tout seul, sur le moment, mais je n'aurais pas dû dire ça. Si ça revenait aux oreilles de Ams', je ne savais pas si elle le prendrait bien que je me sois avancé en racontant à Marlon qu'elle et moi on était ensemble. Mais c'était la seule raison valable que j'avais trouvé pour exiger de lui qu'il garde une certaine distance avec elle. Si je lui avais dit qu'on était simplement amis, il se serait demandé pourquoi ça me dérangeait qu'il complimente Ams'. Et ça lui aurait paru parfaitement illégitime comme requête. Ce qui était le cas... Je n'avais aucun droit de décider qui avait le droit de dire quoi à Amara. Mais quand il s'agissait d'elle, j'avais tendance à débrancher mon cerveau pour laisser parler mes émotions. Et ça me saoulait ! J'arrivais pas à contrôler ça.

- Quoi ? T'es le mec de Amara ? Elle ne m'a jamais dit qu'elle était casée.

Il avait l'air surpris. Normal, c'était un bobard. A sa tête, je voyais bien qu'il ne me croyait pas une seule seconde. Mais c'était pas ça l'important. Ce qui comptait c'était que le message passe et qu'il comprenne qu'il ne devait rien tenter avec Ams'.

- Ben peut-être qu'elle te l'a pas dit parce que vous êtes pas si proches que ça, finalement, répondis-je tout fier.

- Mais qu'elle soit ta copine ou non, j'ai bien le droit de lui dire ma façon de penser. Y a rien de méchant. Si ça ne lui plaît pas, j'arrêterai, mais certainement pas parce que tu me l'auras demandé. Puis quoi ? T'es le genre de gars à stalker les faits et gestes de sa petite amie ? Tu manques de confiance ?

Je grimaçai en fronçant le nez, me sentant un peu insulté. Même si oui, j'étais curieux. Et cette curiosité me poussait parfois à envahir l'intimité des autres. Je n'avais jamais été jusqu'à fouiller dans le téléphone d'Amara, il n'y avait eu aucune raison jusque là. Je n'avais pas espionné celui de ma sœur non plus. Mais j'avais désormais des raisons de m'inquiéter. Kaz avait déjà eu le cœur brisé et c'était insupportable pour moi. Alors voir ce type plus âgé lui tourner autour me faisait douter de ses intentions. Je ne savais pas si elles étaient honorables, et je ne voulais pas prendre de risques. Alors si pour la protéger je devais jeter un œil à ses messages, je ne me gênerais pas. Cela dit, je me garderais bien d'en informer la principale intéressée. Pour ce qui est d'Amara, on venait tout juste de s'avouer nos sentiments mutuels, et comme je n'étais pas sûr d'arriver à conquérir son cœur, j'avais forcément un peu peur de la concurrence.

- Je la stalke pas, putain ! Et j'ai aucun problème de confiance !

J'avais essayé de dire ça avec le plus d'assurance possible, mais même moi je me trouvais pas convaincant. Putain, j'étais trop un gros naze ! Dire qu'une fille arrivait à me faire perdre pied... J'en revenais pas moi-même. C'était pas le genre de trucs que j'avais anticipé. Je n'aurais jamais imaginé me mettre à douter de moi à cause d'une nana. D'ordinaire, personne me faisait perdre la confiance !

- Je joue sur les deux tableaux ? Que de conclusions hâtives. T'as pas autre chose à faire que d'emmerder les gens ? Tu crois vraiment c'que tu dis ? Si ça te fait plaisir de penser ça, grand bien te fasse. Je n'ai pas de compte à te rendre.

- C'est juste un constat évident. Ça se voit, c'est tout. Et si, justement ! Excuse-moi de te le dire, mais t'as des comptes à me rendre. Parce que d'après ce que j'ai vu, tu serais en train de te préparer à briser le cœur de ma petite sœur et de ma nana. Alors je suis concerné, tu vois...

En fait, je ne savais pas ce qu'il avait derrière la tête. Peut-être bien que c'était moi qui m'emballait pour rien, ce serait pas la première fois. J'avais supposé par défaut que Marlon ne pouvait être qu'une menace. Je ne m'étais même pas demandé s'il y avait une chance pour que j'aie tord. J'avais laissé la colère prendre le pas sur ma réflexion, comme toujours. Mais c'était trop tard pour revenir en arrière. J'allais pas m'excuser non plus... En plus de ça, la réaction de Marlon ne faisait qu'amplifier mon agacement, donc impossible pour moi de faire redescendre la pression.

- Oh oh, petit roquet sort les crocs. J'm'en bats les couilles de ce que tu m'dis, on est juste potes. Et même si t'étais vraiment en couple avec Amara, je continuerai à la voir, je lui tourne pas autour, arrêtes ta psychose.

De quoi ? Je restai muet quelques secondes, en le fixant, sourcils froncés, lèvres pincées, ruminant cette putain de phrase qu'il venait de me sortir.

- "Petit... roquet ?" répétai-je, contenant tant bien que mal un pétage de plombs imminent.

Voilà qu'il recommençait à se foutre de ma gueule ! Putain, il me foutait grave les nerfs ! J'aimais pas qu'on me prenne pas au sérieux. Et je commençais à me dire que la seule façon de lui faire comprendre mon point de vue, c'était de le dérouiller. Mais je ne voulais pas avoir le mauvais rôle dans cette histoire. Il fallait que je me défende, pas que j'attaque. Cependant, j'avais de plus en plus de mal à maîtriser mon envie de lui démonter la gueule.

- Je vais pas me répéter...

Ah quand même, voilà qu'il commençait à perdre les pédales lui aussi. C'était pas trop tôt. Je gardais mon "plan B" à l'esprit, poursuivant mes efforts pour le faire enrager. Comme ça, il frappait le premier, je lui décalquais la tête et il passerait pour le méchant de l'histoire. Ça me semblait easy peasy. J'étais pas loin de toucher au but.

- Sinon quoi, bouseux ?

Lorsque je le bousculai, ce péquenaud eut le culot d'empoigner mon bras pour me faire dégager, ce qui me fit aussitôt avancer de quelques pas, absolument pas décidé à lâcher l'affaire. Encore moins d'ailleurs. Il m'avait poussé le premier, pourquoi il se permettait des trucs qu'il ne tolérait pas qu'on lui fasse ? Fallait y penser avant !

- Tu sais... De nous deux, je pense que c'est toi qui a un sérieux problème.

J'éclatai de rire, le trouvant tout à fait ridicule. Mais je n'eus pas le temps de lui répliquer quoi que ce soit, qu'il enchaina aussitôt.

- Tu es le genre de personne qui se permet de juger au premier regard, sans prendre le temps de connaître l'histoire. Tu montes sur tes grands chevaux à cause d'un pauvre commentaire sur les réseaux sociaux, tu viens me voir pour cracher ton venin et ta jalousie au visage, pourquoi ? Parce que tu dois trouver ça drôle, puis certainement parce que t'es un prépubère qui manque de confiance en lui. Alors tu déverses ta rage et ta frustration sur le premier venu, pas de bol, c'est moi.

"Juger au premier regard" ? Oui, je faisais ça. "Monter sur mes grands chevaux" ? Oui oui, ça aussi. "Jaloux" ? C’était tout à fait moi. Mais Marlon pouvait aller se gratter s'il s'imaginait que j'allais le reconnaître face à lui ou même faire amende honorable. Et il recommençait avec cette histoire d'âge et de confiance. Mais quel enfoiré, putain ! Le voir péter les plombs, je trouvais ça drôle, ouais. Entendre des trucs comme ça, ça me faisait pas marrer longtemps par contre...

Pas de bol, en effet... J'arrivais à foutre les nerfs aux gens assez facilement d'habitude, avec toutes sortes d'individus. Mais apparemment, ça ne marchait pas tellement sur Marlon. Je le voyais bien s'agacer mais il avait l'air de faire preuve d'un self-control que je ne comprenais pas. Je le voyais comme un kassos abîmé par la vie, qu'il était peut-être d’ailleurs, et je m'étais imaginé que c'était typiquement le genre de gars qui n'était pas capable de réfléchir et qui se contentait de foncer dans le tas. En fait, c'était plutôt moi ça... Bordel ! Ça me plaisait pas de commencer à réaliser que Marlon était peut-être pas le loser que je croyais. Il était de toute évidence moins con que je me l'étais imaginé.

- Je suis pas frustré putain... Espèce de gros connard...

Merde, il savait piquer où ça faisait mal, l'enfoiré ! J'étais peut-être tombé sur plus fort que moi. Et ça, ça me frustrait ! J'avais pas l'habitude de me retrouver face à quelqu'un d'aussi fourbe que moi, n'ayant aucun remord à parler des choses déplaisantes et à appuyer comme un gros crevard là où il fallait pas.

- Tu es ridicule, c'est d'un pathétique affligeant. S'en est même presque drôle en vrai.

En effet, c'était déstabilisant. Et j'avais pas de "plan C". J'avais un peu épuisé toutes mes ressources, là. Il me restait quoi ? Je me sentais complètement désarmé et il avait même réussi à me faire douter de la légitimité de mes attaques contre lui. Quel sale con celui-là... Je me contenais du mieux que je pouvais, mais je sentais ma mâchoire se raidir, autant à cause de ses propos que de mon manque de répartie.

- Je doute qu'elles me prennent en pitié, ça se verrait. Je sais reconnaître une amitié sincère. Mais toi, le sais-tu ? C'est vrai, Amara ne m'a jamais parlé de toi, tu prétends être son petit ami. Elle ne me l'a jamais notifié.

Il avait réussi à retourner la situation à son avantage, me regardant comme si c'était lui qui avait pitié de moi maintenant. Je serrais les dents autant que les poings, prêt à perdre le contrôle. C'était pas comme ça que ça devait se passer, putain ! Je me prenais mon stratagème en pleine tête comme un boomerang...

- Je prétends rien du tout, Ams' est avec moi, ok ? Elle est pas obligée de tout te dire non plus. T'es personne, mec. Je vois pas pourquoi elle te confierait des trucs sur sa vie privée...

Je persiste et signe malgré tout... Je me voyais pas faire mon mea culpa, surtout pas à lui ! C'était pas mon genre déjà, mais alors avec quelqu'un qui me chatouillait les poings, encore moins.

- Alors maintenant, tu vas gentiment rentrer chez toi, la queue entre les jambes et me laisser faire ma vie. Qu'importe c'que tu penses de moi, je continuerai de tourner autour de Amara et de ta sœur, comme tu dis. Qui sait ? Avec Kaz, ça ira peut-être au-delà d'une belle amitié.

Le revoilà ce putain de sourire maléfique que je croyais maitriser à la perfection et qu'il avait pourtant réussi à me piquer ! C'était l'affront de trop. Il m'en avait dit plus que je ne pouvais en entendre en gardant mon calme. L'imaginer avec Kaz me foutait carrément la haine... Pourtant je voyais bien qu'il ne le disait que parce qu'il savait que ça me ferait vriller. Après l'avoir écouté me laminer verbalement, j'avais pu percevoir qu'il était peut-être pas aussi débile qu'il en avait l'air. Alors peut-être bien que j'avais tord de m'inquiéter que ma petite soeur puisse être avec lui. Malgré cette lucidité, je ne pouvais m'empêcher de partir au quart de tour en entendant ces quelques mots qui me piquaient grave les oreilles ! Et j'étais à cours de railleries. Ce que je pouvais lui balancer de plus vache, je l'avais utilisé, en vain. Trop tard, mes limites étaient atteintes. Je regrettais déjà mon geste alors que mon poing ne s'était pas encore écrasé sur le visage de Marlon. Ça ne dura qu'une seconde, mais ça avait été suffisant pour que je me mette à apréhender la réaction de Kaz et d'Amara. Mais le mal était fait, je ne pouvais plus revenir en arrière. Je l'avais frappé. En plein dans les dents en plus ! Ça faisait un mal de chien, putain ! Mon coup le fit reculer de quelques pas, tandis que je regardais mon poing ensanglanté. Je ne savais pas trop si c'était son sang ou le mien, peut-être bien un peu des deux, parce que j'avais bien senti les crocs saillants de cet abruti m'entailler les jointures. J'avais merdé, je le savais bien... Mais c'était pas ce que j'avais prévu, je m'étais laissé dépasser par ma rage. Et maintenant ?

- Tu pourras pas dire que j'ai pas essayé de discuter... lui lançai-je avant de tourner les talons.

Oui bon, il y avait "discuter et "discuter", j'avais pas trop fait dans la dentelle non plus. Si j'avais essayé de m'exprimer plus calmement, peut-être qu'il aurait été capable d'entendre ce que j'avais à dire finalement. Je ne le saurais jamais. Tant pis, c'était fait. Et ça m'avait fait du bien.

Au moment-même où je l'avais frappé, j'avais réalisé mon erreur. Mais c'était trop tard. Je commençais déjà à redouter ce que Kaz allait dire quand elle le saurait. J'étais certain que Marlon allait se faire une joie d'aller baver ! Je me retrouvais pris dans mon propre piège. J'avais tout prévu, je croyais avoir un plan béton, et pourtant... Je m'étais fait avoir comme un bleu, putain ! Et je n'avais même pas d'arguments pour me défendre. J'avais cherché la merde le premier, et j'avais porté le premier coup. J'allais devoir cogiter un moment pour trouver un moyen d'expliquer tout ça à ma petite sœur.

Le mieux était encore d'en rester là. J'avais déjà suffisamment dépassé les bornes, fallait que je me casse de là, avant de m'enfoncer encore plus. Je m'éloignai, entendant Marlon pester dans mon dos. Peut-être que j'aurais dû courir en fait... C'était idiot de ma part d'avoir imaginé pouvoir soigner ma sortie en grand vainqueur de la bataille, partant comme ça, en toute tranquillité. Parce que Marlon n'avait pas l'air de vouloir en rester là. Je ne pouvais pas lui en vouloir, à sa place j'aurais fait pareil...

Je me doutais bien que ça se passerait comme ça, alors je ne fus pas surpris quand je sentis la main de Marlon sur mon épaule puis son poing en plein sur mon nez. J'avais déclenché tout ça et je ne pouvais pas revenir en arrière, le mieux que je pouvais faire maintenant, c'était de rien faire justement. Pourtant j'avais bien envie de poursuivre la bagarre jusqu'à ce que l'un de nous ne déclare forfait. Mais je pensais à Kaz maintenant et au fait qu'elle m'en voudrait sûrement assez comme ça... D'un autre côté, au point où j'en étais, est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ?

-  T'es vraiment une fiotte, tu me frappes et tu oses partir la queue entre les jambes. Assumes !

Assumer ? C'était pas trop mon genre ça... Mais partir la queue entre les jambes non plus. Tiraillé entre la rage et la raison, je n'eus pas le temps de réagir que Marlon m'agrippa le t-shirt. Si ça n'avait pas été pour Kaz, j'aurais foncé dans le tas sans réfléchir, sans me soucier de savoir si je pouvais avoir l'avantage ou pas. Mais c'était Marlon, quoi... Apparemment ils étaient proches, alors forcément c'était pas comme taper sur n'importe quel abruti. Je ne voulais pas que ma sœur me déteste. En comptant Amara, c'était le deux seules personnes que je n'avais pas envie de décevoir et que je redoutais vraiment de perdre. Putain, j'avais peut-être bien une conscience en fin de compte ! Ça aurait été tellement plus simple sans ça...

Marlon me fit basculer au sol, d'une croche-pied, prenant tout de même la peine de m'éviter de m'éclater le crâne au sol. Lui aussi devait penser à Kaz, je me doutais que c'était bien la seule raison qui le poussait à ne pas aller trop loin. C'était d'ailleurs pour la même raison que je luttais contre mon envie irrépressible de déverser ma colère sur lui. J'avais envie de l'insulter, de le frapper, de terminer cette altercation avec la tête de Marlon sur le pavé. Mais il y avait Kaz... Et aussi un peu ma conscience qui me disait qu'au final je l'avais bien cherché...

-  Si je connaissais pas ta sœur, je peux te jurer que je me serai fait une joie pour te dégommer la gueule. Chaque coup que tu me mettras, je te les rendrai.

C'était plutôt fair-play. Restait à savoir si je voulais m'engager là-dedans, sachant que ça ne se terminerait que quand l'un de nous deux n'en pourrait plus. Et il n'avait pas l'air prêt à se résigner. Faut dire que je lui avais bien allumé la mèche aussi. Même si au final c'était moi qui m'étais brûlé...

- Un autre conseil, rien à foutre si t'en veux pas, je te le donne quand même. Évites de te la ramener si tu veux mon avis, à ton âge, utiliser du viagra, c'est la honte.

Hein ? Du viagra ? Qu'est-ce qu'il racontait lui ? A tous les coups c'était Avery qui avait bavé sur mon compte, en évoquant ma demi-molle qui avait un peu plombé notre soirée... Ça ne pouvait être qu'elle, parce que bander mou c'était pas dans mes habitudes. Elle se vengeait en arrangeant les faits à sa convenance. C'était peut-être plus simple pour elle de raconter que j'avais pris une pilule bleue plutôt que d'avouer qu'on avait pris de la cocaïne tous les deux. Elle ne voulait peut-être pas assumer ses penchants déviants. Marlon me relâcha enfin et je me redressai en lui rendant son regard plein de dédain.

- Qu'est-ce que tu racontes, putain ? Du viagra, sérieux ? demandai-je en me marrant, essuyant le sang qui coulait de mon nez d'un revers de la main.

- C'était pas du viagra, abruti... Et ce que j'ai pris, elle l'a pris aussi. Apparemment, je suis pas le seul à avoir du mal à assumer certains trucs.

Ok, elle voulait la jouer comme ça ? Elle n'allait pas être la seule à déverser sa bile. Et puisqu'on en était aux coups bas en-dessous de la ceinture, je ne me gênerais pas pour rajouter quelques ornements à ma version de cette soirée.

- J'm'en branle de ta relation avec Ams, de nous deux, je pense que c'est toi qui ne vaut rien, elle ne prend même pas la peine de me parler de toi. Reviens pas m'faire chier avec tes histoires à la con, surtout si c'est pour m'interdire de voir du monde.

Je n'étais pas surpris qu'il me crache à la gueule des trucs qui faisaient bien mal, mais ça ne m'aidait pas à garder mon calme. Je devais pourtant trouver un moyen de me maitriser si je ne voulais pas que Marlon ait trop de choses accablantes à raconter à Kaz. Je me rapprochai de lui, face to face, expirant profondément par le nez. Voilà que la rage me remontait à nouveau en dedans, prête à exploser à tout moment.

- Si t'étais resté à ta place dés le début, on n'en serait pas là, bouffon !

Bon, la colère reprenait le pas sur la raison. Déjà que c'était pas mon trait de caractère le plus flagrant d'être raisonnable... Je le fixai droit dans les yeux, et on se toisait comme ça, prêts à se sauter à la gorge, réprimant tous les deux tant bien que mal notre envie de nous écharper. Prenant peu à peu conscience du ridicule de la situation, je ravalai ma rage, regardant un instant le sol avant de planter à nouveau mon regard dans celui de Marlon. Dans ma tête tout ça m'avait paru parfaitement légitime, mais à l'écouter parler, je me sentais un peu con... Dit comme ça, ça semblait absurde.

- Écoute... commençai-je nerveusement, contenant ma fureur du mieux que je pouvais.  Je tiens à Ams', ok ? Et j'aimerais avoir l'occasion de le lui prouver. Alors j'apprécierais que tu te mettes pas en travers de mon chemin.

Merde, voilà que je discutais maintenant... Décidément, rien ne se passait comme je l'avais prévu.

- Et ma sœur... Ben c'est ma sœur, quoi ! J'ai pas envie qu'elle se fasse briser le cœur une énième fois par un mec qui pense qu'il peut profiter de sa naïveté jusque parce que c'est une gamine.

C'était ce qui m’inquiétait au départ, mais en voyant la réaction de Marlon face à moi, j'avais le malheur de constater que je m'étais peut-être trompé... Mais peut-être pas ? Putain, je savais plus ! Je le détestais toujours autant, mais je n'étais plus très sûr que ce soit le sombre connard que je croyais jusque là. Je l'avais un peu jugé au faciès, sans trop me poser de questions. Et même si ça m'arracherait la gueule de le reconnaître, je préfèrerais largement m'être trompé sur lui. Rien ne m'était plus précieux au monde que ma petite sœur, j'étais prêt à tout pour la préserver d'éventuelles peines de cœur. Quitte à me mettre à dos un mec qui n'avait peut-être que de bonnes intentions envers elle...

- Si tu veux juste t'amuser avec une minette pour la larguer dans quelques jours, trouve-toi une autre nana et laisse ma sœur tranquille !

J'avais dit ça le plus calmement possible, même si la colère me serrait toujours les poings et la poitrine. Je ne pouvais pas faire redescendre la pression comme ça, en dix secondes.

Voilà que Marlon se prenait pour Chuck Norris... Ok, c'est naze comme référence, j'aurais pu trouver mieux. Mais ça me permet de bien accentuer le côté ringard de cette pseudo prise de... karaté ? Peut-être que Marlon il faisait ce genre de trucs, ou du kung-fu ou je sais pas quoi. Bref, son coup de pied bien que maitrisé pour ne pas me toucher, je devais l'avouer, me faisait marrer. Je me contentais cependant d'étouffer un petit rire spontané, parce que je n'avais pas envie de me manger un coup de savate dans la gueule en me moquant ouvertement de lui. Je l'avais même pas fait exprès d'ailleurs, j'avais trouvé ça drôle, c'est tout. Bruce Lee aurait kiffé, c'était sûr. Mais moi je trouvais juste ça drôle. Enfin, tant que ça finissait pas dans ma tronche, bien sûr.

- Arrêtes de m'insulter, j'vais perdre patience. Et j'pense qu'elle assume plus de choses que toi.

Ok, c'était certain, on parlait bien de la même personne. Avery, assumer ? Oui, j'étais sûr qu'elle assumait beaucoup de trucs. Après tout, elle était ouvertement facile, s'adonnant à des plaisirs sexuels avec le premier venu. Donc oui, elle assumait, oui. Grand bien lui fasse d'ailleurs, je m'en tamponnais le coquillard !

- On est bien d'accord là-dessus, je vais pas te contredire. C'est d'ailleurs tout à son honneur de se révéler au grand jour comme une gourgandine assumée.

J'étais pas vraiment le mieux placé pour critiquer sa légèreté, après tout je faisais pareil. Mais ça m'agaçait de savoir qu'elle bavait sur mon compte à tout le monde. Qu'est-ce qu'elle avait été raconter, putain ? A Marlon en plus ! Elle me le paierait cher, tôt ou tard. Il était hors de question que je la laisse salir ma réputation - oui, j'ai osé - et qu'elle s'en sorte à bon compte ! J'étais pas crétin hein, je savais pertinemment qu'on parlait déjà de moi en des termes pas très élogieux, mais quand même ! Elle en rajoutais une sacrée couche avec ses conneries !

On était prêts l'un de l'autre, trop prêts pour que ça se termine bien. J'étais de plus en plus énervé, lui aussi, et je sentais qu'on était pas prêt de lâcher l'affaire. Je ne pouvais pas le laisser avoir le dernier mot parce que... Parce que j'avais pas envie, voilà tout. Mais Marlon semblait déterminé tout autant que moi à clore le sujet comme il l'entendait. On était pas sorti du sable...

- Et quelle est ma place ?! J'aimerai bien le savoir.

Excellente question. J'avais surtout dit ça pour le provoquer, c'était pas forcément à prendre au pied de la lettre. C'était le genre de phrase qui mettrait n'importe qui hors de lui, pas besoin qu'il y ait une quelconque cohérence là-dedans. J'étais juste un peu jaloux de Marlon, mais je ne risquais pas de lui avouer ça. Il débarquait dans nos vies, sympathisait avec Ams' et se retrouvait en moins de deux dans les petits papiers de ma sœur. C'était suffisant pour que je vois rouge. En plus tout le monde avait l'air de l'apprécier, c'était gonflant !

Cherchant tout de même une réponse à sa question, j'entrouvris la bouche, prêt à parler, mais rien de pertinent ne me venait. Je finis par soupirer en restant muet. Pour la répartie, on repassera...

J'étais moins énervé tout à coup, peut-être parce que la situation ne tournait pas comme je l'aurais espéré et que je commençais à m'ennuyer. J'étais las de discuter avec lui. Mon plan était complètement tombé à l'eau, Marlon n'étant pas le kassos impulsif que je croyais. Il avait même l'air carrément moins bête que je l'imaginais. Je l'avais mal jugé. Je me sentais presque mal du coup... Oui, presque seulement.

- Me mettre en travers de ton chemin ? Tu t'prends pour qui ? En quoi j'me mets en travers de ta route ?! C'est juste des commentaires, y a rien de méchant, juste la vérité. Genre on a pas le droit de dire ce qu'on pense à nos amis ?

Je soufflai lourdement, agacé par ses paroles raisonnées et raisonnables. Non, il y avait rien de mal à ça, mais ça me saoulait, point. C'était pas la peine de chercher plus loin. A force de chercher une logique à tout ça, il allait finir par me convaincre que j'avais vraiment cherché la merde pour rien, et je n'avais pas envie de passer pour le connard de service.

- T'es peut-être pas obligé d'être aussi éloquent !

Il n'avait pas non plus besoin de dire à ses amies qu'il les trouvait sexy, ça se faisait pas putain ! Ça se faisait surtout pas si l'amie en question c'était Amara. Parce que je n'avais pas envie de lire ce genre de commentaires à son sujet. Je voulais être le seul à le lui dire, mais je ne l'avais pas encore fait. Et Marlon avait sacrément pris de l'avance sur moi.

- C'est c'que tu penses de moi ? Tu crois vraiment que je m'amuse avec ta sœur ? Que je profite de la naïveté de son jeune âge ? Vraiment ?

Ouch, j'avais pincé une corde sensible apparemment.

- Peut-être bien, ouais !

- C'est bien c'que je disais, tu juges sans connaître. Tu viens m'emmerder dans ma journée de repos, tu m'rentres dans l'lard et t'oses me dire ce genre de choses. Tu te prends pas pour d'la merde.

Oui, je jugeais ! C'était humain après tout. Tout le monde faisait ça. Marlon le premier. Il se contentait de me juger sur la première impression alors qu'il ne me connaissait pas. On était peut-être pas dans les meilleures conditions pour pouvoir se juger mutuellement avec discernement aussi...

- Ta journée de repos ? Parce que t'as un taf, toi ?

Ok, c'était un peu méprisant comme question... En fait, j'avais surtout pensé à voix haute. Monsieur les cheveux bleus n'était donc pas un punk à chiens qui trainait dans les rues et dormait sous les ponts ? Mouais... Peut-être pas finalement.

- Je suis pas le genre de gars à m'amuser avec les femmes. Faire souffrir les gens, non, très peu pour moi. Je sais c'que c'est, je vois pas pourquoi je l'infligerai à autrui.

J'avais donc affaire à un altruiste ? Un mec capable d'éprouver de la compassion et de l'empathie ? Merde alors !

- Contrairement à toi qui a une réputation de queutard. Si tu tiens vraiment à Ams, t'as intérêt à pas lui démolir le cœur, parce que j'te jure que je saurai où te trouver, ajouta Marlon en s'avançant encore, jusqu'à appuyer son doigt sur mon torse.

Ça y est, j'étais de nouveau énervé. Me toucher, c'était déjà pas une bonne idée, mais jouer les chevaliers servants prêt à défendre l'honneur de la nana que MOI j'aimais, ça l'était encore moins. Ça me piquait sec les oreilles d'entendre ce genre de trucs !

- T'occupes pas d'Amara, elle a pas besoin de toi, grognai-je entre mes dents.

J'avais essayé de me radoucir, de lui faire comprendre les choses plus calmement, mais au lieu de s'aligner avec un ton plus détendu, il continuait de me provoquer !

- Du peu que j'ai pu voir de toi, tu m'as l'air d'un sacré égoïste...

- Je vois vraiment pas ce que ça peut te foutre à toi, que je sois égoïste ou pas.

- Ta sœur, j'y tiens. C'est une personne qui a une place particulière pour moi, je ne joue pas avec elle. Je ne joue pas avec ses sentiments. J'm'en tamponne que tu m'crois ou non, je vis ma vie, vis la tienne. Maintenant, t'es mignon, mais tu me fous la paix.

Je grimaçai en fronçant les sourcils. Je savais pas trop ce qui me gênait le plus, le fait qu'il me dise qu'il tenait à ma sœur, ce qui me faisait déjà bien chier en soi, ou la condescendance dans sa façon de me parler. Je crois que les deux me gonflait grave en fait.

- De toute façon, si tu joues avec elle, je te le ferai regretter.

Je m'essuyai à nouveau le nez, qui saignait toujours et dévisageais Marlon avec dédain. Mais je n'avais plus vraiment envie de le frapper, même s'il me saoulait toujours. Je ne voyais plus vraiment à quoi ça m'avancerait. Soit il me dérouillait, et ce serait pas marrant, soit je le dérouillais, et ce serait pas marrant non plus parce que ma petite sœur m'en voudrait à mort. Et peut-être Ams' un peu aussi. Bref, dans les deux cas j'étais baisé. Je ne pouvais pas non plus faire la paix avec Marlon parce que je n'en avais clairement pas envie, mais peut-être que je pouvais juste arrêter le massacre.

- Ok, on tourne un peu en rond, là... marmonnai-je plus pour moi-même que pour lui.

J'étais peut-être pas trop du genre à réfléchir, mais j'étais pas assez stupide pour ne pas me rendre compte que le serpent se mordait sa putain de queue.

- Je veux juste être avec Ams', c'est tout. Et que tu brises pas le cœur de ma petite sœur. Si c'est cool pour toi, je te fous la paix, capitulai-je en soupirant. C'est d'accord ?

J'étais pas sûr de pouvoir tenir parole, ni même de pouvoir lui faire confiance. Mais il fallait bien qu'on arrête de se bouffer le nez. Putain de merde, je devais raisonnable, non ?

- Et ce serait cool si tout ça pouvait rester entre nous, ajoutai-je en forçant un demi-sourire.

La vache, ça me coûtait carrément de dire ça ! Mais je savais que si Marlon racontait cette incident à Kaz et à Amara, c'était moi qui passerait pour le méchant et lui pour une victime en plus.