Des nuits et des nuits et des nuits que tu ne dormais plus. D’abord, tu avais pensé que c’était normal. Qu’avec un peu de patience, une écoute de ton psy et surtout, quelques médocs pour faire passer le tout, tu finirais bien par le retrouver, ce foutu sommeil. Mais le problème avec l’insomnie, c’est que c’est un mélange de choses. La composante psychologique d’abord. Elle est indéniable. Mais scroller sur ton téléphone inlassablement ou enchainer les bouteilles pour faire taire la douleur n’allait pas t’aider. Tu le savais bien, c’était contre productif, mais merde après tout, on mourrait bien tous de quelque chose non ? Alors merde à ton bon sens. Si boire te faisait du bien sur le moment, alors tu allais boire. Parfois, un éclair de lucidité te ramenait à la raison. Tu ne pouvais pas infliger ça à tes filles. C’était impossible : après tout, elles n’avaient rien demandé, et puis… elles étaient encore jeunes. Si jeunes. Maya pouvait sans doute se débrouiller toute seule, elle l’avait déjà fait quelques fois. En même temps, du haut de ses dix-sept ans, il fallait bien que tu lâches du lest, que tu sois réaliste quelques instants même si c’était difficile pour toi : ta fille n’était plus un enfant. Mais Lya, en revanche… à penser à elle, tu avais déjà les larmes aux yeux. Putain, elle n’avait qu’un an, et elle ne connaîtrait jamais son père. Lucidité, donc. Tu te relevais, rangeais cette bouteille que tu t’apprêtais à ouvrir, et… t’avais allumé ton ordi. Pour… bah en fait, tu ne savais pas vraiment pourquoi. Sans but précis, tu t’étais mise à scroller, te perdre sur internet, jusqu’à tomber sur un chat de discussion, au hasard de tes clics. Timide, t’étais mise à discuter avec plusieurs personnes avaient attiré ton attention. Ji. Tu n’étais pas certaine que ce soit son vrai nom, mais à vrai dire, ça t’importait peu. Il était sympathique, drôle, et vous aviez passé une bonne partie de la nuit à discuter ensemble. Cependant, tu ne comptais pas en rester là. Il t’avait touchée, et tu reconnaissais en lui un ami. Quelqu’un avec qui tu avais envie de partager des choses. Petit à petit, c’était d’ailleurs ce qui s’était passé : vos numéros échangés, vous vous envoyiez régulièrement des choses. Musiques, dessins, art, recettes de cuisine ou blagues que l’on partageait entre amis rythmaient vos vies depuis quelques jours. Si bien que… tu commençais à te poser la question : Pourquoi ne pas vous voir en vrai ? Après tout, si vous vous entendiez si bien dans votre petit monde virtuel, il y avait de grandes chances pour que vous vous appréciez dans vos « vraies » vies, non ? Ton courage à deux mains, tu lui avais proposé un rendez-vous qu’il avait accepté. ouf t’étais soulagée, et heureuse de rencontrer ton ami pour de vrai. A tel point que la nuit précédant votre rencontre, tu avais eu du mal à dormir. Cette fois, c’était pour la bonne cause. T’avais hâte de rencontrer ce mystérieux inconnu qui avait égayé ta vie autant que Sasha avait pu le faire. Etrange, d’ailleurs, lorsqu’on pensait que tes deux meilleures rencontres s’étaient faites d’abord sans se voir… Ce point commun te fit sourire et tout à coup, tu ressentais le besoin d’envoyer un message à ton voisin préféré, pour lui dire qu’il te manquait. En fait, t’espérais même qu’il puisse monter quelques minutes lorsque les filles seraient respectivement au lycée et à la crèche. Un petit dej en amoureux, voilà de quoi t’avais besoin.
C’est dans l’après midi, que tu avais pointé le bout de ton nez, un peu en avance au rendez-vous : tu n’aimais pas être en retard. Nerveuse, tu regardais régulièrement l’écran de ton téléphone, parfois simplement pour… rien. D’un geste machinal. Tu le rangeais et réalisais que tu n’avais pas vraiment regardé. merde cette fois, tu regardais plus consciencieusement, et constatais un message de ton ami. Enfin. Il était là ! Tu le cherchais du regard et lui fis un grand signe de la main, toute contente de le voir, allant à sa rencontre. Une fois à sa hauteur, un immense sourire se dessina sur ta frimousse. Un peu nerveuse, tu lui adressais un signe de la main : tu ne savais pas vraiment comment saluer un inconnu pourtant si proche : c’était nouveau, pour toi. Remettant une mêche de tes cheveux derrière ton oreille, tu souriais : « salut ! J’suis trop contente d’enfin te rencontrer… pour de vrai !!! » et marquant une pause, tu proposais : « ça te dit, un café ? Ou bien… on pourrait peut-être se promener ? Qu’est ce que tu préfère ? » nerveuse, tu l’étais, c’était le moins qu’on pouvait dire. Calme toi Enola. Tu parle trop !

@Ji Hung Choi

Plus jamais. Plus jamais tu ne prendrais ce genre de décision sur un coup de tête. Bon, ok, d’abord, ça t’avait semblé être une bonne idée, après tout, tu avais bien accroché avec ce gars alors… pourquoi pas ? Mais tu avais vu beaucoup de documentaires, peut-être trop . Tu savais comment ça finissait, ce genre de rencontres à la con. Là, sur les lieux du rendez vous, tu aurais été à deux doigts d’annuler. Mais… « ok. On se reprend, Enola. On est pas dans l’arnaqueur de Tinder, Ji est une bonne personne, pas besoin de flipper !! » ouais. C’était bien, ça, de se rassurer. Mais alors pourquoi t’étais autant en panique ? Même toi, t’avais du mal à saisir. Tu prenais une grande inspiration, et… saluais ton ami. Impossible de reculer, tu étais dans le grand bain. Inspiration pour te donner une contenance, tu te montrais amicale, l’accueillais aussi chaleureuse que tu pouvais l’être sans que ça ne puisse paraître étrange pour autant ; et tu hochais la tête « alors vas pour un café. C’est parfait ! »

Tu lui adressais un sourire et le précédais avant d’éclater de rire, rassurée « c’est pas vrai ?? quelle drôle d’idée ? » et avant de lui adresser un clin d’oeil, tu poursuivais « en réalité… ça me rassure. Je… j’ai pas mal hésité, moi aussi. Mon repas s’est composé d’un… Cookie piqué à mes filles ? » tu riais et lançais : « tu sais quoi ? Je crois qu’un goûter complet s’impose : je ne sais pas toi, mais moi, je meurs de faim ! »

Sourire malicieux, tu t’engouffrais dans le café, avant de te figer devant la vitrine qui mettait en valeur les pâtisseries, alléchantes comme jamais. Bon sang, t’avais mille idées en tête. Une fois votre tour venu, tu réfléchissais encore quelques secondes, avant de demander au serveur : « je crois que je vais prendre… un grand capuccino, et un muffin tout chocolat ! » là, tu t’écartais légèrement, avant de dire à ton ami « prends ce que tu veux, c’est moi qui te l’offre ! »