Rêve ta vie en couleurs (Luna)

Il avait de nouveau sombré dans ses travers, Livio. Non, il n'avait pas joué le tombeur ou le clown de service, comme il avait pu le faire pendant de nombreuses années. Non, loin de là. Il avait juste eu envie de changer de tête, comme ça, sur un coup de tête, pour le fun. Et comme sa chevelure lui laissait peu de place à la folie, il avait de nouveau opté pour la décoloration de sa masse capillaire. Il était déjà devenu blond, il y avait près de deux ans, Aura étant venue à la rescousse pour rattraper le carnage capillaire. Mais cette fois, il avait fait les choses bien : il était allé chez le coiffeur. Il avait donc passé deux heures auprès du professionnel et avait fini par ressortir orné désormais d'un blond éclatant qui lui donnait presque un air australien. Aura allait le tuer... Bien sûr, il n'avait rien dit, préférant faire la surprise à sa femme et à son fils. C'était donc tout amusé qu'il rejoignit sa voiture, qu'il démarra en trombe afin de rentrer chez lui.

Mais hélas... tout ne se passa pas comme prévu. Au bout de cinq kilomètres et alors qu'il s'était engagé sur la grande route où il n'y avait presque rien, un voyant rouge s'alluma. Pas bon. Il s'arrêta aussitôt sur le bas-côté et descendit de la voiture pour aller voir ce qu'il se passait. Il n'était pas vraiment mécano, Livio, mais il s'intéressait un peu à l'automobile. Mais quand il ouvrit le capot et qu'il vit une fumée qui se dégageait du moteur, il lâcha un juron. Ça ne sentait pas bon du tout, ça ! Il entreprit alors de prendre son téléphone, mais comble du malheur – et parce que celui-ci commençait à rendre l'âme – il constata que son portable s'était éteint. « Journée de merde. » râla-t-il dans sa barbe. Il n'avait plus qu'une solution : marcher jusqu'à rejoindre le premier magasin. Heureusement, les températures avaient bien baissé. Il commença alors à marcher jusqu'au moment où il entendit au loin une voiture. Lunettes de soleil sur le bout du nez, son blond tout frais révélant son côté hâlé et toujours bien habillé, il fit le signe de l'auto-stop avec l'espoir d'attirer le regard – ou la compassion – du conducteur de ce véhicule qui s'approchait de lui. Arrête-toi, s'il te plaît... pensa-t-il de toutes ses forces.

Passer sous l'aiguille de son tatoueur, Luna commençait à en avoir l'habitude. Quelques tatouages parsemaient sa peau ici et là, certains plus visibles que d'autres, certains même qu'elle avait oublié depuis le temps. Elle avait pris un rendez-vous chez son tatoueur habituel, comme ça, sur un coup de tête. Ce n'était pas totalement faux lorsqu'on disait que cela pouvait devenir addictif, et que « quand on en fait un, on ne s'arrête plus ». C'était le cas de la blonde qui n'était pas prête de s'arrêter là. Elle avait garé sa voiture sur le parking et à ce moment-là, elle n'avait pas encore la moindre idée de ce qu'elle allait se faire tatouer. Ce n'est qu'en passant la porte du salon de tatouage qu'une idée saugrenue lui vint en tête. Sourire aux lèvres, elle exposa son idée au tatoueur qui finit par griffonner une ébauche, en effaçant et recommençant jusqu'à ce que le résultat soit parfait pour Luna. La séance dura à peu près une heure, c'était son plus petit tatouage. Luna était allongée sur le dos, son débardeur relevé pour que l'artiste ait accès à ses côtes. La douleur était largement supportable et elle passa toute l'heure à discuter et blaguer avec le jeune tatoueur. Le dernier essuyage laissa apparaître... une jolie mandarine. Est-ce que Luna était devenue folle ? Non. Est-ce qu'elle avait un peu trop pris au sérieux la fête de la mangue cette année ? Peut-être. Mais comme d'habitude, elle avait tout simplement agi sur un coup de tête et le plus important était que le résultat lui plaisait vraiment. La séance terminée, elle paya, remercia le jeune et reprit sa voiture pour rentrer chez elle.

Sur le chemin du retour, elle croisa une voiture arrêtée sur le bas-côté et plus loin, un homme qui marchait en faisant du stop. Il avait l'air d'avoir à peu près son âge, il n'avait pas l'air dangereux, même si on ne pouvait jamais vraiment savoir. Luna décida de s'arrêter en se mettant elle aussi sur le bas-côté, ouvrant la vitre côté passager. « Bonjour, c'est à vous la voiture là-bas  ? Vous êtes en panne ? » demanda-t-elle alors que l'homme s'était approché de la voiture. « Ou vous avez juste besoin qu'on vous dépose quelque part ? » Peut-être qu'il était un simple piéton. Selon sa destination, elle pourrait probablement l'aider.

En jetant un premier coup d'oeil au moteur, à la recherche de ce qui pouvait clocher, Livio se trouva bien vite démuni. Ça n'avait pas l'air d'être le liquide de refroidissement ou la vidange, qu'il avait faite récemment. Sans doute était-ce une pièce défectueuse. Entre ces courroies, ces espèces de crépines, les filtres et durites, il y avait tant de choses qui pouvaient clocher. Dommage que cela soit tombé aujourd'hui. Il avait rendez-vous chez le médecin, devait amener Marlow à son toilettage et récupérer Leandro chez la nounou. Et bien sûr, tout cela sans téléphone ! S'installant un instant sur la souche d'arbre près de sa voiture, il réfléchit à quel point sa vie était pourrie avant de se rebooster et d'utiliser quelque chose qui ne le lâchait pas, pour l'instant : ses grandes jambes. Alors, il marcha, marcha, marcha, jusqu'à entendre un bruit de moteur de voiture. En faisant son signe de l'auto-stop, il était à peu près sûr que la voiture ne s'arrêterait pas. Il s'était planté. Surpris, il vit la voiture s'arrêter à son niveau. La fenêtre s'ouvrit, laissant apparaître une jeune femme blonde . « Bonjour ! » lança-t-il avec un sourire. Il s'approcha de la voiture et se pencha de façon à voir son interlocutrice qui lui demandait si c'était sa voiture qui était en panne. « Vous avez tout bon ! Elle s'est mise à fumer d'un coup. Ça tombe toujours au plus mauvais moment, n'est-ce pas ?! » Il esquissa un sourire, même si c'était un sourire un poil dépité. « Et comme si cela n'est déjà pas assez embêtant, il a fallu que mon téléphone n'ait plus de batterie. Je ne peux même pas appeler le dépanneur. » Evidemment, tout se goupillait pour lui mettre la misère ! « Vous allez jusqu'au centre ? » demanda-t-il gentiment.

Luna était dans un bon mood. C'était souvent le cas après qu'elle se soit fait tatouer. C'était comme une thérapie, un moment hors du temps où elle ne pensait à rien d'autre qu'à l'aiguille parcourant sa peau. C'était probablement pour cette raison que tout le monde disait que c'était addictif. C'est cette bonne humeur qui la fit s'arrêter sur le bas-côté en voyant ce jeune homme faire du stop. Dans un autre moment, elle se serait beaucoup méfiée, surtout en voyant un homme, peut-être même qu'elle ne se serait pas arrêtée. On n'était jamais trop prudent. A première vue, il avait l'air sympathique, poli et  surtout soulagé qu'elle se soit arrêtée. Il confirma que la voiture était la sienne et qu'il avait eu un problème qui l'avait obligé à ne pas poursuivre son chemin. « Malheureusement je crois qu'il n'y a jamais vraiment de bon moment pour que quelque chose de ce genre nous tombe dessus. » répondit-elle avec un léger sourire. Comme si ce n'était pas assez, comme si l'univers avait prévu pour lui une journée de galères successives, il expliqua aussi que son téléphone n'avait plus de batterie. Aucun moyen de prévenir qui que ce soit, d'où l'auto-stop. Elle comprenait mieux la situation. Puisqu'elle était là, elle allait quand même tenter de l'aider, pas avec sa voiture puisqu'elle n'y connaissait rien et risquait même d'empirer les choses si elle touchait à quoi que ce soit, mais elle hocha la tête lorsqu'il demanda si elle allait jusqu'au centre. « Oui je peux vous y emmener, montez. » répondit-elle avec un signe de main lui autorisant à monter dans sa voiture. « Vous voulez mon téléphone pour prévenir quelqu'un quand même ? » demanda-t-elle finalement. Elle enclencha la vitesse et reprit la route tranquillement. « Alors, qu'est-ce que vous avez fait de mal pour que l'univers se retourne contre vous comme ça ? » Elle rit légèrement, essayant de détendre l'atmosphère le temps d'arriver à destination car elle sentait bien qu'il était perturbé, et à juste titre.

Non, en effet, il n'y avait pas de bons moments pour qu'une telle chose arrive. « J'aurais préféré que cela arrive dans mon allée ou à la rigueur, dans ma rue. Mais je crois que c'était trop demandé. » répondit-il en riant. Finalement, ce n'était pas si terrible puisque cette jeune femme s'était arrêtée pour lui donner un coup de main. Mieux encore, quand il lui demanda si elle allait vers le centre, dans l'optique de lui demander si elle pouvait s'arrêter au garage pour informer qu'il était sur le bord de la route, elle proposa directement de l'amener au centre. « Vous êtes un ange ! » s'exclama-t-il avec un large sourire, surtout que ce n'était pas simple de laisser entrer une personne inconnue dans sa voiture. Il valait mieux être toujours prudent. Mais pour le coup, cela profitait à Livio. De toute façon, il passait toujours bien. Il monta dans la voiture et esquissa un sourire quand elle lui proposa même son téléphone. « C'est très gentil, mais ça ira, j'irais directement voir le garagiste. » Et il ne voulait pas alerter sa femme qui était probablement bien occupée avec la boutique aujourd'hui. Il avait encore un peu de marge de manœuvre pour récupérer son fils chez la nounou. Ça devrait aller. Alors qu'ils reprirent la route, la jeune femme le fit rire en lui demandant ce qu'il avait fait de mal pour que l'univers se retourne contre lui. « Eh bien, je me pose la même question ! Je veux dire, j'ai été poli, j'ai même dit bonjour à une personne que je n'apprécie pas trop et je n'ai pas dit de gros mots devant mon fils. Vraiment, je ne comprends pas. » Il rit de bon cœur, posant son regard sur la jeune femme, enchaînant : « Je vous serrerai bien la main pour me présenter en bonnes et dues formes, mais j'aime les conducteurs exemplaires. Je me contenterai donc de vous dire simplement que je m'appelle Livio et que je suis vraiment soulagé que vous vous soyez arrêtée. Vous m'avez épargné une longue marche à pieds. » Il rit encore, mais c'était sincère : elle lui donnait un sacré coup de main.

Les galères n'arrivaient jamais au bon moment ni au bon endroit et le jeune homme en faisait les frais. Par chance, Luna était de bonne humeur et s'était arrêtée pour l'aider. La seule chose qu'elle pouvait faire était soit lui prêter son téléphone, soit le déposer quelque part puisqu'elle n'y connaissait absolument rien en mécanique. Elle accepta donc de le faire monter dans sa voiture pour le déposer au centre-ville, non sans se méfier un peu car il fallait toujours rester prudent avec les inconnus, mais lui n'avait clairement pas l'air dangereux. Elle proposa même de lui prêter son téléphone pour qu'il puisse prévenir quelqu'un, ce qu'il refusa en disant qu'il irait directement au garage. Elle hocha la tête en redémarrant sans attendre en direction du garage donc. Elle ne tarda pas à lui demander pourquoi l'univers se retournait comme ça contre lui et avait décidé de lui faire subir cette panne au milieu de nulle part. Sa réponse la fit rire. « Alors là effectivement c'est incompréhensible. Il doit y avoir une erreur sur la personne. » répondit-elle en riant doucement. Il se présenta ensuite en précisant qu'il n'allait pas lui serrer la main car elle était en train de conduire. « Je vais tenter de rester exemplaire alors. Vous n'êtes pas policier au moins ? » demanda-t-elle en haussant un sourcil. Si c'était le cas, elle allait vraiment devoir faire des efforts. Elle n'était pas une piètre conductrice mais elle n'était pas exemplaire non plus, comme tout le monde, elle faisait des petits écarts au volant, sans jamais se mettre en réel danger cependant. « Enchantée Livio, moi c'est Luna et si je peux aider je le fais avec plaisir, alors voilà. J'espère que votre voiture n'a rien de grave et que vous pourrez la récupérer rapidement. » répondit-elle avec un sourire aux lèvres, en ne quittant pas la route des yeux.