when the wreck is through and it's all consumed (tommy)

Tout commençait toujours au Wojna’s. Après ça, le monde vous appartenait, à tes collègues et toi. La rhumerie était le point de départ mais il y avait toutes sortes d’avenues possibles ensuite. C’est ce que t’aimais, en fait. Parce qu’autant le travail à la plonge pouvait être routinier – et tes mains le sentaient -, autant les soirées qui suivaient le dernier quart de travail ne se ressemblaient jamais. Toi, tu venais tout juste de déposer le dernier gros chaudron, sur l’étagère de séchage. Tu arrosas le grand évier dans tous ses coins pour le laver sommairement, question de laisser la plonge clean avant de quitter. Tu passas au vestiaire pour te changer, et tu redescendis rejoindre les collègues. T’étais toujours à peu près le dernier arrivé au rassemblement de fin de soirée, parce que c’est toi qui recevais toute la merde à nettoyer en fin de service. Tu te plaignais pas. Y’a longtemps que t’aurais pu devenir serveur ou barman, mais tu refusais à chaque fois. Même que Tommy avait déjà mentionné qu'il te coacherait si tu voulais devenir cuisinier, mais t'avais pas démontré d'intérêt plus que ça. T’étais bien dans la plonge. T’étais seul. Tu gérais tes trucs. Tu gardais un œil sur tout ce qui se passait et sur tous les vas-et-viens. Et t’étais l’endroit où les gens venaient se réfugier pour parler un petit cinq minutes, bouffer un truc en cachette, bref, échapper aux regards. « Vous avez déjà bu tout ça sans m’attendre ? Pendejos. » Les insultas – amicalement, un sourire aux lèvres en secouant la tête. Il y avait déjà trois cadavres de bouteilles de rhum, t’ignorais combien il en restait dedans avant que tes collègues ne se mettent sur leurs cas, mais quand même. « Une dernière tournée de shots, au moins, avant que tout le monde s’en aille ? » Tu les sentais sur le point de quitter, ouais, peu importe pour où. Toi t’avais pas trop envie que ce soit direction la maison. La nuit était encore jeune et Sahar n’était pas là et ne t’attendait ni chez elle ni chez toi non plus, par pour cette nuit, alors t’étais pas pressé de rentrer.

Depuis plus d’un an, les afterwork avaient considérablement changé pour Tommy. Il était passé d’un repos bien mérité dans les bras de sa femme à des verres de rhum très fréquent avec les collègues. C’est fou de constater un changement aussi radical mais néanmoins nécessaire. La bonne humeur présente dans le bar une fois les portes fermées réchauffait le cœur de l’Australien. Lui qui restait tout le service dans la chaleur des fourneaux, dans son petit cocon, loin de la folie de la salle. Certains soirs, la pression l’atteignait lui aussi, mais, à ses yeux, rien de comparable au service. Entre le plaisir de cuisiner et l’ambiance dans l’équipe, ce travail s’était avéré être le meilleur compromis quand il n’a plus été capable d’exercer son rêve de gosse. Et c’est comme ça qu’il se retrouvait là, bien assis au fond d’un fauteuil, verre à la main, pris entre deux discussions. Des discussions qui touchaient à leurs fins. On pouvait le sentir à la motivation dans les voix, aux regards sur les téléphones qui se faisaient de plus en plus insistants. Heureusement, la voix d’Oskár vint réveiller un peu tout ce petit monde. “On t’en a gardé un peu… Enfin j’crois” Dit-il en prenant une première bouteille dans la main. Tommy grimaça en constatant les quelques gouttes restantes. Un regard sur la deuxième avait suffi comme réponse négative. La troisième par contre fut plus concluante. Il brandissait la bouteille comme un débile, fier de sa trouvaille. “Apporte les verres bébé !” Contrairement aux collègues, Tommy était dans une lancée dangereuse. Dans son regard brûlait déjà le démon. L’alcool chauffant tout son être, la nuit ne faisait que commencer. Quand bien même les autres rentreraient, impossible pour lui de prendre le chemin de la maison. D’un coup assuré, il remplit les shooters des volontaires. “Cheers les petits potes !” Laissant encore le liquide couler dans sa gorge, Tommy fit un petit signe de salut pour ceux qui avaient refusé le shooter. Il se pencha ensuite vers Oz, persuadé d’être encore capable de chuchoter un truc. “J’ai toujours une bouteille de secours dans la cuisine... Mais chut” Au final, c’était aussi une invitation pour les autres, pas la peine d’être vraiment discret. Mais bon, Tommy savait que s’il avait des chances de corrompre quelqu’un pour boire avec lui, ce serait plus Oskár.

Les serveurs et les serveuses, les barmen et les barmaids, les cuisiniers et les cuisinières, tout ce beau monde était installé dans les fauteuils ou accoudés au bar, ou debout malgré la longue soirée à marcher d’un bout à l’autre du restaurant. De ton côté t’en pouvais plus, dès que tu quittais le vestiaire c’était l’appel de tes jambes pour t’asseoir. À la plonge tu faisais énormément de surplace au-dessus de l’évier et ça tuait ton corps dont tout le poids reposait sur tes pieds. Malheureusement, t’étais souvent le dernier arrivé aux afterwork et souvent, c’était au moment où les gens se préparaient à sortir ailleurs, en boîte ou dans les bars qui fermaient plus tard que la rhumerie, ou encore chez certains collègues qui ouvraient les portes de leurs demeures à la débauche. Ça t’était arrivé, à l’occasion, tu savais que le loft que tu occupais au-dessus de ton école de voile était un endroit de prédilection pour passer une fin de soirée. Face à la mer, il vous était arrivé de regarder les levers de soleil depuis ton balcon, les jambes pendant dans le vide, bouteilles à la main, sourires au visage. « Au pire ce sont pas les bouteilles qui manquent, hein. » Lâchas-tu alors que Tommy essayait en vin de trouver une bouteille qui ne soit pas complètement vidée, sur l’une des tables. Il en trouva une à sa troisième tentative, quand même. Normalement vous finissiez les bouteilles déjà ouvertes, mais il t’était arrivé d’en piquer une ou deux nouvelles, au bas de l’étagère. « Alors tu te ressers, Tommy ? » Demandas-tu, enjoué, emmenant avec toi ton verre pour trinquer avec celui qui semblait être le seul motivé à ne pas t’abandonner avant de mettre les clés dans la serrure. Mais Tommy, ne lisant pas forcément sur les regards fatigués des autres, remplit les verres à shooters de ceux qui ne s’étaient pas éloignés assez vite, ou qui s’étaient portés volontaires par pitié pour eux. « Salud ! » Lanças-tu avant de caler cul-sec le verre. Tommy se tourna vers toi pour te chuchoter une confidence mais la plupart des gens autour de vous aviez pu entendre. De toute façon, comme tu t’apprêtais à le lui apprendre … ce n’était un secret pour personne. « Tommy. On le sait. » Tu posas ta main sur l’épaule de ton collègue, en riant. « J’te rappelle que c’est moi qui viens ranger tes chaudrons propres. J’connais toutes tes cachettes. » Et il ne risquait rien avec toi, t’étais pas du genre à rapporter quoi que ce soit au boss. Ils en auraient bien trop à dire sur toi aussi, tes collègues.

Alors que Tommy examinait les fonds de bouteilles, Oskár marquait un point. Le bar regorgeait de bouteilles encore pleines. Du liquide en veut tu en voilà, mais du liquide appartenant à l’entreprise. S’il n’avait aucun mal avec le fait de finir les bouteilles ouvertes, Tommy préférait largement se garder une de ses propres bouteilles sous le coude histoire de. “Quel genre de question, c’est ça ? Bien sûr que je me ressers, j'vais pas t’abandonner quand même” Dit-il sur un ton enjoué. S’il avait dû partir, Tommy l’aurait fait bien plus tôt. Un verre en entraînant toujours un autre, il avait cette fâcheuse tendance à se laisser entraîner. Après tout, il n’avait plus de responsabilité du côté personnel et ces afterworks n'impactaient jamais son travail donc pourquoi se priver d’un bon moment ? Alors il restait là, à trinquer avec Oskár et leurs pauvres collègues qu’il avait resservis sans trop poser de question. Un cul-sec de plus qu’il n’irait pas comptabiliser ce soir.

Avec le rhum réchauffant toute sa trachée, il était incapable d’être discret malgré toute la plus grande volonté du monde. D’ailleurs, son compère lui confirmait bien assez vite qu’il n’avait aucune raison d'être discret. “Vraiment ? Damn!” Lança-t-il en grimaçant légèrement. Lui qui pensait avoir été discret, c’était encore raté. “Au moins, tu sais où te servir s’y t’as besoin” Cette phrase accompagnée d’un sourire sincère à son pote, Tommy pensait vraiment ces mots. Il n’était pas plus attaché que ça aux bouteilles qu’il pouvait garder dans la cuisine. Elles étaient là principalement pour profiter avec les collègues alors il n’en tiendrait pas rigueur à Oskár pour aller se servir un soir. “T’as un truc de prévu toi après ?” Demanda-t-il avec un brin d’espoir dans la voix. Il saluait les premiers déserteurs avec une once de déception dans le regard.

Bouteilles de l’entreprise ou bouteilles personnelles, t’avais jamais trop fait la distinction, Oskár. T’étais pas non plus un voleur qui repartait à tous les soirs avec ta cagnotte de rhum. Mais entre terminer toutes les bouteilles presque vides après un quart de travail, pour se donner bonne conscience, ou en ouvrir une nouvelle qui au final contenait la même quantité que tous les fonds de bouteille réunis, où était la différence ? « T’es le seul sur qui j’peux toujours compter, bro’. » Lâchas-tu, un peu fort quand même, pour que vos collègues comprennent bien qu’ils n’étaient pas à la hauteur de la nuit, pas comme Tommy et toi pouviez l’être souvent, trop souvent. En vrai, y’en avait pas mal dans l’équipe qui ne laissaient pas leur place. Sahar, Levi, Luna, ils étaient souvent de ceux à repousser les limites nocturnes eux aussi. Mais ce soir il n’y avait que Levi dans le lot et tu ne pouvais pas le blairer, alors tu faisais ton possible pour l’éviter. Tu avalas ton shot cul-sec, accueillant avec bonheur la chaleur qui t’coula en-dedans. Tu fermas les yeux un moment, avant de les rouvrir pour te moquer de Tommy qui se croyait vraiment subtil avec sa bouteille cachée dans les cuisines. « Cette générosité ! J’suis touché. » Il voulait bien partager son trésor si t’avais besoin d’un petit remontant à un moment. Peut-être qu’à force de voir les échanges entre Sahar et Levi, tu viendras te servir pour t’engourdir l’esprit, ouais. Tommy te sortit de tes pensées en te demandant si t’avais un truc de prévu pour la suite de la soirée, de la nuit, peu importe rendu à cette heure. Tu saluas d’abord les collègues qui vous faisaient les accolades de départ, avant de te retourner vers le cuisinier. « Nah, rien … J’suis open à tout, sauf rentrer chez moi bien sûr. » Tu penchas légèrement la tête vers l’arrière, l’inclinant vers la droite. « J’espère que c’était une proposition à t’suivre là où tu t’en vas parce que de toute façon c’est trop tard maintenant, count me in. » Tu souris, espiègle.

Cette petite bande de fêtards, réunie autour d’un dernier verre après chaque service, elle réchauffait le cœur de l’ancien pompier. C’est dans ce genre de moment qu’il se sentait à sa place. Loin de sa vie d’avant tout en étant proche. Sobre, il y réfléchissait parfois, créant en lui un drôle de sentiment. Heureusement, en cette heure tardive, enivré par les quelques verres qu’il avait consommés, son esprit ne divaguait pas sur ce genre de pensée. Tommy, il était simplement content de faire partie de cette fête. Et ce même si tout le monde était sur le point de partir. Alors même s’ils s'abandonnaient rarement, le commentaire de son collègue créait un nouveau sourire sur son visage. Machinalement, il lui adressa un petit clin d’œil en portant son verre jusqu'à ses lèvres. Un verre parmi tant d’autres. Comme il le disait si bien, ils auraient toujours de quoi faire et si sa bouteille était à partager, c’est avec plaisir qu’il le ferait avec Oskár. “Avec plaisir hermano” lança-t-il, conscient de son accent à couper au couteau. Bien évidemment, un large sourire s’étendait sur son visage, fier de lui malgré tout. Pas discret pour un sous, mais bien équipé pour la soirée. Surtout qu’Oz lui répondait assez vite que lui non plus n'avait rien de prévu. La nuit s’offrait à eux sur un plateau d’argent. Un sourire espiègle traversa rapidement le visage de l’Australien avec de prendre une mine sérieuse. “Je comptais aller me coucher, mais libre à toi de me suivre si tu veux. Y a école demain faut être sérieux minimum” lâcha-t-il en faisant mine de regarder sa montre. Sur ces mots, il se levait en attrapant sa veste. “D’ailleurs, je dois réviser l’étiquette de cette bouteille de rhum dont j’te parlais… Les devoirs, c’est vraiment plus c'que c’était”. L’ancien pompier s’était engouffré dans une blague qu’il ne comprenait plus vraiment lui-même, alors il s’éclipsa dans la cuisine pour récupérer son trésor. Revenant dans la salle, cigarette déjà posée entre ses lèvres, il lança un regard entendu à Oskár. Une invitation implicite à le suivre où le vent les mènerait.

Ton hermano, comme il le disait lui-même de son accent pas très fluide, te demanda ce que t’avais de prévu pour la suite de la soirée. Tu venais tout juste de terminer un rush de récurage de chaudrons collés et d’assiettes tachées, alors tu n’avais certainement pas envie de rentrer dormir. T’y arriverais tout simplement pas. Généralement ce n’était pas plus grave que ça depuis que t’avais Sahar avec qui passer tes nuits, elle qui ne dormait pas beaucoup non plus, tous les deux des oiseaux de nuit vous aviez pris l’habitude de parler ou de faire l’amour jusqu’à ce que les premières lueurs du jour apparaissent à la fenêtre. Ta grande fenêtre donnant vers l’est, directement sur l’océan, vous regardiez le lever du soleil avant de vous endormir dans les bras l’un de l’autre. Mais Sahar ce soir elle était occupée ailleurs, et tu ne pouvais pas t’empêcher de jeter de temps en temps des regards à Levi, te demandant si c’est avec lui qu’elle avait des plans. Heureusement que t’allais probablement quitter avec Tommy, autrement t’aurais été assez con pour le suivre, Levi. Comble de malheur, ton collègue cuisinier te lança avec sérieux qu’il comptait aller se coucher, prétextant qu’il y avait de l’école demain. Tu fronças les sourcils. « ¿Qué mierda? Depuis quand tu vas à l’école toi ? » C’était peut-être un détail que t’ignorais de sa vie. Tommy au fond il était un collègue et un partenaire de beuverie de fin de soirée, mais tu ne le connaissais pas tant que ça non plus. C’était le cas de la plupart de l’équipe du Wojna’s, en fait. Vous gardiez un certain masque, un voile de mystère. Heureusement Tommy te racontait de la merde et tu le compris rapidement à sa réplique suivante. « T’es con. T’sais j’y ai cru un moment, que t’étais devenu bien emmerdant. » Avais-tu lâché alors que le cuisinier retournait en cuisine avec sa veste. T’en profitas pour te servir un autre shot et le boire tout seul, ça terminait la bouteille comme ça. Tu te levas au moment où Tommy revenait des cuisines. Tu tournas la tête vers lui, il avait sa cigarette éteinte entre les lèvres et la bouteille de rhum pas si secrète que ça dans les mains. « Ok ciao guys, à demain, enfin … à plus tard ! » Vous étiez déjà le demain en question, quoi. Tu saluas les derniers combattants avant de suivre Tommy. Tu préférais ne jamais partir le dernier des derniers, cela impliquerait que tu verrouilles le bar et t’aimais pas faire les dernières vérifications. « T’es à Bowen since like forever, toi, non ? J’te mets au défi d’emmener à quelque part que j’connais pas du tout. » Proposas-tu avec un sourire de gamin qui pense sortir victorieux de ce challenge.

Un rire s’échappa des lèvres de l’Australien quand son ami prit sa remarque au premier degré. Cela dit, il y avait parfois pensé, Tommy. Il a bien longtemps qu’il avait quitté les bancs de l’école, mais prendre des vrais cours de cuisine le tentait bien. Une idée venue un jour dans sa tête, mais qu’il ne se sentait pas de réaliser. Sa vie, aussi bancale, qu’elle soit, lui convenait pour le moment. Et il faut dire, pour être honnête, que le courage lui manquait cruellement. Pour s’impliquer de la sorte, à son âge, un mélange d’ambition et de motivation était nécessaire. Mieux dans sa tête, il pourrait certainement trouver ces qualités. Pour le moment, profiter de ces petits instants entre collègues était sa seule source de motivation.“Je te promets que si je le fais un jour, je viendrais quand même boire des coups. Ais un peu de confiance veux tu” ajouta-t-il en ponctuant sa phrase d’un petit clin d'œil. L’aller-retour en cuisine qui suivit fut bref. Tout était toujours bien rangé à sa place. Suffisamment, pour qu’il n’ait même pas à se poser de question. Il pourrait presque le faire les yeux fermés. En repassant dans la salle, il fit un signe de main aux derniers collègues présents. Suivant l’exemple de son acolyte qui lui était plus verbale dans les au-revoirs. Tommy, il ne s’était pas arrêté pour autant, trop pressé d’allumer cette fameuse cigarette qu’il traînait depuis la cuisine. Briquet en main, il sourit à la demande de son collègue. “Challenge accepted !” Lança-t-il tout sourire. C’est bien le genre de chose qu’il aimait entendre. Un bon lancement pour voir ce que la nuit avait à leur offrir. Le brun prit quelques secondes de réflexion et une grande inspiration sur sa cigarette avant que son visage ne s’illumine. “Je sais ! Suis moi !”Sur ces mots, il s’engouffrait avec conviction dans les rues sombres. “T’as pas le vertige au moins ?” Demanda-t-il en se retournant vers Oz. Autant en être sûr avant de faire tout le chemin. Par la même occasion, il tendit la bouteille de rhum à Oskàr. “Va falloir escalader un truc donc faut me le dire maintenant”. Pas sûr qu'escalader un mur soit la meilleure idée du monde à cette heure, mais ce ne serait pas vraiment une première pour lui.

La réponse de Tommy te fit comprendre qu'il y songeait peut-être quand même un peu, à retourner sur les bancs d'école. S'il le faisait vraiment, tu serais vraiment étonné. À la mi-trentaine, tu pensais que vous étiez pas mal ailleurs que la tête dans les livres d'école. C'est surtout parce que toi, tu ne te voyais absolument pas y retourner. T'avais pas fait d'études supérieures, enfin, si on exclut les quelques cours en gestion et business que t'avais pris, rien que pour savoir un peu où tu t'en allais avec ton projet d'école de voile, à l'époque. Mais la fibre entreprenariale, elle faisait partie de toi, on ne te l'avait pas apprise dans un bouquin. « J'espère bien que tu viendrais ici et pas avec la bande d'étudiants de vingt ans avec qui tu serais forcé de faire des projets d'équipe. » Lâchas-tu comme pour le dissuader de prendre cette voie-là, alors que ça te regardait pas du tout en fait, Oskár. Tommy faisait bien ce qu'il voulait de sa vie, peu importe quelles étaient ses ambitions. Tu ne pouvais croire que tes collègues préférés resteraient au Wojna's jusqu'à ce que mort s'en suive. Même toi, tu finirais par partir, quand ton école de voile roulerait assez bien. T'attendis que le cuisinier revienne de l'arrière du restaurant pour ensuite foutre le camp le plus vite possible, question de ne pas être le dernier à partir. Tu proposas alors à Tommy un défi : te montrer un lieu que t'avais encore jamais découvert à Bowen. Tu souris grandement quand il accepta le challenge. « Vamos ! » Lâchas-tu joyeusement alors que le cuisinier venait d'avoir une idée, t'entraînant avec lui vers des rues sombres. T'allais croire qu'il t'emmenait dans les sous-terrains de la ville via les égoûts, mais non, il te demanda si t'avais le vertige, ce qui te lançait sur une autre piste. « Non, du tout. » Comme s'il était pas convaincu, Tommy ajouta que vous alliez devoir escalader un truc, donc il fallait le lui dire maintenant si t'étais juste en train de faire ton fier. « Escalader un truc ? Tu pourrais être plus vague s'te-plaît ? » Tu ris, attrapant la bouteille de rhum qu'il te tendait pour en avaler une gorgée. « Mais non, sérieux, j'ai rarement eu le vertige alors ça devrait aller. » T'étais même plutôt adepte des sensations fortes, alors tant mieux si Tommy avait une idée de ce genre, dangereuse ou pas t'étais partant.

L’idée de retourner s’asseoir derrière un bureau pour réviser la théorie d’un bouquin ne le tentait pas, Tommy. En-tout-cas plus depuis quelques années. Étant lui-même passé du côté de ceux qui accompagnent. De ceux qui préparent des gâteaux pour les kermesses… Cette époque qui avait enterré à ses yeux sa vie de jeune adulte, passant dans la catégorie des parents responsables. Dur de s’imaginer à cet instant, cet homme en père de famille. Lui-même, durant cette discussion, s'imaginait plus étudiant que père. Peut-être que cette connerie, prononcée durant une nuit déjà bien entamée, serait le boost de motivation dont il avait tant besoin. Seul le temps pourra le prédire. En-tout-cas, pour le moment, la question n’était plus sur des possibles études, mais bien un challenge. Oskár avait réussi à le motiver comme un enfant. La réflexion ne fut pas longue du côté de l’Australien. C’est en chemin qu’il se mit à réfléchir aux conséquences de son choix. Heureusement pour lui, l’escalade n’avait pas l’air d’être un problème pour son ami. “T’inquiètes, y a juste un mur à passer et on est bon… Je crois” dit il en reprenant la bouteille de rhum pour en boire une gorgée. “À vrai dire, j’ai plus peur pour elle si toi t’es ok. Faudrait pas qu’on la casse en grimpant.”Songea-t-il. Pour la peine, il reprit une gorgée directement avant de se remettre en chemin. Quelques rues plus loin, le cuistot s’arrêta face à un grillage. “Bon y a aussi un portail visiblement… Prends la bouteille, j’vais en reconnaissance" dit-il en plaçant son bien dans les mains d’Oskàr. Il prit une grande inspiration avant de commencer à se hisser au sommet du grand portail, se remerciant intérieurement de continuer le sport assez quotidiennement.“Ça m’a l’air ok. On a juste le mur d’en face à escalader et normalement, on devrait trouver une échelle derrière pour monter sur le toit” lança-t-il en pointant du doigt le mur d’en face. Rapidement, il dut tout de même se retenir à deux mains, n’étant pas très stable assis sur le portail d’un particulier.

Je crois, qu'il t'avait répondu, Tommy. Il croyait que ce serait bon. T'eus un rictus en secouant la tête, à la fois exaspéré, à la fois amusé. C'est certainement les quelques shooters avalés avant de sortir de la rhumerie qui vous enlevaient les quelques pans de raison que vous aviez. « Rappelle-moi d'te donner la médaille du mec le plus rassurant du monde. » Lâchas-tu en le suivant malgré tout. À ce point-ci, tu le suivrais à peu près n'importe où, Tommy. En l'honneur du challenge que tu lui avais toi-même lancé. T'allais pas te dégonfler alors que c'était toi qui avais demandé à découvrir un nouvel endroit, peu importe où c'était. Si tu commençais à restreindre les possibilités, ce ne serait pas du jeu pour Tommy. « Enfin, ça, c'est si on sort vivant de whatever c'que t'as en tête. » Avais-tu quand même rajouté. Tu regardas la bouteille de rhum que tu venais de rendre à Tommy, alors que ce dernier mentionnait que c'était plus de son sort à elle dont il s'inquiétait. « J'peux la mettre dans mon hoodie pendant qu'on monte. Elle devrait pas glisser d'la poche. » Proposas-tu. T'avais toujours ton hoodie avec toi à la fin de ton quart de travail, surtout en août, parce que bien passé minuit, le vent pouvait être frisquet même en Australie. Vous n'auriez cependant peut-être pas à prendre ce risque-là puisque Tommy arriva face à un portail, qu'il pourrait facilement escalader, la bouteille en moi, puisque tu la repris pendant qu'il faisait ses acrobaties. « Et c'est la propriété privée d'qui, ici ? » Demandas-tu avec un sourire, parce qu'en réalité tu t'en fichais pas mal, l'aspect du droit de propriété, justement, ça t'énervait par moment. « Bon du coup ça règle quand même pas la question de sécurité de la bouteille. J'vais tenter le hoodie, alors. » Tu enfilas ledit hoodie, que t'avais gardé dans une main depuis le début de votre promenade. Tu inséras la bouteille à l'horizontale dans la poche avant. C'était stable pour le moment, mais qu'est-ce qu'il en serait en train d'escalader ce mur ? Tu rejoignis Tommy de l'autre côté en essayant de ne pas trop bouger de gauche à droite, gardant ton torse droit, plus pour la bouteille que pour la forme.

Dans quoi s'étaient-ils encore lancés ? Avec eux, impossible de vraiment prévoir le cours de la soirée, ils auraient très bien pu finir leur bouteille, assis sur le sable, comme dans une soirée douteuse qu’ils auraient squatté sans vergogne. Mais non, ce soir, au programme : de l’escalade. Tommy n’essayait même plus de se convaincre que tout ceci partait d’une bonne idée, trop focalisé sur le meilleur chemin à emprunter. Oz de son côté n'avait pas l'air très rassuré, mais Tommy n'hésiterait pas une seule seconde à le blâmer, ou du moins à blâmer son défi, si une remarque lui ait faite. “T’inquiètes, au pire tout ce qu’on risque, c’est de se casser une cheville, je pense qu’on est bon”. Pour un ancien pompier, la relativité au risque était plutôt faible, l'alcool ne l’ayant jamais rendu responsable. Comment le blâmer ? Après tout, jamais personne n’a été plus responsable après plusieurs verres de rhum qu’avant. En-tout-cas, il hocha positivement la tête quand son ami proposa de caler la bouteille dans son hoodie. “Bonne idée !”S’exclama-t-il juste avant d’entamer l’escalade d’un portail. Une fois de l’autre côté, il laissa s’échapper un léger rire en entendant la question d’Oskàr. “Non, t’inquiètes, c’est une illusion les portails. Puis tu vas vite comprendre où on est quand on aura fini d’escalader.”Sur ces mots, il restait l’observer dans cette épreuve du portail, attendant d’être rejoint pour continuer. Traverser la propriété fut assez rapide et malgré le manque de luminosité, le cuistot repéra le fameux mur, dernière épreuve avant d’arriver. En réalité, sur ce mur, se trouvait une échelle de service. Un accès direct au toit du supermarché de Bowen. “Regardes, il a une échelle un peu plus haut, tout ce qu’on a faire c’est chopper un truc pour nous aider à l’attendre… Une poubelle ce serait parfait.” Sur ces mots, le brun parcourra du regard l’enclos dans lequel ils se trouvaient, cherchant désespérément une idée.

Évidemment qu’il te blâmerait sans scrupule, Tommy, si ça se terminait mal. Il aurait pu choisir n’importe quelle destination n’importe quel endroit, dans tout Bowen, espérant que t’y aies jamais mis les pieds, mais non il avait choisi la place la plus difficile d’accès et après ce serait d’ta faute. T’étais prêt à le porter, le blâme, en fait. Parce que sous tes airs faussement inquiets, t’étais actually plutôt amusé. Tant que personne ne se cassait quoi que ce soit - ah et puis au pire, si ça arrivait, ce serait une bonne histoire à raconter aux collègues. Regardez c’que vous avez raté en rentrant chez vous comme des lâches ! Comme s’il lisait dans tes pensées, Tommy affirma qu’au pire, vous vous cassiez une cheville, rien de plus ne pourrait arriver. « En fait tu fais exprès pour avoir un congé forcé du Wojna’s. Ça ferait bien ton affaire de délaisser tes chaudrons pour quelques semaines, pas vrai ? » En tout cas, toi, ça te ferait du bien de ne plus avoir à décrasser les chaudrons collés de Tommy. Juste pour quelques jours. Juste pour quelques semaines. Un petit moment pour t’aérer l’esprit, décrocher du quotidien. Un moment comme ce soir suffirait, pour le moment. Tu rangeas la bouteille dans ton hoodie le temps d’escalader le portail. Tout en montant, tu répondis au cuisinier : « Ah ouais ? J’vais reconnaître l’endroit ? Parce que tu sais l’idée c’est que tu m’emmènes à quelque part que j’connais pas alors si j’comprends où on est, t’as perdu. » Tu souris, arrivant jusqu’au haut du portail, que tu redescendis ensuite avec plus d’agilité. Tu suivis Tommy à travers cette propriété. Dans le noir, non, tu ne savais pas trop où tu te trouvais. Vous étiez encore dans le centre-ville, vous n’aviez pas assez marché pour vous en éloigner, mais vous étiez dans des passages que t’avais jamais empruntés. « Il doit bien y avoir quelque chose à quelque part. » Lâchas-tu une fois face au mur et face à l’échelle de service qu’il vous fallait atteindre pour la faire descendre complètement. Mais y’avait rien, hormis de gros conteneurs à déchets mais même deux gaillards comme vous ne pourriez les déplacer, quand même. « Bon, monte sur mes épaules, alors ? » Proposas-tu en te positionnant sous l’échelle, accroupis d’abord pour le laisser grimper.

Ironique pour un ancien pompier de prendre à la légère les règles de sécurité, mais après tout, c’est quand on connaît les règles qu’on peut se permettre de les briser non ? Bien que se blesser l’embêterait, l’heure et l’alcool avaient raison de sa lucidité à ce moment même. Oskàr lui décrocha un rire alors qu’il le charriait sur des congés forcés. “J'sais pas qui ça arrangerait le plus entre toi et moi…J’ai une excellente conscience professionnelle, moi monsieur” ajouta-t-il en riant. Sous la plaisanterie, se cachait tout de même une vague de vérité. L’ancien pompier tenait à ce nouveau travail, sans lui, la crainte était de ne jamais sortir de son lit. Venir au Wojna’s, c’était pour lui l’occasion de se vider l’esprit, autant par le travail que par les apéros qui s’en suivaient. Après tout, sans ce travail, il ne serait pas là, à cet instant, en train d’escalader un portail avec son pote. “Eh, le deal c’est un endroit où t'es jamais allé. Là, t’es allé en dessous, à côté, mais jamais là précisément. Si tu reconnais les alentours, c'est pas de ma faute. Excuse-moi d’être limité à une ville où tu résides” lâcha-t-il en riant légèrement. Au fond, il s’en foutait bien de réussir son challenge ou non. Oz avait réveillé en lui l’adolescent qu’il fut il y a des années de ça. Rien que pour ça, ce trajet en valait la peine. Et les complications auxquelles ils faisaient face n'étaient qu’un rappel de plus des galères passées. Leurs regards cherchant assidûment un objet pouvant servir de tremplin. Oskàr finit par proposer de le faire lui-même. Le cuistot leva d’abord les yeux vers l’échelle pour vérifier que cette dernière était escamotable avant d’hocher la tête positivement. “Ok chef, mais fait attention, avec notre stabilité tout peut arriver” lança-t-il avant de commencer à grimper sur lui, peu confiant quant à cette acrobatie. L’équilibre était manquant, mais par chance, le brun réussit tout de même à se rattraper à la dernière seconde à un des barreaux de l’échelle. C’est avec un rythme cardiaque accéléré qu’il se grimpa, se remerciant intérieurement de ne pas avoir arrêté le sport.“Je vais essayer de la décrocher sans trop faire de bruit, mais attention à toi” dit-il en grimaçant. “Je vais essayer de la décrocher sans trop faire de bruit, mais attention à toi” dit-il en grimaçant.

Un pfffff mêlé à un rire s’échappa d’entre tes lèvres alors que Tommy prétendait avoir une excellente conscience professionnelle. On ne pouvait pas en dire autant de toi. Même si t’étais toujours là à l’heure et que tu prenais rarement congé, c’était surtout au niveau de ton attitude au boulot qu’on ne pouvait te qualifier de professionnel. Quand t’étais pas en train d’embrasser Sahar dans un coin de la plonge, tu te prenais la tête avec Levi pour des histoires de jalousie non fondées. T’étais clairement pas l’employé modèle mais t’étais le plus rapide pour récurer les chaudrons. Ça valait beaucoup, ça, dans le domaine de la restauration. « T’sais si t’es pas là pendant plusieurs semaines, ils vont te remplacer, bro’. T’as peut-être une excellente conscience professionnelle mais t’es pas le seul en ville à pouvoir cuisiner une sélection de dix tapas. » Le narguas-tu sans trop le ménager. Personne n’était irremplaçable, au Wojna’s, personne. Du moins, pas au niveau des tâches. Au niveau des amitiés c’était autre chose, mais t’allais pas tomber dans le sentimental. Pas tout de suite. T’avais pas encore assez bu pour ça. « Bon, bon, ok, c’est fair play. » C’est vrai que t’avais jamais mis les pieds là où Tommy t’emmenait, même si la vue tu la connaissais sûrement par coeur. Mettre trop de règles à ce challenge le rendrait impossible, et ce n’était pas le but. Y’avait pas vraiment de but, en réalité, si ce n’était de vous occuper un peu. Face à l’échelle suspendue au-dessus de vos têtes, bloquée à une certaine hauteur, tu proposas de prendre Tommy sur tes épaules pour le hisser suffisamment haut pour la descendre. Après vous pourriez y grimper sans trop de mal. « Essaie de pas gigoter dans tous les sens, aussi, ça aidera. » T’eus un rictus amusé tout en squattant, laissant Tommy grimper sur toi. Tu perdis un peu l’équilibre en te redressant. « Mais what the fuck, ta façon de faire c’est qu’à chaque fois que tu sors un tapas pour la salle à manger, t’en manges l’équivalent ? » Dis-tu pour souligner qu’il était plus lourd que t’aurais cru. T’arrivas quand même, en deux-trois pas de rattrapage, à le remettre vis-à-vis de l’échelle. Il s’accrocha aux barreaux de celle-ci et y grimpa. Tu sentis la libération sur tes épaules quand son poids bascula sur l’échelle. « Ouais c’est bon, vas-y. » Tu te reculas pour ne pas recevoir l’échelle en pleine tronche, et quand elle fut abaissée, tu grimpas à ton tour. Sans bruit ? Tu savais pas trop, mais en tout cas, vous aviez réussi à vous rendre jusqu'au toit.