Papa-paparazzi + Lily

De bon matin, là où la lumière était la plus belle, la mer était agitée sur Grays bay, les vagues offraient un spectacle sans pareil que Léo était le seul à contempler sur cette plage déserte. Il se souvenait des heures de gloire de cette baie, à une époque elle était un coin prisé des surfeurs qui venaient de loin pour y affronter les humeurs des marées, on y avait donné de belles compétitions même. Terrence Kelly avait sa boutique de choix pointu implantée en haut de la dune, il lui avait déjà acheté un peu de matériel. Mais ça c'était avant, depuis un gros complexe hôtelier avait remplacé la boutique de surf, drainant une clientèle bien différente. Seule la petite crique éloignée attirait encore les puristes en quête de calme. Et puis quelques surfeurs téméraires venaient encore affronter la vague, pour le plaisir. Léo était arrivé aux premières lueurs du jour, il avait peu dormi cette nuit, comme souvent en ce moment, le manque d'alcool lui tiraillait les entrailles, c'était une belle saloperie dans laquelle il était tombé. Il avait décidé de se faire aider, il n'avait pas tellement le choix, de toute façon, s'il voulait conserver la garde de son fils. Son addictologue lui avait conseillé de ne pas trop rester chez lui, de reprendre le sport, ou toute activité qui lui ferait du bien, qui lui ferait penser à autre chose. Alors il avait ressorti sa vieille planche de son garage, sa combi dans laquelle il ne s'était pas glissé depuis des années et puis il était allé dompter les vagues, comme quand il était gamin, lui qui adorait le surf. Il en avait bavé, ça faisait bien trop longtemps qu'il n'était pas monté sur un surf et clairement tout était à refaire. Mais au moins, durant une heure, il n'avait pensé à rien, ni à la boisson, ni à elle. Et puis il avait fini par sortir de l'eau, se sécher et attraper son réflexe, qu'il emportait partout, pour prendre quelques clichés de la baie. La lumière était parfaite, les rayons dorés du soleil conféraient une aura particulière à ce paysage. Il pensait être seul, pourtant il se trompait, une surfeuse s'était aventurée dans les vagues. Il l'observa quelques instants, ses mouvements étaient fluides, assurés, elle avait l'air de bien connaître ce spot, ou juste ce sport. Léo fut vite fasciné par sa facilité déconcertante à prendre la vague et il captura quelques uns de ses mouvements dans son objectif. Enfin il retourna à serviette, il était temps qu'il parte.

@Lily Mitchell

Lily n'est pas vraiment de bonne humeur. C'est le moins que l'on puisse dire. Foutus journalistes. La plupart n'y connaissent rien, et les autres sont des sportifs ratés. L'australienne bout intérieurement, elle fulmine. La faute à un récent article paru dans "Surfer", l'un des magazines les plus lus par le milieu. Un crétin, un abruti même, a osé écrire un article sur la jeune femme, et sans même prendre la peine de la contacter. Enfin pas un article tout entier, mais une bonne demi page sur ses derniers échecs, l'état de sa carrière, ses déboires privés. Ce type a même osé lui conseiller de raccrocher.

Alors là c'est mal la connaître. Celui qui lui marchera sur les pieds n'est pas encore né.

Ca devait être une bonne journée pour faire du surf. Bon vent, bonnes vagues. Et hier son avocat l'avait contactée pour lui annoncer que le dossier de divorce était clôturé et que ce que lui devais son ex-mari devrait bientôt lui être versé. Depuis son arrivée dans la petite ville, sa vie avait changée. Les bonnes nouvelles étaient nombreuses, les bonnes rencontres aussi. Et niveau physique que du bon, la revalidation suit son cours et son genou la fait de moins en moins souffrir.

Mais voilà, la presse ! Quelle plaie !

Se lançant dans une nouvelle glisse, Lily tente de se sortir tout ça de la tête pour se concentrer sur sa planche. Lors d'un demi-tour elle constate qu'un inconnu est posté sur la plage un peu plus loin. Il semble tenir quelque chose en main. Sur le coup la jeune femme n'y prête pas vraiment attention, mais après une autre séries de coup de rein, plus proche, elle repère nettement un appareil photo.

C'est une blague ? Même ici !

Terminant son set, elle se précipite sur le sable sans même prendre la peine de faire attention à sa planche, pour se diriger ensuite à grandes enjambées vers ce qu'elle prend pour un indésirable. Arrivée à sa hauteur, alors qu'il lui tourne le dos, elle le pilonne de l'index dans son dos afin d'attirer son attention.

- Ca va je vous dérange pas ? Surtout faut pas demander mon avis !

Lily a l'air assez ... contrariée. Ce qui contraste un peu avec sa stature d'ailleurs, s'en est presque comique. Elle croise les bras en tapotant le sol du pied, attendant la réponse du photographe.

Emerson détestait la presse à scandale, ces photographes qui s'offraient les zooms les puis puissants pour capturer la photo la plus croustillante, sans se soucier de l'angle, de la netteté ou bien du côté artistique, il fallait simplement que le cliché fasse sensation, qu'il soit pris au bon moment. Lui il voyait son métier comme de l'art, il était capable d'attendre des heures pour avoir la bonne photo, peut-être une seule, sur des centaines, celle avec la bonne luminosité, l'intensité parfaite, celle qui racontait une histoire. Il pouvait être patient quand il voulait, comme lorsqu'il passait des nuits entières le nez dans les étoiles. Au tout début de sa carrière il avait accepté d'être photographe de mode, des centaines d'heures passées dans des studios avec la lumière crue des projecteurs, il fallait créer une histoire, il fallait que ce soit beau, quitte à ce que ce soit faux. Il fallait faire avec les exigences des marques, les caprices des mannequins, les horaires interminables pour des images qui ne lui ressemblaient pas. Depuis il était fier de pouvoir dire qu'il vivait de sa passion et qu'il choisissait ses sujets, il était assez connu dans le milieu pour s'en payer le luxe. Alors il parcourait le monde, il découvrait les plus beaux paysages, les villes les plus animées, les scènes cauchemardesques, parfois. Faires des reportages photo, c'est ce qui le faisait vibrer. Mais il était né ici, dans cette ville qu'il trouvait belle, alors il n'était pas rare qu'il collabore avec le journal local, après tout c'était le premier papier qui lui avait laissé sa chance, quand il était encore gamin. Ce matin il le savait pas s'il vendrait ses photos, il avait surtout emmené son appareil pour le plaisir, mais il ne s'attendait pas à être apostrophé de la sorte. Il se retourna vivement alors qu'on lui attaquait l'épaule avec un doigt rageur. Excusez-moi, il y a un problème ? Visiblement il y en avait un, oui, la jeune femme qui lui faisait face avait l'air passablement énervée. Avec sa combinaison il reconnu facilement la surfeuse de tout à l'heure. C'était vous sur les vagues ?! Belle performance ! Pour l'instant il ne voyait pas encore où était le problème, il ne suivait pas le monde du surf assez assidument pour avoir reconnu que cette fille était professionnelle. Il espérait juste apaiser sa hargne avec un compliment, sincère, de surcroit !

La jeune femme était pourtant habituée aux photos. C'est même un peu un de ses moyens de vivre.

D'une part via ses sponsors, des clichés plutôt orientés sport et compétition. Pour être honnête, de vrais moments de torture, ça prend des plombes de trouver la bonne image qui mette bien en avant le produit. Se sentir comme un panneau publicitaire vivant n'est pas des plus agréable, mais ça paie bien. Lily a eue aussi l'occasion de faire quelques photos plus décontractées, plus ... plus femme quoi ! On va pas rentrer dans les détails, mais c'est pas non plus là où elle se sent le plus à l'aise. Ce n'est pas qu'elle se trouve moche, mais elle préfère garder ce genre de choses pour un cercle restreint.

Finalement cette histoire de photos, elle l'accepte mais sans plus. Et quand c'est fait sans son autorisation ...

- Vous êtes venus pour encore enfoncer le clou ? Ou chercher un nouveau scoop ? Ca ne vous suffit pas cet article ?

Continuant d'utiliser son doigt pour bien appuyer ses mots, elle l'agite devant le nez de l'inconnu.

- Je déteste être prise pour une conne, alors vous avez intérêt à effacer ça tout de suite !

Lily toise l'homme, les sourcils froncés, mains sur les hanche. Son maillot encore trempé dégouline d'eau de mer.

- Et puis je pourrais savoir votre nom ? C'est un minimum quand même !

Elle avait en général une bonne mémoire visuelle, et ce visage lui était inconnu. Si ce n'était pas un habitué du milieu sportif, ça devait juste être un affamé en quête de quelques billets. Et ça, la ranger uniquement comme profil potentiel, ouh ça l'énerve ! A aucun moment la jeune femme n'a imaginée faire face à un simple amateur en quête de bon cliché. Son esprit est tellement braqué sur ce torchon que l'on a osé écrire qu'elle vrille totalement.

Sans comprendre pourquoi cette femme l’attaquait de la sorte, Léo fronçait les sourcils en la fixant. Il voulait bien admettre qu’il l’avait prise en photo sans lui demander son autorisation et qu’elle puisse être froissée par ce geste, cependant il n’était pas convaincu que cela nécessite autant de hargne. Veuillez, s’il vous plait, arrêter de m’agresser avec ce doigt, vous allez finir par me crever un œil ! Il ne voyait pas où elle voulait en venir, elle parlait d’enfoncer le clou, de scoop, est-ce qu’elle le prenait pour un autre ? Ce serait peut-être le plus plausible, que la surfeuse le confonde avec un homme qu’elle connaissait, qu’elle n’aimait pas, visiblement. Je ne vous prends pas pour une conne, faut pas exagérer. Mais vous m’avez tout l’air d’être remontée oui. On pourrait peut-être se calmer. Il osa ouvrir grand les yeux, pour lui montrer qu’elle exagérait peut-être la situation, lui était parfaitement calme, mais elle pourrait vite l’agacer, à force. J’suis pas là pour faire un article ou je ne sais quoi. Ceci dit je dois avoir de belles photos de vous, ce serait dommage de les effacer. Vous voulez voir ? Là il la provoquait un peu, juste pour la forme, il avait ce côté joueur, Léo, quand il était d’humeur. Pourquoi vous voulez mon nom ? Qu’est ce que ça vous apporterait. Vous me donnez le vôtre dans ce cas ? Après tout c’était donnant donnant. De toute façon, même s’il lui donnait son nom, elle ne le retrouverait pas aussi facilement en tant que photographe puisqu’il prenait un nom d’emprunt dans le milieu professionnel. Ils restaient donc là, à se toiser, Emerson était presque méfiant lui aussi face à cette femme qui l’agressait. Lui qui pensait être venu passer une matinée calme pour se vider la tête, ça ne se passait pas vraiment comme il l’avait souhaité.