fancy meeting you here (lily)

Depuis que Woody s’était fiancé à Charlie, c’était la confusion de tous les bords et de tous les côtés. Les gens n’avaient pas vu ça venir. Certains se réjouissaient, d’autres semblaient sceptiques. Les rumeurs sur eux ne cessaient d’être alimentées. On cherchait à savoir s’ils iraient jusqu’au bout, si Woody allait merder avant ça. Et en plus de ça, voilà que Woody s’était pris la tête avec Charlie il y a quelques jours de ça, parce qu’il avait revu Freja et que cette amitié était mal reçue par la pâtissière. Woody avait besoin de souffler, ce matin. Il avait besoin de prendre un pas de recul, de retrouver un peu la paix intérieure parce que clairement il ne la trouverait pas à l’extérieur. Il s’était donc rendu au Mullers Lagoon pour y marcher autour du lac. Autrefois c’est ici qu’il venait courir, c’était d’ailleurs l’endroit privilégié de plusieurs habitants pour venir y faire leur footing. C’était plus agréable que dans les rues de la ville. Autrefois Woody venait aussi y promener Edgar Allan Poe, son chien qu’il n’avait plus aujourd’hui. Il n’avait plus la course non plus. Atteint de la sclérose en plaques, le trentenaire ne pouvait plus pratiquer tous les sports d’avant. Il avait d’abord dit adieu au vélo de montagne et à son titre de champion puis, graduellement, à la plupart de ses sports favoris comme la course ou l’escalade. Au moins il était encore capable de marcher, c’est à ça qu’il s’accrochait maintenant. Il en était à son troisième tour du lac quand il croisa le regard d’une jeune femme qu’il reconnut assez vite, qui était en train de remplir sa bouteille d’eau dans l’une des fontaines d’eau en bordure du sentier. Il fronça les sourcils, un sourire au coin des lèvres, étonné de voir la surfeuse ici. « Lily Mitchell. J’ai bien failli ne pas te reconnaître sans ton wetsuit. » Il s’approcha d’elle. Il avait été le physiothérapeute de l’une de ses plus grandes adversaires dans les compétitions de surf. Il l’avait autrefois suivie à travers le monde, par-ci et par-là, pour ses compétitions. Il avait donc croisé Lily Mitchell souvent sur les plages du monde entier.

Comment ne pas profiter de ce beau soleil ? C'est ce que s'est dit Lily ce matin en constant le beau temps par sa fenêtre. Au départ son emploi du temps, qu'elle rédige avec soin et attention, prévoyait une séance à la salle de sport. Mais si la jeune femme ne transige pas avec son calendrier, elle sait au moins se permettre les petits aménagements qui font du bien au moral.

Au lieu d'aller donc suer sur un tapis, l'australienne a plutôt enfilée un collant, une brassière ainsi que de bonnes baskets. Le tout pour aller s'aventurer dans la pampa et les sentiers entourant la petite bourgade le long d'un parcours repéré à l'avance. Une fois celui-ci chargé sur sa montre connectée, elle s'était élancée la musique à fond dans les oreilles avec comme objectif de faire une très bonne moyenne.

Pas du tout avare sur les efforts donc, Lily entame la dernière partie de son parcours. Il faut faire le tour d'une petite colline, ensuite dévaler vers un lac et en faire le tour pour enfin pouvoir se poser un peu. Le paysage en vaut la peine, et malgré la douleur dans ses cuisses, c'est presque au sprint que la sportive termine son running du jour. Le temps de reprendre son souffle quelques instants, pour ensuite se diriger vers une fontaine à eau non loin de là. Son visage est encore rouge de l'effort accompli.

- Lily Mitchell. J’ai bien failli ne pas te reconnaître sans ton wetsuit.

Surprise par cette voix et cette présence qu'elle n'a pas du tout entendue venir, Lily manque de laisser échapper son bidon et le rattrape de justesse. Retirant ses écouteurs elle cligne des yeux et regarde celui qui apparemment la connait bien. Sur le moment elle hésite, reconnaissant des traits qu'elle a aperçue quelque part. Puis la lumière se fait enfin.

- Euh ... Woody, c'est ça non ? Je me souviens que ton nom était super compliqué à retenir ...

Esquissant un léger sourire la jeune femme observe rapidement les environs à la recherche d'une autre présence.

- Tout seul ? Ca serait bien une première. Rassure-moi ...

Intérieurement Lily espère bien ne pas devoir se coltiner la présence de l'une de ses adversaires habituelles. C'est qu'elle est un peu en vacances ici !

- Comment vas-tu ? Ca fait des mois et des mois depuis la dernière fois.

La jeune femme se désaltère tout en posant ces quelques questions, repenant un souffle quasi normal.

Lily se retourna vers Woody après avoir rattrapé sa bouteille d’eau de justesse, ce qui fit légèrement sourire le physiothérapeute sportif. Il baissa les yeux un moment, lui laissant le temps de reprendre contenance, avant de relever le regard sur elle. « C’est ça. Woody Rutkowski. » Lâcha-t-il puisqu’elle avait un blanc à propos de son nom de famille, qui pouvait effectivement être difficile à retenir, mais surtout à écrire. Il ne comptait plus le nombre de fois où on avait massacré l’orthographe de ce nom qu’il portait toutefois dans son cœur, sa famille étant une part importante de lui, même s’il leur laissait très rarement savoir. Lily sembla regarder autour d’eux, à la recherche de quelqu’un ou d’une caméra cachée peut-être, et rapidement Woody comprit ce qu’elle cherchait, ou plutôt qui. Il secoua la tête. « Je suis seul ne t’en fais pas. Ça fait un moment que je ne suis plus le physiothérapeute d’Amanda. » Il avait à peu près arrêté de suivre personnellement des sportifs pour des compétitions. Il avait simplement conservé ses suivis en clinique. Les voyages, les longs séjours pour les compétitions, cette vie-là lui drainait une énergie qu’il n’avait plus. Surtout, sa dépression des dernières années lui avaient enlevé cette excitation qu’il avait autrefois eue de suivre ces professionnels dans leurs aventures sportives. Peut-être qu’il retrouverait la flamme, un jour, mais pour le moment son quotidien était trop lourd pour qu’il y ajoute une telle responsabilité de temps et d’investissement de soi. « Ouais, je n’ai pas trop bougé de ma clinique à Bowen depuis un moment. Disons qu’il n’y a pas qu’Amanda que j’ai cessé de suivre. Mais … ça va. » Mentit-il à moitié. C’est vrai qu’il allait mieux, depuis quelques mois, il remontait la pente. Sauf que son silence de dernières années dans le monde sportif était dû à l’évolution de sa maladie, à une grave dépression, à la fausse couche de sa petite amie, alors dire que ça allait, ce n’était pas tout à fait la vérité. « Et toi ? Je ne pensais pas qu’il y avait une compétition à Bowen cette semaine. D’habitude je me tiens quand même encore informé là-dessus … » Lâcha-t-il, plutôt surpris de la croiser ici.

La jeune femme était plutôt rassurée de savoir Woody seul ici. Non pas qu'elle déteste à ce point l'ancienne employeuse du physio, mais bon le but c'est tout de même de se retrouver dans un coin paumé pour justement mettre de côté sa vie habituelle. Si c'est pour recroiser à chaque coin de rue quelque chose qui lui rappelle ses difficulté ...

- Ouais, je n’ai pas trop bougé de ma clinique à Bowen depuis un moment. Disons qu’il n’y a pas qu’Amanda que j’ai cessé de suivre. Mais … ça va.

Lily fronce un peu les sourcils, comprenant que certains choix de son interlocuteur ont dû être pris pour des raisons plutôt délicates.

- J'ignorais que tu étais souffrant. On a tellement la tête dans le guidon avec les compétitions qu'on passe vite à côté de plein de choses.

L'australienne hausse un peu les épaules. C'était bien la leçon la plus importante qu'elle avait apprise ces derniers mois, si on ne fait pas quelques concessions tout peut s'arrêter très vite. Mais peut-on vraiment nommer concessions le simple fait de préférer une vie de couple et des projets communs à sa passion ? Pour être honnête, elle n'est même pas sûre d'arriver aujourd'hui à faire cette distinction. La confiance n'est clairement pas son trait de caractère principal en ce moment.

- Non, pas de compétition. Je n'en fais plus trop ces derniers temps. J'ai ... On va dire que j'ai un peu payée la note d'années d'excès, aussi bien physiquement que dans ma vie privée.

Lily affiche une moue un peu désabusée. Soupirant légèrement, elle boit à nouveau une gorgée d'eau, se dirigeant ensuite vers un banc non loin pour s'y laisser tomber. Elle regarde ensuite Woody lui souriant légèrement.

- Si tu as le temps, faisons une pause pour parler de nos malheurs ...

À son tour, Woody fronça les sourcils lorsque Lily affirmait ignorer qu’il était souffrant. Était-ce aussi facile de le déduire ? Est-ce que ses traits fatigués, son corps plus maigre qu’avant, laissaient tout savoir ? Il n’avait pas mentionné être souffrant, juste avoir cessé de suivre des athlètes en tant que physiothérapeute sportif. Elle avait visé juste, et ça le mettait mal à l’aise, lui qui n’amenait que rarement le sujet de lui-même, lui qui n’aimait pas s’ouvrir sur ce monstre qui le grugeait de l’intérieur, le faisant mourir à petit feu. « Je n’ai discuté des raisons de mon retrait à personne. Je me suis simplement concentré un peu plus sur ma clinique de physiothérapie, ici. » Il ne confirmait ainsi pas être souffrant, même si son trouble le trahissait sûrement aussi. Dans le but de changer de sujet mais aussi de satisfaire sa curiosité, Woody demanda à Lily si elle se trouvait à Bowen pour une compétition. Il ne lui semblait pas avoir vu la promotion d’un quelconque événement de surf pour les prochaines semaines. Elle le rassura là-dessus – il n’était pas à ce point coupé d’un monde auquel il avait autrefois appartenu. « Ah ? Des douleurs qui ne guérissent pas ? » Ses réflexes de professionnel reprenaient le dessus, même si jamais il n’avait été le physiothérapeute de Lily. Elle fit quelques pas vers un banc sur lequel elle se laissa tomber. Woody tourna la tête vers elle mais ne la rejoignit pas, pas tout de suite, jusqu’à ce qu’elle l’invite à faire une pause pour parler de leurs malheurs. Il détourna le regard un moment, cherchant sans doute un moyen de s’en sauver, mais aucune excuse ne lui vint en tête. « J’ai du temps, mais pas trop de malheurs à partager. » Il ne voulait pas, les partager, plutôt. Il alla quand même s’asseoir auprès de Lily. « Mais je peux écouter. » Il avait de bonnes oreilles, mais il n’avait jamais les mots pour répondre ensuite. Il pouvait écouter, Woody, mais il n’était pas une bonne épaule sur laquelle pleurer.