rage against the machism (elmo)

J’ai eu comme une révélation aujourd’hui, comme ça d’un coup, ça m’a frappé : Elmo est un gros con. Je me demande pourquoi je ne l’ai pas remarqué plus tôt en fait et pourquoi j’ai toujours laissé tout couler alors qu’avec les autres je ne suis pas comme ça. Je pense qu’il n’a pas franchement conscience de cette place particulière qu’il tient qui jusqu’à maintenant lui a épargné de se remettre en question de changer ses attitudes de mec toxique qui profite de sa position. Et en plus je pense qu’il ne se rend même pas compte de tout ça, parce que je parle jamais de ces sujets là avec lui et que j’imagine qu’il ne doit pas fréquenté beaucoup de féministes à part moi sinon jamais il aurait mis un truc pareil sur bbt. Genre sérieusement, il ne voyait pas le problème ? J’ai été énervée toute la journée à cause de ça. J’avoue que j’imaginais un peu qu’il y avait que des mecs dérangés, machistes au possible pour écrire ça et je ne pensais pas qu’Elmo fasse parti de cette catégorie-là mais il faut croire que je me suis plantée. Comment peut-il imaginer que c’est juste une blague (et que c’est drôle…) ? Ça me dépasse ! En rentrant déjà agacé, je ne m’apaise pas davantage quand je file dans la salle de bain et que je vois un caleçon, dont je connais le propriétaire surtout parce que je sais que Jules fait au moins l’effort de les mettre dans le panier qui se trouve à moins d’un mètre, qui n’est pas dans le bac mais qui traîne sur le sol en carrelage. J’ai l’impression qu’avant ces trucs je ne les voyais pas ou que je n’y pensais pas, mais là j’ai l’impression de tout voir et d’être une de ces femmes dont je lis souvent les témoignages sur les comptes instagram que je lis. Est-ce que je me suis laissée bernée par Elmo sans me rendre compte qu’il ne fait absolument aucun effort ? Je décide d’aller me regarder une série Netflix dans ma chambre pour tenter de me calmer un peu mais quand j’entends la porte s’ouvrir et que je sais que ça peut être lui, ma colère revient en un instant. Est-ce que je vais lui parler ou est-ce que j’attends de voir s’il vient me voir ? Comme je ne suis pas du genre très patiente, je me lève de mon lit pour sortir. Il s’agit bien d’Elmo. « Va falloir qu’on parle. » Je lui lâche comme si j’allais lui annoncer qu’on n’est plus ensemble (si jamais on avait été en couple). Ce n’est pas ça au final à l’avenir c’est bien ce qui pourrait arriver.

Immature émotionnellement, Elmo avait cette boule dans la poitrine depuis le début de la journée, sans pouvoir se l'expliquer correctement. Il ne savait même pas mettre le doigt sur l'élément déclencheur, alors que c'était pourtant bien simple : il se sentait mal depuis le sms reçu de Vega à propos de son profil de Bowen Bow Tie. Il se sentait mal depuis qu'elle lui avait reproché sa blague, relevant que ce n'était même pas de l'humour, que c'était violent comme commentaire. Elle avait parlé d'agressions sexuelles et s'il s'était d'abord senti attaqué, maintenant cette boule en-dedans de lui n'était rien d'autre que de la culpabilité. Cependant, comme mentionné  précédemment, Elmo n'était pas assez près de ses émotions pour donner du sens à tout ça. Il se sentait juste bizarre, et il ne savait pas vraiment pourquoi. Le jeune italien revenait du café, sa collègue ayant pris le relai derrière les machines à café pour le reste de la journée. Il avait emmené avec lui, dans un gobelet pour emporter, un café qu'il buvait distraitement, les écouteurs dans les oreilles. Il écoutait un podcast un peu ridicule mais qui le faisait bien rire. C'est donc dans un éclat hilare qu'il rentra dans l'appartement, ne se doutant pas du tout de la furie qui l'attendait derrière la porte. Il envoya valser ses souliers dans l'entrée, atterrissant tous les deux à au moins un mètre l'un de l'autre, tombés sur le côté ou à l'envers carrément. Il se rendit au salon, prêt à se laisser tomber sur le canapé pour ne plus en bouger de la soirée, mais Vega se tenait à la sortie de sa chambre, le fixant, de bien mauvaise humeur. Il eut tout juste le temps de retirer l'un de ses écouteurs pour l'entendre dire qu'il fallait qu'ils parlent. « Ok ? » Et là, il comprit qu'elle voulait revenir sur leurs échanges de ce matin. Et là, il comprit d'où provenait la boule dans sa poitrine - elle venait de prendre pas mal d'expansion.

Je me sens coupable alors que je n’ai pas à l’être mais je me sens quand même mal de défendre chaque jour mes idées sans vraiment remarquer qu’à côté de moi j’ai un meilleur ami qui représente en partie ce contre quoi je me bats. Je ne pense pas qu’Elmo soit le pire, enfin j’espère, il se rend juste pas compte de tout ça, il se rend pas compte que pour lui la vie est plus facile que pour une femme et il n’a jamais cherché à se rendre compte de cette différence non plus. J’ai essayé de me demander ce que je pourrais lui dire mais par où commencer ? Il y a tellement de choses à dire que je ne sais pas comment prendre les choses. J’ai décidé que je verrai sur le moment et que je laisserai sans doute ma colère parler et tant pis. De toute façon après nos sms de la journée, il ne doit sans doute pas s’attendre à ce que je l’accueille comme une fleur. J’ai un instant pensé qu’il ne rentrerait pas à l’appart’, pour m’éviter, se disant sans doute que j’aurais tout oublié bientôt. Je vois en arrière plan ses chaussures en bazar dans l’entrée et je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel avant de reporter mon attention sur lui. Je vais m’asseoir sur le canapé après qu’il ait accepté sans grande conviction qu’on ait une conversation. Je ne sais pas si je vais réussir à rester assise très longtemps. « J’vais essayer d’être la plus claire possible mais franchement j’pourrais écrire un roman alors j’promets rien. » Je lui balance d’entrée de jeu avant d’enchaîner. « Faut que tu te rendes compte que ta vie c’est le monde des bisounours à côté de ce que peut vivre une femme, encore pire si elle est racisée. Tu vois pas tout ça mais c’est là. Alors forcément quand j’vois tes blagues à la con même pas drôles, ça me fait vriller parce que j’vais en manif, j’fais des tracts, j’ai même un podcast qui parle de féminisme mais toi t’en es encore aux années 50, ça m’tue ! »

En haussant légèrement les sourcils alors qu’il suivait Vega du regard, elle qui vint prendre place sur le canapé à côté de lui, Elmo porta sa tasse à ses lèvres pour boire une gorgée de son café qui tiédissait déjà, un peu comme l’humeur de sa meilleure amie. Et la sienne. Il n’aimait pas les remontrances, Elmo, il était comme un enfant qui part bouder dans sa chambre dès qu’on lui reproche le moindre détail. Il n’aimait pas qu’on le critique, il préférait largement continuer à penser qu’il était un peu mieux que tout le monde. Cependant, au sérieux de Vega, l’italien songea qu’il s’agissait d’une discussion de la plus haute importance à avoir avec elle. Ce n’était pas juste une question de faire passer le message pour la énième fois. C’était une question de ça passe ou ça casse pour leur amitié. Ce genre de choses, ça se sent, même pour quelqu’un loin de ses émotions comme Elmo. « J’ai compris pour la blague Vega, j’le vis pas alors ça m’a pas sauté aux yeux mais c’est bon j’ai compris le mauvais goût. » La vérité était qu’Elmo n’avait jamais pris le temps de réellement écouter le podcast de Vega. Jamais réellement, attentivement. Il avait entendu des extraits, en avait fait la promotion, sans même le connaître plus que ça. Son attention se tournait souvent ailleurs quand il se le mettait en arrière-plan. Sûrement parce que ça ne l’intéressait pas plus que ça, parce qu’il ne se sentait pas interpellé, alors qu’il aurait dû. Il aurait dû. « J’m’en rends compte que j’suis pas à plaindre dans la vie, pour beaucoup de trucs, mais qu’est-ce que je fais de si mal par rapport à tout ça ? Comment ça les années 50 ? Comment ça tu pourrais écrire un roman sur tout ce que t’as à me reprocher ? J’traite tout le monde pareil, j’veux l’égalité pour tous, j’vois pas pourquoi tout d’un coup je suis le méchant pour ça. » Lâcha Elmo, un peu fermé, surtout parce qu’il ne comprenait pas pleinement ce que Vega lui reprochait. Dans sa tête il n’y avait que la blague nulle sur son profil. Il ne voyait pas tout le reste.

Je sais comment est Elmo, je sais qu’il faudrait que je le prenne par la main comme un enfant pour lui expliquer tout ce dont il ne se rend pas compte. Mais franchement, je n’en ai pas envie, je l’ai trop fait et là je sature vraiment de devoir donner des cours à des gens qui pourraient très bien faire des recherches tout seul. Ce n’est pas comme si une recherche Google était très compliquée à faire, comme si les problèmes d’égalités que ce soit des genres, des classes ou des personnes racisées ou non n’étaient pas documentées, comme s’il n’y avait pas assez de ressources. Il n’a qu’à aller regarder mes personnes suivies sur Instagram pour avoir des infos, écouter mon podcast même s’il n’est pas forcément destiné aux novices en matière de féminisme ou juste lire certains trucs que je poste sur Insta’. Mais bon j’imagine qu’il va me dire que c’est trop compliqué et que lui n’a rien à se reprocher alors il ne doit pas voir pourquoi il devrait se renseigner, ce qui est vraiment une excuse bidon. « J’pense qu’un enfant de cinq ans aurait compris alors heureusement que tu te rends compte que c’est pas drôle. » Je lui dis, franchement mauvaise parce que je n’ai pas envie de lui donner un bon point parce qu’il a fini par se rendre compte, avec un peu de mal, que rire de la culture du viol, bah c’est pas marrant. « T’as l’impression que tout va bien, que parce que t’as pas l’impression de faire des différences y’en a pas, mais y’en a et t’as des choses à te reprocher. » Et je tente de rassembler dans ma tête les choses auxquelles j’ai pensé. « J’vis avec toi depuis des années et j’peux te dire que la charge mentale j’me la prends en pleine tête parce que tu laisses toujours traîner ton bordel, que j’dois te rappeler de le ranger comme si j’étais ta mère ! Et j’te rappelle quand même que t’es tellement pas organisé et que tu t’en fous de tout que j’ai dû te sauver le cul pour pas que tu te fasses expulser du pays. Et me sors pas que c’est ton caractère et que ça n’a rien à voir avec le fait que tu sois un mec. Parce que si c’était ton caractère, y’aurait pas autant de mecs irresponsables dans ton genre qui se reposent sur les mêmes, à savoir les femmes, pour gérer tout. » Et la liste ne fait que commencer.

Lorsque venait le temps de s’informer, de suivre des comptes Instagram, d’aller faire des recherches sur Google, finalement Elmo optait pour des trucs pas mal moins importants que ça. Il regardait des séries sur des meurtres inexpliqués. Il suivait des comptes Instagram d’influenceurs fêtards qui ne font pas grand chose de pertinent. Il faisait des recherches sur quels aliments on peut deep fry et que le résultat est délicieux. Rien qui puisse vraiment l’élever dans sa morale, dans sa pensée, dans son attitude envers les autres. Elmo il demeurait au même niveau, tout le temps. Il ne cherchait pas à être une autre version de lui-même, une version meilleure, améliorée. Il s’aimait comme il était, ou à peu près. Il ne voyait pas tout le travail qu’il avait à faire sur sa propre personne. Peut-être que Vega lui ouvrirait un tout petit peu les yeux, et qu’il ferait le reste du chemin par lui-même. Qui sait. « Bon si tu vas juste m’insulter comme ça c’est bon j’ai autre chose à faire. » Il n’aimait pas qu’on le réprimande alors si en plus c’était fait avec cet air mauvais qu’avec Vega, Elmo allait rapidement se déconnecter de cette conversation. Il irait s’enfermer dans sa chambre et ne reparlerait à sa colocataire que lorsque la poussière serait redescendue. Si elle redescendait. Il était à ce point-là un bébé. « Ok ben dis-moi, j’t’écoute. » Ce n’était pas à Vega de lui lister tout ce qu’il avait à se reprocher, mais dans sa tête à lui, si elle ouvrait la discussion et n’allait pas plus loin, il ne comprendrait pas. Sa meilleure amie se lança donc, lui reprochant de ne pas partager la charge mentale, de ne pas se ramasser, de ne pas être reconnaissant pour tout le mal qu’elle s’était donné pour qu’il puisse rester en Australie malgré son visa étudiant expiré, etc. Elmo l’écouta sans broncher, attendant que tous ses défauts soient mis sur la table. « T’es pas ma copine, la charge mentale on n’a pas à gérer ça ensemble, c’est n’importe quoi. Tu fais tes trucs et j’fais les miens, ça a pas toujours été ça le deal ? » Si ça se limitait à sa chambre, probablement que Vega n’aurait rien dit. Le truc c’est qu’Elmo ne respectait pas les limites, il étalait sa désorganisation partout dans l’appartement, l’imposant à Vega et à Jules comme s’il était le roi de la place. Comme s’il comptait plus que les autres. « Pis je m’en fous pas du tout que tu m’aies sauvé le cul, pourquoi tu dis ça ? J’t’ai remerciée un tas de fois, tu veux que je fasse quoi, que j’fasse ériger une statue en ton honneur à l’entrée du bloc ? » Mais l’avait-il remerciée ? Réellement remerciée ? Pas via des blagues, pas via des sous-entendus, pas à la va-vite. Réellement remerciée, les yeux dans les yeux, avec tout le sérieux du monde dans les mots ? Probablement que non. Même pas.

Je n’arrive pas à rester calme, à dire les choses posément, parce que c’est trop tard, parce que je cumule trop depuis trop longtemps pour réussir à prendre Elmo par la main pour lui expliquer toutes les choses qui ne vont pas dans son comportement et qu’il représente bien le type jeune qui s’imagine qu’il traite tout le monde comme il faut sans jamais pour autant se renseigner pour savoir s’il le fait effectivement. C’est un gamin, je le sais, mais je n’ai pas envie de le traiter comme un bébé qui va bouder à la moindre contrariété. Il est plus vieux que moi, j’ai pas à être sa mère ! Je sens qu’il est prêt à me laisser en plan pour éviter à faire face à mon énervement, mais il résiste et je commence à lui dire les choses qui vont pas dans un discours un peu décousu parce que trop de choses se bousculent dans ma tête, trop de moments qui semblent pas si énormes, mais mis bout à bout, c’est trop. Je lui pardonne beaucoup trop pour ce que je reproche aux autres, il est temps que lui aussi ait droit à ma franchise et à ses quatre vérités. Je ris quand il me dit que je suis pas sa copine et que donc la charge mentale, bon bah c’est pas un truc qui nous concerne, chacun sa vie, chacun ses affaires. C’est plus fort que moi, je peux pas rester impassible face à un manque si flagrant de lucidité. « C’est pas que dans le couple la charge mentale, quand tu fous du bordel dans l’appart’ et que je te dis de pas laisser traîner tes trucs, que tu me dis que tu vas t’en occuper, que tu le fais pas. C’est pas une petite fée qui vient ranger les trucs comme par magie, c’est parce que j’en ai marre de voir ton bordel traîner que je finis par ranger, parce que j’ai pas envie de vivre dans un bordel permanent. Et j’ai pas envie d’être ta mère non plus, donc ça me fait chier de devoir te dire comment gérer tes affaires alors que t’es suffisamment grand pour savoir foutre des caleçons dans un panier plutôt qu’à côté ! » J’ai trop d’exemples et de choses sur le cœur pour que cette discussion soit terminée en cinq minutes. Pour ce qui est du mariage, il semble trouver ça cool que je l’ai aidé, qu’il m’a remercié, que c’est bon quoi, un merci c’est suffisant, faut pas que j’en demande trop quand même. « Tu m’as remercié un tas de fois ? Franchement vu le mal que je me suis donnée, un p’tit merci au petit dej’ c’est clairement pas suffisant. T’as presque eu que à te pointer au mariage alors que j’me suis tapée tout le reste. Pourquoi ? Parce que j’suis trop sympa avec toi et que j’me suis dit que si je te laissais gérer, c’était sûr que t’allais te faire renvoyer en Italie parce qu’il manquerait forcément des trucs. Et j’voulais pas que tu partes, parce que tu tiens à Bowen et j’voulais pas qu’on soit loin l’un de l’autre. Mais maintenant en y réfléchissant, j’aurais clairement pas fait tout ça pour toi. »

Elmo il se croyait génial, à être dans le “vivre et laisser vivre”, mais en vrai ça ne fonctionne que quand t’es celui qui fout le bordel et le chaos. Bien sûr qu’il allait prôner ce mode de vie puisque c’était lui que ça avantageait. Il pouvait bien laisser vivre Vega, puisque tout ce qu’elle faisait dans la vie, c’était l’aider - autant en gardant l’appartement propre qu’en résolvant tous ses problèmes d’immigration. Mais laisser vivre Elmo, c’était une toute autre histoire : c’était le laisser se traîner à peu près partout sans jamais se ramasser ou nettoyer derrière lui, c’était accepter de retrouver des contenants au contenu moisi depuis des mois dans le frigo, c’était accepter qu’il ne foute pas grand chose de sa vie et que sa part du loyer soit parfois en retard ou incomplète. Alors ouais, Elmo il pouvait un peu admettre, là, que Vega avait un point. « Ok, je comprends. Mais faut que tu me laisses le temps de prendre l’habitude, aussi. Moi ça me dérange pas, le bordel, tu vois ? J’vois pas pourquoi j’fouterais tout dans un panier, quand j’fais ma brassée j’ai juste à faire le tour des pièces et voilà ça s’en va à la même place. Mais je comprends que ça puisse te déranger alors j’vais faire un effort. » Bon, évidemment, le discours de Vega ne s’arrêtait pas aux vêtements qui traînent mais évidemment les réflexions d’Elmo ne fonctionnaient que par rapport aux exemples donnés. Tout comme ses réflexions n’allaient souvent pas bien plus loin qu’un “merci”, quand venait le temps de réaliser l’ampleur de ce que Vega avait fait pour lui, pour qu’il puisse rester ici en Australie. La finale de son intervention fit assez mal à Elmo, qui se sentit heurté par la conclusion à laquelle sa meilleure amie en venait : avoir su, elle n’aurait pas fait tout ça pour lui. Il eut une mine renfrognée pendant un instant. « J’pensais que t’aimais ça régler ce genre de situations, alors que moi ça me stresse beaucoup trop. J’pensais que genre … j’sais pas, que c’était le type de démarche qui représentait un challenge motivant pour toi, que c’était une opportunité d’apprentissage, whatever. Et je suis pas en train de dire que je t’ai laissé tout faire pour ton bien, pour ton bonheur, hein. J’pensais juste que ça te faisait plaisir de m’aider. » Il croisa les bras. « Mais j’te demanderai plus rien, clairement. »

Ce n’est pas comme si je découvrais soudainement la vraie nature d’Elmo, comme si depuis tout ce temps il prétendait être quelqu’un d’autre. Non, depuis que je le connais il est comme ça, juste je lui ai toujours tout passé, je ne sais pas trop pourquoi, l’amour amical sans doute. Mais là, j’ai atteint le point où je prends conscience de tout et ça explose parce que je ne lui ai rien dit, ou presque, pendant toutes ces années et là j’ai l’impression que je ne peux plus m’arrêter de tout lui déballer. Alors oui le truc facile ça serait de me culpabiliser, pourquoi est-ce que je suis restée ami avec lui pendant tout ce temps alors que si j’y regardais d’un œil extérieur pendant deux secondes, il correspond pas mal à ces types qui m’agacent au quotidien et qui devraient faire pas mal d’efforts pour être potable. Ça serait trop simple de rejeter la faute sur moi, comme si c’était à moi de l’éduquer sur tous les sujets où il est à la ramasse alors qu’il est suffisamment grand pour aller se renseigner lui-même au lieu d’attendre que les choses tombent tout cru et débarquer avec un regard de merlan fris comme s’il découvrait que laisser ses caleçons traîner c’est pas cool quand on vit à plusieurs. « J’pense qu’un enfant de quatre ans est capable de comprendre que quand tu vis à plusieurs tu t’étales pas partout avec ton bordel ! » Je lui réponds avant de passer sur un sujet un peu plus sensible que son incapacité à ranger quoi que ce soit. Je m’attendais clairement pas à des remerciements en grande pompe pour lui avoir permis, en ramant bien, de rester en Australie. Ce qu’il me sort comme justification me paraît lunaire. C’est vrai quoi, j’adore les papiers administratifs sans aucun sens et devoir finir par appeler mon père, à savoir un des types que j’essaie d’éviter au plus dans ma vie, pour qu’il vienne sauver toute cette histoire. « Oh tu vas aller bouder c’est ça ? Parce que j’m’énerve d’avoir passé un temps fou pour t’aider ? T’attends toujours que tout tombe comme par miracle, parce que t’as toujours eu un peu c’que tu voulais au final dans la vie, t’as pas eu trop d’obstacles pour quoi que ce soit, t’as pas eu à en chier deux fois plus parce que t’es pas un mec, ou que t’es pas blanc. J’ai l’impression d’être avec un gosse pourri gâté qui va bouder parce que le gâteau était pas assez gros pour son anniversaire. »

Il ne répliqua rien à propos de l’enfant de quatre ans, Elmo, parce que bien franchement il n’était pas trop d’accord. On entend depuis toujours les parents qui grondent les adolescents qui se laissent traîner alors clairement, ce n’était pas forcément un apprentissage qui se cristallisait dès l’enfance. Elmo il était capable d’admettre qu’il était encore un peu coincé dans ses habitudes d’adolescent trop gâté, mais pas qu’il agissait comme un enfant. Et pourtant. Il était parfois un vrai bébé. Un peu comme là, à se renfrogner parce que Vega disait qu’avoir su qu’il ferait comme si elle ne lui avait pas sauvé la peau par rapport à son visa australien, elle n’aurait pas fait toutes ces démarches. « Bon là tu vas vraiment me sortir l’argument que j’suis juste un enfant pourri gâté, que je suis tellement privilégié que je me rends pas compte que je l’ai plus facile que d’autres ? » Dit-il en agitant les bras, avant de les relaisser tomber le long de son corps, silencieux, un peu pris au piège. Parce qu’il n’avait aucun argument contre ça, pas vraiment. Bien sûr qu’Elmo était le parfait exemple du mec blanc riche qui se sent entitled pour tout et pour rien. Il soupira à travers son nez. « Fine.C’est vrai que, p’t’être, j’agis comme ça parfois. Mais je le sais que je suis pas à plaindre dans la vie. Je sais que j’ai eu une enfance super simple, que j’ai jamais manqué de rien, au contraire. Je sais que les toutes les voies ou presque ont pu s’ouvrir pour moi sans que j’fasse grand chose. Que si les portes se referment c’est juste ma faute parce que je suis paresseux, que je suis lâche. » Alors que tant d’autres personnes auraient bossé si dur, auraient tout donné, pour avoir sa place, pour avoir cette chance. « J’sais juste pas comment m’y prendre la plupart du temps, Vega. J’fais pas ça pour mal faire. J’me sens juste … pas capable de régler tout ça. C’est des montagnes pour moi. » Il parlait de la paperasse pour le visa, évidemment, pas de ramasser ses caleçons. « T’es genre ma meilleure amie avec des superpouvoirs qui comprend tout et qui a toujours la solution. J’me tourne vers toi parce que ça me rassure. » Mais il en avait abusé. Il ne pouvait pas la surcharger mentalement avec tous les trucs de sa vie. Elle en avait assez à gérer avec la sienne.

J’ai tellement envie de crier, de crier plus fort, de tout lâcher. C’est un peu ce que je fais mais ses réactions me crispent encore plus. En vrai je m’attendais à quoi, à ce qu’il me réponde très calmement qu’il s’améliorera et qu’il fera ce qu’il faut pour être un mec bien, que tout le monde a des défauts mais qu’il peut s’améliorer et être un gars un peu plus déconstruit ? Non je m’attendais pas à ça, parce que je le connais et que je pense qu’il sait même pas ce que c’est que d’être un mec déconstruit en fait. Je lève les yeux au ciel quand il me dit que je vais lui sortir l’argument de l’enfant pourri gâté. Bah oui, c’est un peu ça en vrai, exactement ça. Il vient pas d’une famille ultra riche, mais il part quand même avec plusieurs avantages dans sa poche sans même s’en rendre compte. Il essaierait presque de me faire pitié avec sa réponse mais ça marche pas, je suis trop énervé par tout ça pour me dire que le pauvre bébou il a tout mais il est trop flemmard pour en profiter. On va dire qu’il reconnaît au moins ses tords, mais est-ce que c’est suffisant ? Pas pour moi, parce que c’est un peu l’argument facile de dire : non mais moi j’suis pas assez doué pour ça alors que toi tu sais vachement bien y faire alors je préfère que ce soit toi. Combien je vois passer de posts sur Instagram sur la charge mentale qui ressemblent à ça ? Et on n’est même pas ensemble avec Elmo ! Sérieux ! Les mecs, prenez vos responsabilités et bougez vous le cul! Et la flatterie ne fonctionnera pas. Non je n’ai pas de supers pouvoirs, juste si je fais pas les choses, personne viendra les faire pour moi, certainement pas Elmo. « Non ! Tu peux pas te cacher derrière ça, c’est trop facile. Ça m’saoule parce que tous les mecs sortent les mêmes phrases. T’es pas différent des autres, franchement pas forcément moins doué que les autres, c’est juste que 90 % des mecs, comme toi, laissent les femmes gérer les trucs. J’ai pas de supers pouvoirs, j’ai juste pas le choix en fait, j’suis obligée de me bouger le cul. Alors arrête de te cacher derrière tout ça et deviens un mec bien, éduque toi, rend toi compte des privilèges que t’as et de toutes les petites choses que tu pourrais changer. »

Elmo avait un peu pensé, ouais, que sa victimisation et les compliments faits à Vega sur le côté, pourraient un peu justifier, et permettre à cette discussion d’être plus douce. Il pensait quand même tout ce qu’il avait dit, lui-même se sentait franchement démuni face à toute la paperasse et les appels à faire. Et il savait que Vega était très efficace et organisée pour ce genre de choses. Mais c’est à tort qu’il avait cru que cela pourrait désamorcer la situation. Au contraire, elle sembla s’envenimer. Vega s’énerva encore plus contre lui et franchement, il en eut un peu marre de se faire crier par-dessus la tête tout un tas de reproches alors qu’il n’avait pas vraiment eu d’avertissement avant la journée d’aujourd’hui. Le seul truc qui avait pu le préparer à cet échange explosif c’était le pétage de coche de Vega par sms tout à l’heure, et on s’entend, c’était la journée même alors Elmo n’avait pas trop eu le temps de réfléchir à tout ça. Ça faisait donc beaucoup, tout d’un coup, et le bébé qu’il était commençait à s’impatienter. « Si j’suis un mec aussi exécrable et mauvais, pourquoi t’es ma meilleure amie depuis tout ce temps ? Pourquoi tu m’endures H24 en vivant avec moi, même ? » Il demandait cela sérieusement, Elmo, parce que ces reproches lui semblaient vraiment sortir de nulle part. Ils accumulaient les années d’amitié et il avait l’impression que c’était la première fois que sa personnalité, que son attitude, que ses actions, posaient réellement problème entre eux. Certes, Vega lui avait souvent fait des réflexions mais jamais avec autant de colère. Il avait pensé jusque-là que c’était juste des petites piques innocentes, pas trop sérieuses, mais il commençait à comprendre que pour Vega, ce n’était pas les années d’amitié qu’elle accumulait avec lui, c’était les irritants.

Une fois que je suis lancée, j’ai l’impression de plus pouvoir m’arrêter. Il y a tellement de choses à dire, tellement de choses qui m’énervent et clairement Elmo n’est pas responsable de tout, juste là, à cet instant, il cristallise beaucoup de choses contre lesquelles je me bats. Il n’est pas volontairement un mauvais gars, il est même plutôt dans la moyenne je dirais, mais je suis saoulée que pour les hommes, être dans la moyenne ça suffise alors que c’est pas parce que t’es dans la moyenne que t’es un gars bien, la moyenne est tellement basse là-dessus. Des fois quand je vois des trucs passer où ça félicite un gars parce qu’il s’occupe de ses enfants ou fait à manger, j’ai envie de crier. C’est juste normal quoi ! C’est comme si on disait que les bons humains c’est ceux qui n’en tuent pas d’autres, non ça suffit pas vraiment, parce que ne pas être un meurtrier c’est pas franchement si dur. Je m’emballe, je m’emballe et Elmo qui n’est pas vraiment habitué à ce que ma colère soit dirigée vers lui, surtout de manière si intense, arrive à saturation de ce que son ego peut supporter, j’ai l’impression. Alors il me pose la question, celle de savoir pourquoi on est meilleurs amis si je le trouve si pénible, si je trouve que c’est pas spécialement un mec bien. Je me tais parce que je ne sais pas quoi dire, j’ai pas la réponse à cette question. Je ne sais pas pourquoi ça fait des années que je le considère comme une des personnes les plus importantes de ma vie alors qu’il correspond pas vraiment aux critères pour réussir à avoir un statut élevé dans mon cœur. Pas que j’ai des critères écrits stricts, non ça serait super bizarre, mais disons que les personnes dont je suis proche partagent mes valeurs, ma vision du monde et là-dessus Elmo fait un peu exception dans les gens que je fréquente le plus, j’ai l’impression. « Je sais pas. » je lui réponds plus calmement, plus perdue qu’énervée. Peut-être parce que quand on s’est rencontrés je n’étais pas aussi engagée et qu’ensuite il était trop important dans ma vie pour que je me pose des questions dessus. J’en sais rien et je sens tous ces questionnements me submerger, les larmes me monter aux yeux alors je dis juste « J’vais faire un tour. » avant d’enfiler rapidement mes chaussures et claquer la porte.

Il ne s’attendait pas à ce que la seule fois qu’il cloue le bec à Vega, c’était en lui demandant pourquoi elle était sa meilleure amie, alors. Là-dessus il aurait bien aimé avoir une réponse, une réponse aussi spontanée et expéditive que depuis le début de leur conversation. Une réponse un peu plus positive, aussi, dans laquelle elle trouverait au moins quelques bons côtés à leur amitié, ce qui leur permettait de l’entretenir depuis tout ce temps. Mais non, elle était figée là, devant lui, en silence, comme si rien ne lui venait à l’esprit. Il recula un peu la tête en haussant les sourcils, la bouche entrouverte, lui aussi pris par surprise par cette absence de raisons d’être de leur amitié. Finalement, Vega trouva les mots à dire, enfin, les seuls qui lui vinrent à l’esprit : je sais pas. C’est fou comme trois mots, ça pouvait faire mal. Elle ne savait pas. Elle ne savait pas pourquoi ils étaient encore des meilleurs amis. Elle ne savait pas comment elle arrivait encore à vivre en colocation avec lui. Elle ne savait pas. Et lui commençait à douter de tout. « Wow. » Avait déclaré Elmo, déçu, blessé, confus, fâché, un peu tout ça. Il arriva quand même à soutenir le regard de Vega, ce regard qui se remplissait de larmes. Elmo serra la mâchoire, il n’avait pas envie de céder à l’émotion. Il hocha la tête quand elle déclara aller faire un tour, et il détourna le regard. « Whatever. » Il ne la regarda même pas enfiler ses chaussures, l’entendit juste claquer la porte alors que lui-même se dirigeait vers sa chambre pour aller s’y enfermer. « Fuck this shit. » Lâcha-t-il en fermant la porte d’un coup sec, allant chercher son casque d’écoute sur son bureau avant de se laisser tomber dans son lit, mettant du Disturbed à fond dans ses oreilles pour taire tout le chaos dans sa tête.

TERMINÉ