LIBRE - everytime i close my eyes, it's like a dark paradise

18h00 – "A demain mec, passe une bonne soirée!" La porte se ferme derrière moi, le tintement de la clochette accrochée au cadre se fait entendre et je me retrouve dehors. Je soupire. Putain, le soleil s'est déjà couché. C'est vraiment déprimant ce mois de janvier. Comme chaque soir, je quitte la petite station service dans laquelle je suis embauché depuis plusieurs années. Commence alors ma routine avant de prendre la route. J'enfonce les deux écouteurs dans mes oreilles, je cale l'album de Lana Del Rey sur Spotify, mon sac sur le dos et ma planche de skate à mes pieds. Et là, les petits potes, c'est le début de la liberté. J'arpente les rues, je me sens libre, la musique plus fort que de raison, je ferme les yeux quelques instants. Le bonheur.

Mais forcément, comme je suis la moitié d'un con, éternel étourdi, je ne me rends pas compte que la petite pochette de mon sac est grande ouverte. Ouais, vous vous souvenez, quand ça vous arrivait au lycée, c'était trop la TE-HON! Eh bah là, voyez-vous, c'est pas le soucis majeur. La honte, je m'en tape. Par contre, mon téléphone qui valdingue hors de la pochette et qui vient s'éclater contre le bitume, ça c'est plus embêtant. Et le pire dans tout ça, c'est ce que je continue ma route, le bruit du téléphone volant en éclat a été couvert par la douce et mélodieuse voix de Lana. Pas sûr qu'elle chante encore très longtemps, mais ça, je ne sais pas encore.

J'ai vu un petit poucet aujourd'hui. Ma journée, comme toutes les autres, s'est royalement bien passée. La grasse matinée, parce que travailler dans un nightclub implique que toutes mes nuits lui soient dirigées, le sport, les repas, les dessins, et puis une sortie avec quelques amis. Evidemment, parce que je ne suis rien sans eux. A ce moment-là, je venais de les quitter d'ailleurs et j'étais au téléphone avec ma soeur, avec un écouteur sur les deux dans l'oreille pour écouter les bruits avoisinants. Je me suis arrêté quelques instants, seulement pour chercher mon carnet dans mon sac avec un regard brillant. Et puis, ce regard s'est intéressé à ces affaires qui tombaient petit à petit du sac de cet inconnu. Visiblement, il n'a pas fait très attention à bien le fermer.

Le problème, c'est que cet individu, il est en skate et moi à pieds. Alors, quand je vois son téléphone s'écraser au sol, je grimace. Je lâche un "je te rappelle" et je raccroche en appuyant sur mon écouteur. Je me dirige ensuite vers l'objet tout cassé et je le ramasse en soupirant. L'écran est foutu, éclaté, et pourtant il s'allume et à travers tous les impacts et toutes les fissures, j'arrive à voir qu'il écoute de la musique. Alors... Je mets sur pause et j'attends. J'attends qu'il revienne sur ses pas avec un petit sourire amusé sur les lèvres.

A ce moment là, j'pourrais m'envoler. J'me sens léger, la journée de boulot est finie et je n'ai plus qu'à profiter de la soirée. J'sais pas encore ce que je vais faire, j'enverrais sûrement un message à Elmo, Beck ou Elias, peut-être aux trois et on s'ferra un truc tranquille, à base de bière et de chips. La base. J'file à la vitesse de l'éclair sur ma planche de skate, mes gestes sont assurés, fluides. Tandis que Lana Del Rey s'apprête à entamé son refrain, la musique se coupe brusquement. J'fronce des sourcils, merde, j'ai plus de batterie ou quoi. Toujours sur ma planche, j'retire un bras d'la sangle de mon sac à dos, j'le ramène sur mon torse et là, c'est la merde. La poche de mon sac est vide, plus de téléphone. J'm'arrête net, j'endosse mon sac à dos et d'un coup de pied, je ramène ma planche à la main. Ce genre de truc, paumé mon téléphone, ça m'arrive souvent mais là, il s'est sûrement brisé. Et ça m'fait chier d'avance. J'reviens sur mes pas, et j'le vois. Mon téléphone, entre les mains d'un jeune homme, quelques dizaines de mètres plus loin. J'réponds à son sourire et je me dirige vers lui. "T'es un pick-pocket sacrément doué!" A mon sourire, il peut facilement deviner que c'est ironique. "J'imagine qu'il n'a pas survécu à la chute?" Au fond, j'suis dég mais bon, c'est la vie. J'suis pas matérialiste pour deux sous. "Merci d'l'avoir ramassé en tout cas, t'aurais pu taper un petit sprint pour me le ramener quand même!"

Et finalement, voilà que le skateur se retourne pour revenir vers Adonis. Ce dernier sourit davantage. Il savait qu'il allait susciter l'intérêt chez lui en retirant sa musique. Il avait l'air dans ce monde, l'inconnu. Adonis ne peut pas le lui reprocher mais il peut l'y arracher pour qu'il vienne chercher son téléphone. Et c'est ce qu'il fait. Alors l'artiste lui tend l'appareil en gardant son sourire. "Mhh j'aime dire que j'ai de l'expérience, oui." Une petite vanne bien sûr, il n'a rien volé et il ne volera rien, il n'en a pas besoin. Il vit bien, Adonis, même très bien finalement. "Disons qu'il a besoin d'un ravalement de façade." Adonis lui montre l'état de l'écran tout fissuré du téléphone. "Mais il fonctionne encore. Il faut juste remplacer l'écran. Pas certain que ça en vaille la peine, cela dit." Quand on a un vieux téléphone, il vaut mieux le remplacer complétement plutôt que de remplacer les pièces une à une, vu le prix qu'elles coûtent. Un rire s'échappe de ses lèvres tandis qu'il rend l'appareil à son propriétaire. "Je ne cours pas pour un parfait inconnu, encore moins quand il triche !" Il pointe le skate du doigt. Oui, c'est de la triche. Il n'aurait jamais pu le rattraper. "Et je n'allais pas m'époumoner pour couvrir ta musique non plus. Je crois que tu en attends trop des autres..." fait-il en faisant mine de l'analyser. Alors qu'au final, il n'en sait rien du tout et il ne prétend pas le savoir de toute façon.

Bien sûr, je me doutais bien qu'il n'avait pas réussi à dérober mon téléphone alors que je filais sur ma planche de skate. Bien que je dois avouer que ça aurait été très stylé de réussir un move pareil. Le gars sur qui je viens de tomber est souriant et semble réceptif à mes réflexions un peu pourries, tant mieux. Malheureusement, le gars me tend mon téléphone que j'empoigne et commence à inspecter. Je soupire. Il a raison, mon vieux cellulaire aurait besoin d'un nouvel écran. En vrai, je m'en tape d'avoir un téléphone à la pointe de la technologie mais là, c'est chaud quand même. "La flemme d'avoir pété mon tel, bordel." Mais j'prends ça avec philosophie et le sourire n'a pas quitté mes lèvres. "Bon au pire, il marche quand même nan?" Elijah ou l'art de faire l'autruche et de se contenter du moindre. Finalement, il avait raison, il n'allait pas me courir après ni hurler pour que je l'entende. C'était écrit que c'est moi qui devait revenir vers lui. "Tes arguments s'tiennent. Mais bon quand même, j'ai du faire quelques mètres à pied!" Je hochais faussement la tête à sa supposition, je ne suis pas du genre à en attendre trop des autres mais dans l'instant, ça m'fait rire. "Hé ouais, j'suis démasqué, j'suis le genre petit prince à qui tout doit revenir et vite!" L'ironie encore et toujours. J'fourre mon téléphone explosé dans la poche de mon hoodie. J'repose mes yeux sur l'inconnu et le remercie encore une fois. "Merci mec. En fait, j'm'appelle Elijah, t'es nouveau à Bowen? J't'ai jamais croisé et j'pensais modestement bien sûr, connaître tous les gens en ville." Il semble avoir mon âge, aurais-je loupé sa personne?

C'est une rencontre hors du commun que voilà mais ça me plaît beaucoup. Il n'y a rien qui m'ennuie plus que le banal, même si le banal fait du bien de temps en temps, c'est rafraîchissant. Je dis que ça me plaît mais ça aurait pu ne pas être le cas pour la personne en face, qui, elle, a perdu son téléphone. Enfin, a perdu... C'est plutôt son téléphone qui a perdu la face ! "Oui, il fonctionne toujours. Si tu as activé la commande vocale, tu peux encore t'en servir." Je considère qu'à partir du moment où il possède un écran tactile, un téléphone est également doté d'une commande vocale. Reste à voir si elle n'est pas désactivée, ce que certaines personnes font parfois. Et finalement, me voilà à expliquer pourquoi je ne vais pas courir après un inconnu. D'autres gens seraient sûrement passé à côté du téléphone sans le ramasser. "Et moi, j'ai dû me baisser, est-ce que tu te rends compte, quand même ?" dis-je avec un air dramatique. Oh, s'il savait ! Son ironie est présente dans sa voix mais je ris, pas parce que c'est drôle, bien que cela soit drôle, je ris parce que moi, je suis un prince. Et puis il se présente et je secoue la tête. "Enchanté, Elijah. Je m'appelle Adonis. On dirait que tu as manqué quelqu'un." Mon sourire en coin lui montre ma plaisanterie. "Je suis ici depuis aussi longtemps que je m'en souvienne. Alors, tu tiens un carnet avec les noms des personnes que tu rencontres pour n'oublier personne, c'est ça ?" Ayant finalement pris une décision, je sors le petit boîtier dans lequel je range mes écouteurs. "Tu veux aller boire un verre quelque part ?"

Le cadavre de mon téléphone entre mes mains, je dois me rendre à l'évidence. L'écran est éclaté et je suis bon pour m'en acheter un nouveau. L'inconnu propose une alternative, la commande vocale. C'est un truc que je n'utilise pas beaucoup, enfin si, pour poser des questions débiles à Siri quand je m'ennuie, du type "Dis Siri, est-ce que tu penses qu'il existe plus con que moi sur cette terre?" Généralement, la réponse me faisait rire et voilà. C'est comme ça que j'utilisais la commande vocale. Je haussais les épaules. "La flemme, ça va être bien galère je le sens. Autant en prendre un nouveau, ça me fait une bonne raison!" Je n'étais pas du genre gros consommateur, mais tout ce qui touchait aux nouvelles technologies avaient le don de nous faire flancher, moi et ma carte bancaire. Je rigole à la suite, j'ai du marché quelques pas supplémentaire et lui à du se baisser. "On est quitte alors j'crois !" Finalement, il se présente. Adonis. Et me dit que j'ai loupé quelqu'un. Mais ce prénom fait tilt dans ma tête. Adonis, c'est pas commun et je connais un Adonis. "Attends, t'es le Adonis de Calliopé ?" Cette question n'a aucun sens mais si c'est le cas, alors il y a de fortes chances que je sois tombé sur le meilleur ami de ma soeur. "Si c'est le cas, alors j'te connais, Calliopé, c'est ma soeur." Je tente, on verra bien. Adonis me propose d'aller boire un verre, j'suis pas contre. Ma soeur ayant disparu de ma vie depuis son départ à l'autre bout du monde, je suis bien curieux de voir si lui à des nouvelles d'elle. Ca serait une bonne raison de savoir si elle va bien, sans avoir à lui demander directement. "J'suis partant pour le verre, on va au Hendrix, ça te va?"

En fait, son visage me dit un truc. Et même son prénom, finalement. Pour autant, j'ai juste l'impression de le rencontrer pour la première fois. Enfin, ça, c'est jusqu'à ce qu'il me dise qu'il est le frère de Callie. Et là, ça me revient immédiatement. Mais oui, Elijah ! Pourquoi je l'ai complètement oublié ? Simplement parce que ma mémoire en a décidé ainsi. Heureusement que j'arrive à le remettre. "Ah, oui, Elijah ! Ca fait plaisir de te revoir." Oui, ça fait plaisir. Même si je sais qu'il est en colère contre Callie. Cependant, je garde mon sourire. J'ai toujours apprécié Elijah, il a toujours été sympa avec moi et j'imagine qu'il le restera. "D'accord, va pour le Hendrix." Peu importe le bar, de toute façon, ils ont toujours les mêmes boissons et puis, je ne bois jamais autre chose qu'une eau pétillante. Parfois une limonade, quand un moustique m'a piqué sur le coude gauche. "Eh bien... Comment tu vas, depuis le temps ?" Que je dis en me mettant à marcher à ses côtés. "Enfin, mis à part le fait que tu doives remplacer ton téléphone. Tu devrais faire plus attention à tes fermetures !"

Parfois, c'est marrant, j'fais pas les connexions tout de suite. Mais il faut dire qu'Adonis, je l'avais pas vu beaucoup. Et depuis que Calliopé avait désertée Bowen, on ne s'était plus recroisé. Mais j'étais content de tomber sur lui. Alors très vite, j'lui propose d'aller au Hendrix, ça serait l'occasion de renouer un peu les liens avec lui et puis aussi d'avoir des nouvelles de Calliopé. Depuis qu'elle était partie, c'était le froid polaire entre nous et parfois, j'espérais juste qu'elle allait bien. On se mit en chemin vers le bar et on se mit spontanément à discuter. J'riais à sa réflexion. "Jusqu'à ce que je flingue mon téléphone, tout allait bien! Nan, en vrai ça va, rien d'bien nouveau, j'bosse toujours à la station service et j'traîne dans la ville quoi." Très clairement, ça fait pas rêver comme vie mais j'crois qu'elle me convenait bien, comme elle était. J'aspirais pas à plus grand de toute façon. "Et toi alors, comment ça va?" On arrivait au niveau du Hendrix et comme le soleil brillait encore et que la température extérieure était agréable, on s'posait en terrasse. "T'as des nouvelles de Calliopé ces derniers temps?" J'avais pas pu m'empêcher, ça m'brûlait trop les lèvres. Et puis, même si j'étais en colère, elle restait ma soeur. Avec un peu de chance, Adonis allait m'annoncer son retour. Mais, j'y croyais qu'à moitié.

Ah ! Je comprends un peu comment j'ai pu oublier son visage. Finalement, il est associé à Callie, alors dès son départ, voilà qu'il est parti comme un fichier qu'on met à la corbeille pour être restauré une fois qu'elle serait revenue. Si cela m'étonnait de prime abord, désormais, ça ne m'étonne plus trop. "Toujours ? Eh bien, en voilà une carrière !" Loin de moi l'idée de me moquer, plutôt d'humeur taquine en réalité. Je ne cherche pas à le blesser mais il est vrai que cela fait de nombreuses années que nous ne sommes plus en contact et apprendre que côté vie professionnelle, cela n'a pas bougé, c'est plutôt amusant. "Je vais plutôt bien. J'allais rentrer chez moi, mais j'ai encore un peu de temps pour toi avant de partir au travail. Toujours au night club. Oh, et puis, je commence à avoir une petite carrière en tant que peintre d'ailleurs." Et c'était vrai. Ma notoriété dans ce milieu commence à se développer un peu. Je ne dis pas que je suis célèbre, loin de là, mais je commence à me faire un nom. Quand il me parle de Calliope, je comprends sa gêne. Je sais que Callie n'a pas voulu lui parler et je ne sais pas si je dois lui dire qu'elle compte revenir ou non. Alors, je hausse les épaules installé sur ma chaise en terrasse, me recoiffant d'une main passant dans mes cheveux. "Oui, elle va bien." Je ne mens pas, je dis la vérité. Seulement, je ne dis pas tout, j'imagine. Et c'est un serveur qui me sauve en venant nous demander ce qu'on veut boire. "Mh, je vais prendre une eau pétillante avec une tranche de citron s'il vous plaît." Que je commande en lui faisant les yeux doux.

Je riais à sa remarque. C'est vrai que j'étais pas le mec le plus entretenant de Bowen. J'me contentais toujours du minimum. C'était ma marque de fabrique, au grand désespoir de ma mère et d'mon oncle. "Ouais, j'y suis bien! Ca m'demande pas trop d'efforts! J'ai toujours cette fâcheuse tendance à en faire le moins possible." On était assez différent avec Calliopé et même avec mon grand frère. J'avais toujours été le moins entreprenant de la fratrie Bishop. Mais j'crois que j'me confortais bien dans ce rôle. Sur le chemin du Hendrix, j'en profite aussi pour prendre des nouvelles de ce qu'il fait lui. Mon regard s'illumina. "Oh, c'est cool ça pour ta peinture! T'as réussi à t'faire exposer quelque part?" Le monde artistique, c'était tout aussi fascinant que difficile. Pour s'faire une place, ça supposait souvent beaucoup de temps et de travail. J'en savais quelque chose lorsque j'avais failli emprunter la voie du skate board professionnel. Mais j'avais tout arrêter, par flemme et lâcheté, très certainement. On s'retrouve assis en terrasse, au soleil et j'peux pas m'empêcher de lui demander si elle a des nouvelles de Calliopé. Sa réponse, elle est super vague. Mais je sais qu'elle va bien. C'est déjà un bon point. J'pourrais prendre des nouvelles moi-même, mais on ne s'était pas reparlé depuis son départ. Qui remontait à plusieurs années maintenant. Le serveur interrompu ce début de discussion. J'aurais voulu en savoir plus. Mais tant pis. "Et une bière pour moi s'il vous plait." que je rajoutais en souriant tandis que le serveur s'éloignait. J'me recule un peu sur ma chaise, me mettant à l'aise. J'plonge mon regard dans le sien, un peu songeur. "Ca fait combien de temps qu'on s'est pas revu, toi et moi?"

Je ris doucement à ses petites blagues. J'avais aussi oublié qu'on se marrait bien avec Elijah. Il est de très bonne compagnie, ça aurait dû me marquer. Quelque part, mon coeur se pince à l'idée que ma mémoire l'ait écarté. Mais ce pincement part vite en voyant son sourire sur son visage. Au moins, il n'a pas l'air malheureux. J'explique ainsi que je commence à avoir une petite notoriété dans la communauté artistique, dans mon milieu. Mon sourire grandit quand il s'y intéresse. "Oh, oui ! Plusieurs fois, même. Des petites galeries d'art cela dit, rien de bien folichon mais j'y travaille." Evidemment que j'y travaille. Entre mes nouvelles oeuvres et l'aspect social du métier, j'y travaille même plutôt férocement. Je développe mon réseau petit à petit, lentement mais sûrement. J'espère qu'un jour je pourrais être reconnu plus officiellement en tant qu'artiste. Enfin, pour l'instant, je suis installé à la terrasse d'un bar à donner des infos plutôt vagues concernant Callie. Je ne veux pas lui en dire de trop de toute façon, ce n'est pas à moi de le faire, même si je sais qu'elle va revenir. J'en ai toujours été persuadé de toute manière. Je commande mon eau pétillante et puis son regard se fond dans le mien et je hausse un sourcil avant de réfléchir. "Oh là, tu attends vraiment de moi que je m'en souvienne, de la dernière fois qu'on s'est vu ?" Je lâche un léger rire. J'ai clairement oublié jusqu'à son existence et il a l'air de s'attendre à ce que je lui donne une date et peut-être même une heure ? J'essaie quand même de réfléchir. "Des années je dirais. Cinq ans peut-être ?" Depuis que Callie est partie, finalement. "Oui, ça doit être ça. Et tu n'as pas changé d'un poil !"

La compagnie d'Adonis, elle est vraiment chouette. Je savais que ma soeur choisissait bien ses potes, et j'en avais la preuve formelle avec lui. Même si avec Calliopé, la relation n'était pas au beau fixe, j'pouvais pas lui enlever le fait qu'elle savait bien s'entourer. Adonis, il était cool, et ça me faisait aussi du bien d'me dire que à travers lui, j'avais un p'tit lien de connexion avec ma soeur. Que je n'avais pas vu depuis plus de cinq ans. Quand j'y pensais, j'trouvais ça vertigineux. On discutait tranquillement avant Adonis et il me parlait de son activité artistique. "C'est déjà un bon début! J'espère que ça va marcher pour toi. Ca t'prends beaucoup de temps j'imagine." J'étais toujours assez admiratif des gens qui vivaient d'leur passion. J'aurais bien aimé, aussi, moi, avoir le courage de faire ça. Mais j'avais un p'tit diable bourré de flemme qui reposait constamment sur mon épaule et je ne l'écoutais que trop. Commande prise, j'reporte mon attention sur Adonis et sa réflexion me faire rire. "Bah ouais, attends! J'suis inoubliable moi!" C'est clairement ironique. On s'était même pas reconnu quand on s'était croisé. Mais Adonis fournit un petit effort de mémoire. J'approuvais. "Ouais, ça devait être juste avant de départ de Callie. P'tete à la dernière soirée qu'on avait fait au Elm Street." Dans mes souvenirs, c'était pas une soirée hyper joyeuse pour moi. J'en voulais déjà à Callie d'avoir envie de quitter Bowen. Je souris et je haussais un peu les épaules. "Toujours le même! Toi, t'as un peu vieilli." que j'lui disais en plissant un peu les yeux, juste pour l'embêter.

Oui, c'est clair que ça me prend du temps. Pour autant, je ne m'en plains pas. A vrai dire, ce n'est jamais trop pour moi parce que j'adore ça. Le contact avec les gens, certains, je m'en passerais, mais la plupart est très agréable et puis il ne s'agit pas seulement de se vendre, mais il s'agit aussi de créer. Et quand il faut créer, ça, c'est mon domaine. J'aimerais tellement faire de ma passion mon métier. Ca viendra peut-être un jour, en tout cas, je suis en bonne voie. "Merci, je l'espère aussi ! Ca prend du temps mais on ne compte plus les heures quand on aime faire quelque chose." Et ça vaut pour toute chose en ce monde, finalement. Je ris légèrement quand il me répond qu'il est inoubliable. En réalité, j'imagine qu'il l'est. En quelque sorte. C'est juste que ma tête a fait un tri sélectif. Puis, il fait mention de notre dernière soirée ensemble, au Elm Street. Je hoche la tête, pas très certain cependant de m'en souvenir parfaitement. C'était il y a longtemps et puis je me souviens qu'à cette soirée, je passais surtout tout mon temps avec Callie. Et enfin, il insinue que je suis vieux. En me taquinant. Je prends ainsi mon verre en main, comme un prince et baisse la tête pour le regarder de haut. "Si moi, j'ai vieilli, alors toi, tu es devenu une antiquité, mon ami." Je trempe mes lèvres dans mon verre avec un léger sourire tout en gardant le regard fixé sur lui, l'air taquin. "Et visiblement, la poussière me va mieux qu'à toi."