manwë - On s'fout de la mise-en-page, ensemble on vit dans la marge

23h. J'suis pas un type méchant, loin de là. J'suis juste un espèce de gamin coincé dans un corps d'adulte, qui connait pas trop d'limites et parfois, j'peux être un véritable petit con. C'est comme ça, c'est établi et j'vis avec. Mais je sais que j'm'attire les foudres, j'les provoque même.

Ce soir là, j'avais un peu trop bu. Pas suffisamment au point d'être un zombie, mais j'suis pas net. J'ai l'esprit embrumé, mon équilibre vacille et mes réflexes sont pas des plus instantanés. Mais j'suis toujours debout (petit réf à Renaud qui fait plaisir!) et j'suis même planté sur mon skate. Mon unique moyen de locomotion. J'dois avoué qu'habituellement, j'ai un peu plus de flow, là j'suis un peu chancelant et j'peine à éviter les trottoirs. Parfois j'trébuche et j'manque de me viander mais j'm'en sors. J'passe par Grays bay, le genre de parc vraiment sympa très animé en journée, beaucoup moins à la nuit tombée. Ca traîne pas mal par là, des gens pas très fréquentables à ce qu'on dit. Très sincèrement, ça m'fait pas peur et j'suis pas du genre à baisser les yeux. Même si j'suis pas bagarreur, j'me laisse pas faire. Bon, pour être tout à fait honnête, j'me rapproche plus du petit chiot qui aboie très fort mais qui s'enfuit en courant quand ça tourne mal. Et ce soir là, j'échappe pas à la règle. Tandis que j'passe près d'un groupe de mecs en train d'jouer au foot, la balle leur échappe et vient percuter mon skate. J'ai pas d'réflexes j'vous dis. J'manque de tomber et ni une ni deux, j'deviens agressif, comme si j'pouvais affronter sans vergogne ce groupe de mecs. "Hé putain, faites gaffe bordel, bande de trous d'balle! Vous êtes des gamins à jouer au ballon sérieux, retournez chez vos mères!" Hé voilà, du grand Elijah qui en fait des caisses et qui s'rend pas compte qu'il va s'en prendre une. En moins de trente seconde, les mecs se sont ramenés et commencent à me bousculer l'épaule. "Tu veux quoi p'tit con? Dégage de là!" J'lève les mains comme pour montrer que j'ai compris et j'fais demi tour. J'empoigne mon téléphone, et j'envoie un vocal à Manwë. Ah ce type, j'vous en ai pas parlé. C'est mon superman personnel. Classe nan? "Mec, c'est la merde, j'suis à grays bay, ils sont quatre, et j'compte pas faire demi-tour." J'fourre mon téléphone dans la poche de mon jean et j'me retourne. L'alcool me fait faire des dingueries, j'aurais pu rentrer chez moi et m'endormir peinard, mais non, piqué au vif, j'me retourne pour leur faire face à nouveau. J'espère juste que Manwë est pas en train de dormir, sinon c'est dans un lit d'hôpital que je vais finir. Ma voix claque dans le silence. "Par qui j'commence?" Mais putain, Eli, arrête, tu sais pas te battre!

tw : violence, bagarre.


L’heure n’était guère tardive lorsque le luthier quitta son magasin situé à Western District. Habitué au travail nocturne, il sentait néanmoins une certaine lassitude le gagner. Après une énième clope consumée, il dut se résigner face à l’évidence : son organisme lui réclamait de l’alcool. Le brun avait passé une bonne partie de sa vie à lutter contre cette molécule héréditairement nocive pour lui. Mais désormais, à quoi bon ? Oui… L’envie de baisser les bras était de plus en plus pesante depuis qu'il avait pu constater avec quelle facilité l’on peut renoncer à faire le bien.

Ses pas le dirigeaient vers le centre ville, puisque désormais il vivait dans une caravane dans le sud de celle-ci. Depuis qu’il s’était débarrassé de sa voiture, le plus court pour rentrer chez lui était de traverser la ville. C’était pour cette raison qu’il ne rentrait que tard dans la nuit, en temps normal. Mais il n’était qu’onze heure du soir quand le paria de Bowen s’aventurait dans les rues les plus bondées de cette petite cité australienne. Parfois, il se demandait si les gens ne l’avaient pas apprécié à l’idée qu’il puisse être mort, mais qu’à son retour après trois mois de cavale, il les avait déçus et conforté dans l’idée qu’ils avaient de lui. Un assassin, un monstre. Un monstre en liberté.

Son téléphone vibra dans sa poche, d’habitude, il ne le regarde pas. Mais cette fois cela lui donnait une bonne excuse pour ne pas regarder les gens autour de lui. “ C’est quoi cette saloperie encore ? “ Boomer un jour, boomer toujours. Cela lui prit quelques instants pour comprendre ce qu’Elijah venait de lui envoyer. Lorsqu’il put ouïr le vocal en question, il soupira en levant les yeux au ciel. Putain de môme…

Manwë était un homme plutôt fin et léger, il courrait assez vite. C’était donc au pas de course qu’il traversait Bowen. Les gens s’écartaient en le voyant arriver, l’on parlait après son passage, puis l’on guettait, comme si l’on s’attendait à voir débouler des flics ou des mecs louches à sa poursuite. Ils ont dû être bien déçu...

Lorsqu’il arriva à destination, il n’eut aucune difficulté à trouver Elijah. Vraisemblablement au sol en train de se prendre des coups par une bande de jeunes pas très costauds. Man' ralentit sa course, personne ne le remarqua. Des tocards, pensa le luthier. L’avantage d’être en groupe c’était d’avoir un guetteur… L’homme attrapa le skate qui trainait au sol et s’en servit pour frapper directement sur l’épaule et la boite crânienne du type qui s’apprêtait à assener un coup de poing à son protégé. Le gars tomba lourdement et les autres sursautèrent comme des lapins apeurés, quant au skate… Le skate fut brisé en deux.

- Putain, t’es qui espèce de taré ?!

“ Je suis qui ? “ Demanda avec calme le quadragénaire en posant ses yeux verts sur les protagonistes échaudés qui ravalaient leur fierté en reconnaissant le visage qui avait défrayé la presse Bowennienne l’été dernier. “ Alors ? Je suis qui ? “ Redemanda-t-il en se plaçant nettement entre Elijah et le petit groupe. Man avait l’expérience du combat, il se faisait mettre sur la gueule depuis son plus jeune âge par son père, ce même homme qu’il avait récemment tué à mains nues bien qu’il fut innocenté. Personne ne croyait en son innocence. Presque personne… Tout le monde savait ce qu'il avait fait, de quoi il était capable. “ Ramassez votre pote et tirez vous. “ Face à leur hésitation, le luthier lâcha un rire froid. “ Sérieusement, vous hésitez à l’abandonner là pour sauver votre cul ? Hé… Mais toi, j’te reconnais. “ Il désigna l’un des gars avec le demi skate qui lui restait en main.  

- Moi ?

Se ragaillardit le désigné, un poil tendu.

“ Kenny c’est ça, non ? J’ai vu ta sale tronche sur des photos dans la piaule de ta mère… Ça a failli me déconcentrer… “ Il sourit, provocateur. Assez pour que Kenny se jette sur lui et se prenne un bon revers de skate dans la face suivit d’un uppercut dans le bide qui le fit vomir, littéralement sur son pote au sol. Manwë ne pu contenir une moue écœurée. Les jeunes n’ont vraiment plus rien dans le bide, enfin… Si… Du vomi en quantité de toutes évidences. “ Vous allez vous barrer ou on continue ? “ Parce qu’il n’allait pas se contenter de leur casser la gueule, mais il comptait bien les humilier, un par un.

Oui, il aurait pu prendre des nouvelles d’Elijah, mais il l’entendait respirer, alors il se disait que ça allait… Ils ne s'étaient pas revu depuis cette histoire de meurtre et Eli’ ne connaissait pas encore ce Manwë plus en marge que jamais, plus sombre et cruel envers ceux qui le méritent à ses yeux. C’était comme ça désormais, puisqu’il était traité tel un monstre, autant l’être vraiment.

La provocation, ce mal insidieux qui coulait dans mes veines. Elle allait me mener à ma perte. Il n'y avait pas d'autres issues possibles. J'étais animé par une impertinence et une immaturité. J'avais aussi une certaine impunité mal placée. Parce que j'avais Manwë dans mon cercle d'entourage, je me sentais intouchable. Je pouvais tranquillement déclencher des bagarres, être agressif, malintentionné, remuer le couteau dans la plaie, être grossier, je me permettais tout. C'était totalement imbécile de ma part, un jour, Manwë ne serait peut-être pas là. Mais ça, je ne l'avais pas intégré. Et les quelques fois où j'avais du l'appeler à l'aide, il avait été présent. Je ne sais même plus comment on s'était rencontré et je ne saurais pas expliquer pourquoi il accourait toujours à mon secours, mais c'était comme ça, et ça m'allait très bien. J'avais donc, un peu éméché, provoquer impunément cette bande de jeunes. Ils étaient quatre. Mathématiquement, je n'avais aucune chance. Déjà que, contre un seul adversaire je ne fais pas de miracle, là, c'était clairement du suicide. Mais j'avais envoyé un vocal à Manwë en priant pour qu'il le voit et je m'étais jeté dans le gouffre de la violence. J'avais provoqué et j'allais être servi. Les quatre protagonistes qui n'étaient pas en reste pour se battre, réagirent très rapidement à mon interpellation. L'un d'eux se jeta sur moi et me décrocha une immense patate dans la mâchoire. J'reculais sous la puissance du coup asséné. J'fonçais sur lui, tentant de lui rendre sa droite mais il fut plus rapide. L'alcool ralentissait mes gestes et troublait mon équilibre. J'tombais au sol et sentis un second coup exploser mon estomac. A partir de ce moment là, tout s'accéléra et mon cerveau, comme pour me protéger, m'empêcha de ressentir la douleur. J'prenais des coups. Quel bande de lâches, j'étais au sol et ils continuait. J'l'avais peut-être bien cherché. Je n'avais pas la force d'me relever, les sons aux alentours devenait de plus en plus sourds, j'distinguais mal les silhouettes. Mon heure était venue. Ils allaient me défoncer. Alors que j'attendais un énième coup dans les côtes, j'entendais un immense bruit de craquement. J'ouvrais les yeux et il était là. Manwë, un bout de ma planche de skate brisé en deux dans la main. Je ne sais pas si c'était le bois ou les os de la victime qui avait craqué aussi violemment, mais le mec était à terre. J'tentais de me relever, mon épaule me faisait souffrir, ainsi que toutes mes côtes. J'étais dans un sale état et pourtant, je ne pouvais m'empêcher de sourire presque malicieusement en assistant à la scène qui se déroulait devant mes yeux. Manwë était définitivement un habile mélange de héros et de méchant. L'humiliation qu'il infligeait à ces quatre types étaient incroyablement jubilatoire. J'étais toujours à terre mais je ne pouvais m'empêcher de lâcher un rire douloureux lorsqu'il s'adressa à un certain Kenny. Putain, quel génie. Le Kenny en question voulu se frotter à Manwë. Mauvaise idée. Il en avait déjà mis deux à terre. Il se tenait entre moi et les types, protecteur. J'me sentais invincible. J'allais sûrement me faire engueuler mais c'était pour plus tard. J'me rendais compte à quel point Manwë était dans un rôle de méchant. Il prenait un plaisir certain à humilier les gars. Je savais ce qu'il avait fait, de quoi il avait été accusé, mais on ne s'était pas revu depuis. Je savais qu'il était craint à Bowen. Il valait mieux être de son côté. C'est certain.

Alors qu'il venait de provoquer une énième fois les deux types restants, je parvenais à me relever. Mon ventre me faisait souffrir le martyre. J'essuyais d'un revers de manche le sang qui avait coulé de ma lèvre inférieure. J'essayais de reprendre mon souffle et toujours dans un sale état, j'arrivais à dire quelques mots. "J'crois qu'ils ont envie d'gouter à ton poing mec, regarde les. Bande de cons!" Oui oui, je provoque alors que j'me suis pris une raclée. L'impertinence incarnée. L'imbécilité en personne.

Il détestait donner raison à ses détracteurs, mais c’était un fait : il aimait la violence. Il avait appris à l’aimer, parce qu’il avait dû l’encaisser très jeune. Les coups n’étaient qu’une partie misérable de ce qu’il avait subit. L’humiliation de son père, l’humiliation des autres enfants parce qu’il était pauvre et n’avait pas les mêmes choses qu’eux, parce que sa mère ressemblait à un zombie, parce qu’il était bizarre avec sa maladie. Il avait connue diverses maltraitances psychologiques : la faim quand personne ne pense à vous préparer un repas chaud, les moqueries, l’abandon d’une mère qui s’enfuyait plusieurs jours dans des squattes. Une mère qui avait déjà, ivre morte, supplié des personnes au supermarché d’emmener avec eux cet affreux gamin parce qu’elle n’en voulait plus. Toutes ces choses avaient forgé un être calciné qui avait absorbé la violence comme étant une chose banale, normale à son égard. Puis, il y avait eut le jour où il a appris à contrer la violence, à fuir, à se protéger. Plus tard même à se défendre et finalement s’en servir pour faire peur aux petits monstres de l’école, puis aux plus grands… Puis à tout le monde. Être détesté et craint de tous… Voilà l’unique chemin qu’il avait trouvé pour se sentir un jour, enfin en sécurité face au monde où il était bien seul.

Il attendait la suite, le destin de ces garçons leur appartenait. Affronter le monstre ou fuir, c’était à eux d’absorber la violence, leur tour de se faire briser. Il sait qu’un jour, il sera plus faible, qu’un jour, il sera à nouveau vulnérable, qu’un jour, il devra faire un choix entre subir et en finir. Son choix était déjà tout tracé. Il ne se préparait en rien à la vie d’homme aveugle, une promesse des médecins, son achromatose allait l’engouffrer dans un monde entièrement noir ou entièrement blanc selon la luminosité. Sa vue décline de jour en jour, il ne sortait que la nuit pour ne pas être complètement aveuglé. Il sait que la fin est proche, alors il comptait bien vivre d’ici là. À sa manière.

C’est la voix d’Elijah qui le ramène à la réalité. Ce jeune assommé au sol qui peine à reprendre ses esprits, l’autre qui avait fini de vomir et les deux derniers en recul, prêts à s’enfuir. Le gamin amoché dans son dos, il prenait le rôle du petit diable sur l’épaule, mais hé, Man’ n’obéit à personne, pas même au diable. “ Ramassez vos petits potes et tirez-vous, c’est la dernière fois que je le dis. “ Dernière sommation. Elle n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd, les deux gars hésitent, c’est si difficile d’avaler sa fierté, mais personne n’avait envie de se frotter à Man’ alors il empoignent leurs amis, non sans guetter les réactions du luthier qui ne les quitte pas du regard.

Ce n’est qu’à bonne distance que l’un des deux derniers lance :

- Tu finira par payer, Keynes !

Qu’il détestait ce nom, le nom de son père.
Le nom d’un cadavre. Alors, il sourit.

Le brun soupire et pivote enfin vers Elijah et sa gueule cassée. Il lui rend ce qu’il reste du skate, du moins, la partie qu’il avait en main, l’autre avait dû rouler quelque part et il s’en fichait pas mal. “ Je te félicite, tu viens de me prouver que t’es bien plus con que je ne le pensais, je me demande comment tu vas encore pouvoir relever le niveau la prochaine fois. “ Cassant, mais la vérité c’est qu’il aurait souffert qu’il arrive quelque chose de grave à ce gamin, pourtant, on ne peut pas dire qu’ils passent de bons moments ensemble, c’est toujours la merde quand ils se rencontrent. “ Mais tu sais quoi ? On ne sait pas si j’serais là, la prochaine fois. “ Il était calme, différent de toutes les fois où il avait pu l’engueuler pour son comportement.

Jamais Man’ ne l’avait menacé de ne plus être là. Dans son regard, il ne signifiait pas au plus jeune que ça n’était pas une histoire d’abandonner l’autre, mais de ne tout simplement plus être en capacité de faire ce qu’il a accompli ce soir. Man’ avait déjà desserté Bowen tout l’été, les gens ont commencé à le croire mort, comme son père. Quand il est revenu, tout le monde l’a montré du doigt comme l’assassin qu’il était, la justice avait été de son côté, mais le temps lui n’est pas son allié. Il venait de prouver ce soir qu’il était encore très en forme, mais il ne montrait pas qu’il avait la tête qui tourne et que le visage du gamin était, après tous ces exercices, bien flou. “ Rentre chez toi soigner tout ça, j’suis pas infirmière. “

J'crois qu'au fond de moi, je ne saisissais pas toute la gravité de la situation et de la stature de la personne que j'avais en face de moi. En fait, quand j'y réfléchissais bien, je ne connaissais pas grand chose de Manwë. On s'était rencontré un soir, au détour d'une soirée bien trop alcoolisée, j'avais cherché la merde à des mecs, ou eux m'avait provoqué, je ne me souviens plus. Et il était apparu. Il m'avait sauvé la mise et on avait discuté un peu. Vite fait. Manwë avait une part un peu sauvage en lui. J'ignorais beaucoup de son passé et des ont-dis qui circulaient sur lui. Mais il était indéniablement quelqu'un d'animer par la violence. Il m'avait ramassé par terre, m'avait un peu rabroué et m'avait sommé d'faire attention à moi la prochaine fois. Et puis, avant de se volatiliser, il m'avait donné son numéro en cas d'urgences. J'me sentais surpuissant avec ce contact dans mon téléphone. Comme s'il était une sorte d'ange gardien, l'apparence en moins.

J'me rendais bien compte que j'aurais pu y rester cette fois ci. Il fallait vraiment que j'apprenne à me responsabiliser et à me contenir. Je ne faisais évidemment par le poids face à ces quatre types. Je n'étais pas bagarreur et la violence ne faisait pas tout à fait partie de moi. Contrairement à Manwë qui donnait une sacrée correction à ces gars. C'était jouissif. Il avait une vraie violence qui sortait de chacun de ses gestes et de ses mots. Moi j'étais à terre et je jubilais. Sans me rendre compte de ce qui se déroulait vraiment devant mes yeux. Comme aveuglé par la puissance de Manwë. Comme si j'étais un petit chiot de trois semaines protégé par un plus grand. C'était pathétique et mes réactions l'étaient tout autant. Je savais que Manwë allait m'engueuler, il n'allait pas me louper. C'était certain. Le grand gaillard termina de faire fuir les bagarreurs et se tourna finalement vers moi. Il me tendit mon morceau de skate, mon beau skate éclaté en deux. J'pouvais pas lui en vouloir. C'était le plus beau de ma collection mais c'était sans doute le prix à payer pour avoir provoquer la violence et faire venir Manwë jusqu'à moi. J'prends ses paroles comme un coup de massue. Il a raison. Mais j'peux pas m'empêcher de jouer aux petits cons. J'lui lance un petit sourire de chien battu et j'lui balance un peu naïvement "je suis plein de ressources inconnues tu sais!" Il souligne le fait qu'il pourrait peut-être ne pas être là la prochaine fois. Il a pas tord. D'autant plus qu'il a rappliqué à une vitesse folle. "Merci en tout cas." J'lui dis rien de plus. Quoi dire? Il m'a sauvé la mise, une fois encore et j'peux pas m'empêcher de me sentir con. Il doit avoir une sale opinion de moi, et pourtant, il est toujours là. Manwë c'est une putain d'enigme.

J'me relève tandis que j'attrape mon skate. Ma lèvre saigne encore, j'pense que j'vais avoir de sacrées contusions aux côtes. J'suis dans un sale état. Manwë semble allait bien, du moins en apparence. Il me somme d'aller me soigner. J'acquiesce tout en essayant une nouvelle fois les perles de sang qui bordent ma bouche. "En tout cas, tu m'dois un skate!" Oui oui, j'ai tenté, j'vais finir par m'en prendre une. Mais j'aime bien Manwë et j'peux pas m'empêcher d'le taquiner en sachant parfaitement qu'il est du genre rigolo. Avant de le quitter, j'plonge mon regard dans le sien. Il est bien plus grand que moi. "J'peux te poser une question avant d'partir?" Ca fait demande très solennelle, mais j'ai pas mal d'interrogations qui restent en suspens dans ma tête et j'aimerais avoir des réponses.

Ses sentiments étaient mitigés, car en effet, cet homme éprouvaient des choses. Il n’était pas le spectre sans âme que certaine imaginaient injustement, il surfait néanmoins sur cette idée que l’on puisse se faire de lui. Plus il inspire la peur, moins l’on pourrait le faire souffrir. Bien sûr qu’à une époque il finissait dans le même état qu’Elijah, mais il avait appris, il s’était renforcé. Ce qui ne semblait pas vraiment être le cas du jeune homme au vu de son état, lorsque l’on s’attaque à plusieurs types, on y va pas comme lorsque l’on s’en prend à une seule personne. À cet instant, il éprouvait une certaine rage, envers ces gars capables de s’y prendre à trois contre un. Une rage envers cet idiot, capable de se mettre en si mauvaise posture, gratuitement. Inquiet aussi, d’arriver trop tard un jour. Pourtant, ils ne se connaissent pas vraiment, ils ne sont pas de famille, pas vraiment amis et pourtant, ça l’emmerderait que le gamin passe l’arme à gauche… Bêtement.

“ J’ai cru comprendre… “ Répondait-il avec un soupir concernant les ressources du plus jeunes à se montrer plus stupide que jamais. S’il n’était pas si amoché, il l’aurait bousculé lui-même, pour lui faire passer l’envie de lui répondre. Il avait cependant eut son compte. Man’ avait déjà été gravement blessé, c’étaient des secrets entre lui et les services hospitaliers, et parfois Fede qui se chargeait de recouvrir ses cicatrices de coup de couteau, de tatouages qui prenaient de plus en plus d’espace… Ses tatouages formaient peu à peu une armure répulsive dans laquelle il se sentait curieusement bien.

Alors qu’il pensait partir après avoir dit au plus jeune d’aller se soigner, celui-ci eut l’audace de lui réclamer un skate. Il arque un sourcil, ses yeux verts le toisant sans qu’il réponde à cette provocation supplémentaire, la naissance d’un micro sourire au coin des lèvres. Il n’était pas vraiment d’humeur le quadragénaire, chaque combat le renvoyait à l’idée qu’un jour il se fera sans doute massacrer. Une issue inévitable quand l’on a trop d’ennemis, quand l’on devient de plus en plus faible…

“ Quoi ? Tu veux savoir si j’l’ai fais ? Si j’ai tué mon propre père ? “ Man était épuisé qu’on lui pose cette question pourtant légitime de la part de ceux qui le côtoient, qui pensent le connaitre… Il n’était pas le premier criminel à s’en sortir indemne. “ Tu te doute bien que si c’était le cas, je ne te le dirais pas, hm ? “ Il s’était posté droit face au gamin qui tenait à peine sur ses pattes et pourtant, malgré la douleur, il était debout. C’était sans doute pour ça, qu’il se voyait un peu en Eli. Il y voyait un merdeux qui se fichait des conséquences, il ne comprenait pas d’où venait cette soif d’autodestruction et de destruction. La sienne avait été évidente, décrite dans les journaux de la ville pendant l’été 2022, comme si l’on venait de révéler les sources de mal : la violence, la misère, la solitude et l’indifférence des autres. Rien de nouveau… Rien. Toutefois, ce fut comme une découverte pour les Bowenniens, bien trop habitués à vivre dans leur petit monde ensoleillé et heureux. Il était comme le Grinch au pays des Bisounours. “ J’t’écoute… Pose ta question. “ Qu’il profite, parce que Man’ n’était pas le type le plus causant qui puisse exister, mais il était disposé à en faire l’effort. Jusqu’à ce que ça le gonfle.

Le peur. Voilà ce que Manwë provoquait chez les autres. Mais pas chez moi. Bizarrement. Je n'avais pas peur de lui. Et pourtant, son allure, ses tatouages, sa carrure, il avait tout pour impressionner. Mais moi, j'étais peut-être trop idiot, ou trop immature pour me rendre compte de tout ce qui entourait Manwë. J'avais entendu des choses, parfois, au détour de soirée, on parlait de lui comme d'un monstre. Mais celui que j'avais en face de moi, n'avait pas ce visage là. Du moins, je ne le voyais pas. J'étais plus en admiration qu'autre chose. Il représentait la force, le courage, la puissance. Si j'avais été un gamin, ce type aurait été mon héros. A bien y réfléchir, Manwë l'était peut-être même en ce moment.

La bagarre avait été violente. Très violente. Je m'en voulais d'avoir imposé ça à Manwë. Il était peut-être épuisé de devoir me sauver la mise à chaque fois. Cela n'arrivait pas tous les jours, mais suffisamment régulièrement pour qu'il s'inquiète. Si je n'avais pas peur de Manwë, c'est parce que rien ne m'effrayait. J'étais un jeune con, perdu dans mes illusions, incapable de jauger le danger, irrécupérable. Alors que nous nous faisons face dans la pénombre de la nuit, j'ose lui répondre que j'ai encore plein de ressources. Il soupire. J'sais pas ce que je cherche, comme si je voulais une espèce de validation de sa part que je n'obtiendrais jamais. Pauvre idiot que je suis. Je suis à mille lieux de me rendre compte de la tempête qui agite Man' à ce moment là. Je ne connais rien de sa vie. Moi, je suis aux pays des bisounours, je crois qu'une blague peut sauver le monde, j'ai l'impression qu'un sourire et quelques bières peuvent réparer les pires blessures. Je n'y connais rien.

Avant qu'on se quitte, je lui demande si je peux lui poser une question. Sa réaction est spontanée, presque tranchante. Il suppose que j'vais lui parler de son père et du soit disant meurtre qu'il aurait commis. Je fais un pas en arrière, mouvement de recul mécanique tout en secouant la tête de droite à gauche. Jamais je n'aurais osé lui poser cette question. Et d'ailleurs, la réponse ne m'intéressait pas. Les messes-basses et les ragots sur Manwë me passait au dessus de la tête. Je préférais être au courant des histoires de coucheries de mes amis proches, ça c'était rigolo. Le supposé meurtre de Manwë, ça, je m'en foutais. C'était probablement trop sombre, je préférais ne pas savoir. Rester loin de ces histoires. Manwë s'était redressé face à moi, comme pour m'impressionner. Je continuais de secouer la tête plongeant mon regard dans le sien. "Nan, j'm'en fou de ça Manwë. C'que j'aimerais savoir c'est .." je marquais une courte pause avant de reprendre. "C'est, pourquoi t'es là pour moi? J'veux dire, on s'connait pas et tu viens m'sauver, comme ça." Je me doutais bien que Man' n'aurait pas une réponse toute faite, mais j'étais curieux de connaître ses motivations. Et c'était aussi une manière plus subtil de le remercier, histoire qu'il se rende compte que j'avais bien conscience de la situation. Ces actions me touchaient, beaucoup plus qu'il ne pouvait le penser.

L’homme sorti de sa poche son paquet de cigarette et un briquet, il n’en proposa pas à Elijah. Pas par égoïsme, mais c’était un élan paternaliste qu’il avait envers ce môme, il était régulièrement agacé par ce qui semblait être un semblant d’affect pour cet idiot. Certainement son idiot préféré, mais ça, il ne pouvait pas le dire, c’était au-dessus de ses forces. Il allumait sa clope tandis que le plus jeune se défendait de vouloir lui poser la question qui revenaient bien trop souvent à son gout, Man’ notait les pas en arrière, comme s’il craignait de s’en prendre une. Est-ce que l’intrépide avait peur de lui ? Ce serait logique. Alors, oserait-il poser la question ? Est-ce qu’il avait tué son père ? Parfois, il avait bien envie de répondre que oui et qu’il en était particulièrement satisfait. L’on dit que prendre une vie vous ronge à jamais de remords, peut même vous rendre fou… Le seul regret qu’il éprouvait, c’était de ne pas l’avoir fait plus tôt.

Il rangeait son briquet quand une question pas moins étonnante tomba, ses yeux verts continuaient de le fixer sans répondre, il n’avait pas l’air de réfléchir à la réponse… Il répondit finalement le plus sérieusement du monde. “ J’pensais que c’était évident. À l’instant où je t’ai vu, j’ai ressenti une vague d’amour comme jamais, jamais, je n’en ai connu dans ma pathétique et misérable vie. “ Il le scrutait, tirant sur sa clope, laissant un bref silence particulièrement gênant s’installer. Oups ?

L’expression du visage amoché d’Eli était tout simplement… À mourir de rire. Man’ ne pu se retenir guère plus longtemps de rire. Le son qui émanait de sa gorge n’avait rien de cruel comme plus tôt, non, c’était même particulièrement entrainant et communicatif comme rire. C’était une facette joyeuse que quasiment seuls ses proches connaissaient, il ne pouvait pas dire qu’Eli était son ami, si ? “ Ah bon sang… “ Riait-il encore, soufflant la fumée de ses poumons avant de reprendre son sérieux et lui faire un signe de la tête pour qu’il le suive. Il n’avait pas envie que les pisseurs de tout à l’heure reviennent sur les lieux avec des renforts… “ Je n’connais qu’un seul cornichon dans ton genre. Un imbécile qui n’a peur de rien, quitte à finir avec une gueule comme la tienne. “ Histoire d’en remettre une couche sur la tristesse de la citation d’Elijah. “Ce putain d’imbécile, tu l’as devant toi. “ Il aurait pourtant aimé ça, avoir peur de quelque chose, ne serait-ce que de perdre quelqu’un. Il avait assimilé le côté éphémère de la vie très jeune, trop jeune. “ Me fait pas dire ce que j’ai pas dis : tu m’fais pas penser à moi… T’es aussi con, mais t’as la haine en moins. Entre autre… “ Il était certainement plus saint, moins destructeurs que le luthier. Ils n’avaient pas le même passé, Man’ n’a connu que ça, la violence, c’était difficile de s’imaginer vivre autrement, d’imaginer qu’il puisse avoir le droit à la douceur des autres, à la quiétude lorsqu’il s’endort. “ J’sais pas pourquoi, mais ça m’ferait chier de devoir aller à ton enterrement. “ Le deuil il connait ça, il ne pleure pas les morts, il plaint les survivants, comme lui. Man’ ne savait pas combien d’année il lui restait à tirer avant d’être faible, facile à éradiquer. Il ne savait pas combien de temps il lui restait avant qu’on le mette en terre, mais il estimait désormais avoir accompli sa destinée. La boucle sera bouclée dès lors qu’il mourra, ça en sera finit des gênes de ce monstre dans ce monde. “ Mais continues à me poser des questions débiles comme ça et j’pourrais changer d’avis. “ On y croit… On y croit.

Ma question avait claqué dans le silence imposée par la nuit. Après ce flot incessant de violence, tout était redevenu calme autour de nuit. L'obscurité reprenait ses droits et nous étions là, plantés dans ce parc, entourés de la pénombre. Il s'alluma une clope. Putain, j'en aurais bien fumé une aussi, mais j'vais pas lui taxer. Et vu mon état, j'crois que c'est pas plus mal que j'm'épargne ça. Avec les contusions qui sont en train de brûler mes côtes, mes poumons n'ont vraiment pas besoin que j'les intoxique. Il fait planer un silence avant de me répondre. Il avait pensé que j'allais lui parler de son père, à cette idée, ses yeux s'étaient assombris, il devait en avoir marre qu'on ne lui parle que de ça. Ou peut-être finalement que les autres n'osaient plus lui parler justement à cause de cette histoire. Cercle vicieux inarrêtable. Il m'était impossible de percer les secrets de Manwë, de parvenir à le comprendre. Il était de ceux qui imposent le mystère, de ceux qui se confortent dans le silence pour mieux se protéger. Et il m'en fit une nouvelle démonstration avec sa réponse. Clairement, il se payait ma pomme, se moquant allègrement de mes questionnements. Le pire dans tout ça, c'est que sa réponse m'a parut acceptable durant une courte seconde. J'en ai presque perdu ma mâchoire. Finalement, il éclata de rire. Je soupirais de soulagement et je rigolais de ma propre incrédulité. "Putain, tu m'as perdu pendant un instant!" On ria ensemble, quelques instants avant que le sérieux reviennent nous entourer. D'un mouvement de tête, il me proposa de le suivre. C'est vrai que c'était plus prudent de ne pas rester traîner dans les parages. Je ramassais péniblement le deuxième morceau de skate qui avait volé un peu plus loin et je commençais à le suivre dans la nuit. Les douleurs commençaient à se faire de plus en plus prononcées, il fallait que j'aille prendre un anti-douleurs avant qu'elles ne deviennent insupportables.

Sur le chemin, Manwë tenta cette fois de trouver une réponse plus acceptable que la précédente. Je l'écoutais, absorbé par ses mots. Il avait ce don pour à la fois me traiter de con et d'imbécile, tout en l'enrobant d'une espèce de tendresse. Il m'expliqua qu'à certaines égards, je le renvoyais à lui. Et il termina par me dire que ça le ferait chier d'aller à mon enterrement. Je souris. C'était une sorte de déclaration d'amitié ? Pas sûr. Il est rare de donner des signes d'affection en le renvoyant directement à la mort de celui ci. Mais, dans l'idée, ça sonnait plutôt bien. "Si je comprends bien, tu me préfère vivant que mort. C'est déjà un bon début." Je souris, un peu perdu dans mes pensées. Manwë ne voulait pas me voir passer l'arme à gauche, je ne m'en rendais pas tellement compte, avec le genre de comportement que j'avais eu ce soir, je jouais parfois avec le feu. Je hochais la tête à sa dernière affirmation. "J'peux t'en sortir encore des tas de questions débiles. J't'ai dis, j'suis plein de ressources." Je souris et finalement grimaça sous la douleur. "T'avais raison tout à l'heure, faut que j'aille me soigner avant que ça empire." Par me soigner, j'entendais bien évidemment, un peu d'eau claire sur mes plaies et un cachet de paracétamol. C'était pas beaucoup mais de toute façon, il était hors de question que j'aille à l'hôpital.

La réaction du plus jeune avait sincèrement amusé Manwë qui n’avait pas imaginé Eli mordre à l’hameçon aussi facilement ! Les deux compères se mirent à rire, ensemble, pour une rare fois. Man’ avait la plupart du temps affiché un visage sévère à l’encontre d’Eli, parce que oui, il ne voulait pas devoir se rendre à son enterrement un jour. C’était comme ça, tout simplement, certaines choses ne s’expliquent pas. “ Ouais, on peut dire les choses comme ça. “ Un bon début, il glissa un regard vers son interlocuteur pour essayer de comprendre où il voulait en venir avec cette précision. Ce n’était pas naturel pour lui de dire à quelqu’un qu’il l’appréciait, ça lui donnait l’impression d’être en position de faiblesse. Comme si l’amour était une faiblesse. N’en est-ce pas une ? S’il n’avait pas tant aimé sa mère, il aurait pu faire ce qui était nécessaire avant qu’elle ne meure à cause de son mari violent. Mais elle l’avait supplié de ne rien faire, de ne pas en parler à la police ou à l’école. Il l’avait fait, pour elle, pour garder son amour, pour qu’elle ne soit pas déçue de son seul fils, qu’elle cesse de vouloir l’abandonner à qui voudra bien. Personne n’a voulu. Personne.

Lorsque le plus jeune affirma qu’il avait besoin de soin, il se stoppa pour analysé véritablement la démarche d’Eli et constater que celui-ci n’était pas en pleine forme. “ Fais chier… “ Pestait-il en balançant son mégot sur la chaussée, l’écologie n’était clairement pas une des préoccupation du luthier.

Son bras se glissa autour du corps d’Elijah pour le soutenir et l’aider à marcher en le délestant d’une partie de son poids qui pouvait ainsi reposer sur la carcasse du quadragénaire. “ Il va falloir que tu tienne le coup, personne ne va nous prendre en stop avec ta sale tronche. “ Déjà juste Manwë n’avait aucune chance, mais avec celui-là… C’était néanmoins une forme d’encouragement à l’égard du skateur. A vue de nez, il était plus rapide de se rendre dans le sud de la ville que de retourner à la boutique d’instruments de musique à l’opposé du point précis où ils se trouvaient. Il pouvait sans doute porter Elijah, mais il doutait que celui-ci apprécie, il devrait attendre que celui-ci tourne de l’œil pour que ça arrive, à moins qu’il ne s’accroche véritablement d’ici là… “ Je suis là… Crétin.“ Avait-il seulement dit, lorsqu’il l’avait senti s’appuyer un peu plus encore sur lui. Des mots qu’il ne disait pas souvent, parce qu’en général, il préférait que l’on ne compte pas sur lui.

D’une manière ou d’une autre, ils finirent par arriver à l’espace caravaning où créchait désormais le tatoué après avoir été expulsé de son appartement en ville. L’un de ses voisins vint leur prêter assistance, sans poser de question. Il ouvrit le mobile-home de Manwë et les laissa seuls. L’intérieur était assez propre et organisé, il l’était bien plus qu’il n’en avait l’air, tout était vétuste mais ne manquait pas d’hygiène. Elijah fut installé sur l’unique banquette de son logement, Manwë était un habitué de la médecine alternative / maison. “ J’t’avais dis que j’étais pas une putain d’infirmière. “ Qu’il grogna avant d’appliquer une solution antiseptique particulièrement piquante sur une plaie particulièrement à vif, puis il s’appliqua à panser ce qui lui semblait nécessaire. Rien ne paraissait cassé, coup de chance.

Il finit par s’asseoir sur une chaise de camping et poser les pieds sur la table en se débouchant une bouteille de Tequila. “ J’suis pas d’humeur à causer… “ Il n’avait jamais été d’humeur à picoler non plus, du moins, pas avant le meurtre, mais ça… C’était un détail que personne ne pouvait remarquer, car personne ne pouvait vraiment être surpris de le voir avec une bouteille au bec. “ T’en veux ? “ Mais il pouvait être d’humeur à partager.

C'est peut-être l'une des premières fois que j'entendais Manwë rire. C'était une mélodie plutôt agréable et ça avait pour effet de le rendre plus .. humain, plus sensible vous voyez ? J'avais côtoyer Manwë seulement dans des situations plutôt violente habituellement, ça changeait, pour une fois. Bon même si accessoirement, ce rire provenait d'une mauvaise blague et qu'il se payait ma tête, c'était toujours mieux que rien. Alors que nous marchions dans le silence de la nuit, les douleurs dut à la bagarre commencèrent à se faire de plus en plus présentes. Mes côtes me faisaient souffrir, je soulevais mon T-shirt partiellement tâché de sang et je remarquais que les contusions commençaient à apparaître, à l'endroit où une plaie pas très jolie balafrait une partie de mon flanc gauche. Ces enfoirés de mec ne m'avait pas loupé. Je l'avais bien cherché aussi, il faut dire. Je ne tardais pas à partager ma douleur naissante avec Manwë, qui ne tarda pas, quant à lui, à pester. Il m'avait prévenu pourtant, qu'il n'allait pas jouer les rôles d'une infirmière mais apparement, il n'avait pas envie de me laisser dans cet état. Alors que ma main se portait sur mes côtes, je sentais le bras puissant de Manwë se placer sous mes épaules, il m'aidait à tenir debout, ça me soulageait. "Ca devrait aller, j'crois." Je grimaçais, chacun de mes pas à présent me faisait souffrir. L'idée de nous deux dans en train de faire du stop m'arracha un sourire. Personne n'était assez imprudent pour nous prendre en voiture, on avait l'air de deux mecs bien louches. La route me parut une éternité, je luttais contre la douleur et les mots de Man', ponctué par une petite insulte bien placée, m'aidait à tenir. "C'est encore loin?" Je ne savais même pas où il m'emmenait, j'espérais juste que ça ne soit pas à l'hôpital, mais connaissait le spécimen, ça m'aurait fortement étonné.

Finalement, on arriva dans l'espace caravaning de Bowen. J'avais du traîné là à une ou deux soirée et je dois dire que j'ignorais complètement que Manwë vivait ici. On entra dans le mobile-home, à cet instant, je n'avais presque plus la force d'ouvrir les yeux. J'me retrouvais allongé, sur une banquette inconfortable. Manwë grogna encore un peu. Moi j'avais pas la force de répondre, encore moins de faire des blagues. Je sentais le produit antiseptique glisser sur ma plaie et je grimaçais de douleur. "Hé, ça pique ton truc là" J'avais presque râler, réaction épidermique. J'étais pas une chochotte en tant normal mais bon sang, il existait des solutions sans alcool tout aussi efficace! Il n'avait jamais vu la pub de Mercurochrome ou quoi? Manwë pansa la plaie et je dois dire qu'une fois les soins terminés, je me sentais un peu mieux. "J'imagine que si j'te remercie, tu vas encore m'envoyer chier mais.. j'suis plus à ça près, alors .. merci Man'." J'reprenais un peu du poil de la bête et j'trouva la force de me mettre assis sur sa banquette non sans grimacer. Le quadragénaire déboucha une bouteille de tequila et s'en envoya une bonne dose dans le gosier. Alors qu'il venait clairement de me dire que j'avais pas intérêt à l'ouvrir il me proposa sa boisson. J'me penchais vers lui pour attraper la bouteille. J'm'en enquillais une grosse gorgée, l'alcool ne pouvait que me faire du bien, une petite anesthésie à la Manwë en somme. J'reposais la bouteille sur la petite table, sentant l'alcool fort réchauffer ma trachée. Il m'avait dit qu'il n'était pas d'humeur à parler, j'étais partagé entre l'envie d'aller à l'encontre de ce qu'il avait dit ou, pour une fois, de lui obéir un peu. Je décidais que j'en avais assez fait pour aujourd'hui et je me contenta de regarder autour de moi. J'avais l'occasion d'en apprendre plus à propos du mystérieux Manwë. Ne dit-on pas "montre moi ton intérieur, je te dirais qui tu es" ? Mon regard se posa sur l'espace exiguë du mobile-home et je devais reconnaître que c'était propre et rangé. Manwë n'était peut-être pas si trash qu'il voulait le faire penser.

L’homme avait ignoré les râleries et les contractures du jeune sous ses soins, il n’était pas infirmier, il faisait au mieux. S’il avait pu soigner lui-même une plaie après s’être fait poignardé dans le cabinet de l’avocat Rankin, il était bien capable de soigner ce petit merdeux, non ? Il avait levé les yeux au ciel après les remerciements du plus jeune. “ J’vais pas te mettre une mandale parce que j’viens de me les casser à te faire des bandages, mais t’as pas intérêt d’en parler à qui que ce soit. “ Pourquoi ? Il n’en sait rien. Il s’était habitué à sa réputation de salopards qui laisserait crever une sainte sur le bords d’un chemin même si elle lui promettait un accès direct au paradis malgré tous ces péchés. Cette réputation, c’était sa carapace, c’était une armure que les autres ont forgé pour lui, il n’avait rien eut à faire au final, pour que les gens le jugent au final. Sauf qu’en général, lorsque l’on est jugé, l’on s’évertue à prouver le contraire. Ça ne l’intéressait pas, il n’avait rien à prouver à personne. Il savait qui il était, ce qu’il avait fait, il connaissait ses limites… Même si ces derniers temps, il avait tendance à les repousser…

Ils burent un peu de cette Tequila, pas du premier prix sans être de luxe. Il n’avait pas envie de boire pour boire, ça lui donnait un peu bonne conscience. Eli était assit sur la banquette, il était assez pâle mais l’alcool redonnait un peu de couleurs à son visage par endroit tuméfié. Il le voyait observer cet endroit, rangé, propre, sans décoration personnelle, pas même une petite photo souvenir, rien, pas même de télévision, des vieux journaux (notamment ceux qui parlaient de lui) et un poste radio particulièrement vintage. Une caisse à outil au sol, des instruments de musique en chantier qu’il ramenait ici pour occuper ses insomnies. Lui-même constatait, à cet instant, le manque de personnalité de son domicile, lui qui arborait tant de tatouages et qui avait un caractère puissant. Comme il n’avait jamais d’invité, il n’avait réalisé le vide autour de lui avant ce soir. Ça ne l’attristait pas. C’était juste comme ça. “ Tu peux dormir si tu veux, mais j’te réveillerai pas avec une omelette au petit dej, j’suis pas ta mère. “ En fait, il ne sait pas lui-même ce que c’est que de se réveiller avec l’odeur d’un plat de maman… Alors, quel genre de souvenirs pourrait-il bien accrocher au mur ? Il a connu des jours heureux, mais il ne voulait pas vivre dans la nostalgie de ce qui se faisaient beaucoup trop rare dans sa vie. “ Qu’est-ce que t’as à reluquer comme ça dans tous les recoins ? “ Finit-il par s’agacer malgré lui. “ C’est pas un repaire de cartel, tu peux dormir tranquille. “ Il attrapa la bouteille en verre pour boire à nouveau, ça devrait le détendre… Il y a que ça qui fonctionne.

Le cours de la soirée avait radicalement changé. Après être passé par une vague de violence inouïe administré par Manwë, je me retrouvais chez lui, partiellement allongé sur une banquette inconfortable tandis que le quadragénaire bourru soignait mes plaies. J'avais râlé lorsqu'il avait désinfecté mais cela ne l'avait pas perturbé plus que d'ordinaire. Man' était resté concentré, et à la fin, je me sentais mieux. Je l'avais remercié, en soulignant qu'il allait probablement m'envoyer chier et ça n'avait pas loupé. Je souris, presque attendrit par Manwë. Quel bonhomme celui là alors. Comme s'il refusait au plus haut point d'admettre qu'il était quand même sacrément gentil avec moi. J'avais intérêt à ne rien répéter à personne. Je hochais la tête et je passais mes doigts sur ma bouche, comme pour dire "motus et bouche cousue". "Ca sera notre petit secret." J'avais fais une mimique faussement niaise, comme parfois les acteurs faisaient dans les films pseudo romantiques, juste pour me foutre gentiment de lui. Mais finalement le silence s'installait tandis que Man' s'affairait à vider le contenu d'une bouteille de tequila. Il m'en avait filé une gorgée, et l'alcool termina de me soigner. Je me sentais mieux, un peu.

Manwë m'avait tacitement interdit de l'ouvrir. Alors j'étais resté silencieux. Je ne voulais pas encore m'attirer ses foudres, même si, à ce stade de notre relation, je n'avais plus aucunement peur de lui. C'était pas un être si terrible, du moins, bien enfoui derrière sa carapace de violence, Manwë était quelqu'un de bien, j'en étais persuadé. Il me proposa de rester dormir. Je me relevais un peu. "Nan, j'vais pas tarder à rentrer, j'voudrais pas abusé de ton hospitalité légendaire Man'" Bah c'est vrai quoi, si j'me réveille demain sans avoir un brunch digne de ce nom, ça valait pas la peine. En vrai, c'était surtout parce qu'il fallait que je rentre, me foutre dans mon lit confortable et que j'me repose. Finalement, le fait d'être resté silencieux, j'ai regardé autour de moi et Manwë le relève. Je souris. "Nan, ça fait pas repaire de cartel, ça fait surtout petit intérieur bien rangé. Minimaliste certes, mais je savais pas que tu étais une fée du logis." Je le cherche, très clairement. Mais il va pas me frapper, je le sais. Enfin, j'espère. La trêve de mes conneries n'aura pas duré si longtemps que ça. Je me redresse assis, sur la banquette et pose mes mains sur le petite table. "J'vais pas traîner Man', à moins que tu ai besoin de ma compagnie?" Je souris un peu. Va falloir que j'arrive à rentrer jusqu'à chez moi. Je sais pas encore comment je vais réaliser cet exploit.

Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de lui mettre une claque pour se payer sa tête, mais il devait s’avouer qu’Eli l’amusait un peu par son comportement. Il ne le dira jamais, parce qu’il ne voulait surtout pas l’encourager dans ses conneries. Le silence ne le dérangeait guère, ici, ils étaient au calme et personne ne pouvait les emmerder. Enfin, c’était sans compter sur le talent d’Elijah dans le domaine, un véritable expert. Même sans rien dire, Man’ finit par s’en agacer et lui demander pourquoi est-ce qu’il analysait le moindre recoin de son mobile-home. La réponse du jeune était… digne de lui ?

“ J’ai grandi dans la crasse et dans l’odeur du vomi de ma mère, ça me rendrait trop nostalgique de cette belle époque si j’en faisais de même. “ Rétorquait-il à la fois pour ironiser, mais aussi lui clouer le bec. Il n’aurait sans doute jamais dis une telle chose avant le meurtre, mais puisque les médias avaient dépeins son passé, ce n’était plus un secret pour personne : son père avait été violent et sa mère une épave de toxico.

Ses yeux verts jaugeaient Elijah qui venait de lui annoncer son départ, il ne savait pas vraiment s’il était en état. Il se souvenait avoir été tabassé et être rentré chez lui sans l’aide de personne, mais il avait appris à ne se comparer à personne. Il était une véritable mauvaise herbe, increvable l’engin. “ C’est toi qui vois, mais ne m’appelle pas dans cinq minutes pour que je vienne te chercher. “ Il le laisserait dormir dehors, sans aucun remord, aucun. Lui sauver la peau oui, mais jouer la nounou, il l’avait déjà trop fait ce soir. Il lui avait proposé de dormir là, mais il n’allait pas l’y obliger. Eli était avisé des conditions du deal. Manwë ne retenait personne à lui, c’était sa règle. “ Claque la porte en partant. “ Dit-il en fermant les yeux après avoir posé les pieds sur la table. C’était que ces échanges de coups et avoir porté Elijah à bout de bas jusqu’ici l’avait un peu fatigué. La téquila l'avait suffisamment réconforté pour qu'il se laisse enfin un peu aller...

La soirée avait été mouvementée, mais maintenant, on se retrouvait dans cet espace calme, propret, plongé dans le silence. Manwë m'avait ordonné de la fermer. Alors pour une fois, je l'avais écouté. J'lui avais causé beaucoup de soucis. Ca servait à rien d'en rajouter une couche. Mais apparement, il avait été aussi agacé parce que je regardais autour de moi. J'avais fini par lui lancer une petite connerie, comme s'il m'avait tendu la perche et je n'étais pas déçu de la réponse. Il avait dépeint son enfance d'une manière .. bien trash. A la Manwë finalement. Je haussais les épaules. Que répondre à ça ? Manwë ne voulait sûrement pas de la pitié, encore moins du réconfort. Je préférais laissé en suspect, il avait gagné, il m'avait cloué le bec le tatoué. En même temps, il serait idiot de vouloir l'emporter contre lui. Manwë est comme moi, plein de ressources inimaginables, mais en pire.

J'finis par lui dire que j'vais rentrer. J'vais pas rester là. Il a déjà tant fait pour moi. Et puis, j'ai besoin d'une douche et d'une bonne nuit de sommeil dans mon lit. J'me relève. J'souris à ses mots. "J'te dérangerais pas plus ce soir." Ca sous-entendait bien évidemment que j'gardais son numéro pour une potentielle soirée qui déraperait. Mais pas tout de suite. J'en avais pris pour mon compte cette nuit là. Je reprenais ma veste, Manwë me donna une dernière consigne et ferma les yeux. "Merci mec, encore une fois." Je ne lui laissai pas le temps de répondre et claquai la porte du mobile-home derrière moi. De toute façon, il aurait encore trouvé une bonne raison de râler et de me renvoyer mes remerciements à la tête. Et bah là, j'avais enfermé mon merci avec lui et il devrait composé avec, voilà ! Je quittais l'espace caravaning dans le silence, bien décidé à me faire discret pendant un petit temps.

FIN