Une rencontre inattendue (ft Marcus)

Aujourd'hui, je devais déjeuner sur le fil. Un sandwich rapidement embarqué à la boulangerie près de mon bureau et je filais direction les rues commerçantes. J'avais complètement oublié qu'une de mes collaboratrice partait en congé maternité cette après-midi et, pour l'occasion, elle avait préparé un petit goûter pour l'équipe. Il était donc de mise de lui offrir un cadeau pour la maman. Je me rappelais que j'adorais recevoir des cadeaux au moment de mon accouchement. Après tout, j'avais déjà tout ce qu'il fallait pour ma fille alors pourquoi lui offrir encore des habits, qu'elle ne mettra probablement qu'une fois, ou une énième peluche qui prendra très probablement la poussière jusqu'à ses deux ans. Non, je préférais faire plaisir à ma collègue. Pour cela, mon cadeau était tout trouvé et je me rendais vers mon salon de massage habituel tout en faisant claquer mes talons au sol. Si j'étais complètement honnête avec moi-même, je préférais aussi offrir un cadeau à ma collègue et non à son enfant à venir car je n'arrivais pas encore à rentrer dans un magasin pour enfants. A de nombreuses reprises je m'étais arrêtée devant de belles vitrines pleines de peluches, de vêtements ou encore de poussette et autre matériel de puériculture. Seulement, tout cela était bien douloureux et je ne parvenais pas à franchir la porte d'entrée du magasin même dans l'optique de faire plaisir à une connaissance.

Alors que je mordais dans mon sandwich frais, je sentais un peu de sauce glissait le long du pain et faire une rencontre inopinée avec mon chemisier. Je lâchais alors un juron, peu élégant comme dirai ma mère, mais qui sortait du coeur. Je refermais le papier de mon sandwich et me mis en quête d'une serviette ou d'un mouchoir qui devait sûrement traîner dans le bazar que je laissais en continu dans mon sac à main, tout en continuant de marcher. Ma main cherchait frénétiquement et trouve finalement un mouchoir. Je m'en saisis et relevais la tête. Je tombais alors nez à nez avec une personne que je n'avais pas vu depuis de nombreux mois. Je lâchai son nez dans un murmure presque pour moi-même :

"- Marcus."

L'heure du déjeuner n'était généralement pas celle à laquelle on voyait Marcus se balader dans les rues. Il était plus souvent affairé derrière son bar à servir ses clients. Mais il avait laissé la boutique à sa serveuse ce jour-là, il avait une course à faire en ville. Le soleil était haut dans le ciel, il réchauffait les peaux, c'était agréable mais aveuglait les passants, c'était la contrepartie. Il croisait beaucoup de personnes assises sur des bancs, affairées à manger leur déjeuner, à ce moment-là il se dit qu'il n'avait pas pris le temps de manger. C'était une mauvaise habitude chez lui, il sautait généralement le repas du midi... et souvent le repas du soir aussi. Il mangeait en décaler, quand il avait le temps. Mais à force de voir des gens, sandwich à la bouche, il finit par se dire qu'il avait faim. Il se dirigeait vers une boulangerie lorsqu'il failli quelqu'un, ou être percuté, il n'en savait trop rien. Et le barman tomba nez-à-nez avec, au départ un mouchoir en l'air, puis un regard qu'il avait bien connu. Joséphine, visiblement elle se souvenait de son prénom, c'était déjà pas mal, en même temps elle mettait beaucoup d'application à l'éviter. Il ne lui en voulait pas, il comprenait, après la perte de sa fille, c'était tout son monde qui s'était écroulé. Jo était la femme, l'ex femme, de son cousin, il l'aimait beaucoup à l'époque, il ne l'en aimait pas moins aujourd'hui, seulement elle avait coupé tout contact. Et lui, il avait plus ou moins pris le côté de Tommy, évidemment, c'étai son cousin le plus proche et il avait cherché son soutient. Marcus se doutait bien que leur attrait commun pour la boisson n'était pas vu d'un bon œil par la jeune femme, mais lorsque tout semblait s'effondrer, chacun se raccrochait comme il pouvait. Il esquissa un sourire contrit. Bonjour Joséphine. Son regard fut attiré par la tâche de sauce sur son chemisier. Et, gêné, il ne trouva rien de mieux que d'énoncer ce qu'elle savait déjà : Tu as de la sauce ... là. Bravo Marc', très malin ! Quand il était décontenancé, il ne disait que des bêtises.

"-Oh...Oui, merci."

Je ne trouvais pas franchement les mots les plus malins de mon vocabulaire alors que j'essuyais effectivement la tâche de sauce qui maculait mon chemisier. Dire que croiser Marcus est une surprise serait un euphémisme. Lui que j'ai évité de longs mois durant, il fallait que je lui tombe quasiment dessus au beau milieu de la rue. Merci à mon impotence.

J'avais connu Marcus en même temps que Tommy, mon ex mari et son cousin par la même occasion, et je l'appréciais beaucoup à une époque, un temps plus heureux et léger. Nous avions passé de bons moments tous ensemble. Seulement, son aversion pour la boisson m'avait toujours déplu et qu'il boive en compagnie de Tommy d'autant plus. A l'époque du décès de notre fille, je ne comptais plus le nombre de soirées qu'ils ont passé ensemble à descendre un certain nombre de verres, Tommy noyant sa peine et me laissant toute seule à broyer la mienne. Je me rappelais de l'état d'ébriété avancé de Tommy en rentrant. Je refusais catégoriquement qu'il dorme en ma compagnie et je l'envoyais dormir sur le canapé bien que comatais soit le terme le plus approprié.  

Croiser Marcus fit ressurgir beaucoup de souvenirs d'une période pour le moins compliquée de ma vie et je n'en étais pas franchement ravie. Cela me laissait sans voix et c'était suffisamment rare pour être noté. J'en perdais également un peu de sens et me râclai la gorge pour me ressaisir et lancer la conversation. Après tout, j'étais bien élevée et je décidais finalement de prendre de ses nouvelles, espérant de tout coeur qu'il se portait bien. J'avais toujours de l'affection pour lui et ne lui souhaitais évidemment pas de mal :

"- Euh...Comment vas-tu ?"

Il n’avait jamais caché combien il buvait, pour beaucoup, Marcus était simplement vu comme un bon vivant qui profitait des soirées avec ses clients, ses amis, sa famille, qui n’était jamais contre offrir sa tournée, c’était ce qui le rendait sympathique aux yeux des gens. Et puis même s’il buvait plus que de raison, il n’avait pas l’alcool mauvais et il le tenait plutôt très bien, c’était un bon gaillard qui ne paraissait jamais trop saoul, peut-être juste un peu joyeux mais sans être lourd ou dangereux. Il vivant littéralement en face de son bar alors il ne conduisait jamais ivre, en somme, son problème avec la boisson se résumait surtout à de futurs problèmes de santé, avec son fois ou autres organes qu’il détruisait à petit feu, mais ça, autant dire que c’était son problème à lui. Pourtant Joséphine ne voyait pas ça de cette façon, sûrement parce que pour elle, son problème d’alcool devenait aussi celui de Tommy et ça changeait toute la donne si on voyait les choses sous cet angle. Seulement il n’avait plus l’âge pour qu’on lui dicte sa conduite et son cousin était également un grand garçon. Les deux hommes avaient tous les deux énormément souffert dans leurs vies, ce qui n’excusait rien mais pouvait justifier leur comportement. Pourtant lorsqu’il pensait à Jo, ce qui arrivait quelques fois, notamment lorsqu’il lisait la détresse dans les yeux de Tommy, il se disait que c’était un foutu gâchis, tout ça et qu’elle lui manquait aussi, parce qu’il l’aimait beaucoup, parce qu’il aurait aimé l’épauler elle aussi, qu’elle sache qu’il pouvait être là pour l’écouter, pour l’accompagner, si elle en avait besoin. Et aussi parce qu’il partageait leur douleur, leur fille c’était sa filleule, il l’avait aimé cette gamine, il se sentait proche d’elle, chanceux qu’ils lui aient confier ce rôle et qu’elle soit cette petite fille extraordinaire, elle était son soleil et elle lui manquait énormément, même s’il taisait ses maux à son cousin, après tout sa douleur à lui n’était pas comparable à celle de ce père qui avait perdu sa fille.
Alors oui, il se sentit bête en croisant Joséphine, se voyant incapable de trouver les mots pour lui parler. Visiblement elle était tout autant embêtée que lui. Il passa la main dans ses cheveux geste significatif de son embarras. Ça va, ça va. Et toi ? Des banalités, encore, il échappa un soupire après qu’elle eut répondu. Ecoute, on va crever l’abcès, d’accord ? Je suis content de te revoir, même si je sais que tu m’évite depuis un moment. Tu veux … je ne sais pas, ça te dit qu’on prenne un café ? A une époque on savait se parler. Il y allait cash, parce qu’il avait horreur de ce genre de situation, au pire elle refuserait et il saurait à quoi s’en tenir, mais il voulait se rappeler que, fut un temps, ils s’appréciaient vraiment.

Une des qualité qui prédominait chez Marcus était son honnêteté et il me le démontrait encore aujourd'hui. J'avais lancé un sujet pour le moins futile et la vérité était que je n'en attendais pas franchement de réponse. Comme la plupart des personnes qui posaient cette question d'ailleurs. Néanmoins, j'hésitais un petit peu avant de lui répondre en laissant un petit silence s'installait dans notre conversation. Une partie de moi associait toujours Marcus à Tommy, à l'alcool et à ces temps passés si difficiles. Cependant, j'avais changé, évolué et avancé dans ma vie. J'avais également pardonné, en partie, à Tommy son penchant pour la boisson, je pourrais surement avancer aussi avec Marcus. Je jetais un coup d'œil rapide à la montre de mon poignet, estimant que j'avais encore le temps avant de reprendre le travail. Je n'avais pas de rendez-vous important cette après-midi et j'étais la patronne, je pouvais bien gérer mon planning comme je l'entendais. Je finis donc par lui répondre d'une voix assurée avec un petit sourire :

"- Bonne idée oui. J'ai un peu de temps devant moi...Pour qu'on discute."

Mes bureaux n'étaient pas loin de cette rue et je connaissais donc le quartier depuis ces quelques années. Je m'engageais vers un café qui ne servait que cela. L'endroit était calme à cette heure de la journée et seules quelques personnes étaient attablées pour travailler, dissimulées derrière leurs ordinateurs ou branchées sur leurs téléphones. Il n'y avait pas beaucoup de table mais j'en trouvais une disponibilité, assez à l'écart qui serait parfait pour qu'on puisse discuter tranquillement. Je m'y aventurais et le serveur arriva rapidement. Je lui adressais un grand sourire, je le connaissais depuis le temps que je venais. Ma commande de café était toujours la même depuis des années et le serveur la connaissais également.

"- Un café latte avec du lait d'amande."

C'était triste évidemment de se dire que les deux cousins n'avaient trouvé le réconfort que dans la boisson et qu'ils s'entraînaient l'un l'autre. Mais ce n'était pas juste de ne les réduire qu'à ça. Tommy et Marcus n'étaient pas de mauvais garçons et s'ils buvaient dans leur coin, ils ne faisaient pas de mal, jamais le barman n'avait été violent ou méchant à cause de ça, jamais il n'avait mis quelqu'un en danger, parce qu'il buvait soit au Elm, soit chez lui, dans les deux cas il n'avait qu'à traverser la route à pieds. La seule personne à laquelle il faisait du mal c'était lui-même, mais pour ça, il n'avait aucune envie qu'on le juge. Peut-être avait-il entraîné son cousin, c'était sûrement son pire tort dans l'histoire, mais Tommy était un grand garçon et Marcus ne lui avait pas mis de couteau sous la gorge pour qu'il le suive. Il comprenait la peine de Joséphine, il comprenait qu'elle ne soit pas d'accord avec leurs habitudes, mais il avait plus de mal à accepter qu'elle lui ait tourné le dos pour cette raison. Il ne s'attendait pas vraiment à ce qu'elle accepte sa proposition, persuadé qu'elle trouverait un moyen d'esquiver. Mais finalement elle le suivit, cherchant d'elle-même un endroit où s'installer. O'Brian était un peu décontenancé mais content qu'elle ne se soit pas défilée. Ils s'installèrent dans ce café qu'il ne connaissait que de nom, l'endroit était cosy et sentait bon le café fraîchement moulu, c'était agréable. Quand le serveur vint prendre leur commande, le barman était presque perdu tant le choix était large, mais finalement il resta sur ses basiques. Un expresso s'il vous plait. Et quand il fut reparti, Marcus jetait encore un œil à la décoration du lieu. Tu viens souvent ici ? Il avait remarqué que Josephine était à l'aise, un peu comme chez elle. Alors, qu'est ce que tu deviens ? C'était difficile de lancer une conversation après tellement de temps, mais il ne voulait pas laisser passer cette opportunité de peut-être renouer avec cette femme.

Une fois confortablement installés, je laissais à Marcus le soin de prendre sa commande. Je lui laissais également le choix de démarrer notre conversation. J'avoue que je séchais sur le sujet à débuter. Pourtant, j'étais plutôt du genre bavarde à toujours vouloir m'exprimer mais j'étais un peu mal à l'aise actuellement. Il choisit de débuter sur un sujet banal auquel je répondis avec un petit sourire en hochant brièvement la tête :

"- Oui, je connais bien l'endroit. Mes bureaux sont juste à côté, à quelques pâtés de maison. Ils servent un très bon café et mon addiction ne s'est pas franchement améliorée depuis le temps."

Je laissais s'installer un petit silence avant de répondre à sa question. Elle n'était pas simple. Il s'était passé beaucoup de choses depuis ces dernières années et si peu de positives que j'avais toujours du mal à répondre à cette question. Pourtant, j'avais confiance en Marcus et je savais que je pouvais me livrer à lui malgré les années et la distance qu'il s'était installée entre nous.

"- Je suis toujours avocate. Mon cabinet fonctionne vraiment bien, nous sommes huit avocates maintenant et autant d'aide juridique. Autant te dire qu'avec que des femmes dans un cabinet, on ne s'ennuie jamais avec les crêpages de chignon, les différents et aussi beaucoup de rire. C'est un plaisir de travailler avec elles malgré tout. En dehors du travail, je me suis mise à la course. Oui oui, moi, mise au sport. Comme quoi, tout peut arriver !"

Je lâchai un petit rire à la fin de ma phrase. En dehors de mon travail, je n'avais pas beaucoup d'activité. Après la mort d'Amélia, je m'étais réfugiée dans ce dernier et cela n'avait pas franchement changé depuis. Comme je venais de lui indiquer, je m'étais effectivement mise à la course à pied. Non par grande volonté de faire du sport mais plus pour me changer les idées. C'était assez comique quand on savait mon aversion pour le sport. Je fronçais ensuite légèrement les sourcils avant de lui demander également comment il se portait, intriguée de la réponse :

"- Et toi ?"

C'était un avantage certain pour Marcus que d'être propriétaire d'un bar, il avait appris l'art de la conversation, il avait ce don pour toujours s'intéresser aux autres et ne jamais se sentir démuni par le silence. Il lui arrivait très rarement, lorsqu'il était au Elm, de ne pas savoir quoi dire et que la situation devienne gênante. Evidemment la situation d'aujourd'hui face à Jo était différente, il n'avait pas un autre client auprès duquel s'échapper, d'addition à encaisser ou de verre à remplir. Il était seul sans repère, l'exercice était donc plus difficile, mais ça ne changeait pas sa nature, c'était un homme curieux et avenant. Et puis surtout, il l'aimait beaucoup Joséphine et le fait qu'ils se soient éloigné, les raisons qui l'avaient provoqué, ne changeaient rien. Il sourit lorsqu'elle parlait d'addiction, évidemment il ne releva pas le fait qu'elle n'était pas aussi tolérante avec un tout autre type d'addiction, celle dont étaient victime les deux cousins, il ne souhaitait pas attirer ses foudres. Après tout, chacun son carburant. Le vieil O'brian face à toi ne peut que comprendre ce problème. Tu sais bien que sans ses cinq cafés dans la mâtinée il n'était bon à rien pour le reste de la journée ! Il avait donc choisi de parler à la manière d'un vieux sage plutôt que la confronter. Les femme se crêpent le chignon, les hommes se mettent sur la figure, je ne sais pas ce qui est le pire ou le mieux ! Dans ton domaine je suis certain que les femmes ont une bien meilleure poigne que les hommes, une main de fer dans un gant de velours, c'est un bel atout j'imagine. En tout cas le cabinet a bien évolué, je suis content pour toi. Il se souvenait des débuts de Joséphine en tant qu'avocate, le cabinet était bien plus modeste mais il était prometteur. Il sourit à nouveau en l'imaginant courir. Je pense qu'on trouve tous son exutoire. C'est une bonne chose, le sport ça défoule, enfin il parait ! Lui n'était pas tellement sportif, il ne l'avait jamais tellement été, mais bon, Jo était la preuve qu'on pouvait tous changer. Oh moi, tu sais ... un peu toujours le même train-train. Ma serveuses, Leo, est partie, j'en ai retrouvé une autre, ça se passe plutôt bien. Il fut interrompu par le serveur qui revenait leur déposer leur commande. Finalement il repris, avec un peu plus de détail et de sincérité. Penelope est revenue, peut-être que tu le sais. Ca fait plus d'un an maintenant. Elle a bouleversé pas mal de choses. Son addiction pour l'alcool ne s'en était pas vue améliorée, mais s'était ajoutée celle à cette femme, celle qu'il avait oublié, pas n'importe quelle femme, la sienne.

Le serveur nous déposa notre commande et j'humais instinctivement l'odeur. J'avais été maladroite dans mes propos concernant l'addiction et je m'en voulais un peu. Marcus et Tommy partagent une addiction que je ne tolère pas et moi, je parle de mon amour pour le café comme d'une addiction. Mes paroles ont été plus rapides que ma pensée et j'appréciais que Marcus ne le relève pas de manière abrupte. Il décida plutôt de mentionner son amour du café également et je lui répondis uniquement par un sourire, un peu gênée. Je lâchai ensuite un petit rire à la remarque de Marcus sur la main de fer dans un gant de velours. Cette image était très bien choisie pour illustrer mon travail de chef. Je devais faire preuve de beaucoup de patience, de poigne mais également d'équilibre ce qui n'était pas toujours facile à trouver. J'hochai la tête avant de lui répondre :

"- Effectivement, le cabinet a bien grandi maintenant. Cela me mange beaucoup de temps et ce n'est peut-être pas plus mal."

Je terminais ma phrase d'une voix basse tout en regardant ma tasse de café froid. Marcus me connaissait mieux que certaines de mes connaissances et je pouvais me permettre de m'ouvrir un peu à lui, peut-être plus que je ne le faisais au moment de la mort d'Amélia. De l'eau avait coulé et j'avais appris que garder toutes mes émotions n'était pas la bonne manière pour avancer, ma psychologue me l'avait bien fait comprendre. Alors j'essayais, j'avançais à ma manière, lentement certes mais j'avançais. Je l'écoutais ensuite me parler de lui et j'étais surprise d'apprendre le retour de Penelope dans sa vie. Je m'inquiétais alors de savoir comment il le prenait, si ce n'était pas trop difficile à gérer au niveau émotionnel.

"-Non, je l'ignorais. Comment le vis tu ?"

N'ayant plus de contact avec Tommy depuis notre divorce, je n'avais pas eu de nouvelles de Marcus. Si j'avais récemment revu Tommy, dans de bien tristes circonstances, nous n'avions pas évoqué son cousin. Nous marchions plutôt sur des œufs à essayer de trouver un sujet de conversation pour lequel nous n'aurions pas envie de nous entre-tuer et ce n'était une tâche aisée.

Je savais manier les discussions pour les rendre agréable, ne pas aborder les propos fâcheux. Ainsi je ne relève pas, je n’évoque pas l’alcool, ma drogue à moi. Joséphine parle du sucre, moi du café. Ca ressemble à marcher sur des œufs, mais l’échange cordial pourra devenir plus aisé, à force. J’opine du chef alors qu’elle parle, je comprends que Joséphine plonge dans sa vie professionnelle comme pour s’y noyer, pour ne pas finir ses journées seule à penser, penser comme se rappeler l’absence, le manque, comme faire revenir des souvenirs douloureux. Je peux comprendre, sous bien des angles, le manque je connais bien, moi aussi je remplis mes journées. Il a bonne presse, je peux le dire, j’en ai ouï dire de bonnes choses. Je n’ai moi-même jamais usé de leur service mais on m’en a pas mal parlé en bien. Me voilà presque surpris de voir la jeune femme presque flancher face à moi, je connaissais Jo depuis des années, pour moi elle a ce je-ne-sais-quoi, elle ne flanche pas, elle ne dévoile pas sa peine, néanmoins sa voix se brise. Le chagrin prend des formes cruelles, perdre sa fille la rend vulnérable. Je ne relève pas, j’essaye de ne pas lui faire voir que ça me brise de la voir ainsi. Parce qu’elle n’a pas besoin de me voir céder moi aussi. Même si Jazac a perdu sa fille, moi j'ai perdu ma filleule mais aussi une amie ce fichu jour. Mais je n'ai aucune raison de me plaindre, face à elle. Pour changer de discussion, la rendre plus légère, je parle de Penelope. Ça n'a rien de plus léger en vrai, mais ça nous amène ailleurs. Je le vis … j’en sais rien. Je suis passé par pas mal de phases je crois. La joie, de la savoir ici, en vie, en premier lieu. J’avais fini par me demander si je ne finirais pas par apprendre son décès un jour, j’en culpabilisais, moi qui l’avais si peu cherché, persuadé au fond de moi de son échappée belle. La peur, la colère aussi, le manque,… J’énonce les émois que j’avais éprouvé depuis que Penny a décidé de revenir. Elle n’a pas pris sa décision pour me revenir, son père a une maladie. En gros, je n’ai pas d’illusions à me faire. Je me surprends à parler à Jo comme à l’époque, quand Penny a disparu, la blonde m’a beaucoup épaulé.

Je remerciais silencieusement Marcus de ne pas relever cette faiblesse en moi. Cette peine qui animait toujours mon esprit jour et nuit. L'homme a toujours eu une place particulière dans mon coeur. Ce pilier dans la vie de Tommy a été longtemps un ami avant qu'une certaine amertume ne prenne place en moi du fait de leur addiction partagée. En plus de me prendre ma fille, cet accident a également pris ma vie et mes connaissances. En dehors de mes collègues, je ne vois quasiment plus personne de mon "ancienne" vie. Marcus y compris.

Je bus une petite gorgée de mon café, appréciant la descente de ce liquide le long de mon œsophage. Je sentais une chaleur se répandre à l'intérieur de mon estomac et cela me donna une petite dose de courage pour poursuivre la conversation avec Marcus. Non que j'appréciais sa compagnie, cela a toujours été le cas. Néanmoins, la nostalgie faisait son travail et me ramenait mes souvenirs à la figure et ce n'était pas franchement ce que je souhaitais pour notre conversation. Je fus soulagée d'entendre Marcus me parlait d'un autre sujet, aussi compliqué soit-il pour lui.

Je me rappelais évidemment de Peneloppe et de la manière dont elle avait blessé Marcus, le laissant dans une intense tristesse. Je me souvenais de nombreuses soirées auxquelles, accompagnée de Tommy, nous avons soutenus Marcus en essayant de le consoler ainsi que de lui changer les idées. Savoir que Peneloppe n'était donc pas revenu pour lui, je pouvais deviner sa peine en écoutant ces paroles. Ce ne devait pas être facile à vivre pour lui. Je me sentais le devoir de lui apporter mon soutien. Pour cela, je posais ma tasse de café avant de poser une main sur la sienne comme signe de réconfort. Je posais ensuite ma voix, plus sûre de moi, pour lui dire :

"- Je suis désolée pour toi Marcus. Je sais combien tu aurais aimé qu'elle revienne pour toi..."

Marcus était une personne facile à apprécier, il avait de la conversation, toujours un mot sympa, une attention. Il ne se formalisait pas des choix des autres, certains s'éloignaient, d'autre revenaient, c'était un peu le ballet de la vie et c'était normal Peut-être que les circonstances de sa naissance, la mort de sa mère, l'abandon de son père, avaient fait de lui un homme détaché, qui tentait de ne pas trop s'émouvoir, parce qu'on ne savait pas de quoi l'avenir était fait. Cependant, il avait vu s'éloigner quelques-unes des personnes qui lui étaient chères au cours de sa vie, pour diverses raisons, parfois par sa faute. Et même s'il la jouait cool, c'était toujours un pincement au cœur, voir un trou béant qui l'échaudait, c'était comme un petit abandon, l'air de rien, comme si tout le monde était destiné à n'être que de passage, dans son existence. Joséphine était de ces personnes qui avaient fui, pour des raisons évidentes, parce qu'il était devenu un homme toxique et qu'elle n'avait pas besoin de ça. Cela faisait plus de dix ans que ça durait cette addiction à l'alcool, depuis le premier soir où il avait compris que Penny ne reviendrait pas. Seulement peu de personnes le savaient, pour beaucoup, il était juste le patron du Elm, qui payait des tournées et qui tenait sacrément bien la bouteille, mais rien de plus, un bon vivant en somme. Elle, Jo, savait, elle avait compris, parce qu'elle l'avait trouvé ivre mort plus d'une fois et qu'avec Tommy, ils l'avaient tous les deux supporté pour le monter jusqu'à son lit. Elle savait et c'était difficile pour lui d'affronter son regard quand ils évoquaient le sujet. D'autant plus depuis qu'il avait entraîné son cousin dans ses travers et que ça avait précipité la destruction de leur couple. Elle n'avait pas fait de scène, pas d'esclandre, elle avait juste quitté sa vie et il avait compris pourquoi, il n'avait pas le droit de lui en vouloir, parce que si elle l'avait aidé et soutenu à une époque, lui n'avait pas réussi à en faire de même quand ce fut son tour.
Peut-être que le temps avait fait son œuvre, apaisant les cœurs, peut-être qu'ils pourraient retrouver un semblant de complicité. Alors que la main de la blonde se posait sur la sienne, il esquissa un sourire mélancolique. J'aurais aimé qu'elle ne parte pas, surtout. Après neuf ans, qu'est-ce que je pouvais bien espérer ? Le ton était un peu amer, mais lucide. Il l'aimait encore, tout avait été si fort entre eux, mais il avait perdu ses belles illusions avec le temps.

A l'évocation de cette rupture, je me reprenais plein de souvenirs en pleine face. Marcus avait connu ses hauts et ses bas, je l'avais surtout vu sur ses bas malheureusement. Du moins, je ne retenais principalement que ces moments là en mémoire. Je me revoyais coucher Marcus avec l'aide de Tommy, trop alcoolisé pour se coucher seul. Plusieurs fois je me suis moi-même couchée avec la crainte de ce qu'il pouvait lui arriver, s'il était suffisamment conscient pour rester seul. Ces craintes se sont majorées lorsque Marcus a inclus Tommy dans ces projets. Je lui en ai voulu, involontairement au début, de l'embrigader ainsi. Je ne voulais pas en vouloir à Tommy, il avait ses circonstances atténuantes. C'était bien plus facile de m'en prendre à son "ivrogne de cousin" comme je l'appelais à l'époque. Aujourd'hui, je m'en voulais de ces commentaires que j'avais pu avoir. Tommy avait autant ces tords que Marcus, tout comme moi finalement. C'était dur à accepter mais j'y travaillais encore.

"- Tu aurais pu espérer qu'elle te revienne, c'est légitime, l'espoir."

L'espoir, je l'avais connu. J'avais connu l'espoir de retrouver Tommy, de retrouver l'homme d'avant. Evidemment, tout comme Marcus, tout espoir avait été vain. Cependant, je ne pouvais que comprendre son désespoir de la retrouver. Je n'avais pas connu de rupture pure et dure. Tommy était mon amour de jeunesse, il était celui qui avait fait battre mon coeur de jeune adolescente. Je n'avais connu que lui. J'avais connu la séparation, le divorce certes, mais c'était d'un commun accord. Nous nous étions longtemps battu, blessé mais c'était bien différent d'une rupture conventionnelle surtout au vu du contexte dans lequel nous étions.

J'étais attristée de voir Marcus dans ces conditions. Je voulais lui remonter le moral mais je n'avais que mes mots pour le faire. Je n'ai jamais été la plus démonstrative physiquement. Je décidais donc de lui dire ce que j'avais sur le coeur, ce que je pensais de lui. Malgré tous ces défauts, j'étais certaine de ce que j'avançais sur la personne qu'il était, qu'il est toujours d'ailleurs. On ne changeait pas aussi facilement le fond d'une personne.

"- Tu mériterais qu'elle revienne. Tu es une bonne personne Marcus."