can't help falling in love - (igloo #5)

Ce quatorze février est un peu spécial pour moi cette année. Les onze dernières années, j'ai passé cette Saint Valentin avec mon ancien compagnon, Oliver. Je me retrouve donc célibataire pour la première fois mais je ne souhaitais absolument pas broyé du noir, ce n'était pas mon genre. J'ai décidé de me rendre dans le restaurant du château de glace pour la soirée. J'espérais m'y changer les idées et pourquoi pas passer une bonne soirée par la même occasion. Je m'étais préparée assez rapidement, enfilant une robe longue qui moulait mon ventre. A sept mois de grossesse, je ne pouvais plus le dissimuler et j'avais décidé de l'accepter. Avant, j'aurai probablement mis une paire d'escarpins pour accompagner ma robe. Aujourd'hui, j'avais opté pour une paire de baskets, beaucoup plus confortable et surtout facile à enfiler.

Après quelques minutes de marche qui m'ont paru extrêmement longues en raison de ma condition physique déplorable ces dernières semaines, je parvins enfin au château. Cette bâtisse était vraiment superbe et j'avais hâte de voir ce que le repas nous réservait. A peine ai-je pénétrer dans l'habitacle qu'on me mit un bandeau sur les yeux. Je trouvais ça étrange mais me dis que l'expérience allait être intéressante. Je me laissais guider n'ayant pas vraiment le choix. Une fois seule dans l'habitacle, j'étais un peu gauche et ne sut que faire de mon corps. Je tapotai autour de moi, essayant de m'approprier l'environnement. Je sentis une chaise et choisis de m'y asseoir avant d'inspirer un grand coup. J'entendis un bruit de porte qui se fermait et m'enquit de la présence d'une autre personne dans la pièce, d'une voix mal assurée notamment en raison du noir qui m'entourait :

"- Euh...Il y a quelqu'un ?"

Noam avait décidé de se lancer dans l'animation de la ville pour la Saint-Valentin. Il faut dire que certaines de ses amies l'avaient un peu poussé. Puis il s'était rendu compte que de toute façon il ne risquait rien à tenter l'expérience. Ca lui ferait au moins une bonne rencontre, non ? Il n'ambitionnait pas vraiment de trouver l'amour, passer un moment agréable avec quelqu'un lui suffisait amplement. Et puis un repas dans le noir... il avait toujours eu envie d'essayer !

Il ne savait pas tellement comment s'habiller. Il ne fallait pas en faire trop, mais venir en jogging n'était sans doute pas approprié non plus. Il avait donc opté pour un jeans, une chemise et une veste, le tout assez simple, sobre. De toute façon, ils allaient être dans le noir, pas vrai ?

Arrivé sur place, il se laissa conduire à l'aveugle jusqu'au petit igloo. Il était un peu inquiet mais surtout très excité par la soirée. Il avait tout envie de découvrir, le repas, les sensation, sa ou son partenaire ! Une fois entré dans l'igloo, et conduit jusqu'à la chaise, il entendit une voie demander s'il y avait quelqu'un. Il n'était donc pas le premier.

-Oui, enchanté ! Je m'appelle Noam.

A tâtons, il trouva la chaise, jaugea la distance avec la table, vérifia ce qu'il pouvait y avoir dessus.

-C'est vraiment drôle comme concept, mais c'est sûr que maladroit comme je suis, je vais finir par renverser quelque chose !

J'écoutais cet inconnu me répondre et j'essayais d'analyser la voix comme je le pouvais. Après tout, c'était le seul élément d'information que j'avais à ma disposition en dehors de son prénom. Au vu du timbre de voix, je pouvais dire qu'il devait avoir au moins une trentaine d'années ce qui était rassurant. Les années passaient aussi de mon côté et je n'avais déjà plus vingt ans, ni trente d'ailleurs. Pour maintenant, je ne pouvais déduire que cela de sa voix, c'était peu. Noam n'était pas un prénom que je connaissais. Il faut dire que mes connaissances sur les gens de Bowen étaient encore limitées. Il aurait été étonnant que je tombe sur quelqu'un que je connaisse et peut-être un peu gênant. Après tout, le but de cette soirée était de découvrir une nouvelle personne et de sympathiser avec. De ma voix douce, je lui répondis donc et me présentais :

"- Enchantée Noam. Je m'appelle Ava..Et je dois avouer que je suis un peu maladroite aussi. Je propose que nous essayons de ne pas détruire la pièce avant notre départ."

J'émis un petit rire à la suite de ma phrase. J'étais connue pour être parfois gauche, je faisais souvent tomber une bouteille ou je renversais régulièrement un verre. Cela faisait souvent rire mon entourage mais pouvait être ennuyant à vivre au quotidien. Faire un diner dans le noir était donc un véritable challenge pour mes mains et mes sens qui allaient être mis à rude épreuve. Pour le moment, parler ne devrait pas mettre en danger l'intégrité de la pièce. J'engageai donc de nouveau la conversation pour tenter d'en apprendre plus sur Noam.

"- Et que faites vous dans la vie ?"

Noam rit de bon cœur à la plaisanterie de sa partenaire du soir, d'Ava donc. Prénom court et facile, comme le sien en somme. Sa voix toute douce le rassurait, après tout, il avait été un peu nerveux de cette rencontre dans le noir, mais le feeling semblait agréablement passer entre eux, il était certain qu'ils allaient passer une bonne soirée.

-Je vais faire tout mon possible !

La jeune femme -il présumait qu'elle était jeune, et de toute façon il considérait jeune toute personne plus jeune que lui- engagea la conversation. Au moins, il pouvait être définitivement rassuré, personne n'était gêné par la mise en scène particulière de cette rencontre.

-Je suis professeur de biologie à l'université. J'ai été médecin urgentiste dans une autre vie mais certains évènements m'ont poussé à me reconvertir disons. J'habitais New York avant, mais je suis arrivé à Bowen il y a... 8 ans maintenant je crois ? Je ne sais plus bien !

Il ne voulait pas trop en dire, parler de son ancienne vie étant pour lui très inconfortable. Il s'ébouriffa les cheveux -ça même dans le noir il arrivait à les trouver.

-Et je pense qu'on peut se tutoyer, sauf si ça te gène ? Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? Ou quelles sont tes passions ?

J'écoutais attentivement les paroles de Noam, je désirais vraiment en apprendre plus sur l'inconnu avec qui j'allais passer cette soirée si spéciale de l'année. De plus, je commençais doucement à m'accommoder de la pénombre. Le côté mystérieux de cette soirée me permettait également de faire travailler mon imagination. Pour l'instant, j'imaginais un homme d'environ trente-cinq ans, brun, de taille et de corpulence moyenne. Dans mon esprit, je l'imaginais avec des cheveux longs, un peu en bataille. J'étais curieuse de le voir à la lumière du jour, je devais l'avouer. Alors que mon imagination s'activait, je lui répondais d'un ton enjoué :

"- New York ! Ca doit être un sacré changement de venir sur Bowen après une aussi grande ville."

J'avais noté mentalement que Noam avait été un médecin urgentiste. Cependant, je préférais ne pas aborder le sujet à moins que lui ne le fasse de son propre chef. S'il avait changé ainsi de métier, il devait avoir une bonne raison et n'avait peut-être pas envie de l'aborder ce que je comprenais et respectais. J'avais vu nombreux de mes collègues partir, abandonner le navire, au vu des conditions de travail et je ne les blâmais jamais. Parfois, je me demandais moi-même comment je tenais encore au travail, très certainement portée par mes collègues. D'ailleurs, je lui déclinais à présent mon travail, assez similaire à son ancien finalement :

"- Je suis infirmière aux urgences et en réanimation à l'hôpital de Bowen mais je ne travaille pas actuellement. Sinon, j'adore le tennis, le sport plus généralement, et passer mon temps dans la nature. Je déteste rester enfermée, à ne rien faire. D'ailleurs, je ne sais pas rien faire. Et toi, qu'est-ce que tu aimes faire dans la vie ?"

Noam sourit, les gens avaient souvent cette réaction-là, cette comparaison de taille entre New-York et Bowen. Et c'était bien naturel. Après tout, c'était l'essence même de son déménagement. Il hocha doucement la tête -même si à la réflexion, elle ne pouvait pas le voir.

-Oui, c'est une sacrée différence, mais à vrai dire, c'est pour ça que je suis venu ici. J'avais besoin d'un endroit calme, beaucoup moins en effervescence.

Et pas que ça. Mais il ne voulait pas trop entrer dans le détail. Elle n'avait sûrement pas envie d'être ensevelie par la vie de quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, même s'ils étaient là pour faire connaissance. Noam préférait que tout reste positif dans leurs échanges, alors, autant ne pas lui parler de tous ses traumatismes. Mais quand elle lui annonça son métier, il fut sidéré.

-Oh.

Ce fut la seule chose qu'il fut capable d'articuler sur le coup. Il en rencontrait tellement rarement, des gens si proches de son ancienne vie. Quelque part, il ne s'était pas préparé à cette éventualité. Il secoua doucement la tête de droite à gauche, essayant de se reprendre.

-Désolé, j'ai été surpris !

Il avait profondément envie de lui demander pourquoi est-ce qu'elle était arrêtée en ce moment, mais c'était sans doute trop intrusif. Ses yeux essayaient de discerner la forme de son visage mais il n'y arrivait pas, il faisait tellement noir. Mais ce dont il était certain maintenant, c'est que c'était une belle personne. Et l'âme des gens se reflétait souvent sur leur visage. Les infirmières de son service, il s'en souvenait à présent. Mais mieux valait qu'il pense à autre chose.

-Oh, le tennis ? Est-ce que tu vas assister à l'Open d'Australie alors ?

Il sourit quand elle lui dit détester être enfermée.

-Je te comprends, moi j'ai une passion pour les plantes. J'en ai plein chez moi, on dirait un peu une serre ! Et j'adore aller au jardin botanique pour en voir certaine. Sinon... je fais un peu de footing ! Mais je ne suis pas vraiment de sport en particulier. Ah, j'ai une petite chienne aussi, que j'ai adopté. on se balade souvent tous les deux ! A vrai dire, je suis plutôt quelqu'un de calme, parfois même un peu ennuyeux.

Il eut un petit rire. Il savait bien comment on pouvait le considérer mais ce n'était pas grave.

Noam comme moi ne nous épanchions pas sur son changement de travail ou mon arrêt. Nous laissions plutôt les non-dits de nos passés respectifs dans le silence et passions à autre chose dans un grand respect que j'appréciais beaucoup de mon côté. Je m'excusais néanmoins d'avoir potentiellement déclenché certaines pensées de son côté, j'espérais qu'il ne m'en voudrait pas.

"- Désolée si cela ressasse de mauvais souvenirs, ce n'était pas mon intention."

Je passais rapidement à la suite de la conversation, bien plus légère et qui permettait de nous découvrir mutuellement. Cette époque où je jouais au tennis me manquait énormément, j'avais dédié une bonne partie de mon enfance et mon adolescence pour ce sport. Avant ma grossesse, j'essayais de le pratiquer encore régulièrement bien qu'avec moins d'intensité qu'avant. J'espérais évidemment pouvoir me rendre à Melbourne cette année mais je savais que cela allait être plus compliqué avec mon enfant à venir. Je décidais de lui faire part d'un aspect de mon glorieux passé alors qu'il me dévoilait aussi une partie de sa personnalité :

"- J'espère pouvoir y assister cette année oui. J'ai eu la chance de pouvoir faire les qualifications il y a quelques années et c'est un de mes plus beau souvenir. Oh j'adore les plantes aussi ! Je crains en revanche qu'elles ne m'apprécient pas autant...Oh j'adore les chiens, c'est quelle race ? Il n'y a pas de mal à être calme, c'est plutôt apaisant je trouve."

Je disais ça alors que mon ancien compagnon était tout l'inverse d'être calme. Enfin, quand il était avec moi bien sûr. Militaire, il se déplaçait régulièrement dans le cadre de son travail. Sa hantise était de devoir se poser et construire une vie tranquille. Lui voulait bouger en continu. Alors cela me changeait d'avoir un interlocuteur calme.

Alors que Noam se dévoilait, la serveuse, vu la voix, fit son entrée dans l'igloo pour nous proposer les différents menus : à base de viande, végétarien ou mystérieux. Je choisis pour ma part le mystérieux, espérant découvrir des saveurs inédites en bouche. Elle nous proposa également un verre de vin que je déclinais évidemment et lui demandais plutôt un verre de jus de fruits pressés. Elle interrogea ensuite Noam sur ce qu'il souhaitait consommer. J'attendais sa réponse qui m'en apprendrait peut-être un peu plus sur ce mystérieux inconnu.

Noam secoua la tête de droite à gauche à ses excuses -même si elle ne pouvait pas vraiment le voir, le deviner peut-être. Ava avait cette fibre de soignante, en tout cas, c'est comme cela qu'il l'interprétait. Elle s'inquiétait pour lui, des conséquences de ses actes, alors même qu'elle n'avait rien fait de plus que d'énoncer son métier.

-Voyons, ne sois pas ridicule. Tu ne vas pas mentir pour ne pas me gêner.

Il eut un petit rire avant de prendre un ton un peu plus sérieux, presque malgré lui.

-C'est vrai que ça... remue des choses. Mais je suis content aussi, je me dis que maintenant j'ai quelqu'un avec qui je pourrais parler de ce sujet et qui pourra me comprendre.

Il écarquilla les yeux quand elle lui avoua avoir faire les sélections de la prestigieuse compétition. Elle n'aimait pas seulement le tennis, elle avait, à un moment de sa vie, eut ce niveau !

-Oh, la, c'est vraiment impressionnant, j'espère qu'un jour je pourrais te voir jouer alors ! Ou jouer avec toi, mais ça ne rendrait pas justice à ton niveau, je suis vraiment trop mauvais.

Il eut un petit rire. Il avait déjà joué quelques fois avec des amis, mais rien de sérieux. Était-il certain de bien savoir compter les points d'ailleurs ?

Il eut un sourire un peu contrit quand elle révéla que les plantes ne l'aimaient pas beaucoup. Il se doutait de ce qu'elle voulait dire par là, elle devait avoir du mal à les garder en vie.

-Je suis sûre que non, je pourrais t'aider si tu veux essayer à faire pousser des plantes, dans ton salon ou dans ton jardin.

Il sourit quand elle s'intéressa à sa chienne. Ava était vraiment quelque de sympathique. Il espérait qu'ils pourraient garder contact après ce repas.

-Elle n'a pas vraiment de race, je l'ai adopté en refuge. Mais je pense qu'elle est croisé ratier, quelque chose comme ça, elle est vraiment toute petite. Je peux te montrer une pho... Enfin, je pourrais, quand on sera sorti !

Il eut de nouveau un rire, lui montrer une photo maintenant gâcherait le concept du repas. Et d'ailleurs, la serveuse vint pour prendre leur commande. Tout comme sa camarade, Noam opta pour le mystère. Il n'était pas très difficile et ne craignait pas les plats épicés, alors quoi que ce soit, il était prêt à se montrer aventureux - ce qui n'était pas toujours dans son caractère. Il prit, par contre, le verre de vin. Quand la serveuse partit, il reporta son attention sur sa convive.

-J'espère qu'on ne sera pas déçu ! Je suis plutôt curieux de ce qu'ils peuvent nous concocter. Tu n'es pas du genre à boire ? Ou tu n'aimes pas l'alcool peut-être ?

Je me sentis soulagée d'entendre qu'il ne prenait pas mal notre conversation sur ce corps de métier si particulier qu'il avait décidé de quitter pour des raisons personnelles. Je souris malgré moi en entendant qu'il trouvait en ma personne une oreille s'il voulait discuter de ce sujet. J'étais toujours à l'écoute des autres et je me ferais évidemment un plaisir s'il voulait s'épancher sur le sujet, une prochaine fois bien sûr.

"- N'hésite surtout pas. Ce sera avec plaisir."

J'écoutais ensuite Noam parlait de venir me voir jouer ou encore de taper un peu la balle contre moi. Ce serait avec plaisir, dans quelques mois évidemment au vu de ma condition, mais j'apprécierais de jouer à nouveau sur les terrains de Bowen que je n'ai pas encore eu la chance de fouler.

"- Mais avec grand plaisir pour jouer. Pour me voir, c'est plus compliqué. Je joue beaucoup moins avec le travail. Disons que le sport n'est malheureusement plus mon unique priorité dans la vie. Ca l'a été, fut un temps, mais j'ai grandi et mes ambitions avec."

Je notai que Noam avait de la conversation, c'était très agréable. Nos sujets de conversations étaient riches et variés et nous parlions de nous revoir, notamment au travers d'une partie de tennis ou encore d'une heure de jardinage. Je ne pouvais réprimer un petit sourire à cette pensée. Je passais vraiment un bon moment en sa compagnie à le découvrir.

"- Je n'hésiterai pas à te demander si l'envie me prend d'adopter de nouvelles plantes. Je vais me cantonner aux plantes artificielles pour le moment, c'est préférable pour tout le monde je pense."

Je l'écoutais ensuite parler de son chien et je notai qu'il avait en plus la main sur le coeur. De part son métier ou encore le fait d'adopter un chien dans un refuge, je sentais la gentillesse émanait de lui. Je saisis également sa remarque sur son téléphone et je notais que depuis le début de notre rendez-vous à l'aveugle, il ne m'avait pas pris l'envie de regarder ce dernier. Je faisais partie de ces personnes qui regardent régulièrement leur téléphone, pour répondre à un message ou simplement scruter les réseaux sociaux. Je le faisais presque machinalement d'ailleurs. C'était donc étonnant que je n'ai pas envie de le faire actuellement, c'était signe que je passais une bonne soirée.

"- Oh, c'est un superbe geste que tu as fait de l'adopter dans un refuge. C'est génial. Tu me la montreras plus tard oui. C'est étrange presque de ne pas avoir nos téléphones non ? C'est agréable attention, je ne dis pas le contraire mais une expérience étrange tout de même à l'heure actuelle."

Noam me questionna ensuite sur ma consommation d'alcool. Je n'avais jamais été une grande consommatrice de ce genre de boisson mais j'appréciais occasionnellement un bon verre de vin. D'ailleurs, j'avais acheté une bouteille pour après mon accouchement. Elle m'attendait sagement dans un coin de ma cuisine. Je n'avais pas encore envie de révéler à Noam ma grossesse préférant me concentrer sur le moment présent. Je lui répondis donc en omettant une partie de la vérité.

"- J'apprécie un petit verre de temps en temps mais je ne suis pas une grande consommatrice. "

Ava ne refusa pas d'être sa confidente -alors qu'il l'y avait presque contrainte !C'était rassurant, presque réconfortant quelque part, de savoir que quelqu'un, pas si loin, partageait un bout de sa vie.

Noam comprenait, les priorités de chacun évoluaient, avec le temps. Ils empruntaient des chemins parfois sans s'en apercevoir, et quand ils se retournaient, ils se rendaient compte de ce qu'ils avaient perdus, mais il suffisait de regarder de nouveau en avant pour voir ce qu'on avait gagné.

-Je comprends. J'imagine que c'est quelque chose qui demande beaucoup de temps quand on veut rester à un niveau élevé. Et du temps... On en a tous une quantité limitée après tout.

24h dans une journée. Parmi ces 24h il fallait dormir, manger, faire tout un tas de tâche chez soi. Travailler. Travailler pour gagner sa vie. Et sur le reste du temps alors on pouvait faire ce qui nous plaisait, ses loisirs, mais aussi passer du temps avec ceux qu'on aime. Quand on y regardait bien, 24h, c'est peu.

Il eut un petit rire quand elle lui dit que pour l'instant, elle restait ses fausses plantes. Il la imaginait très bien, ces plantes en pot, en plastique, parfois très réalistes.

-Je sais que c'est sûrement parce que je suis passionné, mais j'ai tendance à trouver ça un peu triste. Mais, bon, je dois bien reconnaitre que ça demande moins d'entretien pour rester impeccable.

Noam sourit, oui, à aucun instant il ne regrettait d'avoir adopté sa petite chienne dans un refuge. Elle ne ressemblait à rien, mais elle était unique. Et si heureuse de vivre. Elle était ce qui remettait jour après jour, joie et dynamisme dans sa vie. Il prit un instant de réflexion à sa remarque sur les téléphones, c'est vrai que jusque-là, il n'avait non plus été tenté d'y toucher.

-Tu as raison... Même moi je le regarde assez souvent... Juste pour l'heure ou des notifications. Mais quand notre esprit est occupé à autre chose, c'est différent ! Finalement on est peut-être un peu trop seuls.

Il eut un rictus amusé. Oui, s'il était avec des gens, il était moins tenté de regarder son téléphone après tout. Il redevint un peu plus sérieux quand elle lui parla de sa consommation d'alcool.

-Je comprends ! En tant que médecin, je ne peux que vous recommander de continuer de toute façon !

De nouveau, on entra dans la salle, cette fois pour leur rapporter leur plate.

-Oh la la je ne vois rien, mais ça sent bon.

"- C'est très prenant effectivement mais j'adorais ça malgré tout. Seulement, la vie en a décidé autrement mais j'aime toujours autant ce sport, la notion de dépassement de soi et la compétitivité, je dois bien l'avouer.."

Je n'étais pas particulièrement fière de ce dernier point. On m'avait façonné en quelque sorte à l'adolescence pour l'être. Perdre, ce n'était pas bien, voilà ce qu'on me répétait en boucle lors d'une défaite. Alors je me l'étais tout simplement ancré en tête et ça me poursuivait encore aujourd'hui. Je refusais l'échec et c'était parfois pesant à vivre. J'essayais de travailler la dessus avec le temps et la maturité faisant mais mon ex compagnon me le reprochait souvent. D'ailleurs, nous avions arrêté de jouer ensemble au tennis mais de manière plus générale également. C'était plus serein pour notre couple à l'époque.

Je l'écoutais parler des plantes avec passion et un sourire avait naquit au niveau de mes lèvres. J'adorais écouter les gens parler de leurs passions, c'était toujours avec animosité, pleins de détails et on sentait cette passion au travers des mots.

"- Il est vrai que c'est beaucoup moins beau que des vrais plantes. On a pas la satisfaction de les voir pousser mais au moins, je n'ai pas à les regarder mourir sous mes yeux sans rien faire. Je pense que tu es bien placé pour comprendre."

Je lâchai un petit rire à la fin de ma phrase. Mon côté infirmière ressortait inévitablement de cette réplique. C'était la frayeur de tout professionnel de santé : nous refusions d'abandonner nos patients, de les voir mourir sans rien faire. Il était donc impensable que je réalise la même chose avec mes plantes. Je m'étais mon métier de côté dans mon esprit pour revenir au moment présent et à l'assiette qui venait d'apparaître devant moi.

"- Effectivement, l'odeur a l'air très alléchante. Je sens une odeur d'épices mais je ne saurai l'identifier en revanche. Peut-être du cumin. Aucune idée mais ça me donne faim en revanche ! Je te souhaite donc un bon appétit. "

L'odeur faisait gronder mon estomac discrètement et je n'attendais pas vraiment avant de commencer ce plat qui sentait si bon. Avant cela, il fallait évidemment trouver les couverts, et dans le noir, ce n'était pas une tâche si facile. Je me saisis de mon couteau mais en tâtonnant, je fis tomber ma fourchette.

"- Oh mince, je suis aussi gauche à l'aveugle que dans la lumière."

Par réflexe, je me baissais mais j'avais oublié un détail conséquent; mon ventre. Je ne sais dire si c'est parce que j'étais en bonne compagnie ou dans le noir, pourtant, j'avais bien oublié la masse que j'étais actuellement. Je lâchai un petit râle de douleur en me relevant, mes reins me faisaient assez mal sur ma fin de grossesse.

Noam aimait entendre les gens parler de leurs passions, et va et le tennis ne faisaient pas exception. La voir jouer devait être d'autant plus passionnant.

-J'admire les grands compétiteurs, il faut un moral de fer pour ça !

Pour ne pas se laisser abattre par une défaite, pour vouloir aller toujours plus loin. C'est en tout cas ainsi que Noam voyait les choses, de l'extérieur.

Un sourire triste s'afficha au coin des lèvres de Noam à l'observation de l'infirmière. L'analogie était facile à comprendre. Il baissa les yeux vers la table - qu'il ne discernait même pas - un instant.

-C'est vrai que je comprends ce que tu veux dire. Mais je trouve que pour les plantes, il y a toujours quelque chose à faire pour les faire reprendre.

Mais il savait que tout le monde n'avait pas la même appétence que lui avec les plantes, et puis, on pouvait ne pas avoir envie de s'investir complètement non plus. Il ne jugeait pas tout ça.

Voilà que le repas était servi. Noam avait hâte de continuer cette expérience !

-Aha merci, bon appétit à toi aussi !

Il chercha ses couverts à tâtons, délicatement. Il réussit à s'en saisir et put en prendre une première bouchée.

-Oh, c'est aussi bon que c'est délicieux je crois que tu as raison sur le cumin et...

Il entendit le bruit de métal sur le sol, puis son interlocutrice soupirer douloureusement. Il reposa ses couverts, s'inquiétant.

-Ca va ? Tu t'es fait mal ? Tu veux que je t'aide à chercher ?

Je mis plusieurs secondes avant de pouvoir répondre à Noam qui avait interrompu ses paroles. Du moins, pour être claire et compréhensible. Je pris plusieurs grandes inspirations comme me l'avait indiqué ma sage femme. Inspirer, expirer, le répéter plusieurs fois pour passer cette petite crise douloureuse. Après cela, j'avais repris mes esprits et je pus répondre à la sollicitude du docteur en face de moi.

"- Non non, ça va. Merci."

Accepter de l'aide était toujours un de mes principal défaut. Je refusais souvent la main qu'on pouvait me tendre et cela me faisait parfois du tord. J'avais notamment refusé les mains tendues au début de ma grossesse et aujourd'hui je me retrouvais seule, prête à accoucher et apeurée de l'être, seule. Néanmoins, dans la situation actuelle, j'avais réussi à récupérer ma fourchette au sol. Non sans mal certes mais j'avais réussi.

"- Manger à l'aveugle est quand même une véritable épreuve ! Ils auraient pu tamisé un peu pour qu'on voit ce que l'on fait. J'imagine bien la tête de ma robe à la fin du repas, tâchée de sauce."

Je lâchai un petit rire, changeant complètement la conversation et l'allégeant surtout. Je voulais revenir sur quelque chose de plus léger et surtout oublier cette petite pointe douloureuse dans mon dos qui me lançait toujours au niveau des reins, bien que moins douloureuse que précédemment. Je réfléchis donc quelques instants afin de trouver un sujet de conversation. Nous avions déjà évoqué nos passions, communes ou non, ainsi que notre travail. Pour une découverte de l'autre, c'était déjà pas mal. Je choisis donc de rester dans le thème actuel et d'évoquer la nourriture. Après tout, il n'y a que ça de vrai dans la vie.

"- Quel est ton plat préféré ? Je suis curieuse."

Elle refusa poliment son aide, mais Noam avait bien senti que quelque chose n'allait pas. Il ne voulait pas se faire plus intrusif que nécessaire. Si elle ne voulait pas s'étendre sur le sujet, il n'avait pas à insister. Surtout que si elle prenait les choses si facilement, c'est qu'elle devait avoir l'habitude.

Il eut un léger sourire quand Ava fit remarquer qu'il n'était pas facile de manger dans le noir et qu'ils risquaient de finir tacher, il ne pouvait qu'approuver.

-Tu as raison, on risque de bien rire en sortant d'ici et en regardant notre état.

Il prit une nouvelle bouchée.

-Mais au moins on peut profiter pleinement de notre repas, tant pis pour le reste.

C'était le but premier de ce diner après tout. Déguster, découvrir de nouvelles sensations dans le noir. La prochaine, ils pourraient appeler quelqu'un pour les couverts perdus. Ce serait sûrement mieux s'il était douloureux pour Ava de les ramasser.

Il était heureux, d'ailleurs, que la conversation soit aussi facile et aussi fluide avec elle. Ils s'étaient bien trouvés, quelque part. Il espérait qu'ils puissent garder une relation au-delà de ce repas, ils s'entendaient bien.

Il réfléchit à la question qu'elle lui posa. Il n'était pas toujours facile de décider quel était son plat préféré. Surtout que Noam était un gourmand qui aimait beaucoup de choses.

-J'aime beaucoup les falafels, parce qu'on peut en mettre dans plein de plats différents. Ma mère fait des Chawarma délicieux. Sinon en plus conventionnel... J'aime les burgers, comme tout le monde !

Il eut un léger rire puis secoua doucement la tête.

-Et toi, qu'est-ce que tu aimes ?