THE GOLDEN HOUR - ELIAS

3h du matin, peut -être 4. On déambule dans la ville avec Elias. On a quitté l'appartement d'un pote en ville, et on rentre chez moi. J'saurais plus dire pourquoi, mais cette nuit là, c'était acté qu'il dorme à la maison. Depuis très longtemps, Elias avait une place toute particulière dans le foyer des Bishop. A ce stade avancé de la nuit, on est absolument pas en état d'être séparé. La bière à couler à flot une grande partie de la nuit, on est embrumé par les vapeurs d'alcool. Notre démarche n'est pas vraiment assurée et on discute, on commente tout ce qu'on croise, en bref, on est bien déchiré. On passe devant la Big Mango de Bowen. Cela fait des années que je la vois cette sculpture, elle fait partie du patrimoine de la ville. Les alentours sont déserts. Je finis une cigarette que j'éclate sur le haut d'une poubelle avant de la jeter à l'intérieur. "Putain, regarde moi cette mange, elle est incroyable quand même nan?" C'était bien une réflexion de mec flingué à la bière, mais j'me postais devant, au pied de la grande mangue et je levais les yeux vers son sommet. "Elle est quand même balèze tu trouves pas?" Pas sûr qu'Elias soit tout aussi captivé que moi par ce fruit géant, mais moi, à cet instant de la nuit, je la re-découvrais.

@Elias Rutkowski

Je sais pas vraiment quelle heure il est, mais la ville est presque déserte. Je ne sais pas si c’est l’alcool dans mon sang qui me donne cette impression, mais ça me donne une sensation d’euphorie, comme si j’étais le maitre du Monde, comme s’il m’appartenait du moins. J’adore ressentir ça. Encore plus quand je partage ce moment avec mon meilleur pote. J’ai dis à ma mère que je dormais chez Elijah ce soir, c’est beaucoup plus simple. Quoique je ne suis pas sûr de dormir beaucoup en réalité. On passe devant la plage, quand Elijah s’arrête d’un seul coup. « Cette quoi ? » je demande en grimaçant. Puis, me retournant, je comprends de quoi parle mon pote. J’explose de rire. « Oh, la Big Mango ? T'avais jamais remarqué ? » Je pouffe, puis me rapproche de la sculpture. Emblématique de Bowen, on passe devant tous les jours sans vraiment la remarquer. Sauf ce soir. « Ouais, elle doit peser aussi lourd que ta connerie » je le charrie en riant, puis je me mets à grimacer. « On s’grouille à rentrer ? J’ai grave envie de pisser ! »

La nuit nous appartient. On est surtout fauché par l'ivresse mais quand j'suis avec Elias, j'me sens tout puissant. J'pourrais rester des heures et des heures debout, à raconter des conneries et à continuer de boire. Mais parfois, faut savoir rentrer aussi. Et puis, on est encore jeune, ma daronne m'a à l'oeil et j'crois qu'il est déjà suffisamment tard. Sur le chemin, mon regard croise celui de la Big Mango. Elle m'hypnotise. J'l'ai vu des centaines de fois, mais là, dans l'ombre de la nuit, sa masse imposante me fait face et j'la toise d'un regard intrigué. Elias capte pas de quoi je parle puis il finit par venir à ma hauteur pour contempler le joyau de Bowen. "Bah, j'avais jamais fais gaffe qu'elle était si immense. J'sais pas, là, elle en impose quoi." Putain, j'dois être bien bien attaqué pour dire ce genre de chose. Elias me fait rire avec sa réplique. J'acquiesce. "Elle est même plus lourde que nos deux conneries réunies, c'est pour dire." Alors qu'Elias me somme de me dépêcher, une envie pressante se faisant sentir, je le retiens en posant ma main sur son avant-bras. "Attends. J'te paris que t'es pas capable de pisser suffisamment haut pour atteindre le sommet de la Big Mango." J'le défis d'un regard amusé. Sans le savoir, nous étions à l'aube de la plus magistrale des conneries de notre jeunesse.

C’est vrai que cette mangue est d’un certain calibre. C’est à se demander si celui qui l’a crée n’avait pas un complexe de taille. En vérité, je ne m’y suis jamais vraiment intéressé. Elle fait partie du paysage de Bowen, et je passe devant quasiment tous les jours, je n’y fais plus attention. Mais c’est vrai qu’elle me parait particulièrement grosse ce soir. Elijah répond à me remarque et j’en pouffe bêtement. « Je pleins celui qui devra la soulever un jour » Je n’ai aucune idée de pourquoi cette pensée me vient, parce qu’en réalité, personne n’a besoin de venir la soulever. Elle est là depuis des années et y restera pour longtemps encore. Alors que je prie mon meilleur ami de se grouiller à reprendre la route, évoquant mon envie pressante, il me retient. La lueur qu’il a dans le regard à ce moment-là, je ne la connais que trop bien. J’ai la même quand je m’apprête à faire une connerie, et quand elle s’imprime, en même temps, sur nos deux visages, ça n’est pas bon signe. On est loin d’être les derniers dans ce domaine-là, je suis même à peu près certain qu’on n’est pas loin du rang de Maitre. Il me met au défi de viser le sommet de la Big Mango, et je ne sais pas qu’elle énergie m’anime à ce moment-là, mais ça me parait complètement jouable. « Vas-y si j’le fais, tu le fais ! » Je retorque, en commençant à défaire ma braguette, soudain persuadé d’avoir la puissance d’un lance de pompier entre les cuisses.

On est là, au creux de la nuit, et la Big Mango nous surplombe. Dans notre ivresse, on s'arrête devant elle. On la commente. Comme jamais personne ne l'a fait avant nous. C'est certain. Bon, on est pas les plus brillants cette nuit là. Ca se voit et ça s'entend surtout. J'crois qu'il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Je rigole en l'écoutant. Puis Elias il a besoin d'aller pisser alors il veut presser le pas. Mais, moi, à ce moment là, j'ai une autre idée. J'ai la connerie imprimée dans mes pupilles et celles d'Elias ne tardent pas à prendre la même expression. J'le défis. J'lui paris qu'il pourra pas pisser assez haut pour atteindre le sommet d'la Big Mango. Et là, quelqu'un de censé m'aurait arrêté. Pisser sur la Big Mango, c'est un sacrilège. Mais Elias, il n'est pas quelqu'un de censé. C'est pas pour rien que c'est mon meilleur pote. Alors, il fonce tête baissé dans mon défis et j'le regarde amusé. "Prépare toi à perdre mon pote, j'vais pisser tellement haut que ça va retomber de l'autre côté." Mais bien sûr, on y croit tous. Alors, en même temps que mon pote, j'délasse mon jean et j'sors l'engin. Déjà, j'dois trouver un peu de concentration pour pisser tellement je rigole. J'me sens surpuissant à ce moment là. Mais on s'est clairement sur-estimé. Le jet atteint tout au plus le premier quart de la Big Mango. Alors j'essaye de manoeuvrer pour gagner quelques centimètres. J'rigole encore et encore et le pire dans tout ça, j'crois, c'est qu'on s'prend des retours en plein sur le pantalon et le t-shirt. "Putain, meeeerde." Ouais, à ce moment là, j'me rends compte du truc et j'peux plus m'arrêter de pisser. Faut aller au bout, mais très clairement, c'est un échec cuisant.

Le défi est lancé, et aucun de nous n’entend renoncer. La Big Mango en ligne de mire, je me défroque, attrape mon outil et essaie de viser. Elijah se met à rire comme un débile et me communique son hilarité du même coup. Je ricane, ce qui me déconcentre. « Putain, t’es con…arrête, j’y arrive pas. » Je ris tellement que, malgré mon envie de pisser, j’ai du mal à me concentrer. Je reprends plus ou moins le contrôle et lance un premier salve, hilare, comme mon comparse. Mon jet ne va guère plus haut que celui d’Elijah, mais j’ai le malheur de tourner la tête vers lui. Sa gueule me fait hurler de rire, alors qu’il essaie de manier son engin pour viser plus haut. On dirait un pêcher en train de tirer un très très gros poisson. Sauf que tout ce qu’on récolte, nous, avec nos conneries, c’est un jet de pisse qui nous mouille le t-shirt et le pantalon. Malgré ça, je n’arrive pas à m’arrêter de rire - ou de pisser d’ailleurs - et finis pas tremper mes chaussures. « Putain, Jaaa !!! » je beugle en riant. Nos rires et nos cris ne nous faisant pas passé inaperçu, je remarque un peu tard la lampe torche d’un policier qui approche et qui nous interpèle. « Hé ! Arrêtez ça tout de suite ! » Un élan de panique me saisit, et j’attrape la manche (la pas le, entendons nous bien) de mon meilleur ami, et commence à courir tout en remontant tant bien que mal mon pantalon. « COUUUUUUURS !!!! » je hurle comme un dératé, alors que le policier, derrière nous, tente de nous rappeler.

Nos rires déchirent le silence de la nuit. On est là, pantalons baissés, nos engins prêts à affronter l'immensité de la Big Mango. C'est super dur de garder d'la concentration, tellement on rigole. J'tangue un peu aussi, à cause de l'ivresse. Mais bordel, c'est un pur moment d'anthologie. Nous qui pensions sincèrement pouvoir atteindre le sommet d'la Big Mango, on s'rend très vite compte qu'on est face à un échec cuisant. Nos jets ricochent contre la paroi de la structure et nous reviennent en plein sur le t-shirt, le pantalon et les chaussures. Mais c'est trop tard pour reculer. Impossible d'arrêter ce qu'on a commencé, alors on s'retrouve les victimes de notre propre connerie. Je hurle de rire, en même temps qu'Elias. "Putain, l'échec!" On est presque à terminer d'avoir fini d'pisser qu'on entend une voix masculine nous interpeler au loin, braquant sa lampe torche sur notre performance. Merde. La police. Manquait plus qu'on se retrouve au poste pour une connerie pareil. Elias il m'attrape par LA manche, et j'me mets à courir à ses côtés, remontant tant bien que mal mon pantalon. On détale dans la nuit, on court, sans se retourner. "REVENEZ ICI BANDE DE P'TITS VAURIENS!" Merde. J'crois qu'on nous poursuit. C'est juste pas possible qu'on s'fasse pincer à faire un truc aussi con. Faut surtout pas que ma mère apprenne ça. "Suis moi, on va passer par les jardins!" Une fois qu'on quitte le parc, j'escalade rapidement la palissade d'une maison et j'continue ma course, m'assurant qu'Elias se trouve toujours à mes côtés. J'suis partagé entre l'envie d'rire et celle de flipper. Mon cerveau n'arrive pas à faire de choix. On traverse un premier jardin, on escalade une seconde palissade, on traverse encore quelques jardins et finalement, on s'retrouve dans une ruelle plus sombre, plus calme. On ralentit notre course. Le silence s'est installé à nouveau. "Faut qu'on rentre au plus vite, j'ai pas envie d'finir au poste pour ça." J'me marre un peu, essoufflé de cette course. J'porte mon regard sur nos t-shirt et nos pantalons. Je souris. "Faut qu'on prenne une douche et qu'on s'change aussi.. accessoirement."