abigail - remember the time

17h. Ce jour là, j'avais enfin décidé d'aller rendre visite à ma mère. Sous les conseils -voire les très fortes recommandations- de mon oncle Jonathan, j'avais enfin franchis le pas. C'est pas que je l'aime pas ma mère, non, loin de là. C'est juste que ça me fou toujours le cafard de revenir dans la maison de mon enfance. Ca me rappel tellement de souvenirs, des bons certes mais aussi des plus difficiles. Ces longues journées lorsque ma mère pleurait, quand mon père s'était barré. Alors, même si aujourd'hui, elle va mieux, heureusement pour elle, ça me fait toujours un petit pincement au coeur. Mais après voir passé un peu de temps avec elle, je décidais de fouiller un peu ma chambre de gamin. Ma mère avait la fâcheuse tendance à ne toucher à rien. Lorsque j'entrais dans ma chambre, tout était en place. Les posters de skateurs en vogue à l'époque, quelques CD éparpillés sur mon bureau, même la housse de couette était la même. Je me mettais à fouiller un peu le bas d'une étagère et je trouvais une boite. Découvrant à l'intérieur des dizaines de feuilles A4, blanches, avec juste quelques mots écrits dessus. "SALUT, CA VA?" "JE M'APPELLE ELIJAH ET TOI?" "ON SE RETROUVE DANS LE COIN SECRET?" Je souriais tendrement en relisant ses messages qui étaient tous destinés à ma voisine de l'époque, Abigail. On avait passé des soirées entières à discuter par fenêtres interposées. Sa chambre donnait sur la mienne. Que de souvenirs. J'avais bien évidement gardé contact avec Abigail aujourd'hui. On était un peu comme le feu et la glace, des opposés. Et pourtant, on s'appréciait énormément. Abigail n'aimait pas les imprévus alors avant de lui rendre visite, dans la maison d'en face, je lui envoyais un message. "Salut Abi, si je passe te voir d'ici 15 minutes, t'es ok?" Attendant sa réponse, je continuais mes recherches archéologiques, en quête de souvenirs tout aussi touchants que celui sur lequel je venais de tomber. Ca fait du bien aussi, de temps en temps, une bonne dose de nostalgie.

Soupir long et profond, autant que ce vide, ou cette page blanche sur mon pc. Pourquoi j’avais eu cette idée idiote d’ajouter quelques choses à mon roman. Encore et encore… Pourtant au bout de temps de relecture, il était prêt… Non… Si? En fait j’en savais trop rien, je voulais juste qu’il soit beau, parfait… Vous savez ce livre qui prends aux tripes, qui arrache les larmes, et fait sourire, celui qu’on met en valeur sur sa bibliothèque et qu’on achète dans toutes les rééditions possibles… Ce livre qui marque le coeur, et qui fait qu’on le recommande à des personnes qu’on aime,… Celui qui allait me marquer autant qu’il marquerait les autres… Je voulais partager mon histoire, la faire vivre dans l’imagination des gens, les faire rêver et vivre les aventures avec les protagonistes.. C’était ça.. Mais je commençais à m’énerver devant mon écran..

BIP BIP - BIP BIP … Je regarde mon portable. Elijah. Un petit sourire sur mes lèvres apparaît. Si on était deux opposés Eli était un ami. Parfois c’était compliqué, il pouvait être… Intense, et moi bien trop renfermée je le savais. Mais j’aimais passer du temps avec lui, je découvrais le monde d’un autre regard, je pouvais vivre à travers lui certaines de ses aventures… Et il était drôle. « Coin secret? » Je réponds rapidement avant de fermer mon ordi et mettre mon manteau. Mes docs nouées parfaitement, je lisse ma robe et ferme les boutons de mon trench, je descends et pique un plaid sur le canapé, direction l’arrière du jardin, je sais qu’il saura me trouver. Ce grand arbre à abriter nos confidences, nos rires et aussi des larmes… J’étends la couverture et me pose là, dos contre le tronc de ce vieil ami..


@Elijah Bishop

Abigail ne tarde pas à répondre à mon message. Elle me donne rendez-vous dans notre coin secret. Ca me fait automatiquement sourire, ce coin secret, c'est une safe place. Quand on était gamin, on avait la sensation que personne ne pourrait jamais nous trouver. Comme si on entrait dans une dimension parallèle, cet endroit n'appartenait qu'à nous. On a vécu des chouettes moments ensemble, mais aussi beaucoup d'instants plus difficiles. On se confiait l'un à l'autre, sur ce qu'on vivait dans nos foyers respectifs. Et je crois qu'en un sens, on se sentait moins seuls. Rassuré de savoir que derrière chaque fenêtre, les familles n'étaient pas si rayonnantes qu'elles pouvaient le laisser voir.

Je sors de ma chambre et je prends soin d'embarquer la fameuse boite contenant tous nos souvenirs. J'enfile ma paire de Vans noire. Ma paire de chaussures officielle. Et je quitte la maison par la porte de derrière, je m'enfonce dans le jardin. Lorsque j'arrive au fond, je pousse une planche de bois branlante et je pénètre dans le jardin des Meers. Je dois forcer un peu, avec le temps, mes épaules ne passent plus aussi facilement dans l'étroitesse du passage. Finalement, je me débrouille pour passer et j'arrive près de notre arbre. Abigail est déjà là, assise, calme. Comme à son habitude. Abigail n'aime pas le bruit et je sais que mon côté gesticulant peut parfois la crisper. Alors je fais des efforts et je viens m'assoir à côté d'elle, beaucoup trop lentement pour moi. Je lui souris. "Salut Abi, comment tu vas?" Je dépose la boite juste devant moi, et je pose bruyamment mes mains sur le couvercle en carton de celle ci. "T'es pas prête pour ce qui à dedans!!" Zut, je crois que j'ai parlé trop fort. Faut vraiment que j'me calme. Mais j'y peut rien, j'suis beaucoup trop excité à l'idée de plonger ensemble dans nos souvenirs.

Les souvenirs remontent. Assise là je n’ai pas de mal à me remémorer les larmes qui avaient coulées sur nos joues, plus les miennes que les siennes d’ailleurs, des larmes de tristesse, rarement … Jamais… De joie. Mais il arrivait toujours à me faire sourire. C’était le petit secret d’Elijah. Il avait su entrer doucement dans la carapace que j’avais, avait trouver les codes, et restait à distance, tout en étant maintenant indispensable. Plus dynamique que moi, plus vivant... Il était moins … Ovni, totalement... Normal... Argh ce mot était ignoble, la normalité était si subjective… Mais ici je me souvenais qu’on avait été que des enfants… Blessés par la vie, par des parents absents, incapables… Et des fêlures trop difficiles à gérer à notre âge. Il avait été ma soupape. Une manière d’extérioriser les choses. Je l’entends.

L’herbe qui plie sous ses chaussures, son souffle, et mon sourire s’étire, c’est pour le moment des sons qui étaient supportables. Doucement et je sais combien il fait des efforts pour moi… Il s’approche. « Salut Voisin ! » Je souris à Eli. N’aimant pas le contact quand il vient des autres, j’aime par contre donner.. Quand je me sens en confiance, m’approchant je le serre doucement dans ma bras. « Comme un après midi ensoleillé . Et toi? » Le bruit de ses mains s’abattant sur le carton me fait sursauter légèrement. Mais je le rassure de mes lèvres qui restent en un sourire, et hausse légèrement les épaules, comme pour dire, t’en fais pas, ça va. J’avais l’habitude, son excitation était aussi bénéfique, une source de stimulation. « C’est un carton… Ne me dis pas que tu as encore ramené un animal blessé..? » Dis-je en fronçant les sourcils.



@Elias Rutkowski

Quand j'étais avec Abigail, j'essayais de me poser, de me calmer. Je savais qu'elle était sensible au bruit et à l'agitation et malheureusement, c'était deux mots qui me définissaient parfaitement. Mais avec le temps, j'avais appris à me canaliser. Ensemble, on essayait de trouver un équilibre. Abi avait fait beaucoup d'effort et j'crois qu'aujourd'hui, on se connaissait tellement bien, on était en confiance, alors on s'adaptait à l'autre.

Les souvenirs remontent à mesure que je m'enfonce dans le jardin. Lentement, je m'installe à côté d'Abigail. Je sais que les gestes tactiles envers elle sont à proscrire, du moins, ils doivent venir d'elle. Et elle ne tarde pas à venir me serrer dans ses bras. Je souris doucement, et je lui rends son étreinte. Ca me fait du bien, je sais qu'elle est bien avec moi, et je suis bien avec elle. C'est aussi simple que ça. On reprend nos places et je souris toujours. "Ca va aussi, j'suis passé voir ma mère alors j'pouvais pas ne pas venir te faire un coucou en même temps." Ca faisait parti du rituel, quand je revenais dans la maison de mon enfance, tout un tas de souvenirs nostalgiques remontaient à la surface et j'avais ce besoin de voir Abigail. Je portais mon attention sur le carton et la réplique d'Abigail me fit rire. Je secouais la tête tout en souriant. "Nan, pas cette fois!" C'est vrai qu'étant enfant, je ramassais toutes les bêtes que je trouvais dans le jardin, amochés par les chats du quartiers. Des taupes, des souris et parfois même des oiseaux. "Dedans, se trouve plus de 10 ans de nostalgie, à l'état pur!" Je me penchais vers la boite et je tapais tout doucement dessus (pour ne pas brusquer les oreilles d'Abigail) à intervalle régulier "roulement de tambours .." Et je soulevais le couvercle. "Regarde ce que j'ai trouvé dans ma chambre." Je prenais le premier morceau de papier et le dépliais devant Abigail. Dessus, en lettre manuscrite de la main d'un gamin de 10 ans, on pouvait lire "Je m'appelle Elijah et toi?" Je souris et posai mon regard sur celui d'Abigail. "Tu te souviens?" lui demandais-je doucement.

L’étreinte que je lui offris était un signe de confiance. Elijah n’avait plus à me prouver qu’il était celui qui avait réussi à me rendre un peu plus normale… Moins étrange en tout cas à ses yeux je ne l’étais pas. J’avais un ami. Collin en était ravi, mes soeurs aussi, et … J’avais un ami. Dans le coeur d’une petite fille qui est rejeté sans cesse vous ne pouvez pas vous imaginer la douceur que cela apporte, le soulagement… La tendresse. Et cette amitié aussi étrange vu de l’extérieur qu’intense en étant immergé dedans, on la vivait à notre manière.
Il était là pour un court moment, il venait voir sa famille et pourtant il passait toujours par notre maison, il passait toujours me voir. On avait évidemment d’autres occasions, mais elle n’était pas aussi privés… Nous. Pas d’oiseaux dans ce carton secret, je fronçais un peu plus les yeux, là il m’intriguait…

Roulement de tambour en mode misophonie.. Doux pour ne pas me faire grimacer… Et je me demande s’il va me sortir des photos, des souvenirs de ses années lycées… Un truc étrange genre une collection de verre, d’allumettes, ou pire encore de boules à neige… Non Elijah était pas ce genre d’homme, quoi que peut-être au tréfond de lui, loin, un collectionneur rôde. Je ris doucement, et ouvre la bouche dans un o de surprise quand il sort cette feuille que je reconnais bien rapidement. Hochement de tête avec ce sourire nostalgique, je me souviens de ce jour. « J’avais fermé le rideau.. » Je ris doucement. « Mais tu avais laissé le mot, et j’avais finis par répondre… » Un papier avec marqué Abi(gail) Et un sourire timide sur mes lèvres quand je l’avais affiché devant ma fenêtre pour que le voisin d’en face encore inconnu puisse le lire. « Mon frère râlait car je piquais les feuilles dans son imprimante. » Mais j'avais pas arrêté, il était mon premier ami. Je ne comptais pas le laisser tomber pour de simple feuilles empruntées. "Montre moi les secrets de ta boite , encore.." Impatiente..

@Elijah Bishop

Je crois que la meilleure des choses qui nous étaient arrivées à tous les deux, c'était de se trouver à travers ces deux fenêtres. On s'était rencontré jeune, encore enfant, et on avait presque grandit ensemble. Je n'avais jamais considéré Abigail comme quelqu'un de différent ou de bizarre. Elle était juste elle. J'avais appris à la connaître, à la comprendre et puis naturellement au fil des années, nous étions devenus amis. Je savais que je pouvais compter sur elle, et l'inverse était totalement vrai aussi.

J'avais attiré sa curiosité avec le contenu de mon carton. Ce n'était pas une blague, un animal blessé ou un bêtise dans mon genre. Non, simplement les souvenirs que j'avais enfermé là, comme gage du passé. Tous les messages que j'adressais à Abigail à travers cette fenêtre. Je vois que la surprise s'invite sur le visage d'Abi. J'ai réussis mon coup. Je souris, j'suis trop content de pouvoir repartager ses souvenirs avec elle. "Mais oui c'est vrai! Tu m'avais brisé le coeur en fermant les rideaux!" Je rigole, rien qu'en y repensant. Mais je n'avais pas abandonné pour autant, j'avais scotché le mot sur la vitre et Abi avait finit par répondre quelques jours après. "A partir de ce jour là, il y avait toujours un petit mot sur nos fenêtres." Je souris, nostalgique de cette période. Abi m'en demandait plus, je saisissais la liasse de papier entre mes doigts et je faisais défiler les feuilles devant nous. Il y avait de tout. Des classique "J'ai 10 ans et toi?" "C'était bien l'école pour toi?" "J'ai un frère et une soeur, et toi?" Mon regard s'arrêta sur un mot, un peu plus triste que les autres. Plus mélancolique. "Mon père est parti. On va au coin secret?" Je portais mon regard vers Abigail. "En vrai, j'sais pas comment j'aurais tenu si t'avais pas été là." Je souris tristement. Puis je trouvais au fond de la boite une feuille du grand érable sous lequel nous étions à cet instant. Elle était toute séchée et probablement très fragile. "Je ne me souviens plus de cette feuille." Je la pris délicatement entre mes doigts. Sur son revers, on pouvait y lire, écrit au feutre noir. "ABI+ELI=POUR LA VIE." Je souris, "Tu te souviens toi?" Peut-être allait-elle me rafraîchir la mémoire.

Une petite moue triste surjouée avant de rire doucement. Brisé son coeur… C’est vrai qu’en tant qu’enfant les émtions étaient pas vraiment gérées de la même manière et il était fort probable que le petit Elijah de l’époque ait pris mon refus de discuter par écrit collé sur le carreau comme une haute trahison de la part de la voisine qui était bien trop souvent enfermée dans sa chambre, rarement dans le jardin… Et beaucoup plus quand nous avions enfin réussi à communiquer. Plusieurs jours, mais j’avais moi aussi scotché sur cette fenêtre ma première feuille.

Je regardais avec un sourire amusé, il a tout gardé… Et je me souvenais de chacune des réponses que j’avais pu écrire à ses mots. « 6 ans. » « J’apprends plein de chose, mais j’aime pas ça. » Pour l’école… C’était certain. J’avais mis le nom de toute ma famille dans l’ordre. Mon frère, mes soeurs… Et je m’étais placé à ma place dans la fratrie.
Et je me mis à relire ces lignes, traçant celles qui m’avait brisé le coeur… Son père était parti… Le mien était parti peu de temps après la mort de maman.. à peine 14 ans et c’était déjà mon frère qui nous élevait… Alors j’avais pris Elijah dans mes bras. Dans notre coin secret, c’était la première fois, que je le faisais ,et depuis c’était devenu un habitude.. Un moment de réconfort dans ce monde de brutes. « Tu étais mon refuge. Cet arbre aussi… Il pourrait répéter tout nos secrets s’il pouvait parler… » Mais j’étais sûre que c’était un ami fidèle, que jamais il ne dirait rien, il faisait parti de la bande. Je tentais de le faire sourire qu'il ne retombe pas dans la douleur d'un parent absent... « Elijah, tu sais,… » Evitant un peu son regard, je continue. « Je serais toujours là… »

Quand il sort la feuille qui va encore plus confirmer mes mots. Mon sourire s’élargit encore.. « Oui. » Après qu’il ait tourné et lu la feuille. « C’était la première qui était tombé, tu sais, l’automne où ils ont voulu abattre l’arbre. On a voulu avoir un souvenir au cas où mais on allait se battre pour le garder. On avait supplié Collin de le laisser. » J’avais même fait un bestiaire sur les espèces qui avaient besoin de cet arbre pour vivre, pour qu’il sache que s’il l’abattait, il serait complice de la fin de celles-ci… Et il avait fini par annuler. Et nous on avait gardé notre petit coin secret. "Ce jour là j'étais pas sûre de croire que certaines choses pouvaient durer pour la vie... Sauf celle là." Nous... Notre amitié.




@Elijah Bishop

Ce petit moment sous l'érable du jardin d'Abigail me fait du bien. Quand je suis avec elle, c'est calme, doux, simple. Ca m'aide aussi à me canaliser. J'peine parfois à trouver l'équilibre, j'suis souvent l'excès, l'abus, les grands gestes, les blagues, j'suis épuisant pour une grande partie de mon entourage. Mais avec Abigail, au fil des années, j'ai réussi à m'apaiser. C'est presque instinctif maintenant. Et je sais aussi qu'elle fait d'énormes efforts pour être plus dynamique qu'à son habitude. On regarde ensemble les feuilles que j'ai conservé de nos discussions par fenêtres interposées. Les premiers échanges d'enfants, puis des mots plus tristes. Celui que j'avais écrit le jour où mon père avait quitté la maison pour les beaux yeux de sa secrétaire. Ca avait foutu un sacré bordel à la maison et j'me souviens à quel point Abi avait été un soutient à cette époque. J'crois qu'elle l'une des seules aujourd'hui à savoir tous les sentiments qui m'avaient traversés à cette période de ma vie. J'pensais pas que relire ses mots feraient renaître en nous cette nostalgie. J'écoutais ses mots réconfortants en souriant tendrement, plongeant mon regard dans le sien. Elle quitta mon regard pour lui dire qu'elle serait toujours là. Alors je posais lentement ma main sur la sienne. "Je serais toujours là aussi Abi." Je savais qu'elle pouvait être réticente au contact, mais je l'avais oublié à cet instant. J'avais juste besoin d'me connecter à elle.

J'trouvais ensuite cette feuille d'érable et Abi me rafraîchit la mémoire. Je souris, presque en riant en repensant à cette époque. "Mais oui c'est vrai! C'était notre combat!" Abi avait mis tout en oeuvre pour dissuader son frère d'abattre l'arbre. "J'voulais faire une manifestation, prévenir la presse locale et tout." Je secouais la tête en rigolant. On était jeunes mais on savait ce qu'on voulait. Tandis que je faisais tourner la feuille entre mes doigts, j'écoutais Abi, attentivement. "Et pourtant, vingt-ans plus tard, on est encore là." Je tenais tellement à cette amitié qui nous unissait. Je sentais une vague de bonheur m'envahir, j'aurais voulu exulter, la prendre dans mes bras mais j'me retenais. Mon sourire en disait long sur mon état d'esprit.

C’était parfois compliqué de se souvenir des moments qu’on avait pu avoir ensemble,.. Les bons étaient toujours signe de rire, de blagues dont il était le seul à avoir le secret et de dépassement de mes limites. Mais les moins bons, ceux où les larmes s’étaient invitées sans qu’on ne le veuille, ceux où la colère l’avait envhaie, où les cris parfois au vreu de la nuit avaient pu être un réconfort… On en avait et c’était plus difficile de se souvenir de ceux là… Un aveux, je serais là, quoi qu’il arrive, j’avais été là , depuis ce papier collé à sa fenêtre et je ne sais pas trop comment, mais il m’avait attrapé dans les mailles de l’amitié et j’étais toujours là, et encore pour longtemps. Sa main sur la mienne, je baissais mon regard pour voir, si j’avais senti en premier, j’avais besoin du visuel de ce contact pour réaliser que c’était lui, qu’il n’y avait pas de danger, qu’Eli ne me voudrait jamais de mal et que ce geste était tendre et doux. Ma main se retourne et je serre la sienne avec douceur accompagné d’un petit sourire.

Je nous remémore un nouveau souvenir, la feuille de ce vieil érable qui est encore là, mais qui avait bien failli y passer. Je ris quand il annonce qu’il voulait faire une manifestation. C’est vrai ! On avait fait des pancartes mais à deux dans la rue on aurait eu l’air idiot. Et mon bestiaire devait pas être loin dans ma chambre… « On était pas loin de la grève de la faim. » On était jeune et on voulait juste sauver notre petit coin de paradis. « Et ce vieil ami est toujours debout… Tu as plus de cheveux blanc par contre. » Je me pince les lèvres pour tenter de garder mon sérieux mais c’est impossible. Voilà c’était l’effet Elijah… Je m’ouvrais et tentais même des blagues nulles.

@Elijah Bishop

Abigail, elle était la caution calme, apaisement, douceur dans l'agitation qu'était ma vie en temps normal. J'étais le genre hyperactif, je n'avais jamais été diagnostiqué mais au fond de moi, j'sentais constamment une énergie bouillir et elle était très clairement insatiable. J'étais toujours en mouvement, incapable de rester en place et de tenir une concentration excédant quelques minutes. Ca s'arrangeait un peu en vieillissant, mais quand j'étais Abigail, j'me sentais plus reposé, plus serein. J'avais appris au fil du temps à me poser auprès d'elle. On avait partagé tellement, des moments de complicités beaucoup mais aussi des moments plus difficiles. Elle avait été un refuge pour moi, bien des soirs où ma mère pleurait en silence dans le salon. C'était dur, ça avait été éprouvant, mais j'avais toujours pu compter sur ma voisine préférée. Je sais qu'Abigail n'aime pas les contacts imposés mais je sais qu'elle suffisamment en confiance avec moi pour accepter que ma main touche la sienne. Tendrement, elle retourne sa main et serre la mienne entre ses doigts. On échange un sourire. La confiance qu'on éprouve l'un pour l'autre est belle. Pure. Saine. On serait toujours là, l'un pour l'autre.

On se remémore des souvenirs, tous ses souvenirs enfermées dans cette petite boite depuis si longtemps qui faisaient remonter de nombreux élans de nostalgie. Je rigole en repensant à notre manifestation, les banderoles, le bestiaire de Abigail, notre supposée grève de la faim. Je secoue la tête tout en souriant. "On était de vrai révoltés! J'sais pas si c'est notre engagement qui à fait changer d'avis à Collin, mais en tout cas, on avait gagné!" Que de souvenirs, ça me réchauffait le coeur. Je regardais Abigail en coin lorsqu'elle me sorti une petite réplique sur mes cheveux blancs. J'lui donnais un tout petit coup d'épaule. "Héé, c'est pas parce que toi t'as des rides qu'il faut attaquer mes cheveux!" Je voyais le sourire en coin d'Abigail, j'aimais bien la voir sourire. Je haussais les épaules, faussement vexé. "Et puis, j'ai pas de cheveux blancs d'abord!" J'approchais la trentaine et j'me doutais bien que ça allais finir par arriver. Mais le fait de vieillir, le temps qui passe, tout ça, ça me foutait un peu les boules. "J'aurais bien aimé resté un gamin toute ma vie." J'avais dis ça un peu perdu dans mes pensées. J'voulais pas devenir un vieux gars.

Si les autres me prenaient pour un OVNI avec lui j’étais surement ce qu’il y avait de plus normale. Une jeune femme main dans la main avec son ami, meilleur ami, seul ami… Il était le seul qui pouvait m’approcher de la sorte, de depuis longtemps il était le gardien de mes pensées, de mes secrets, même ceux qui n’avaient pas été révélés à l’homme en face de moi, avaient un poids plus léger à ses côtés car il était là, il ne me trahissait pas, il était … Lui et on avait composé notre Nous… Doux et actif, énergique et calme… Voguant doucement, mais on avait su y arriver… C’était aussi bien plus pour moi. Si Elijah me voyait comme ça, avec ce regard simple, et complice… D’autres un jour pourraient le faire. Je n’étais pas un monstre… Et longtemps… Je n’ai cru qu’en ses sombres mots…
Ma main caresse la sienne, il n’a pas besoin de savoir ces noirceurs que j’ai au fond de moi, mais il le sait, il est ma lumière.

Je secoue la tête en riant. « Non, je crois juste que ce vieil arbre était bien trop gros à couper, et en plus il protège notre maison, fait de l’ombre. Ce qui est bien pratique quand il en a besoin. » J’étais sûre que la décision avait été poussé par certains voisins, qui pensaient que l’arbre pourrait tomber, mais il était bien plus solide que ce qu’on pouvait penser. Mon sourire s’élargit. « Je serais toujours plus jeune que toi. » J’aimais le taquiner, avec lui j’y arrivais. « Montre, je vais vérifier.. » Je m’approche de lui, ma bulle n’éclate pas, elle se colle à la sienne, elle se pose contre elle, douce chaleur, sans crainte. Ma main se pose dans ses cheveux et je fais semblant de chercher. « Mince, tu as pris ton elexir de jeunesse ce matin.. » Un baiser sur sa joue. « Tu seras toujours jeune Eli, c’est dans la tête les années, et pour ça.. Je crois que c’est moi la vieille peau. »

Abi et moi, on était le jour et la nuit. Et pourtant, au fil des années, on avait su se dompter. On avait créée une bulle dans laquelle on se sentait bien tous les deux. On se disait tout, j'crois qu'on s'était montré toutes nos failles, les côtés les plus sombres de nos vies, et on avait toujours trouvé chez l'un et chez l'autre, une oreille attentive et une épaule réconfortante. J'étais convaincue qu'Abi était une petite perle dont il fallait prendre soin. J'étais pas toujours très délicat avec mes gros sabots, mais Abi, elle avait appris à me connaître et j'avais appris à me canaliser, un peu. Parfois, j'avais des petits élans d'agitation qui m'échappaient, mais dans la plupart des cas, je faisais attention.

Je l'écoutais le sourire aux lèvres. Ce n'était clairement pas notre engagement qui avait sauvé notre précieux arbre. J'affichais une mine faussement déçu. Mais il fallait bien se rendre à l'évidence, ce n'était pas deux gamins de notre âge qui avait pu avoir un quelconque impact sur cette décision, même si à l'époque, on en avait été convaincu. Je souris à ses mots. "Mathématiquement, c'est vrai." Puis elle m'avait parlé de cheveux blancs, alors forcément moi j'avais répliqué. Mais elle maintenait ses propos et voulait vérifier. Tout en riant j'la laissais faire, à la recherche d'un signe de vieillesse dans ma chevelure. Elle termina son inspection en déposant un baiser sur ma joue. Ca m'arracha un énième sourire. Elle avait raison, la jeunesse c'était dans la tête. Et je secouais la tête. "Dis pas ça Abi, t'es jeune! T'es très calme mais t'es jeune!" C'est vrai que j'avais ce côté fougueux et immature, mais c'était pas ça qui faisait la jeunesse. Je souris, je commençais à avoir des fourmis dans les jambes à force de rester assis. J'pouvais pas rester en place très longtemps. Ca se voyait parce que je commençais à remuer des genoux.

Si j'avais eu envie d'être d'un coup une adulte, quand on était ado, c'était parce que les jeunes de mon âge était tous cruels, sauf lui... Mais j'avais pas eu envie de grandir, parce que les adultes étaient lâches, tous... Sauf Collin et Charlie... Et pourtant à vingt quatre ans, j'avais toujours cette impression d'être en désaccord avec mes envies, être adultes, responsable, mais redevenir jeune avec cette vie volée par ces mots si violents, ces abandons... Alors certes j'étais taquine sur le sujet, je savais qu'Elijah ne m'en tiendrait pas rigueur et qu'on allait en rire, mais je savais que l'un dans l'autre nous avions nos craintes par rapport à l'avenir...

Je grimaçais aux mots mathématiquement... C'était juste un constat, mais les chiffres et moi nous n'étions pas amis. Rapidement je me jette en douceur sur lui pour fouiner dans ses cheveux. Rien pas un seul cheveux montrant son grand âge fictif. Je ris et l'embrasse sur la joue. "Calme... Sage..." Je soupire et le regarde haussant les épaules. "Parfois j'ai l'impression d'avoir loupé un truc, d'être... Trop bizarre de pas être plus... Normal... Enfin tu vois, comme les jeunes quoi..." Je parle un peu vite, tendue... Oui. Surtout en me demandant si c'était réellement moi au final cette nana que j'étais en train d'imaginer. Bougeant sur une piste de danse... Mysophonie bonjour, impossible ! Allant au resto avec des amis... Non. Profitant de la vue d'un coucher de soleil avec ... Un homme? Encore moins... Je finis par le laissant tomber allongé à côté de ce vieil arbre... "Je suis si... si soporifique..." murmurais-je laissant ma pensée s'échapper à voix haute.

@Elijah Bishop

L'âge adulte. Ca m'avait toujours donné des frissons rien qu'à y penser. Les responsabilités que les adultes pouvaient avoir, ça me fichait le vertige. J'avais pas envie moi d'être responsable de quoi que ce soit. Encore moins m'engager dans une relation sérieuse ou faire des enfants.. ou whatever. J'me laissais flotter, sans me poser de questions. Mon enfance n'avait pas été un long fleuve tranquille, j'avais connu des coups durs, mais j'avais toujours eu Abi près de moi, pour endurer les instants les plus chaotiques. Et rien que pour ça, j'pourrais jamais la laisser tomber Abi. Aussi différents qu'on soit, elle était devenue indispensable pour mon équilibre mental.

J'souris en sentant son baiser sur ma joue. C'qu'elle est mignonne, Abi. Je la regarde qui soupire un peu et qui s'laisse aller à des réflexions sur sa propre personne. Je secoue la tête. J'suis pas d'accord avec elle. "T'es pas bizarre Abi, t'es juste toi. Il n'y a pas d'normes. Et puis, si certains veulent qu'on entre dans des cases, alors ils en valent pas la peine." Si Abi se considérait pas .. normal, j'me sentais moi aussi un peu en décalé. Bientôt trente ans et je n'avais rien d'un adulte. Abi s'allongea dans l'herbe, j'prenais mes aises aussi, m'allongeant sur le côté, le coude planté sur le sol et ma tête reposant dans la paume de ma main. J'posais mon regard sur Abi. "J'crois surtout que t'as une mauvaise estime de toi Abi. Ta différence, c'est ta force. N'oublie jamais ça." J'donnais un tout petit coup sur son nez avec mon index comme pour insister sur ce que je venais de dire. J'laissais planer un petit silence puis j'souriais. "T'as déjà eu une histoire d'amour Abi?" On parlait pas souvent de ça, j'crois qu'on était resté bloqué un peu en enfance tous les deux, mais j'étais curieux de savoir si Abi avait déjà ressenti des p'tits papillons dans le ventre.