No one looks up anymore ’cause you might get a raindrop in your eye ft. Mercedes Berkeley

Theodore n’avait eu aucune envie de se joindre à cette animation proposée par la ville. Même s’il ne regrettait pas de s’être rendu à la soirée de la St Valentin, plus ou moins sous la contrainte de sa fille Jenny. Ce fut probablement la meilleure soirée de sa vie, pourtant, cela lui avait semblé plus compliqué de rencontrer et de plaire une femme que de gravir une montagne avec son fauteuil roulant ! Cette soirée fut au delà d’un succès, une vraie révélation. Que ce soit pour lui-même, ce qu’il valait en tant qu’être humain intéressant et pas uniquement un pauvre type cassé en morceaux dans une chaise roulante, mais aussi la personne qu’il avait rencontré ce soir-là. Il se surprenait parfois à ne plus être vraiment concentré sur son travail pour révasser au sujet de cette femme, tel un adolescent épris. Ça l’agaçait quelque part, d’être ainsi, de ressentir tellement de choses, mais surtout l’envie de la revoir, de s’assurer que cette magie n’était pas qu’un écran de fumée, le temps d’un soir.

Quand Jenny lui avait demandé de l’encourager pour la randonnée, il n’avait su lui dire non. Il avait bien assez manqué de moments de sa vie pour passer à côté. Néanmoins, en l’observant s’éloigner avec son sac à dos sur les épaules aux côtés de Thomas, le frère aîné de Theodore, il ressentait une peine immense que d’être condamné à rester assis ici. C’était si douloureux, il savait qu’il devait demeurer en bas, avec les vieux et les infirmes.

Peut-être était-ce les médicaments qu’on lui donnait, la fatigue de la rééducation, mais il peinait de plus en plus à contenir ses émotions et il sentait ses yeux se faire picorer douloureuse de larmes qui venaient poindre dans ceux-ci. Hors de question cependant de se mettre à pleurer. Il refusait catégoriquement. Il ferma les paupières quelques secondes pour digérer ses sentiments. Lorsqu’il ouvrit ses yeux bouffis, il se surpris à croire le regard de Mercedes qui arrivait à sa hauteur, sans doute pour le saluer.

Theodore connaissait la compagne de son ami Knox bien qu’ils avaient rarement eu l’occasion de se retrouver que tous les deux et surtout, elle ne l’avait pas encore vu depuis son agression et ce maudit fauteuil roulant. Immédiatement, son sourire de façade apparu et il accueillit la belle blonde d’une voix chaleureuse et sympathique “ Bonjour Mercedes, ça faisait un moment que l’on ne s’était pas vus ! “ Elle était toujours aussi radieuse, lui se sentait pitoyable. “ Tu ne fais pas la randonnée avec les autres ? “ Qu’il s’étonne, pour connaitre le tempérament sportif de la jeune femme. Lui-même n’étant pas très sportif, c’était déjà le cas avant qu’il ne puisse plus marcher, il aurait sans doute tenté l’exploit ! Par ailleurs, il n’avait pas demandé à la femme comment elle se portait, il n’avait pas envie de devoir lui mentir si elle lui retournait la question. Parce qu’il devait aller bien, il n’avait pas le droit de se plaindre, après tout, il était en vie.

- Je veux la faire ! Insista Pénélope ce matin là.
- Tu vas surtout la terminer sur les épaules de papa...
- Justement !

J'avais rit, parce que l'idée était sympathique pour la petite, moins pour Knox, mais comme il craquait souvent devant son minois réjouit, il avait dit oui pour faire la randonnée avec notre fille de 4 ans maintenant.

Ce matin là je les avais accompagné, promettant que je resterais sur la ligne d'arrivée à une Pénélope, légèrement inquiète que je ne reste pas pour les voir arriver justement.

Une fois partis, je les regardais avec le sourire, en leur faisant encore quelques signes de la main, secouant la tête en m'imaginant ma fille marcher dans la caillasse, et au bout certainement de quelques km demander les bras ou les épaules de papa.

Je remis mon kway alors qu'il bruinait de nouveau, zippant la veste, avant de poser mon regard sur la gauche. Le fauteuil roulant attira mon regard, et je remontais pour voir un homme les yeux fermés, concentré sur un point invisible, peut être la douleur ou la tristesse ? aucune idée, mais je reconnus Theodore, un ami de Knox. Je tiquais sur le fauteuil roulant, la dernière fois que je l'avais croisé, il marchait.

- Salut Theodore... dis-je avec le sourire. Oui j'étais à Monaco la semaine dernière, et au Japon deux semaines avant ça... la saison n'est pas terminée encore pour moi. Dis-je simplement.

Il me demanda pourquoi je ne faisais pas la randonnée, je tournais la tête vers le départ, avant de revenir à Theodore.

- Une demande de Pénélope, que je reste ici jusqu'à ce qu'elle et Knox passent la ligne d'arrivée.  

Debout devant lui, je me sentais un peu con, comment demandait-on à quelqu'un, pourquoi il était en fauteuil roulant ? Non, en fait on ne demandait pas, pour tout un tas de raisons valables, qui auraient pu faire ressortir les démons de la personne.

- Et toi Jenny est partie avec qui ? demandais-je simplement.

Je l'écoutais, avant de reprendre la parole.

- Si tu veux on attend qu'ils aient terminé la rando, et on va déjeuner tous ensemble après ? Ce serait chouette ? En attendant un café ça te dis ?

Je l'invitais à quitter un instant la ligne de départ et d'arrivée, pour rejoindre la buvette, et je m'assis sur un morceau de banc, en remerciant la jeune femme qui nous apporta des cafés dans des gobelets en carton.

- Tu seras là pour notre mariage ? Pas de date de show ce week end là ?

Monaco, le Japon et ailleurs… Il y avait encore peu, puis aussi voyageait à travers le monde pour pratiquer son art. Aujourd’hui, il était cloué sur place, cloué dans ce fauteuil. Il ne devait pas se plaindre, il était en vie. Il y avait encore des choses à vivre, il le savait. Jenny le lui prouve chaque jour, ses amis également et puis il y avait eu cette rencontre qui avait animé son cœur d’espoir. Cela ne l'empêchait néanmoins pas d’avoir le cafard à l’occasion, comme aujourd’hui, même s’il luttait fortement pour ne pas le montrer.

- Qu’est-ce que l’on ne ferait pas pour nos enfants ?

Il aurait fait bien plus, s’il n’avait pas appris l’existence de Jenny il y a deux ans seulement, mais aujourd’hui il était là, il vivait pour cela.

- Avec Thomas, mon frère. Je ne sais pas si tu as eu l’occasion de le rencontrer, il est tout le temps fourré dans son bar ou sur le voilier.

Theodore aimait son frère, aussi étouffant soit-il. Bien sur qu’il l’enviait de ce moment qu’il passait avec Jenny, mais il était reconnaissant qu’il le fasse, qu’il passe du temps avec sa nièce et le remplace dans ce qu’il n’était malheureusement plus en état de faire.

- C’est une bonne idée, un café ça me plairait.

Il n’avait pas non plus revu Knox depuis son agression, c’est difficile de se présenter à ses amis dans cet état, il ne se pensait plus vraiment digne d'intérêt. Il cheminait doucement là dessus, à ne plus se voir comme un être inférieur en raison de ce fauteuil. Il était au final, le plus cruel envers lui même dans toute cette histoire.

Le brun suivait la jeune femme, le chemin n’était pas des plus praticable mais il s’en débrouilla fort bien, force de volonté. Mercy vint s’asseoir, pour lui c’était déjà fait.

- Oh… Le mariage, c’est vrai. Quand est-ce déjà ?  

Il se sentait sot, égoïste surtout.
Ne pensait-il qu’à lui ? A son corps brisé ?

- Désolé… Je… J’ai oublié. Et… Il n’y a plus de show. Qui aurait… Envie de payer pour voir ça ? Et puis, comme tu peux le voir, je ne suis plus en état.

Un magicien sur roulette, on n’avait encore jamais vu ça. Il ignorait si c’était cette pluie qui le rendait aussi morose aujourd’hui, il avait hâte que la journée s’achève. Le brun soupira, il avait son escape game, ça le tenait dans le monde professionnel, au moins il pouvait rester dans l’ombre. Ce mariage, il aurait aimé y aller, sans doute avec Nastya à l’époque, mais là, il sait qu’il ne sera qu’un pauvre type encombrant, triste et seul dans un fauteuil roulant.

J'avais mis les pieds dans le plat, et je m'en voulais, il semblait être submergé un peu par les mots qu'il devait prononcer, et je posais une main sur la sienne comme le soutenir.

- Je suis désolée vraiment... je... suis... super maladroite, je t'avoue que Knox ne m'a pas parlé de ce qu'il t'est arrivé, et j'essaie de ne pas te poser la question, mais du coup, je fais des bourdes, veux tu bien m'en excuser ?

Parler du mariage, c'était pas pour faire ma belle, ni pour étaler mon bonheur, mais pour le coup, dans la discussion présente, c'était pour faire diversion et franchement c'était tombé à plat !

- Ecoutes, je... tu vas me trouver sans doute un peu... stupide Theodore, mais j'ai une question à te poser, à laquelle tu peux totalement répondre non. Je sais qu'on se connait qu'un peu, mais j'apprécie vraiment ce que tu es, et qui tu es, avec ou sans fauteuil roulant saches le. Bref, accepterais tu d'être mon témoin ?

J'avais une chance sur deux qu'il dise non, parce que concrètement, on n'était pas les meilleurs amis du monde, on se connaissait par l'intermédiaire de Knox.. alors j'avais toutes les chances de me prendre un mur avec cette proposition, mais je voulais enfin... je préférais prendre quelqu'un de bien et profondément important dans nos vies, que de prendre une de mes amies.

- Pour être honnête, mes amies sont soit super jalouses que je me marrie avec le coureur de F1 Knox Hendrix, de 13 ans mon ainé, ou les autres ont envie de le séduire. Bref, c'est pas des amies quoi... J'ai jamais eu de chance avec les nanas, en tant qu'amie... j'étais trop riche, ou trop jolie, ou trop sympa, ou mon mec était trop canon. C'est l'histoire de ma vie.

Je bus de mon café, avant de reprendre.

- Je ne te demande pas, parce que faute de mieux cela dit, je te demande parce que j'aime ce que tu dégages, et ta façon de communiquer, et qui tu as l'air d'être...

Sur ses lèvres s’étira un sourire bienveillant. Il possédait cette capacité à être particulièrement réconfortant, et ce même au fond du gouffre. Il s’employait - depuis aussi loin qu’il se souvienne - à dissimuler ses émotions. Parce que c’est moche d’être triste, parce que ce n’est pas intéressant d’être pessimiste, parce qu’il ne voulait pas être un personnage sinistre et amer. Mais Theodore n’avait jamais eu à lutter de cette manière, et il lui semblait avoir si peu de manière de se changer les idées. Privé des jeux d’argent, parce qu’on le surveillait, il le savait, il souffrait sans possibilité de faire diversion à ses sombres pensées. Ça l’aurait tant aidé à se vider la tête, à cesser de ruminer. Il avait besoin d'activités récréatives… Personne ne comprendrait son besoin de parier, de faire une partie de poker ou même de tenter sa chance dans un stupide jeux de hasard… Interdit. Parce que ça aurait pu lui coûter sa vie, il le savait… Mais personne ne pouvait comprendre pourquoi il en avait besoin à ce point, il faudrait le comprendre lui... Certains conduisent des F1 pour avoir leur dose d’adrénaline, il était moins téméraire, mais il ressentait la même chose… Mais là, c’était considéré comme une maladie…

Il balança la tête de droite et gauche pour la rassurer. “ Tu n’as pas fait de bourde, ne t’en fais pas. Je n’ai pas vu Knox depuis un moment et je suis rassuré de ne pas être le centre de vos conversations ! “ L’humour, c’est toujours efficace après tout. Néanmoins, Theodore comprenait qu’elle était sans doute curieuse de savoir ce qu’il s’était passé, mais il n’avait pas vraiment envie de s’expliquer, pas pour le moment.

Quelle fut sa surprise lorsqu’elle lui demanda d’être son témoin. Il s'apprêtait à lui dire qu’elle devrait demander cela à quelqu’un de valide et certainement plus proche d’elle. Pas qu’il n’appréciait pas Mercy, bien au contraire, il pensait bien que son ami avait rencontré là une perle rare. Mais il ne se sentait pas légitime d’occuper une telle place et il craignait qu’elle ne le lui propose par pitié pour lui, pour le valoriser. Il ne voulait la pitié de personne.

Le magicien devait avoir l’air étonné puisqu’elle lui expliqua que ses amies étaient jalouses d’elle. Des amies qui n’étaient pas vraiment triées sur le volet quand on écoute le comportement de celles-ci. Il était assez désolé qu’elle n’ait la chance de connaître la chaleur d’une amitié sincère. “ C’est jamais facile de se faire des amis pour les gens célèbres, contrairement à ce que tout le monde s’imagine… “ Il savait de quoi il parlait, même si malgré tout il avait su se lier à des personnes et aussi en retrouver d’autres à Bowen, bien que parfois les retrouvailles furent tumultueuses.

Le brun ne savait pas quoi dire de plus, il ne savait pas s’il devait accepter, mais c’était délicat de refuser. “ Ça me touche beaucoup que tu aies pensé à moi, j'aurais accepté cet honneur sans hésiter. Mais tu… “ Il releva le regard vers l'horizon pluvieux. “ Tu devrais sans doute t’orienter vers quelqu’un de valide… Je suis plus encombrant qu’aidant et tu auras sûrement besoin d’aide. “ Et lui ne servait à rien, c’était ce qu’il avait envie de dire, mais il s’abstint. Ses yeux se reposèrent sur la belle future mariée à laquelle il adressa un sourire faussement amusé. “ Au fond de la salle, c’est pas là qu’on met les vieux et les infirmes ? “ Il lui adresse un clin d'œil taquin avant d’enfin goûter son café avant qu’il ne refroidisse.

- C'est exactement et complètement ça. Je pensais qu'il y aurait moins de jalousie, que c'était une légende urbaine, mais je constate que ce n'est pas le cas. La solitude est très présente dans ce milieu là, et qu'importe le domaine de célébrité. toi comment as tu fait ? Faut il se conforter dans des relations de célébrités à célébrités pour éviter la jalousie, le mépris et l'inévitable solitude ?

J'étais sincère quant à ma proposition, mais il déclina avec beaucoup de classe, je dois le dire. Je soruis en baissant le regard vers mon café posé sur la table.

- C'est une manière très classe de refuser la demande, j'aurais essayé... Tu m'aurais rendu un fière chandelle en acceptant, non obstant la présence de ton fauteuil, et tout est plat sur le lieu de cérémonie, et je n'aurais pas une robe princesse à cerceau, le genre à être impossible pour aller au petit coin, du moins impossible seule.

Je posais une main sur la sienne, souriant, et plongeant mon regard dans le sien.

- On se verra donc le jour J... Et puis, n'hésites pas à appeler, que ce soit Knox ou moi, ça nous ferait plaisir que tu viennes diner dans la nouvelle maison.

J'attrapais dans ma besace un stylo, et notais l'adresse dans sa main retournée.

- Voilà tu as la nouvelle adresse.

Il regardait sa main tatouée temporairement du numéro de la blonde, ses yeux se baissant sur ces chiffres que son cerveau enregistrait de lui-même, automatiquement. Bon sang de mémoire… Le brun soupira doucement avant de lever le regard sur la blonde.

- C’est d’accord.

Sans doute se surprenait-il lui même, mais il ne voulait pas laisser la déprime gagner sur lui et il semblait évident que Mercedes se sentait seule, comme lui. Nouer des liens d’amitiés sincères pour les gens comme eux n’était pas toujours une chose aisée.

- Je serais ton témoin.

Quel genre de mariage se fait avec un membre de la municipalité comme témoin, à défaut d’ami ? Il pensait que Mercedes méritait de se sentir entourée, d’une manière ou d’une autre. Knox était son ami, il appréciait tout autant sa future épouse.

- Et pour te répondre… Je pensais ça aussi, avant. Que l’on devait rester dans notre cercles, être amis avec nos “égaux” mais je me suis trompé. J’ai rencontré des personnes formidables ici, à Bowen. Il fallait seulement que j’apprenne à me montrer plus humble et accepté que les autres puissent être jaloux ou impressionné, ou que sais-je… Ouais… C’est un sentiment légitime quand on y pense, mais au bout d’un moment, ça change… Parce qu’ils finissent par voir qu’ils n’ont aucune raison d’être jaloux, parce qu’on est tous juste… Des gens.

Au final… Ils n’avaient rien de plus. Si ce n’était moins. Seulement, il faut du temps pour qu’ils le comprennent et c’était aux personnes comme Teddy et Mercedes d’avoir la patience d’être vu et aimé tels qu’ils sont.

Il posa sa main sur celle de la blonde pour la réconforter.

- En attendant, je serais là.

Quand elle se fera des amis, elle n’aura pas besoin de lui et il acceptera ça aussi. Sa résilience atteignait des sommets depuis qu’il était cloué dans cette chaise roulante.