I can explain ~ Detlev & Victor

Il me faut encore m’adapter à la température, différente de mon pays natal. Si loin de ce que j’ai pu avoir l’habitude dans ma vie. Tout est encore si différent et je tente de prendre mes marques, de trouver des points de repères. C’est tellement… Il y a trop de choses dans ma tête, Agnes y vit encore et chaque fois que son visage me vient en tête, j’ai le coeur qui se serre. Je pense à ce qu’elle pourrait aimer d’ici et je me dis que Bowen lui aurait fait du bien. Elle y aurait été à son aise, mais Agnes était à son aise partout où elle mettait les pieds. Elle avait cette capacité à faire sentir tout le monde un peu spécial. C’est comme ça que je suis tombé sous son charme, elle me manque comme je n’aurais cru possible qu’une personne puisse me manquer dans la vie.

Sur mon skate, j’ai décidé de venir faire un tour au skate park, je n’ai jamais été un excellent skateur, mais je me débrouille et puis au moins je ne suis pas enfermé dans cette chambre d’hôtel minuscule. J’en fais pendant un moment, glissant sur les rampes avant de m’asseoir un peu plus loin. Le temps de fumer une clope, regardant les gens qui se tiennent ici. Mon regard se pose sur un mec assis un peu plus loin qui dessine. Je ne suis pas certain d’avoir capté un regard en ma direction. Je me redresse et je prends mon skate en main et je m’approche de lui.

Arrivé à sa hauteur, le gars semble tout d’un coup mal à l’aise. Je fronce les sourcils intrigués par sa réaction. “J’étais curieux, c’est rare de croiser des gens qui dessinent. Je te dérange ?” Je demande dans un anglais avec un fort accent allemand.

Curieux de nature, j’aime bien voir ce que les gens font quand ils se promènent. Un de mes jeux préféré quand j’étais gamin était de m’asseoir à un endroit stratégique et observer les gens, leur inventer une histoire ou une vie. Entre les drogués, les alcoolos, les sdf et toute la population berlinoise j’avais de quoi faire. Cette ville foisonne de curiosité, d’une population qui se mêlait dans cette jungle de béton. J’habitais dans un quartier assez pauvre de la ville, donc on avait toute sorte de gens, des métèques (étrangers), c’était assez facile de leur inventer une vie. Gropius rassemble une population assez étrange et je pouvais passer des heures à imaginer tout et n’importe quoi. Jusqu’à ce que je me mêle à cette population et devienne moi aussi sous l’emprise de stupéfiants. J’ai dû faire peur à nombre de gens, j’avais l’air d’un mort vivant à cette époque, me battant pour gagner assez pour me défoncer encore plus. Ici, c’est différent, la ville est entourée par la nature, il y a des arbres, des parcs, l’océan à portée de main… Je dois m’habituer à cette nouvelle flore qui s’ouvre à moi et justement, j’ai cru voir un artiste duquel je m’approche, j’ai cru apercevoir son regard en ma direction à quelques reprises.

Je lui donne la raison de mon approche et j’ai vraiment l’impression de le mettre mal à l’aise. Je ne pensais pas être intimidant à ce point, même si on m’a déjà dit que je pouvais l’être. Il se lève et je suis toujours aussi intrigué. “Désolé pourqu… ” Je m’arrête quand j'aperçois son croquis qu’il me montre. C’est encore un début, mais je suis facilement reconnaissable. “wow das ist überraschend.” (wow c’est surprenant)J’ai rarement l’occasion de croiser quelqu’un qui a ce genre de talent, tellement que j’en perd mon anglais. D’ailleurs, il faut que je fasse attention à penser dans la langue du pays. “Du hast.. Pardon, tu as fait ça en quelques minutes seulement ? C’est impressionnant. Je suis surpris, mais pourquoi je te demanderais de jeter ça ?[/b]” C’est flatteur d’être pris pour modèle non ?

J’ai comme l’impression de mettre le jeune homme mal à l’aise, je ne pensais pas avoir l’air menaçant ou dur. Il est possible que l’image que j’ai de moi soit tout le contraire de ce que je reflète en réalité. Je ne saurais dire, il me montre tout de même son travail sur lequel il était penché avant que je ne vienne le déranger. Je suis surpris de voir qu’il a pu me prendre pour un modèle, c’est flatteur et étrange à la fois. Je ne sais quoi en penser, mais je ne suis pas fâché qu’il l’ai fait. Après tout, on ne sait pas toujours ce qui guide la main de ceux qui aiment dessiner. Je me rends compte que j’ai parler en allemand et je tente de me reprendre pour lui parler dans un langage que tous deux nous comprendront. Je dois me pencher pour mieux entendre ce qu’il dit, il semble vraiment mal à l’aise et je ne sais pas ce que je pourrais dire ou faire pour qu’il puisse se sentir plus en confiance. “Oh, je comprends, tu n’aimes pas montrer, mais pourtant tu travailles bien. ” En tout cas, je sais que je n’aurais jamais pu faire quelque chose de semblable en si peu de temps. Je me reconnais facilement dans ce dessin. Je le regarde en plissant des sourcils, je n’ai jamais compris les gens qui se faisaient si peu confiance. Il ne devrait pas douter de lui autant, il n’est peut-être pas un artiste, mais il a un certain talent qu’il peut facilement exploiter. Je regarde le banc tout près et je m’y assois. “Pourquoi tu doutes autant ? Tu te donnes des excuses et si tu continues comme ça, tu vas finir par douter de beaucoup d’autres choses. C’est pas bon ça. ” Je sors mon paquet de clopes et en sort un joint. “Tu veux fumer avec moi ? Ça peut te calmer et je te laisse même continuer ce que tu fais. Si tu as envie de continuer ce dessin.” Je ne connais personne ici, j’ai rien de mieux à faire pour le moment d’une manière ou d’une autre.

C’est une bien drôle de rencontre, l’ancien Detlev l’aurait probablement envoyé promener sans demander son reste, pourtant là, je tente de créer un contact avec lui d’essayer de le faire parler, curieux par son art. Moi, le seul art que j’ai bien acquis, c’est d’envoyer gicler du sang sur les murs quand je frappe quelqu’un d’une bonne droite. Un sourire se dessine sur mes lèvres à cette pensée, J’offre au jeune homme une cigarette alors que j’en tire un joint de mon paquet avant de le glisser à mes lèvres. Après tout, il s’est approché de moi et il continue la conversation, même s’il semble être sur le point de fuir, complètement apeuré. Je me demande si je fais peur l’espace d’un instant. J’échappe un rire avant de ranger mon paquet dans les poches de mon jeans. “Tu fais bien, c’est de la bonne grosse merde, mais on ne peut pas tout arrêter non plus, c’est le seul truc qui arrive encore un peu à me détendre.” J’ai déjà arrêté la cocaïne, mais l’herbe, je ne suis pas prêt d’arrêter ça. “J’espère que ça te fais rien si je fume à côté de toi ?” Le briquet à déjà allumé le bout du joint, je ne m'empêche pas de fumer pour autant. Sans un joint de temps à autre, je serais comme une bombe à retardement, je suis trop facile à faire exploser. Il me confirme qu’il n’a rien contre la fumée, je hoche la tête et lui fait un petit sourire. Il commence à dessiner ou à effacer, je ne suis pas certain. Puis je le laisse faire, trouvant quand même étrange de me retrouver à poser un bel après-midi. Si on m’avait dit ce que je ferais je ne l’aurais pas cru. “Tu me le donnerais ? Alors oui, j’aimerais bien, il va me falloir tout autographe pis tout au bas hein ! J’pourrais dire que j’ai fait du mannequin un jour et en avoir la preuve. ” Cette fois j’éclate de rire pour de bon, ce qui fait en sorte que je m’étouffe avec la fumée du joint que j’ai avalé de travers. “Ça fait longtemps que tu dessines ? ”

C’est étrange cette situation, comme si je m’attendais à ce qu’on me prenne comme modèle pour un dessin, je ne pensais pas que ça arriverait un jour, je n’ai jamais couru après ce genre d’attention. Étant habitué à être considéré comme un pestiféré, comme quelqu’un qui fait peur et qu’il faut fuir. Ce jeune homme ne fuit pas malgré que je lui impose ma présence et la fumée de ma cigarette comique.

« D'accord ! » il semble déjà un peu moins nerveux malgré le fait qu’il ronge son ongle. J’ai l’impression qu’il tremble un peu moins et il fait aller son crayon sur la feuille.  Évidemment que je veux garder un souvenir, ce n’est pas tous les jours qu’on fait tirer son portrait.

« Bien évidemment que je vais me vanter si tu deviens célèbre. Mais pour ça va falloir me dire ton nom, sinon je pourrais pas dire qui est le peintre ou savoir si ça sort dans le journal ! » Je le regarde et fais un petit sourire moqueur.

Je lui pose des questions pour en savoir un peu plus sur lui et peut-être le dégêner un peu. «J’ai jamais eu l’âme d’un artiste, à part si on peut considérer la boxe comme un art. » Je ris et je jette le joint terminé sur le sol avant de l’écraser avec mon pied. « Est-ce parce que tu as peur de la critique ? Parce que tu sais, quoi que tu fasse tu vas te faire critiquer, mais qui sait peut-être tu pourrais réussir à percer et faire ce que tu aimes vraiment ! »

Dessin:

C’est un intermède à ma journée, ne rien faire, ne penser à rien non plus. Fumant mon p’tit joint bien pénard alors qu’un gars que je connais ni d’Ève, ni d’Adam est en train de faire mon portrait. J’pourrais croire que je suis plus défoncé que je ne le crois, pis que tout ça est comme un songe, mais en fait, je suis relativement là. Ma tête n’est pas partie dans tous les sens et je discute même avec l’artiste en question. “Enchanté Victor Hamilton. Moi c’est Detlev !” J’prends même pas la peine de donner mon nom de famille, la plupart des gens sont incapable de le prononcer correctement. J’essaye de voir s’il expose ou s’il montre son art quelque part et je fronce les sourcils à sa réponse. Il a bien le droit de pas vouloir exposer hein, j’dis pas le contraire.

“Justement, tu dis que l’art est subjectif, tu ne sais pas si tu pourrais faire rêver quelqu’un avec ce que tu fais ! J’comprends, tu t’plais bien à faire ça, mais tu rêve pas de faire ça tout le temps ? D’être payé pour créer tes œuvres ? ” Je m’emballe peut-être, moi je sais bien que j’ai trouvé le moyen de gagner de l’argent avec ce que j’aime faire, sauf que c’est pas très légal, du coup je ne fais plus que ça. Sinon, y’a longtemps que j’serais mort à force de consommer et d’me battre pour pouvoir consommer encore plus. Je me penche un peu pour voir ce qu’il a fait j’ouvre plus grand les yeux.

“Tu veux rire de moi ? Tu as fait ça là maintenant juste comme ça ? Men, j’suis plus beau sur ton dessin qu’en vrai. ”