incapable de voir que tous mes refuges sont mes tombeaux - manwë

Son mec qui la fournit, elle ne se renseigne absolument pas sur ce qu'elle consommait, rien de tout ça n’était rassurant. Manwë savait à quel point un homme peut avoir de l’emprise sur une femme, surtout avec de la drogue. Il ne dit rien, se contentant de regarder l’emballage du gâteau aux pruneaux. Le brun était plus inquiet qu’il ne le montrait, il ne savait pas pourquoi d’ailleurs. Maddie, ce n’était personne pour lui. Juste une petite gamine paumée qu’il avait rencontrée une fois. Pourtant, il y a certaines affinités qui ne s’expliquent pas, mais lui, ça ne le rassure pas de s’attacher comme ça aux gens, notamment à des personnes destructrices comme Maddie Reynolds. Oui, cette fille était destructrice, sans le vouloir.

Elle lui demanda ce qu’il consommait, il en avait déjà trop dit, il n'aurait dû rien répondre. Il haussa les épaules alors qu’elle le questionne sur ce qu’il avait voulu comprendre. Puis finalement il a simplement dit qu’elle détestait la vie. Il ne donne pas l’identité de la personne, il ne voulait pas avoir l’air d’un petit garçon encore blessé par la disparition de sa mère. Toutefois, vingt-quatre ans plus tard, ça faisait toujours aussi mal. “ Personne. “

Il relevait son regard vers la brune pour lui demander pourquoi est-ce qu’elle détestait autant vivre, elle répondait aimer la vie. “ Drôle de manière d’aimer vivre… “  sa voix ne jugeait pas, il constate uniquement, comme s’il réfléchissait à voix haute. Il se demandait si elle se rendait compte qu’elle ne vivait pas, justement. A quoi est-ce qu’elle veut échapper ? Il était obligé d'insister, de poser la question.

J’sais pas.

Il n’aimait pas qu’on lui mente.

“ Et c’est quoi la limite… Savoir si tu peux survivre à un viol ? Te fou pas de ma gueule. “ Il n’était pas son père, mais il préférait qu’elle ne lui réponde pas plutôt que de lui sortir des conneries pareilles ! Adulte, elle était loin de l’être, juste une fillette.

Évidemment, évoquer la soirée d’hier amène une question légitime. “ Je ne regrette pas, il le méritait. “ il était formel. Il s’en fichait bien que le gars soit à l’hopital ou mort. Ce n’était que justice, au moins, ça le fera réfléchir avant de baisser à nouveau sa braguette. “ Si ta prochaine question concerne le meurtre duquel j’ai été accusé, je ne repondrais pas, Maddie. “ Il préférait couper court à cette conversation. Le problème ce n’était pas lui. Et lui, sa vie était déjà bien entamée, pour ne pas dire quasiment finie. Il n’y avait rien à sauver, c’était trop tard de toutes manières, il était un assassin.

Il marque une pause avant de lui demander “ Et ta mère dans tout ça ? Elle aussi se drogue ou c’est une victime collatérale de tes conneries ? “ Il avait le chic de poser les bonnes questions pour un ermite, il le savait, il observait beaucoup les gens, assez pour comprendre ce qu’il se passe dans les familles normales sans l’avoir vécu lui même. Une mère qui a élevé seule sa fille, deux scenarii possibles. Ils jouaient un peu à questions réponses, même s’il ne répondait pas vraiment depuis le début, il menait le jeu, parce qu’il sait que les gens ne remarque pas souvent ses esquives, trop occupés par leurs propres malheurs et ça l’arrangeait bien, depuis toujours.

J'sais pas si c'est parce qu'au fond je savais que je n'avais strictement aucun compte à rendre à Manwë quant à ma situation actuelle, mais je n'avais pas peur d'lui dire la vérité. Pas sur ma consommation en tout cas. J'avais pas vu l'intérêt d'lui mentir, de lui cacher quoi que ce soit. Et Manwë, il n'avait rien répondu de particulier. J'crois que mes mots en disant long sur l'inconscience dans laquelle j'étais plongée. J'avais toujours un peu l'impression de contrôler les choses. Mais la vérité était vraiment différentes. Manwë, il m'avait recueilli vraiment au fond du trou. J'me rendais pas tellement compte de ma situation. Tout s'était déroulé si vite, les jours et les semaines avaient défilées à une vitesse incontrôlable et j'voyais bien, qu'aujourd'hui, le contrôle je ne l'avais plus.

Manwë, il croyait pas à ce que je lui disais. J'le voyais bien à son regard. C'était pas vraiment un regard accusateur ou jugeant, mais c'était plutôt une certaine forme d'exaspération. J'lui avais parlé de limites, que j'les cherchais en expérimentant et sa réponse me glaça le sang. J'l'avais pas formulé de cette manière dans ma tête. Jusqu'à présent, je ne m'étais pas considérée comme victime d'un probable viol. C'était flou les souvenirs et j'tournais la tête, pour ne pas le regarder. J'la sentais toujours cette boule dans ma gorge, les larmes que je tentais de refouler. J'avais pas me mettre à pleurer devant lui. Pas encore. C'était pas envisageable. Mais j'luttais. Et ça devenait de plus en plus dur. "Tu cherches quoi Manwë? Tu veux me refaire pleurer c'est ça?" J'avais levé un peu le ton. La meilleure des défenses c'est l'attaque. J'renifle un peu, refusant de cligner ses yeux pour ne pas faire couler la larme qui se formait au bord de mes yeux. "J'ai pas réalisé que j'me mettais autant en danger." J'murmure presque. Ca me fait mal de l'admettre. Cette discussion avec Manwë n'est pas du tout agréable. Mais probablement nécessaire.

J'lance un pavé dans la marre et je reparle du gars d'hier. La réponse de Manwë est sans appel. Il ne regrette rien. Il l'avait frappé très fort. J'me souvenais des bruits de ses coups et de l'odeur du sang. J'le regarde Manwë et je fronce des sourcils quand il reprend la parole, anticipant mes propos. Mais, au début, je comprends pas de quoi il parle. Avant que les mots de mon agresseur me reviennent comme un coup au visage. - Qu’est-ce que tu vas faire Man, hein ? Me buter comme t’as tué ton père ? Je n'avais pas relevé sur le coup, mais j'ai peur de comprendre ce qui se trame derrière tout ça. Je regarde Manwë, sans oser prendre la parole. Est-ce qu'il l'a vraiment fait? Est-il ce genre de personne? Je n'arrive pas à le savoir. Et j'me mets soudain à ressentir un peu de crainte envers lui. J'suis plus à ça près alors j'ose cette question, simplement pour me rassurer moi même. "Est-ce que je devrais avoir peur de toi?" Ouais c'est un peu égoïste de penser à ma pomme dans ce moment là. Mais j'veux juste être sûre et certaine que Manwë ne va pas me découper en petit morceau avant la tombée de la nuit. Même si bizarrement, j'ai pas tellement de doutes.

Tandis que je grignote la gaufre sans aucun appétit, je finis par la laisser tomber devant moi en écoutant la question de Manwë. Je soupire. "J'lui parle plus depuis quelques semaines. Elle a découvert que j'commençais à prendre de la drogue, on s'est engueulé et j'ai claqué la porte de notre appartement." Je marquais un pause. "C'est vraiment depuis ce jour là, que ça merde." J'le regardais. Les yeux un peu vides. "Bon, t'as fini avec tes questions?" Je marque une pause. Et je rajoute, un p'tit sourire aux lèvres. "A force de te côtoyer, moi aussi j'me mets à être désagréable. Tu déteints sur moi, Manwë."

Le brun n’en voulait pas à la jeune femme, il savait que les jeunes faisaient des conneries, que sa mère était une junkie avant de rencontrer son père, enfin… Pour tout dire, il n’en savait rien. Il s’en doutait juste… Parce qu’il n’y a pas de fumée sans feu. “ Pourquoi je chercherais à te faire pleurer ? “ Il n’était pas aussi cruel, et il détestait voir les femmes pleurer, c’était probablement sa plus grande faiblesse. Pourtant, il en avait vu des larmes sur les visages des femmes, par sa faute parfois. C’était juste comme ça… Mais il n’y prenait aucun plaisir, jamais. Il posait cette question rhétorique, pour qu’elle se rende compte qu’il ne s’amusait pas à cet instant, mais qu’il s'inquiétait pour elle.

Puis vient cette question. Devait-elle avoir peur de lui.

“ J’te l’ai dis… J’te ferais rien. “ S’il l’avait voulu, ça serait déjà fait. Il soupira doucement avant d’ajouter concernant le type qu’il avait tabassé et l’insécurité qu’elle pouvait ressentir à cet instant. “ J’suis pas un tendre, Maddie. Mais j’te ferais pas de mal. “ C’était sans doute la question la plus légitime qu’elle eut posée jusqu’ici. Il inspirait la peur bien souvent, il le savait pertinemment et il ne cherchait pas à améliorer son image.

A son tour il pose une question. Sur sa mère, celle qui l’avait élevé seule s’il avait tout bien compris. La réponse ne l’étonnait pas vraiment, et il sourit lorsqu’elle se montre agressive avec lui, l’accusant d’être responsable de sa mauvaise humeur. Il prenait sur lui cette responsabilité, sans problème. “ Tu devrais l'appeler… Ta mère. “ Il ne doutait pas qu’elle l'enverrait chier à cette phrase, alors il se sentit obligé d’argumenter bien qu’il n’en avait pas la moindre envie. “ J’sais pas ce que c’est… D’avoir une mère qui s'inquiète de savoir où je suis. Mais je peux imaginer ce qu’elle ressent, parce que j’étais toujours inquiet de savoir où elle était, la mienne. Je me demandais dans quel état elle était et… Si elle allait revenir un jour. “ Ses yeux verts dardaient la petite brune qui avait de toute évidence décidé de laisser tomber sa petite gaufre de côté, puis son regard s’échappa vers la fenêtre pour regarder le vent remuer les branches des arbres à l’extérieur du mobil-home. “ Elle m’aurait vendu pour de la drogue, si seulement j’avais valu quelque chose... ” Il eut un petit sourire ironique aux lèvres, comment est-ce qu’il aurait pu la sauver alors qu’elle était gangrène à ce point par la drogue ? “ Appelle ta mère… Tu le sais pas, tu t’en rend même pas compte… Mais elle souffre à en crever. “ Et il sait de quoi il parle, bien que les rôles sont inversés, il serait même capable de l'appeler pour elle s’il n’y avait que ça…

Il repose ses yeux sur la jeune femme “ Dis lui au moins que t’es en vie et on sera quitte, pour hier. “ sur ces mots il pose son portable sur la table, une antiquité, mais assez pour envoyer un sms ou téléphoner. Parce qu’il ne sait pas si elle a son téléphone sur elle ou s’il est fonctionnel. Pas d’excuse. Sa main glisse sur la table pour saisir son paquet de clopes et il sort à nouveau pour fumer à l’extérieur, pour ne pas lui donner des haut le coeur, pour lui laisser l’intimité nécessaire et surtout… Pour souffler loin de ses propres souvenirs.

Je haussais les épaules à sa question rhétorique. J'avais du mal à vraiment comprendre ce qu'il voulait Manwë. Est-ce qu'il me faisait une sorte de moral ? Comme un père ferait à sa fille? J'savais plus tellement où me situer. Une larme roula sur ma joue mais j'la chassais très vite. J'voulais pas pleurer à nouveau. Je ne voulais plus être cette fille qui fait des conneries et qui se plaint après. C'était un peu trop facile. Mais Manwë, il avait le don pour poser les bonnes questions, pour que j'me rende compte que mon comportement actuel, il était problématique. Très problématique.

Finalement, on avait abordé un sujet beaucoup plus délicat, celui du passé supposé d'assassin de Manwë. J'avais bien entendu les paroles du mec d'hier, et le quadragénaire avait pris les devant, m'assurant qu'il ne me dévoilerait rien de cette histoire. J'avais quand même eu un petit doute, un petit peu de crainte et je n'avais pas pu m'empêcher d'lui demander si je risquais quelque chose. Sa réponse, j'my attendais, mais elle me soulagea un peu aussi. Il semblait vraiment sincère à ce moment là. Il avait toujours été assez "gentil" avec moi, - à sa manière du moins. "J'te fais confiance alors." De toute façon, j'avais déjà confiance en lui. Après tout, à chaque fois qu'on s'était vu, il y avait comme une espèce de bulle qui s'créait autour de nous. Comme si, quand j'étais avec lui, rien pouvait m'arriver.

On en vient à parler de ma mère. J'lui raconte un peu notre parcours et j'finis par lui manifester un peu de mauvaise humeur, parce qu'il me pose trop de question. Finalement il me suggère de l'appeler ma mère. Je hausse les épaules, me contentant de secouer un peu la tête. J'sais pas si j'ai tellement envie de l'appeler là, tout de suite. Mais Manwë, il prend le temps de me parler de sa sienne, de mère. Visiblement lui, il a pas eu l'amour et l'affection que j'avais eu la chance d'avoir. Ca me serre un peu le coeur d'entendre tout ça. Je l'écoute en silence, plantant mon regard sombre dans le sien. Lui, il s'était inquiété pour sa mère, beaucoup même. Il semblait avoir eu une enfance assez terrible. Loin de ce que moi j'avais connu. J'trouve rien à redire, de toute façon, aucun mot ne pouvait réellement panser ses blessures du passé. Manwë revient sur l'appel que je dois passer à ma mère. J'lève un peu les yeux au ciel. Mais la suite de ses mots me perce le coeur. C'est vrai qu'elle doit être inquiète ma mère. Il m'laisse pas trop le choix. Il fait glisser son téléphone sur le table. Je soupire un peu, fixant le téléphone, sans bouger. "T'es sacrément convainquant quand t'as une idée en tête toi." J'vais me résigner à le faire. Manwë me demande de l'appeler, c'est sa requête pour le service qu'il m'a rendu hier. Il part dehors, fumer une cigarette et moi je fixe toujours ce téléphone. J'ai pas envie de l'appeler. J'ai pas envie d'le faire mais Manwë, il m'a retourné avec ses histoires et ses souvenirs. J'lui dois bien ça à ma mère. J'veux pas l'appeler. Alors j'saisie le téléphone entre mes doigts et je tape un court message à destination de ma mère. "Tout va bien maman, je pense à toi." C'est pas grand chose mais lorsque j'appuie sur envoyer, j'me sens un peu soulagée. J'reste quelques instants assise puis je décide de rejoindre  Manwë dehors. Un peu d'air frais, ça ne peut pas me faire de mal. J'plisse un peu des yeux, éblouie par la lumière du jour. Je tends le téléphone à Manwë et j'm'assoie sur l'une des marches du mobile-home. "Pourquoi tu fais tout ça pour moi Manwë?" J'm'attends encore à une réponse cinglante de sa part, alors j'le prends de court. J'commence à le connaître. "Et t'as pas le droit de dire que c'est parce que j'suis une petite merdeuse qui a besoin d'être remise dans le droit chemin." J'souris un peu, ironiquement. Parce que c'est bien ce que je suis. J'sens l'odeur de sa cigarette qui vient m'écoeurer un peu. Mais j'relève pas. Après tout, c'est moi qui suit sortie.

Elle pouvait lui faire confiance, c’était une certitude pour lui qu’il ne lui ferait pas de mal. Il n’avait jamais violenté une femme - hormis avec les mots parfois quand on le cherche de trop. Il avait ses limites concernant les femmes ou les enfants. Il vomirait de dégoût envers lui même s’il la franchissait, il ne serait peut-être même plus capable de supporter la vie elle même. Il se savait assassin d’un homme qui l’avait mérité. Pas une fierté, mais il pouvait vivre avec ça. Beaucoup de personnes seraient rongés de remords, lui recommencerait sans hésiter, c’était seulement l’empreinte que cela laissait sur son âme qui le hantait, d’avoir conscience de ce qu’il est capable et coupable de faire…

Finalement, il avait parlé de cette ‘Elle’ qu’il avait qualifié de ‘personne’ plus tôt. Ça lui arrivait de parler de sa mère, maintenant avec détachement, il avait amplement eut le temps de faire le deuil, même si la douleur était toujours là. Son enfance n’avait pas été heureuse, la suite de sa vie en avait été de même. Il avait appris à se passer de recevoir de l’amour, se contentant d’amitié, de bons moments avec certaines personnes sans jamais réellement se sentir important pour qui que ce soit. C’était ce qu’il était, un gars qui survivait mais qui ne faisait aucune différence dans la vie de personne. Ce n’était pas à quarante balais que ça allait changer, il ne cherchait pas une autre forme d’existence. Il ne se trouvait pas malheureux, juste différent, à l’écart. Parfois un peu curieux de la vie des autres, mais ça ne dure jamais bien longtemps. Sa tranquillité, il l'apprécie par-dessus tout.

Il fumait sa clope, elle pourrait lui mentir et dire avoir prévenu sa mère, mais il décidait de la croire. Il récupère son portable qu’il glisse négligemment dans sa poche. Il profitait du calme, du soleil bien que sa lumière l’aveuglait un peu et de la nicotine qui l’apaisait doucement.

Ses yeux verts s’orientèrent vers la brune lorsqu’elle pose cette question, il eut un faible sourire à sa remarque concernant ce qu’il pourrait lui répondre. “ La vraie question Maddie… C’est pourquoi personne ne fait ça pour toi ? “ N’avait-elle donc pas d’amis prêts à tout pour elle ? Apparemment non. Une mère, oui, mais elle l’avait repoussé de toute évidence. “ Le chemin du sevrage est particulièrement douloureux, tu vas souffrir. C'est là que tu aura besoin de ceux qui te veulent du bien, pas de ceux qui t'entrainent dans cette merde... “ Il le savait, parce qu’il avait malgré tout vu sa mère essayer, oh pas longtemps, elle était perdue d’avance, un cas désespéré. Maddie, elle, pouvait encore se sauver. “ Tu seras marquée pour toujours, mais tu peux y arriver, si tu veux vivre. Parce que je t’assure… C’est pas beau à voir, comme fin. “ Morte ou vive, sa mère n’était qu’un cadavre dans ses derniers mois, elle en avait même eu l’odeur…

Il écrase son mégot sur les graviers pour éteindre les cendres. “ Comme je n’allais pas laisser cet enfoiré te faire du mal, j’n’ai pas plus envie de te regarder sombrer. J’aimais pas vraiment tes sourires sots, j’aime pas plus te voir te cacher derrière la drogue pour te sentir exister. J’sais pas qui tu es et toi non plus, mais quand tu l’auras trouvé je suis persuadé que je ne serais pas déçu de t’avoir laissé toute mon eau chaude pour que t’arrête d’empester. “ Pourtant, il était bien parti dans ses propos, mais trop d’émotions tue l’émotion, non ? En soit, il savait qu’il ne serait pas déçu de l’avoir aidé, même s’il se doute qu’elle ne viendra pas le voir lorsqu’elle ira mieux et c’était très bien. Il sait que les gens ne viennent le trouver que lorsqu’ils sont dans la merde, quand ce n’est pas lui qui leur tombe dessus dans ces mauvais moments. Moins il voyait les gens, plus cela voulait dire qu’il allait bien. Alors sa solitude était bon signe, c’était parfait ainsi. " A cause de toi, j'ai épuisé mon quota de bavardages pour l'année... " lui dit-il avec un rictus amusé.

S’il fallait que j’dise ce que je pense de lui, s’il fallait que j’le place d’un côté, soit du bon, soit du mauvais, je mettrais Manwë sans hésiter chez les bonnes personnes. C’qui m’avait montré de lui, la façon dont il se comportait avec moi, j’pouvais pas le considérer comme quelqu’un de mauvais. Malgré la violence d’hier, malgré ses remarques parfois désagréables, il avait été là, bien présent. Et puis Manwë, à l’entendre, il n’avait pas eu une enfance facile, une existence douce et tranquille. J’savais que son père était absent, du mois il n’avait jamais pu compter sur lui, c’était le petite point commun qu’on s’était trouvé la première fois qu’on s’était rencontré. Et aujourd’hui, j’apprenais aussi qu’il avait eu une mère droguée qui visiblement n’avait pas eu beaucoup de considération pour son fils. C’était p’tete un mélange de tout ça aussi, qui rendait Manwë comme il était. Impossible pour moi de lui en vouloir. Il pouvait bien être un peu vilain avec moi. J’le comprenais.

Mon enfance, malgré l’absence d’un père, n’était en rien comparable à celle de Manwë. Ma mère avait toujours été présente, elle m’avait élevé du mieux qu’elle pouvait, elle s’en était très bien tiré même. Mais il avait fallu que mon chemin croise celui d’Archie et que l’équilibre fragile dans lequel j’me trouvais finisse par vaciller. C’était pas tout perdu, j’avais pas perdu espoir que tout finisse par s’arranger et Manwë il m’avait fait réaliser que ma mère devait être morte d’inquiétude. Il m’avait plus au moins forcé la main pour que j’lui envoie un message. J’l’avais fais, presque à contre coeur mais j’avais été soulagé lorsque les quelques mots avait été envoyé.
J’avais rejoins Manwë dehors, m’essayant sur les marches du mobile-home, recroquevillant mes genoux contre ma poitrine. J’me sentais toujours un peu nauséeuse, la journée allait être longue. C’était une évidence. Jusqu’à ce que je retrouve Archie et qu’on prenne un petit quelque chose qui me permettrait d’me sentir mieux, temporairement. J’avais brisé le silence en lui posant une question. Pourquoi il faisait ça. Manwë, il avait répondu par une autre question. C’en était une bonne de question. Mais la réponse elle était toute simple. J’avais écarté un à un mes proches depuis que j’étais avec Archie. De peur qu’on me sépare de lui. A commencé par ma mère. Il n’y avait bien que Leyla avec qui je gardais un contact, elle en savait un peu des choses sur tout ça, mais j’voulais pas trop l’inquiéter, elle ne portait pas Archie dans son coeur. Et puis il y avait Kay aussi, j’pourrais lui demander de l’aide, mais généralement, quand on se voyait, on finissait aussi par prendre le chemin d’la défonce. Les autres, à commencer par ma mère, j’les avais éloigné. "J’les ai un peu mis de côté mes proches ces derniers temps. J’me éloigne pour par qu’ils m’empêchent de voir mon copain." Le fameux dealeur. Manwë allait très certainement me trouver idiote. Sa réponse, son conseil, me rapprocher de ceux qui me veulent du bien, j’y songeais de de plus en plus mais j’étais bien trop accro à Archie pour songer à arrêter quoi que ce soit. "J’ai pas envie que ça s’arrête maintenant. Ma vie j’veux dire." J’voulais pas m’imaginer comme le zombie de Bowen, devant laquelle les gens chuchotent, en disant "tu as vu la petite Reynolds, comme elle a mal tourné." peut-être que certains se disaient déjà ça. Et ça m’enchantait pas. Il fallait que j’me libère de toute ça, mais j’étais pas certaine d’en avoir la force. J’étais dans le cercle d’Archie, j’voulais pas en sortir comme ça. J’aurais voulu le beurre et l’argent du beurre.

Manwë, il reprit la parole, c’était presque un monologue. C’était touchant c’qui disait là, je l’écoutais attentivement, posant mes yeux sur lui. La fin de ses quelques phrases m’arrachèrent un sourire. C’était si bien parti, il fallait qu’il finisse sur une petite touche désagréable. "J’me rends bien compte là, que j’suis pas sur le bon chemin. J’le sais. Faut que j’trouve la force de tout arrêter. Mais c’est pas facile tu sais. Mais j’vais essayer. Juste pour pas te décevoir d’avoir été là pour moi aujourd’hui." Je marquais une courte pause. "Ca serait dommage après tous les efforts que t’as fait." J’lui souris un peu. Bah ouais, j’pense que c’était pas dans ses habitudes à Manwë d’avoir une nénette de 20 ans accrochée à ses basques dont il devait s’occuper. Les derniers mots de Manwë me firent rire un peu. "eh bien, j’aimerais pas être le prochain à t’adresser la parole !" Je souris pour j’me relevais, m’étirant un peu, cherchant un soupçon de dynamisme quelque part dans mon corps. Mais en vérité, c’était surtout la fatigue qui se faisait sentir. Et puis, un peu le manque aussi. J’commençais à me sentir trembler de l’intérieur, comme si j’avais froid en dedans. Là, dans mon idée, il fallait que je rejoigne Archie pour prendre une dose. Mais ça serait mettre un énorme coup de pied dans ce que Manwë m’avait dit, c’était ignorer sa mise en garde. "J’vais te laisser Manwë, j’vais pas abuser d’ton hospitalité plus longtemps." J’sais pas s’il me laisserait partir après tout ça. J’commençais à frissonner un peu, j’croisais les bras, comme pour tenter d’me réchauffer, mes lèvres s’étaient un peu teintées de mauve. Pourtant, il ne faisait pas spécialement froid ce jour là.

Il avait un peu envie de se moquer d’elle, mais il imaginait que sa mère avait finalement fait la même chose avec sa propre famille. Du côté de sa mère, la famille n’était pas si pourrie, mais aux abonnés absents depuis toujours. Il n’y avait pas de fumée sans feu. Un homme peut-il avoir assez d’emprise sur une femme pour qu’elle abandonne tout pour lui ? Oui. Evidemment que oui. Malheureusement.  “ Ton copain… “ Les gens n’apprendront donc jamais, jamais. A quoi bon avoir débarrassé le monde de son père ? Il faudrait faire un ménage beaucoup plus large, mais perdre son âme pour de bon. Il n’était pas un justicier, il ne se donnait pas cette peine, il s’était vengé avant tout et maintenant… Maintenant il se laisse porter par le flow de la vie en essayant de ne pas trop se torturer. “ Je ne le connais pas, mais je ne crois pas qu’il mérite que tu te détruises et que tu punisses ceux qui t'aiment par ton absence... “ Elle ne voulait pas mourir, elle l’affirmait et il la croyait, probablement qu’elle ne se rendait pas compte quel danger elle courait. Il ignorait s’il lui ferait réaliser quoi que ce soit, après tout… Il n’était que lui.

Le Luthier parlait plus qu’il ne le faisait en temps normal. Il ne savait pas comment il se sentait vis à vis de ça. Alors il se sentit obligé de nuancer ses propos avec une pique habituelle. Elle disait qu’elle allait essayer, cette promesse il l’avait déjà entendu de la bouche de sa mère et il n’y croyait plus depuis longtemps, mais il voulait bien lui laisser sa chance à elle de lui prouver le contraire. Alors il avait seulement acquiescé doucement, par encouragement.

Il l’observait de ses yeux clairs avant de se relever pour faire face à la brune qui venait de dire qu’elle allait partir. Il la dardait de son regard émeraude, un soupçon strict. “ Si tu pars maintenant, ce soir sera comme hier et la boucle est bouclée. “ Il connaît ça par coeur, sans l’avoir vécu personnellement, il l’avait observé de près, trop près. Si elle retourne dans les bras de son copain, là, c’était fini. Cette promesse… Elle aura été comme les autres. “ Tu peux partir si tu veux, mais je ne serais pas toujours là pour te tirer d'affaires. “ Il aurait pu employer le mot sauver, mais il ne se considérait pas comme tel. Il n’allait pas lui expliquer à nouveau pourquoi une issue dramatique à son existence le ferait chier. “ J’te garderais à l’oeil si tu reste, et quand tu ne seras plus lucide, tu me détesteras. Mais sous ma surveillance, je ne laisserai plus la drogue gagner. “ Quant à son propre début d’alcoolisme, c’était une toute autre histoire ! Elle pouvait choisir le sevrage ou courir à nouveau tous les risques possibles, mais lorsqu’elle aura fait son choix, il sera trop tard pour changer d’avis. Bien que si elle revenait ici un jour, serait-il capable de lui refuser de lui offrir son aide ? Il aimait se convaincre que oui, mais… Il l’aidera tout de même.

Un soupire s’échappa de ses lèvres avant qu’il n’ouvre les bras pour venir la serrer contre lui, ce n’était pas un geste naturel et probablement qu’il la serrait un peu trop fort contre lui parce que la douceur n’était pas livrée avec le bonhomme. Il la relâcha après quelques instants qui se passaient de paroles. Quoi qu’elle décide, elle savait qu’il sera là pour elle.

En une matinée, mon comportement vis à vis de Manwë avait évolué. J'sentais que j'étais en train d'm'attacher à lui, il devenait au fil des minutes quelqu'un d'important. J'sais pas trop dire pourquoi, mais j'me rendais compte qu'il faisait parti maintenant des personnes que j'aurais pas voulu décevoir. Mais c'était un peu mon habitude en ce moment, de tout faire voler en éclat. Ca avait commencé par ma mère, à qui j'avais menti et que j'avais fini par mettre de côté. Et puis il y avait eu Abby aussi, cette jeune maman qui me faisait confiance et que j'avais fini par décevoir, elle aussi. J'avais cette fâcheuse tendance à m'attacher aux gens, les gens s'attachaient à moi et j'me retrouvais à devoir faire l'inverse de ce qu'ils attendaient de moi. Manwë, c'était pareil. Il m'avait secouru, il avait pris soin de moi et j'voyais bien dans ses mots et ses attitudes qu'il tentait d'me sortir de tout ça. J'l'écoutais me parler d'Archie. Je haussais un peu les épaules à l'entendre. J'étais même plus étonnée quand on tenait des propos de ce genre sur lui. J'savais que les gens voulaient nous séparer. C'était pas le premier. Je soupirais un peu. "Je sais, je sais ce que vous pensez tous de lui. Mais personne ne le connait vraiment. A part moi. Il en vaut la peine." J'sais pas si j'essayais d'me convaincre moi même. J'savais parfaitement à quel point Archie n'était pas bon pour moi, pour mon équilibre, pour ma santé mentale, mais j'étais amoureuse, éperdument amoureuse de lui. Manwë, il aurait certainement aimé que j'reste là, que j'me sèvre une bonne fois pour toute. Il était du genre à être présent pour ce type de mauvaise passe. J'avais fini par me lever, annonçant mon départ. J'avais dans l'idée d'aller retrouver Archie, pour me remettre la tête à l'envers. Lorsque j'étais debout, face à lui, son regard me transperça et ses mots me firent l'effet d'une petite bombe. Il était malin Manwë. Malin ou lucide plutôt. Il connaissait tout ça, il avait très certainement connu ça avec sa mère. Il savait ce que j'avais en tête. Sa voix, rauque et posée, claquait dans le silence du matin. J'l'écoutais, mes yeux plantés dans les siens. J'serrais un peu la gorge aussi. J'gardais le silence, et j'sentais qu'à mesure que ses mots me parvenait, je baissais les yeux vers le sol. Refusant inconsciemment d'assimiler ce qu'il me disait. Parce que c'était la putain de vérité. Toujours silencieuse, je regardais le sol, avant de relever les yeux à l'instant où il m'ouvrait ses bras. Dans un élan fulgurant, j'faisais moi aussi un pas vers lui, me réfugiant contre son torse. Ma tête posée sur l'un de ses pectoraux, mes petits bras maigrelets entourant sa large carrure. J'le serrais du plus fort que j'pouvais -autant dire pas beaucoup. Mais cette étreinte, elle était nécessaire. Parce que dans ses bras, j'me sentais en sécurité. J'sentais qu'il me comprenait, qu'il savait ce que j'avais en tête, il savait les démons contre lesquels je me battais. J'fermais les yeux, serrant encore un peu mes bras autours de lui. Ca dura quelques instants. Mais c'était réconfortant. Pour la première fois de ma vie, un homme agissait avec un instinct presque paternel avec moi. Il relâcha son étreinte. J'me libérais de ses bras, levant la tête vers ses yeux. Il était vraiment plus grand que moi, il me semblait à cet instant, comme un rempart à l'addiction. A cet instant, dans ma tête, tout se bousculait. C'était le moment ou jamais de partir. C'était mon seul échappatoire. Si j'acceptais de rester, alors je sais qu'il me retiendrait jusqu'à ce que le sevrage soit terminé. Malgré ce que je pourrais traverser. Mais je n'étais pas prête. "J'ai pas envie de te détester Manwë, pas aujourd'hui." que j'lui murmurait. C'était en réponse à ce qu'il m'avait dit avant. Si je restais, le sevrage allait être rude, violent, intense. Et je n'avais pas la force de faire ça maintenant. Mais en partant, je savais aussi que je ne faisais que m'enfoncer encore un peu plus. Malheureusement, mon choix était fait. J'savais que j'le décevrais. J'savais que c'était le mauvais choix. Mais j'en avais l'habitude maintenant. J'retournais dans le mobile-home, empoignant mon sac. Toujours vêtues de son t-shirt en guise de robe, je ressortais pour le rejoindre à nouveau dehors. "Ne t'inquiète pas pour moi, d'accord?" J'sais pas s'il allait vraiment se faire du soucis pour la petite têtue que j'étais. J'm'approchais une dernière fois de lui, me mettant sur le pointe des pieds, je déposais un baiser sur sa joue. "Un jour, je reviendrais te rendre ton t-shirt, et ce jour là, tout ira bien." Je souris un peu, presque tristement. Avant de réajuster le sac sur mon épaule, je prenais la sortie de l'air caravaning, sans me retourner. Le petit chien me suivit quelques instants avant que je prennes le direction de la ville. Cette route qui me conduisait directement chez Archie. Directement vers ma dose quotidienne, qui me détruisait un peu plus chaque jour.

FIN