Here we are, don't turn away now [Beck]

"Punaise, tu fais chier, j’avais du taff aujourd’hui". Les signes que je fais à mon frère sont secs et l’expression de mon visage, loin d’être ravie. "En plus j’ai clairement pas de quoi aligner la tune." Je détourne les yeux avant qu’il ait fini de me répondre parce que je sais qu’il va finir par me convaincre. A dire vrai, j’ai arrêté de suivre ses gestes quand il a proposé de payer pour moi…ce qui m’a déjà à moitié donné envie de l’accompagner. Je l’entends émettre un petit cri de protestation, il déteste quand je ne le laisse pas finir ses phrases. Je soupire en regardant mon ordinateur ouvert sur la table basse…Avant que l’on toque à la porte, j’étais en train de traiter quelques devis, ce n’est pas ce que je préfère dans mon métier mais j’ai déjà à peine de quoi louer mon local, c’est pas demain que je vais pouvoir me payer une secrétaire et il faut bien que quelqu’un le fasse. J’avais réussi à trouver la motivation de me plonger dans les chiffres et la paperasse et c’est à ce moment-là que Layton a décidé de se rappeler qu’il avait une sœur. Il est venu me proposer une journée à la salle d’arcade, c’est un endroit qu’on a toujours beaucoup aimé, je ne compte plus les heures qu’on a pu y passer, étant gosses, dilapidant sans pitié notre argent de poche. "Allez, sors de ta tanière…à moins que tu aies peur de la défaite qui t’attend au Lasergame ? Tu reconnais enfin ma suprême supériorité ?" Je hausse un sourcil et le regarde par en-dessous "D’une je suis déjà sortie ce matin faire des courses, de deux je t'éclate quand je veux, de trois, je prends mes clés et j’arrive.”

Je n’ai aucune volonté. C’est affligeant. Il faudra que je bosse ce soir si je ne veux pas prendre de retard. En attendant, il est temps que je fasse ravaler sa fierté à mon aîné. Il y a du monde à l’Arcade Game aujourd’hui, dont une bonne partie semble attendre au vestiaire pour entrer dans le sas d’équipement du Laser Game. “Salut Hazel, bonjour Layton.” Le gérant nous connaît bien depuis le temps. Je le salue et Layton règle la partie pour nous deux. “ Je vous laisse vous équiper, il va y avoir assez de joueurs pour faire des équipes de six.” Je traduis à mon frère pendant que nous nous dirigeons vers les casiers pour déposer nos affaires. "Tu te mets avec moi ? Tu auras peut-être une chance de gagner." Je lui donne une bourrade de l’épaule. "Si je viens ici, c’est pour pouvoir te tirer dessus en toute légalité en fait…"donc non, je vais avec les rouges. " Il lève les yeux au ciel. Je vais enfiler un gilet muni de capteurs optiques aux leds rougeoyantes et le braque illico avec le pistolet en imitant le bruit des détonations avec la bouche. Il se redresse, regarde derrière moi, me fait un signe du doigt pour approcher "C’est pas un pote à toi là ?" Avec tout l’entrain du monde, je me retourne en espérant naïvement trouver Alfie ou Elijah…c'est sans compter sur mon karma et les coups qu'ils aiment bien me jouer.

Arrêtez tout ! Arrêtez tout ! Mais. Qu’est-ce. Qui. S'passe. Bordel ? Où sont les scénaristes ? C’est quoi ce plan ? On est d’accord, ça fait drama’ pour ado cette scène non ? Je n’aime pas bien me retrouver au cœur de situation comme celle-ci, et j’y suis pourtant enlisée jusqu’au cou. Ce “pote” que mon frère a vu et avec lequel je suis maintenant face à face, c’est Beckham. Beckham Kavinsky. Entre nous, c’est compliqué. Enfin non. Mais si. C’est moi qui ai rendu tout compliqué parce que je suis cinglée. Parce que je sais faire des branchements complexes pour envoyer des bombes dans le ciel sans faire exploser tout le monde mais quand il s’agit de connecter mes neurones pour savoir ce que je ressens envers les gens, y a plus personne.

Beck, c’est le premier de la bande infernale qui a croisé ma route. On était voisins quand on était enfants. On se parlait parfois, par grillage de jardin interposé, et on était plutôt bons camarades à l’école,  mais l’événement qui a scellé notre amitié, c’est quand j’ai fait sauter la poubelle de ses parents. Même si j’ai pris une rouste dont je me rappellerai jusqu’à mon dernier souffle, ça nous a bien fait marrer cette histoire. A partir de ce jour, on s’est mis à traîner ensemble. J’ai pas peur de dire que je l’ai considéré comme un vrai ami, certainement l’un des meilleurs. Quoi que ? Est-ce qu’on fait ce que j’ai fait à ses amis ? Définitivement pas.  Il a fallu qu’on grandisse et que les choses changent. Lui, il avait tendance à avoir la verve facile avec les filles, à jouer le jeu de la séduction. Un jour, c’est avec moi qu’il y a joué, pour rire, certainement. Et franchement, ça m’aurait fait marrer si dans le fond, ça ne m’avait pas autant plus.

A ce moment, j’ai pris peur, parce que je ne voulais pas entendre mon coeur battre la cadence pour Beck’, c’était pas envisageable, c’était pas souhaitable et c’était effrayant. Alors j’ai passé mon tour et j’ai jamais repris la main. On a quasiment cessé de se voir, du jour au lendemain. C’était facile de l’éviter, je travaillais pour lancer la Boom Company, ça me prenait réellement beaucoup de temps. Le plus dur était peut-être de ne plus répondre à ses messages mais il a fini par se lasser de ne plus avoir de retour alors son numéro est devenu silencieux. J’ai mis quelques mois à m’introspecter et j’en suis arrivée à une conclusion : Je me suis fourrée le doigt dans l’oeil et j’ai merdé comme une conne. Je ne pense pas avoir été réellement amoureuse de Beck, mais il m’a troublé et je n'ai pas réussi à faire la part des choses.

Depuis, je me dis chaque jour qu’il faudrait que je le recontacte, parce que mon copain d’enfance me manque carrément, mais pour lui dire quoi ? Comment je peux justifier de l’avoir laissé sans nouvelle, d’avoir fait la morte ? Tout ça, juste parce que je suis une pauvre écervelée qui a la capacité émotionnelle d’un Kumquat. Quoi qu’il en soit, j’aurais aimé avoir plus de temps pour y réfléchir, sans que la vie ne me glisse une peau de banane sous les pieds.

Mes yeux tombent sur la main qu’il me tend. Je suis sur le cul. Mais qu’est-ce qu’il me sert comme tisane là ? J’ai envie de lui dire "mais évidemment que j’sais qui t’es vieil enfoiré" mais j’ai le cerveau en carafe. Dans quelques secondes, mon silence va commencer à devenir gênant. Secoue toi un peu ! Je retiens de justesse un "écoute Beck’ j’ai été débile, je suis vraiment désolée" parce que j’ai pas envie d’étaler ça devant tout le monde, c’est assez compliqué pour ne pas que je me rajoute du public en plus. Et puis, j’ai toujours été un peu joueuse. D’apparence, je semble reprendre un peu de contenance lorsque j’attrape la main de mon ami, en réalité, je suis en plein naufrage. “Salut, moi c’est Hazel, je suis…” mais qu’est-ce que je fous putain ?! Que quelqu'un me plaque au sol ! “...à peu près sûr qu’on s’est déjà croisé quelque part.”

Quelles étaient les chances ? Je veux dire, je me pose sincèrement la question. Quelles étaient LES PUTAINS DE CHANCES pour que, le jour où mon frère décide de me traîner au laser game, de me retrouver COMME PAR HASARD, dans la même équipe que Beck. Soit j’ai vraiment un karma éclaté, soit c’est le destin - ou une bêtise du genre - qui l’a replacé sur ma route avant l’heure. Je dis “avant l’heure” parce qu’évidemment, je ne l’ai jamais oublié, à chaque fois que je vois son nom défiler dans ma liste de contact, j’hésite à l’appeler, je me dis Allez Hazel, faut arrêter les conneries là, ça a assez duré cette histoire, et puis je me ravise, j’me dis que c’est peut-être pas l’moment, que de toute façon je ne saurais pas quoi lui dire, que j’ai encore besoin de temps pour y réfléchir. Mais réfléchir à quoi à la fin ? Y a pas à débattre des heures, la seule chose à laquelle il faudrait que je réfléchisse c’est à m’excuser. On aura beau prendre les événements qui m’ont amené jusque dans cette situation dans tous les sens, au bout du compte, on parviendra toujours à la même conclusion ; c’est moi qui ai fait tout foirer, le terme “voler en éclat” serait d’ailleurs tout aussi approprié. J’ai laissé tomber une de mes plus belles amitiés, je l’ai laissé exploser par terre comme un vieux vase qu’on a involontairement poussé du coude…mais ma démarche, elle était volontaire et c’est ça qui risque de m’empêcher de recoller les morceaux. Et ça me brise le coeur en tout autant de petits éclats acérés, piquants…douloureux.

J’ai vécu avec son souvenir pendant des mois et le revoir là, en chair et en os, c’est le coup de grâce. L’uppercut qui m’fout au tapis. Toute une réalité qui m’explose à la gueule. Il me manque terriblement. Je vois dans son regard qu’il se pose des questions, et il y a de quoi. J’agis comme une crétine, j’voudrais gagner du temps, reculer ce moment où j’vais devoir tout lui expliquer. C’est la seule marche que j’ai à franchir pour que les choses s’arrangent…une marche si grande qu’elle me file le vertige. Est-ce qu’Hazel va foutre son orgueil de côté, va-t-elle se mettre à nu pour sauver cette amitié ? Haha, quel teaser de merde. Je voudrais en être capable, je sens dans chaque fibre de mon corps que ce serait là, le moment, maintenant. Mais j’y arrive pas…Je suis incapable de me mettre d’accord sur les mots qui devraient sortir de ma bouche. Les siens, en revanche, me font l’effet d’une longue douche froide le long de l’échine. Trahit. C’est le mot qu’il a utilisé et il est criant de vérité. Je l’ai trahi…ça me parait encore plus grave maintenant que la carte de la trahison a été abattue. Excuse toi Hazel…au moins…ça…tu dois pouvoir le faire. “Ecoute Beck…” Quelqu’un me tapote l’épaule, c’est Layton. Timing daubé. Il adresse un signe de la tête poli à Beckham et me prévient que la partie ne va pas tarder à commencer. Oui, on arrive. je lui signe rapidement. J’attends que mon frère s’éloigne un peu et je reporte mon attention sur le jeune homme.  “...Y a peu de chance que j’te tire dans l’dos…” J’acquiesce en osant le regarder dans les yeux et je parviens même, contre toute attente, à dessiner un sourire sur mes lèvres “...et si ça arrive, j’me sentirais tellement conne que j’pourrai disparaître…et pas trouver l’courage de m’excuser…alors que définitivement, c’est la seule chose censée qu’il faudrait que j’fasse…” Désolée. Ce dernier mot franchi mes lèvres dans un souffle, non, un soupire, lourd de toute la honte que j'éprouve alors que je baisse le regard vers le blaster laser que je tiens entre les mains.

J’sais pas ce qui se serait passé si j’avais su que j’allais croiser Beckham. Je veux croire que je ne serais pas restée cloitrée chez moi à ruminer des pour et des contres entêtant mais j’ai peur que ce ne soit pas vrai, d’avoir pu m’abandonner définitivement à la lâcheté. J’veux pas être cette hypothétique personne. J'veux plus jamais me retrouver dans une situation de merde comme ça. J’me jure, ici et maintenant, que c’est la dernière fois qu’on me prendrait à mettre sous le tapis c’que j’veux pas voir. Le jour où je me suis dit Ok, là, Beckham, c’est pas possible, j’veux pas ressentir ça pour toi, j’aurais juste dû débrancher mon cerveau, me mettre en pilotage automatique et lâcher ces mots, aussi difficile que ce soit. En plus je nous connais, on aurait discuté, j’dis pas que j’aurais été très à l’aise mais on aurait mis les choses au clair et après, on aurait certainement rigolé jusqu’à en avoir mal au ventre. Mais sur le moment, j’ai réussi à n’envisager qu’une seule option ; la fuite. J’avais une trouille monstrueuse, j’voulais même pas poser de mot sur ce que je ressentais, j’voulais juste que ça disparaisse.

J’ai soufflé une ébauche d’excuses, ça ne me semble pas assez mais ce n’est pas un exercice dans lequel j’excelle. J’ai le regard fuyant, j’m’en veux, j’ai l’impression de ne pas avoir l’air sincère alors que chaque sentiment qui me taraude, depuis que j’ai retrouvé le visage familier de Beck, est d’une douloureuse sincérité. Il a fallu que je manque de le perdre pour me rendre compte à quel point son absence sonne comme une fausse note dans mon existence. J’esquisse un sourire en coin quand il me tape sur le haut du crâne et me répond que disparaître sans donner signe de vie est un tour que je semble avoir bien acquis. Le doigt qu’il pose sous mon menton exerce une légère contrainte qui  me fait redresser la tête. Je serre les mâchoires instantanément quand, enfin, je trouve son regard, parce que je dois lutter pour retenir mes larmes. J’pleure pas souvent, j’aime pas trop ça, j’ai l’impression que ça me met à nue alors quand j’peux l’éviter, je m’y efforce. Sauf que, définitivement, Beck ne me facilite pas les choses. Je m’éclaircis la voix pour ne pas que l’émotion ne s’y perçoive pas trop. “Ouai bha j’suis pas sûre que ma caboche elle-même sache réellement ce qui s’est passé…” Je plaisante pour me redonner de la contenance, j’suis pas sûre que ce soit très crédible.

L'optique de devoir lui avouer que j’ai cru l’aimer devrait me terrifier, je devrais être pétrifiée sur place par l’idée de m’exposer ainsi mais je suis tellement heureuse à cet instant, que tout cela m’est bien égal. Je réponds à sa brève accolade en lui passant à mon tour le bras autour de l’épaule. On s’est retrouvé, j’espère que ça ne changera plus jamais. Les autres joueurs commencent à rentrer dans l’arène de jeu, j’acquiesce aux paroles de Beck et je place le pistolet à vertical à côté de mon visage “On va leur faire regretter d’avoir croisé notre route !” J’attends que Beckham soit prêt et nous pénétrons ensemble dans le décor obscur du laser game. Un brouillard artificiel nappe le sol, tous les autres joueurs se sont déjà dispersés et les haut-parleurs nous servent une musique d’ambiance digne d’un film d’action à gros budget. Je fais un signe de la main, comme une véritable ranger, à mon coéquipier pour lui indiquer que je vais me positionner dans les étages. “Y a l'air d'avoir du monde là-haut, j'vais faire un massacre !”

Il y a des gens qui apparaissent, un jour, dans ta timeline et se font une place. Ils deviennent si importants, qu’on n’hésite pas à parler d’eux comme s’ils étaient des membres de la famille et, aussi loin qu’on puisse se projeter dans l’avenir, on se dit que leur visage fera toujours parti du décorum, qu’ils sont soumis à une sorte d’immuabilité. Je l’sais pourtant que rien n’est gravé dans le marbre mais j’y pense pas, j’laisse la vie lancer les dés, j’vois comment ça s’passe et quand il faut, j’essaye de reprendre la partie en main. Cette fois-ci, pourtant, j’avais juste détourné les yeux, j’sais pas trop à quoi je pensais, c’est pas comme si les choses allaient s’arranger sans que j’me mouille un peu. Alors j’pense que mon ange gardien, ou qui qu’il soit, en a eu marre de m’voir faire de la merde et m’a offert la parfaite occasion de remettre un peu d’ordre dans ma relation avec Beck. Et une partie de laser game gratos.

Je joue la meuf décontractée mais j’commence à me demander ce que j’vais pouvoir lui dire. D’ailleurs c’est pas tout à fait vrai, j’sais très bien ce qu’il va falloir que je lui confie, en revanche, j’sais pas avec quels mots tout ça sortira de ma bouche. Ca m’occupe un peu l’esprit, j’suis pas concentrée à 100% sur la partie. Je suis en planque à l’angle d’un mur mais j’ai la tête ailleurs, ça finit fatalement par coûter un point à mon équipe, j’viens de me faire descendre. “Putain” Je peste tout bas avant de me remettre en mouvement. L’équipe des bleus, c’est des planqués, à peine quelques secondes après le début de la partie, on ne voit plus que des lumières rouges qui se baladent, les autres, ils ont disparus, des vrais fantômes, ils vont nous donner du fil à retordre.

J’essuie une goutte de sueur de mon front, la partie doit être pas mal avancée. J’ai l’impression qu’on n’a pas été mauvais bien que, j’vous l’avoue honteusement, j’ai essuyé quelques tirs. J’reprends mon souffle, adossée à un élément de décor. J’entends des joueurs qui se déplacent, pas très loin de moi alors je jette un coup d’oeil à ma droite, y a quelques lumières bleues qui me tournent autour, si j’reste là, j’vais me faire descendre sans préavis. J’vois une lueur rouge qui s’détache un peu plus loin, j’ai beau plisser les yeux, je n’arrive pas à savoir si c’est Beck. J’me faufile comme je peux pour ne pas me faire tirer dessus et j’arrive même à toucher une de nos cibles au passage. “ Hé pssst !” C’est bien mon pote qui est là, j’me mets en planque à côté de lui. “Ils sont chauds les bleus, y en a quelques uns à nos trousses et-” J’dégaine plus vite que mon ombre, un membre de l’équipe adverse vient de débouler, j’ai juste eu le temps de lui coller un point et de l’entendre jurer avant de le voir disparaître à nouveau. Il faut qu’on bouge,  y a du monde qui risque de rappliquer, j’entends déjà des pas qui s'rapprochent. “Viens, viens !” Que j’fais à Beck en l’attrapant par la main pour le traîner derrière moi. C’est un geste spontané tellement anodin, on s’est même déjà pris dans nos bras plus d’une fois, mais j’peux pas m’empêcher de ressentir un petit malaise, comme si tout ce que je ne lui ai pas encore dit rendait mon geste mécanique.

Au moment où j’ai attrapé Beck par la main pour le tirer derrière moi et sauver nos fesses, j’crois que j’ai un peu trop surestimé mon sens de l’orientation. En règle générale, j’suis plutôt débrouillarde, pas du genre à se perdre et à zieuter son GPS toutes les secondes…bon, il faut dire qu’à part Bowen, j’connais pas grand chose et à force de la arpenter, je connais cette ville comme ma poche, la carte est imprimée dans mon crâne. Mouai, du coup, j’saurais pas dire si j’ai un bon sens de l’orientation ou juste une bonne mémoire…Ici, en tout cas, dans l’obscurité et ce foutu brouillard artificiel, avec la tension en toile de fond, j’peux vous assurer que j’suis un peu perdue. Heureusement, mon ami  semble avoir plus de faciliter à se repérer dans ce labyrinthe. J’me laisse entraîner dans sa cachette. C’est plutôt bas de plafond, il faut qu’on s’accroupisse à moitié pour y tenir mais, stratégiquement, l’endroit est vraiment cool. On est assez dissimulé par le décor pour que nos lumières soient quasiment invisibles et on a plutôt une bonne vue sur ce qu’il se passe devant nous. “Ouai, j’les entends, ils sont pas loin.” On s’tient prêt, ils ne vont pas comprendre c’qui leur arrive. On attend le bon moment, pour les saucer et…Beck me fait un signe. On presse la gachette en même temps et on désactive proprement les cibles lumineuses en plein milieu du dos de nos adversaires. Quasiment au même moment, les lumières se rallument, signalant ainsi la fin de la partie. Je baisse les yeux pour regarder le petit écran fixé sur le pectoral de mon gilet “Oh la vache !” J’m’exclame en sortant de notre cachette “On a gagné ! A deux points près !” J’me tourne vers Beckham et lui tape dans la main, c’est clairement nous les chefs dans c’t’histoire.

Quand on regagne le sas pour déposer le matériel, mon frère m’intercepte Vous avez eu chaud ! Je lève les yeux au ciel et j’lui répond Dans tes rêves ouai, on maîtrisait la situation. Il rigole et me donne une petite tape dans le dos puis m’indique qu’il va aller boire avec quelques membres de leur équipe, pour enterrer leur défaite. Quand il me demande si je veux les rejoindre, je décline en secouant la tête. C’est gentil mais ça fait longtemps que j’ai pas vu Beckham, on a…J’hésite un peu avant de lui signer la suite de ma phrase …On a pas mal de trucs à se raconter.

J’enlève mon gilet que je replace sur un support puis je me tourne vers mon pote. J’ai le sourire mais j’sens une pointe d’appréhension qui me chatouille la gorge. Ca m’énerve de réagir comme ça face à lui, ça m’ressemble pas. Ca nous ressemble pas. Avant que j’mette les voiles pour rien, on avait un lien quasiment fraternel, y a rien qui nous gênait. On faisait tellement d’la merde parfois qu’on s’est vu dans des situations pas toujours glorieuses mais…là…alors qu’on doit juste parler, j’sens un malaise. J’veux tellement plus de ça, faut que ça s’arrête, faut que j’retrouve cette complicité perdue. Je jette un coup d’oeil à mon téléphone, il n’est pas loin de 15h. “Ca te dit qu’on s’prenne un truc à boire au distributeur et qu’on aille se poser ? Et puis…j’sais pas…j’pourrai peut-être te raconter un peu comment et pourquoi mon cerveau a…” J’illustre la fin de ma phrase en mimant une explosion avec mes deux mains.  

Quand je participe à une compétition, peu importe l’enjeu, j’ai qu’un seul objectif en tête : la victoire. J’suis pas trop une adepte de cet adage qui raconte que “l’important c’est de participer”...c’est clairement la phrase que je sers aux personnes que je viens d’écraser, toujours avec l’intention taquine d’imposer un peu plus ma victoire. J’suis pas une très bonne perdante mais, mon toxic trait, c’est d’être une gagnante encore pire. Aujourd’hui, j’ai un peu fait exception à la règle et j’me suis tenue relativement tranquille même si je n’ai pas caché ma joie d’avoir remporté la partie aux côtés de mon acolyte, j’me fiche de savoir si on a vraiment été les meilleurs de l’équipe, dans ma tête, il ne peut pas en être autrement. J’ai une chaleur agréable qui m’étreint le coeur, ce p’tit bonheur mêlé de soulagement quand on retrouve enfin quelque chose qu’on a égaré depuis longtemps. On s’est tapé dans les mains comme on l’a déjà fait des centaines de fois, et ce geste, il me reconnecte avec notre relation passée. J’revois un peu tout c’qu’on a vécu, nos bonheur simple, nos rires, nos délires à la con et j’ressens une espèce de vide quand j’imagine tous ces moments qu’on ne vivra jamais à cause de mes conneries. C’est là qu’il convient de dire qu’on a du temps à rattraper ?

Beck, il n’a rien d’autre de prévu dans sa journée alors il accepte mon invitation à aller se trouver un coin tranquille pour discuter, comme avant quoi. J’étais pas mal stressée quand j’ai reconnu le jeune homme tout à l’heure, j’voulais juste disparaître, éviter la discussion, à tout prix, histoire de ne pas avoir à envisager ce moment où il faudrait que j’pose des mots sur les idioties qui m’ont agité le cerveau. Maintenant, j’ai envie que les choses soient dites, qu’on efface cette période bizarre qui nous a vu nous éloigner, qu’on r’commence nos conneries et qu’on s’marre comme jamais. J’le remercie pour le soda, c’est cool de sa part de payer ma canette, j’apprécie vraiment l’geste. J’adresse un signe de la main au gérant de la salle d’arcade avant qu’on sorte pour aller se trouver un banc. J’m’assois en tailleur puis j’ouvre ma cannette qui s’met à mousser un peu, j’me dépêche de la porter à mes lèvre et, une fois la catastrophe évitée, j’écoute le jeune homme avec attention. J’fais une moue désolée quand il me dit qu’il pensait avoir fait quelque chose de mal. “Non, non Beck, t’as rien fait d’mal !” J’le rassure immédiatement en faisant faisant un signe de négation de la main. J’finis par soupirer en tournant la tête, j’sais pas trop comment attaquer le morceau mais j’sens que ça a besoin de sortir. J’reste quelques secondes silencieuse, le regard porté vers un p’tit chat qui se balade au calme. Je bois une gorgée et j’commence à lui déballer l’histoire. “ Tu m’connais, tu sais que j’sais pas trop gérer mes sentiments…j’suis même une catastrophe émotionnellement parlant.” Mes yeux bleus s’arrachent à leur vague contemplation pour venir fixer la cannette que j’tiens, à deux mains, posée devant mes jambes croisées. J’parle pas de ces choses là avec n’importe qui, il le sait, c’est une sacrée preuve de confiance que j’lui donne. “ Sauf que mes sentiments…ils ont commencé à faire de la merde à un moment.” J’resserre mes doigts, finalement, la revoilà l’anxiété, bien à son poste. “ ‘fin…ouai, j’savais plus où j’en étais. Tu vois ? J’ai cru que j’ressentais…certaines…choses...pour toi.” Les mots, ils ont eu du mal à franchir mes lèvres, ça me demande des efforts considérable et dans l’fond, j’ai cette peur qui existe, celle que ça dresse une espèce de mur entre nous. J’veux pas y croire, notre amitié, elle est trop solide pour ça mais…la peur ça s’contrôle pas des masses. “...Et j’sais que j’aurais dû t’en parler, genre dès le début, mais c’était au-dessus d’mes forces, j’crois que j’avais vraiment la trouille…” Je soupire en me pinçant l’arrête du nez entre le pouce et l’index. “ Du coup j’ai adopté l’plan le plus con de l’univers, j’t’ai plus parlé…j’me suis dis que ça durerait le temps que j’fasse un point avec ma tête mais après…après j’ai eu un peu peur de la discussion qu’on est en train d’avoir là…” Ca va lui faire bizarre de m’entendre avouer que j’ai peur de quelque chose, moi qui affiche une personnalité de vraie tête brûlée. Ouai, faire exploser des fusées, rouler à fond sur mon vélo usé, grimper dans les rochers, collectionner les expériences désastreuses, ça m’effraie pas. Non. C’qui me fait vraiment trembler, c’est d’regarder d’un peu trop près c’qui passe en d’dans de moi.