midnight rain (vemo)

J’avoue que j’ai un peu hésité avant de m’installer dans le salon pour regarder la télé. Ça fait un moment que j’y passe plus trop de temps, comme dans toutes les autres pièces communes de l’appart’. Depuis notre engueulade on se parle plus avec Elmo, on s’évite et franchement j’ai pas envie de revenir gentiment vers lui, je sais que je m’énerverai à nouveau de toute façon. Et puis bon, ça a pas l’air de franchement le perturber, enfin j’en sais rien. On se croise un peu en soirées, parce qu’on se retrouve parfois aux mêmes mais on se dit rien. Je squatte des fois ailleurs pour éviter de rentrer à l’appart’, parce que l’ambiance me pèse trop des fois et que quand ça va pas, j’ai pas envie de me sentir encore plus mal. Mais bon là, pour une fois, je me suis dit que j’allais pas regarder ma série sur mon petit écran d’ordi. Avant que la nouvelle saison de Black Mirror ne commence, j’ai eu envie de revoir quelques épisodes, histoire de me remettre un peu dans l’ambiance, à savoir une ambiance plutôt déprimante et pessimiste, exactement ce dont j’ai besoin en ce moment...On avait l’habitude de regarder la série ensemble avec Elmo, à parler pas mal ensuite et tout, de si ce genre de trucs pouvait finir par arriver. En général j’étais pas très optimiste parce que la majorité des trucs qui se passent dans la série, je les vois bien arriver dans le futur, malheureusement. Après ce genre de série j’ai besoin d’un truc plus joyeux et moins prise de tête histoire de pas totalement déprimer. Je lance donc l’épisode, assise dans le canapé. Je passe mon temps à tripoter la bague qu’on s’est échangé pendant notre faux mariage. Même si au final je n’ai pas dit oui, on a tous les deux consentis, officieusement, à rester meilleurs amis pour toujours. Quelques mois plus tard la promesse semble bien loin. J’ai pas pu me résoudre à la retirer et je me sens un peu comme une femme séparé de son mari qui hésite à signer les papiers du divorce, c’est très bizarre.

Si, au départ, il était vrai qu’Elmo évitait intentionnellement et précisément Vega, ce n’était pas que ça maintenant. Certes, il ressentait encore le malaise par rapport à sa colocataire et savait que leur première conversation après leur dispute serait assez difficile. Alors plutôt que d’affronter tout ça il avait préféré, pendant des mois, ne pas lui parler. Cependant maintenant, si Elmo passait le plus clair de son temps enfermé dans sa chambre, c’était surtout parce qu’il était en peine d’amour. Cela ferait bientôt deux semaines qu’il avait déclaré son amour à Alexis et qu’elle lui avait fait comprendre que ce n’était pas réciproque, pire encore qu’il y avait quelqu’un d’autre. Elmo, pendant une soirée, avait appris toute en surprise que ce quelqu’un d’autre était Kay, l’un de ses amis. Ça ne finissait plus ! À travers les derniers jours Elmo avait réalisé que sa meilleure amie lui manquait cruellement. Il se sentait seul alors qu’il n’avait jamais eu à se sentir si seul, avant, puisqu’il avait toujours eu Vega, depuis qu’il était en Australie. Il réalisait qu’il l’avait prise pour acquise, qu’il s’était dit que leur amitié ne pourrait jamais s’éteindre alors il s’était permis bien plus que ce qu’il aurait dû. Et il l’avait perdue. À bien y penser, cette constatation était encore plus triste que le fait qu’Alexis ne l’aime pas. Il avait bien plus de bagages avec Vega. Bagages qu’il avait l’impression d’avoir perdu dans un vol entre sa connerie et son immaturité.

Elmo avait paralysé ces pensées en passant la journée à jouer à Diablo IV. Mais même en gamant pendant des heures il fallait qu’il boive et qu’il mange. Il se rendit donc à la cuisine pour se préparer un truc rapide quand il remarqua la télévision ouverte, et Vega sur le canapé. Il ne l’avait pas vue traîner dans une pièce commune depuis leur dispute. Un peu comme lui. Il regarda distraitement l’écran avant de reconnaître ce qu’elle regardait. « Oh … Tu continues Black Mirror ? » Sans moi ? Avait-il failli ajouter. Mais ça n’avait plus sa place. Cependant Elmo reconnaissait l’épisode en question. C’était un épisode à propos d’une version robot d’une pop star. C’était le dernier épisode de la saison cinq.

J’essayais de ne pas trop prêter attention quand Elmo est sorti de sa chambre. Je crois qu’il y est resté pas mal aujourd’hui, mais je n’ai pas trop fait gaffe non plus, juste avant maintenant je ne l’avais pas encore croisé. Je me suis dit qu’on s’ignorerait simplement, comme toujours depuis beaucoup trop longtemps maintenant mais quand je vois son regard s’arrêter sur l’écran un instant, je me dis qu’il va me sortir quelque chose. En général quand on lance un épisode de Black Mirror c’est tous les deux. Mais là c’est même pas un nouveau. Après en vrai, est-ce que j’aurais regardé la nouvelle saison sans lui ? J’en sais rien, peut-être, parce que je sais pas si on sera à nouveau amis un jour. « Oui...je voulais regarder quelques épisodes avant la nouvelle saison. » Je lui réponds sans trop le regarder. Ça doit déjà être le plus échange qu’on a eu en plusieurs mois. On s’est même pas souhaité un joyeux anniversaire, rien. Les choses sont vraiment bizarres mais pour autant je ne sais pas si j’ai envie de faire l’effort qu’on se réconcilie s’il reste ce gars à la mentalité de gamin qui se rend pas compte de tous les privilèges qu’il a et de toutes les merdes qu’il peut faire ou dire, sous prétexte que c’est drôle ou je sais pas quoi. Faut que j’arrête de penser à ça sinon je vais encore m’énerver et j’étais pas vraiment partie pour ça en lançant mon épisode. « Tu peux le regarder si tu veux. » J’ajoute, parce que même si on s’évite, je peux supporter qu’on soit chacun à un bout du canapé à regarder un épisode, enfin j’imagine.

La réponse d’Elmo lui fit comprendre qu’elle aurait probablement lancé la nouvelle saison sans lui, après ça. Elle s’y préparait. Et comme il n’y avait aucun signe, dans les derniers jours, qu’ils allaient tenter de se rabibocher, alors il était bien clair qu’elle prévoyait continuer leur petite tradition … cette fois en solo. En même temps dans les derniers mois, il y avait pas mal de leurs petites habitudes à deux qui avaient pris le bord. Plus de soirée cinéma, plus de soirées d’anniversaire rien qu’à deux au beau milieu de la semaine, plus de samedi matin pancakes. Rien. « J’avais oublié qu’elle était sortie récemment. Tu me le rappelles. » Lâcha-t-il tout simplement. Il était bien trop occupé par ses petites histoires et par ses jeux vidéo band-aid. S’il avait choisi de passer du temps sur Netflix plutôt que de jouer, pour se changer les idées, peut-être aurait-il décidé lui aussi de poursuivre cette série sans Vega. Ça lui aurait fait quelque chose, cependant. Vega le sortit de ses pensées en lui proposant de le regarder s’il voulait. Elle n’avait pas dit le regarder avec moi, notons-le. Ils n’avaient qu’à s’asseoir chacun à leur bout du canapé et ne pas se parler, ça ne ferait pas bien différent des derniers mois finalement. Elmo n’avait pas trop envie de ça, par contre. Il voulait le regarder avec elle, comme avant. « Ok. J’allais me préparer quelque chose à manger, un sandwich ou d’quoi. Je te prépare quelque chose aussi si tu veux. » C’était bien la première fois qu’Elmo cuisinerait quelque chose pour Vega. Enfin, cuisiner … ce n’est pas trop le verbe à utiliser pour faire une sandwich ou d’quoi. L’intention était là, cela dit. En attendant sa réponse il alla ouvrir le réfrigérateur pour voir ce qu’il avait de son côté, c’est-à-dire pas grand-chose puisqu’il n’avait plus beaucoup d’argent pour faire les courses ou même payer le loyer. Il faudrait qu’il se trouve un job et vite.

Ce sentiment un peu bizarre face à Elmo me rappelle ce moment où on a plus ou moins arrêté de se parler à l’époque où je sortais avec Nikolaj. C’était un peu le même genre d’ambiance que là sauf que les raisons n’avaient rien à voir. Aussitôt que ma relation avec cet ex des enfers s’est terminée, j’ai retrouvé mon meilleur ami qui a dû me ramasser à la petite cuillère après cette rupture que la fille de dix-huit ans que j’étais n’était pas préparée à avoir. Mais la raison de notre dispute était extérieure à notre relation alors que là, ça vient directement de nous, de nos rapports l’un à l’autre et de ma saturation face à l’inaction constante d’Elmo et sa capacité à toujours penser que les choses s’arrangeront toutes seules alors qu’à chaque fois c’est quelqu’un qui vient les résoudre pour lui. Pendant quelques années ça a été moi, mais là j’en ai marre, j’ai plus envie de toujours l’aider parce qu’il est incapable de faire les choses par lui-même. Le fait qu’il me réponde que je lui rappelle la sortie de la nouvelle saison parce qu’il avait oublié est symptomatique de notre relation où je lui sers, enfin servais, de rappel permanent pour un peu tout. C’est pas comme si la fonction n’existait pas sur téléphone ! Il accepte ma proposition de regarder l’épisode ensemble, enfin dans la même pièce mais me dit qu’il allait se préparer un truc, il me propose au passage de me préparer quelque chose si je veux. Je fronce légèrement les sourcils, ça c’est nouveau. Est-ce qu’il essaierait de se faire pardonner en me proposant de me faire un sandwich ? Est-ce qu’il pense que ça sera suffisant ? Ou bien, on peut avoir de l’espoir, il évolue un peu et devient un peu plus adulte, ou je sais pas comment dire, juste pas un con qui pense qu’à lui quoi. « Euh oui...je veux bien, mais avec pas trop de sauce s’il te plaît. » Je lui dis, me demandant ce qu’il va me ramener parce qu’à moins qu’il ait pris des cours accélérés de cuisine, ça n’a jamais été son fort. Enfin il n’a jamais fait l’effort d’apprendre à cuisiner des trucs basiques. « T’essaies d’être sympa ? » Je lui demande sans détours.

Elmo la sentit bien, la surprise. La surprise qu’il pense enfin à elle à travers une action qu’il faisait pour lui. Elle accepta, ajoutant sa petite demande au passage. Pas trop de sauce, ça va, il était capable de faire ça. « Ok. » Il se rendit donc à la cuisine où il constata ne pas avoir grand-chose sur sa tablette, mais quand même, il y avait ce qu’il faudrait pour leur faire des sandwichs. Il conservait heureusement son pain tranché au congélateur (sinon il l’oubliait tout le temps jusqu’à moisissure). Il en mit donc quatre tranches au grille-pain pendant qu’il sortait la sauce, le fromage et les tranches de jambon. Il regarda le paquet : la date d’expiration était passé depuis trois jours. Il ouvrit l’emballage et sentit, avant d’avoir bien vérifié que Vega ne le regardait pas faire. C’était limite mais ça sentait encore le jambon, c’était bon signe. Il trancha quelques morceaux de fromage, et vola deux feuilles de salade à Vega. C’était pour elle aussi, le sandwich, après tout … non ? Dans deux petites assiettes il commença le montage du sandwich une fois les rôties prêtes. Vega lui demanda s’il essayait d’être sympa. Cool, cool cool cool. « J’essaie d’être mieux, en tout cas. C’est ce que tu voulais, non ? » Qu’il devienne une version 2.0 de lui-même. Qu’il cesse d’être le gars irresponsable et immature qu’il était. Il essayait, aujourd’hui, et pour lui c’était un très grand pas. Il revint avec les deux assiettes dans les mains. « Euh, le tien, c’est … » Il avait oublié, il y en avait un extra sauce et l’autre avec pas trop, comme elle avait demandé. Il leva les deux assiettes en l’air et analysa le contenu. « Celui-là. » Et il lui tendit la bonne assiette, cette fois, avant de s’asseoir de l’autre côté du canapé.

Je mets l’épisode en pause quand il part dans la cuisine, j’essaie d’être un peu sympa, même si vu que l’épisode a déjà commencé que j’avance un peu plus ou pas, ça change pas grand-chose, c’est le geste qui compte on va dire. En attendant je traîne un peu sur mon téléphone, sur Insta puis lui demande s’il essaie d’être sympa, de se faire pardonner aussi mais ça je lui dis pas. Il me répond qu’il essaie de s’améliorer, comme ce que je lui avais plus ou moins demandé la dernière fois où on s’est vraiment parlé, ou plutôt engueulés. Mais j’avoue que le fait qu’il dise que c’est ce que je voulais, je le prends pas forcément hyper bien. J’ai l’impression que ça fait un peu : bon tu vois je fais un effort comme tu m’as demandé, maintenant tu vas me lâcher et je vais pouvoir redevenir un enfant qui sait rien faire seul ? Mais allez, je vais rester positive et pas déjà commencer à m’énerver. « Ouais mais j’espère que tu comprends pourquoi j’t’ai dit ça. » Parce que sinon il n’y a aucun intérêt. Lorsqu’il revient, il inspecte les sandwichs pour savoir lequel est pour moi. « Merci. » je lui dis en prenant celui qui semble être le mien, à savoir un avec moins de sauce normalement. Son sandwich ressemble à quelque chose c’est déjà pas si mal et il a même mis de la salade, la partie optimiste de moi se dit que c’est parce qu’il sait que je préfère quand il y a un peu de légumes dans un plat et la pessimiste que c’est parce qu’il se dit qu’une femme ça doit faire attention à sa ligne. Je laisse transparaître la partie optimiste pour l’instant. « Pour l’instant je préfère la nouvelle version de toi mais j’espère qu’elle se limite pas à un sandwich. »

Ce qui l’avait agacé, lui, c’était qu’elle lui demande s’il faisait ça pour essayer d’être sympa. Était-ce nécessaire de poser la question s’il faisait visiblement un effort ? Il avait eu l’impression qu’elle avait juste voulu semer un peu de bisbille dans un moment qui aurait pu être normal, agréable à la limite. Alors ouais, Elmo avait fait le bébé et avait été passif-agressif en lui faisant remarquer que c’était ce qu’elle avait demandé de lui. Entre les deux, la situation ne pourrait être réglée en un claquement de doigts, c’était bien clair maintenant. Il leur faudrait du temps, de l’ouverture, de la compréhension … si tout ça parvenait à se réunir alors peut-être qu’ils se retrouvaient. Pas comme avant. Mais peut-être mieux. « Oui, je comprends. » Dit-il seulement. Cela dit il ne mentait pas, Elmo. Il avait pas mal réfléchi ces derniers mois, en revisitant ses habitudes, en se faisant parfois des réflexions lorsqu’il s’entendait parler avec Beckham, en gérant lui-même ses affaires puisqu’il n’aurait certainement pas osé demander de l’aide à Vega alors qu’ils étaient en froid, justement pour cette raison (en partie). L’Italien revint avec les deux assiettes, hésita sur le sandwich à lui donner, mais trouva finalement le bon après inspection. Il s’assit sur le canapé, à l’autre bout. « Je tiens quand même à souligner que je ne me laisse plus traîner partout, non plus. » À la place il se laissait traîner dans sa chambre. L’avantage d’être en froid avec Vega c’est qu’elle n’y allait plus, alors elle ne pouvait pas se rendre compte du bordel. Ailleurs dans l’appartement, tout était rangé, puisqu’il ne faisait qu’y passer sans s’y arrêter. Il faudrait juste que ça se maintienne, ça, s’ils se réconciliaient et qu’ils recommençaient à traîner dans les aires communes. Il faudrait aussi qu’il range sa chambre un peu. « Mais tu sais, j’ai pas mal réfléchi, et je suis d’accord que j’ai pas été correct avec toi. Je m’excuse d’avoir pris pour acquis tout ce que tu faisais pour moi, en faisant pas grand-chose de mon côté, et en t’remerciant jamais vraiment non plus. » Il essayait de changer ça. Enfin … faudrait pas qu’elle apprenne qu’il n’avait plus de job, là, et qu’il aurait sans doute du mal à payer sa part du loyer de juillet, si ça continuait comme ça.

Est-ce que j'ai envie qu'on se réconcilie avec Elmo ? J'en sais rien, en tout cas j'ai pas envie que les choses redeviennent comme avant c'est sûr. Ça me manque nos discussions c'est sûr, mais devoir gérer les choses à sa place et le voir être un mec pas correct une partie du temps, ça me manque pas du tout. J'ai besoin de m'entourer de personnes qui me font avancer, avec qui je me sens bien et qui ne me filent pas toute leur charge mentale. Clairement Elmo ne faisait pas partie du lot. Mais là visiblement il a l'air de s'améliorer mais j'espère que c'est pas juste de la poudre aux yeux pour se faire pardonner. Il m'assure qu'il comprend ce que je lui ai dit la dernière fois. Après m'avoir donné mon sandwich, il souligne qu'il ne laisse plus traîner ses affaires partout. « Ouais, j'ai vu. » Je lui réponds simplement. C'est la réponse la plus sympa que je puisse lui faire actuellement. Je vais quand même pas le féliciter parce qu'il laisse plus traîner ses caleçons sales, il a pas cinq ans. C'est ça le problème aussi, c'est qu'on a tendance à féliciter les hommes dès qu'ils font un truc normal : tu prends soin de ton enfant ? Félicitations tu es un bon père. Tu fais la vaisselle, la cuisine, le ménage ? Félicitations tu es un bon conjoint. Alors qu'on va jamais aller dire à une femme qui fait le ménage qu'elle est une bonne copine, non on trouve juste ça normal. Mais bon je vais pas sortir à Elmo toutes ces réflexions féministes pour l'instant, je suis pas sûre qu'il soit trop réceptif. Il ajoute ensuite qu'il est désolé, qu'il est d'accord avec ce que j'ai pu lui dire. Je suis contente qu'il en prenne conscience même s'il y a encore du travail. « Merci. Je sais que maintenant je referai plus tout ça. Fin je veux bien t'aider mais je te laisserai te débrouiller, parce que c'est pas à moi de tout faire pour toi. » Je lui explique calmement avant de manger un morceau de mon sandwich. « Les hommes ont trop souvent tendance à laisser les femmes gérer en se trouvant des excuses, c'est pas juste toi, c'est beaucoup plus grand que ça. J'ai des bouquins qui parlent de tout ça si tu veux. » Je sais qu'Elmo et les bouquins c'est pas une grande histoire d'amour mais sait-on jamais.

Elmo hocha silencieusement la tête quand Vega lâcha avoir vu, tout simplement. Avoir vu qu’il ne se laissait plus traîner partout dans le logement - juste dans sa chambre. Au moins ça ne l’embêtait plus que lui. Enfin, pas que ça l’embête tant que ça non plus. Il ramassait quand ça devenait trop chaotique même pour lui de s’y retrouver, mais sinon, en autant qu’il sache quels caleçons étaient sales et quels étaient propres, c’était ok. Il ne s’attendait pas à une pluie de confettis pour avoir réussi à contenir ça à sa propre pièce, mais il aurait pensé que Vega répondrait autre chose que juste ça, c’est vrai. Il passa à autre chose, lui affirmant avoir réfléchi pas mal à leur dernière vraie conversation, depuis celle-ci. « Non, c’est vrai c’est pas à toi d’le faire. Et pis, y’a sûrement des gens qui sont là pour aider, aux endroits qui demandent à remplir plein de documents et tout ça. J’aurai qu’à leur envoyer un mail avec toutes mes questions, au moins à ces gens-là, c’est leur job. » Dit-il avec une mince esquisse de sourire. Et si l’option du mail n’était pas possible, il … téléphonerait … songea-t-il avec une légère grimace pour lui-même. Il reporta son attention sur Vega alors qu’elle lui parlait du problème plus grand que ça, plus grand que juste lui. « Tes bouquins ils existent en version bd ou bien en livres audio ? J’veux bien faire un effort et essayer d’changer pour certaines choses, mais, lire … » Ça, il pensait pouvoir continuer à avoir cette attitude vis-à-vis de la lecture. Il n’aimait pas ça, on n’allait quand même pas le forcer, si ?

J’ai envie qu’il comprenne ce qui m’a fait m’énerver la dernière fois et que si je me rends compte qu’il me manque et que j’aime pas qu’on se parle plus, j’ai pas envie que les choses redeviennent comme avant. J’ai pas envie de devoir gérer ses problèmes comme si c’était les miens parce qu’il a trop la flemme pour le faire, j’ai pas envie de cautionner les comportements qu’il peut avoir en disant rien. En gros j’ai plus envie de le protéger de mes opinions parce qu’il est mon meilleur ami. J’ai l’impression qu’il comprend ça et qu’il veut faire des efforts, il en a déjà fait. Je lui demande pas de changer tout ce qu’il est, je l’aime bien comme la tête de con qu’il peut être parfois, mais je pourrais pas continuer à être ami avec lui s’il change pas un minimum certains comportements. En tout cas il comprend que je veuille pas jouer les assistantes administratives pour lui. « Ouais, tu serais pas le premier mec paumé à leur poser des questions je pense. » Même si les mecs paumés doivent surtout compter sur leur femme, copine, mère pour ces trucs là, comme la plupart des hommes, comme ceux qui connaissant pas les allergies de leurs enfants ou leurs traitements. Et il y a pire ! Il y a ceux qui ne connaissent même pas les traitements qu’ils prennent eux et qui pourraient les tuer s’ils ne le prennent pas, si si ça existe. Histoire de continuer sur ma lancée, j’explique à Elmo que c’est tout un système qui est problématique pas juste lui et qu’il y a plein de bouquins sur le sujet. « Comment ça tu veux pas lire des essais de sociologie ? J’comprends pas…. » Je réponds en souriant avant de répondre à sa question. « Il existe plein de ressources en bd, en compte insta, en vidéo, bref, tout ce que tu veux ! J’te ferai une petite liste avec des trucs abordables t’en fais pas. Tu vas découvrir la charge mentale, le patriarcat, la culture du viol, bref que des trucs merveilleux. »

L’italien se contenta d’esquisser un petit sourire avec un rire contenu quand Vega affirma qu’il ne serait pas le premier mec paumé à leur poser des questions. En même temps, s’ils pouvaient créer des formulaires un petit peu moins compliqués, ce serait bien, aussi. Elmo se perdait rapidement dans toutes les questions et comme il ne connaissait pas toutes ses informations personnelles par coeur, souvent, il se ramassait à devoir fouiller un peu partout. L’idée de téléphoner à sa mère pour qu’elle lui sorte certaines de ses informations lui traversa l’esprit, mais peut-être que c’était mal retenir la leçon de Vega, ça. À force d’entendre un peu plus parler de ce problème systémique, il allait peut-être finir par vraiment tout enregistrer. Elmo s’autorisa cette fois à rire un peu plus face au sourire et au sarcasme de sa meilleure amie. « Quoi que si ça peut m’aider à mieux dormir ... » C’est vrai que ces temps-ci il ne dormait pas trop bien, les événements avec Alexis tournant tout le temps dans sa tête. Une petite lecture lourde comme celle-là, ce serait mieux qu’une prescription de somnifères. Il préférait largement l’idée de regarder des vidéos, s’il fallait qu’il s’éduque un peu. « Ok, merci. J’regarderai tout ça. J’espère quand même que ça changera pas trop mes algorithmes, j’veux quand même continuer à voir des gens s’péter la gueule sur TikTok. » Il sourit, laissa place au silence qui s’installa un peu plus tard, triturant ses doigts avant de se lancer pieds joints dans l’honnêteté. « On est sur une bonne remontée alors c’est peut-être pas le moment d’t’annoncer ça, mais … Bon, j’veux pas te mentir non plus. J’ai perdu mon job au café, mais j’te promets de me mettre là-dessus rapidement pour que ça n’ait pas d’impact pour l’appart’. » Comme il n’avait entamé aucune démarche à l’heure actuelle, pour tenir sa promesse, il allait devoir s’y mettre dès le lendemain.

J’ai aucun doute sur le fait qu’un bon gros essai assez poussé puisse endormir Elmo en un temps record. Même si j’aime bien lire des essais sur des sujets précis, parfois j’ai juste l’impression que le vocabulaire employé est fait exprès pour que les choses soient plus compliquées à comprendre. Il y a des autrices qui arrivent très bien à faire passer leur propos, aussi pointu soit-il, sans employer des mots techniques à chaque phrase. J’ai un peu de mal avec cette forme d’élitisme, pourtant je l’ai bien connu. J’ai grandit dans une famille privilégiée, été dans des écoles privées qui coûtent une fortune et ait été éduquée pour comprendre tout ce langage. Avec le temps, en arrivant à Bowen notamment, je me suis rendue compte qu’on ne part pas tous avec les mêmes bases, avec les mêmes chances et qu’employer un certain vocabulaire revient à priver toute une partie de la population d’informations. Mais bon pour l’instant avec Elmo on va se concentrer sur les contenus simples et pédagogiques, qui ciblent essentiellement le féminisme parce que si je commence directement à lui parler de toutes les autres luttes et d’intersectionnalité je risque de complètement le perdre. « Oui t’auras peut-être juste un algorithme un peu plus bizarre mais regarder des contenus féministes ne te condamne pas à ne plus avoir de fun. » C’est une idée très répandue, les féministes ne sont que des femmes frustrées qui n’ont aucun fun dans la vie et qui veulent seulement emmerder tout le monde. Alors que franchement heureusement qu’on arrive à rire, à être drôle, sinon la vie serait encore plus déprimante vu toutes les nouvelles pourries qu’on se prend dans la tête. Quand Elmo enchaîne ensuite, je ne sais pas vers quoi il va mais j’ai l’impression que c’est pas un truc qui va me faire plaisir, je m’attends à tout. « Comment t’as fait ? » Je lui demande un peu blasée ayant déjà au moins cinq raisons en tête de pourquoi il se serait fait virer. « T’as intérêt, j’paierai pas ta part, j’galère déjà assez à payer la mienne en ce moment. » J’ai qu’un boulot à mi-temps et tout le reste du temps je le passe à mettre en place le café que je vais ouvrir et qui ne me rapporte absolument rien pour l’instant, il me coûte juste de l’argent. S’il veut négocier avec quelqu’un faudra qu’il aille voir Jules.

Dans le cas d’Elmo ce n’était pas question de privilèges mais bien plus de paresse intellectuelle, malheureusement. S’il avait voulu, il aurait pu avoir accès aux mêmes informations et à la même compréhension de mots et de concepts que Vega. Il n’en avait juste pas eu l’envie. Il savait que bien des gens auraient tout risqué pour avoir l’opportunité d’aller à l’université comme lui en avait eu la chance, chance qu’il avait jetée aux poubelles dès que c’était devenu trop difficile. Il avait aussi la persévérance à travailler, parmi tous ses autres projets de développement personnel. « P’t’être que je vais briser l’algorithme, à force de lui demander différents contenus qui ne vont pas du tout ensemble. » Il esquissa un sourire. Il n’avait pas voulu relever le fait que pour lui, il était CERTAIN que des contenus féministes ne rimaient pas avec plaisir. Il voyait mal comment il pourrait avoir du fun à apprendre ce genre de choses. Développer de l’intérêt, être conscientisé, ok, mais en retirer une forme de divertissement ? Pas autant que les Tik Toks qu’il regardait actuellement, for sure. Il pourrait être surpris, qui sait ! En tout cas Vega elle, ne sembla pas être trop surprise qu’il ait perdu son job. Elle devait même se demander comment il avait fait pour le garder aussi longtemps. Il soupira. « J’ai callé malade pour aller au zoo avec Alexis et la boss l’a appris par Maxine. » Il omit volontairement de dire que Maxine n’avait pas fait exprès. Lui faire porter le mauvais rôle ça lui allait très bien. Il ne parla pas non plus du fait que cette visite au zoo, il la regrettait amèrement, parce qu’en plus d’en ressortir sans emploi, il en était ressorti avec un coeur brisé. « Non, non, j’m’attendais pas à ce que tu paies la mienne. J’vais me débrouiller. Comment ça tu galères, toi ? » Ni l’un ni l’autre ne roulait sur l’or et ce, depuis le début de leur colocation, mais généralement Vega joignait correctement les deux bouts.

Même si je peux donner l’impression d’être vraiment une personne no fun, ce n’est pas le cas. C’est surtout que les gens qui me trouvent pas drôles sont les mêmes qui viennent faire des blagues sexistes, racistes ou homophobes et qui rajoutent : oh ça va c’est pour rire. Autant dire des gens que je porte pas dans mon cœur et à qui je n’ai pas envie de montrer mon côté fun qui aime s’amuser et oublier un instant le monde dans lequel on vit. « Si ça peut te rassurer dans mon algo y’a pas que des trucs militants donc ça fonctionne. » Je lui dis alors, lui qui a sans doute peur de déprimer à chaque ouverture d’appli. Bon en vrai c’est quand même un peu déprimant mais c’est ça quand on ouvre les yeux sur tous les problèmes du monde. Du coup après faut réussir à voir aussi des choses positives, prendre du temps pour souffler et se vider la tête, le burn-out militant c’est un vrai truc mais bon Elmo en restera bien loin je pense, même s’il pourrait capter quelques trucs je l’imagine mal venir gueuler en manif avec moi, mais je pourrais être étonnée, sait-on jamais. Alors que je pensais qu’on était à nouveau ok, il me balance qu’il a été viré. Je fais l’effort de rester un peu sympa, de toute façon je ne suis pas si étonnée que ça. Elmo, même si je l’adore sur certains aspects, jamais je le ferais bosser au café avec moi. Quand il me dit qu’il a dit qu’il était malade pour aller au zoo avec Alexis et que Maxine l’a balancé, je sais pas comment réagir. Genre c’est quoi cette histoire ? « Mais d’où tu fais genre t’es malade pour aller au zoo ? Genre c’était urgent ? Un koala avait besoin de toi ou quoi ? » je lui demande sans évoquer la partie Maxine. Je la connais bien et s’ils ne s’aiment pas trop tous les deux, je la vois mal aller le faire virer, je creuserais ça plus tard. Je lui précise quand même qu’il va devoir se débrouiller pour le loyer parce que je galère déjà suffisamment toute seule. « Bah tu sais j’ai qu’un boulot à mi-temps et avec la café j’ai un prêt sur les bras, c’est plus galère qu’avant en ce moment. » Je savais que le temps que le projet se mette en place et ouvre ça serait galère, donc je sors moins, je fais plus gaffe à mon argent pour pas finir dans le rouge à la fin du mois.