we'll cross that bridge when we get there (perry)

Il fallait que je fasse ça dans un lieu neutre. Si je faisais ça au #17, on allait partir dans un délire down memory lane, en trouvant une signification à chaque objet qu’on trouvait dans le logement. En y associant un beau moment, un drôle de moment, whatever. Je ne voulais pas ça. Parce que trop de choses trop d’événements me rattachaient au #17, et que si je me les rappelais un à la suite de l’autre, je changerais d’idée, je me dégonflerais. J’avais donc invité Perry aux arcades, je m’étais dit qu’en train de jouer à Donkey Kong on risquait peut-être de pleurer un peu moins. Il n’avait pas posé de questions, mon coloc’, il s’était sûrement dit que j’avais besoin de me sentir vainqueur et qu’on allait donc jouer à Dance Dance Revolution tout l’après-midi. J’échangeai quelques billets de dollars australiens pour des pièces de jeux d’arcades, et je me tournai vers Perry. « On s’affronte à Cruisin’ World d’abord ? » Demandais-je avec un sourire qui ne laissait pas trop présager que ce que je devais faire dans ce lieu neutre, dans ce lieu fun, c’était de briser huit années de colocation avec Perry, avec Tahlia, avec Freja. Ma conversation avec cette dernière m’avait un peu secoué, parce que si même elle jugeait que Pippa avait raison et qu’il fallait que je me bouge, ça devait être mon moment. Je savais que Perry ne réagirait pas forcément de la même manière, et je ne savais pas encore si je devais prendre mon temps pour le lui annoncer, ou juste rip off the band-aid.

Avec leurs vies respectives plutôt bien remplies, leurs enfants, leurs relations amoureuses et la colocation qu’ils partagent, Concho et Perry ne passent finalement pas tant de temps que ça juste tous les deux et encore moins en dehors de leur appartement. Il faut dire que tous les colocataires adorent le 17 et y passer du temps, lorsqu’ils se font des soirées tous ensemble, ils les font chez eux. Avec les enfants c’est plus simple, c’est aussi plus confortable, plus sympa et convivial que de se retrouver dans un bar bruyant entouré de plein de monde. Ils ont créé leur petite bulle dans cet appartement qui a connu bien des changements au fil des années. « Ok ! J’suis meilleur à Mario Kart mais bon faut bien que j’te laisse un peu ta chance quand même. » répondit-il en souriant tandis qu’ils se trouvaient à la salle d’arcade pour un petit moment jeux-vidéos à l’ancienne. Même à Mario Kart Concho pourrait l’éclater. Perry est du genre très mauvais joueur mais c’est aussi un mauvais joueur. Penny le bat sur environ tous les jeux possibles, Luke sur une partie et Siobhan commence elle aussi à le laminer quand ils font quelques parties, même s’il essaie de ne pas trop la mettre devant les jeux vidéos à son âge. Devant la borne, il se met à choisir un véhicule sur le jeu. « Ça change quelque chose la voiture ou c’est juste pour le style en vrai ? » Et même si ça change quelque chose, il ne va pas se mettre à tenter une stratégie. Pour lui c’est juste un moment avec son meilleur ami, son coloc, une de ses personnes préférées sur terre avec qui il aime passer du temps, il n’est clairement pas préparé pour la suite, une défaite au jeu ne sera que le cadet de ses soucis.

Perry qui me dit qu’il faut qu’il me laisse des chances à un jeu vidéo c’est un peu comme si je lui disais qu’il fallait que je lui paye des trucs pour laisser un break à son compte en banque. Il n’avait pas besoin de ça. Et j’avais pas besoin de ses chances. « Oh t’inquiète on s’affrontera aussi à Mario Kart après, si tu veux. » J’aimais bien ce défi, et puis, peut-être que si je lui annonçais mon départ de la colocation entre les deux jeux, ça nous permettrait de nous remettre le sourire, après, d’aller courser avec Mario et Wario. On arriva à la borne de Cruisin’ World, je pris place dans l’un des bancs amovibles et j’insérai mes jetons. « Dans les nouveaux jeux ça change tes stats de vitesse, de traction, d’accélération, ces trucs-là. Après dans un vieux truc comme celui-là j’sais pas si c’était déjà intégré. » Beaucoup de personnes - comme Perry - n’y allaient qu’avec le look de la voiture mais moi j’analysais vraiment le truc. Dans Mario Kart j’avais même mon set prédéfini de voiture et de parachute. Parce que ouais même le parachute il a ses bonus stats. Pour aujourd’hui par contre, j’avais moins la tête à me la jouer gros vainqueur avec ses stratégies bien pensées. Sûrement parce que dans ma tête, il y avait quelque chose d’autre qui prenait déjà toute la place. J’avais un peu de mal à vraiment me plonger dans le jeu et dans la conversation légère avec Perry, quand je savais ce qui nous attendait. J’aurais peut-être dû crever l’abcès direct en partant, mais je repoussais. Tout comme j’avais repoussé mon départ du #17, au fond.

Mario Kart est plus à la portée de Perry aussi parce qu’il peut bouger le volant et que c’est plus simple à faire qu’en utilisant une manette. Oui il joue comme un enfant mais à la salle d’arcade il a le droit puisque la borne Mario Kart est faite avec un siège et un volant pour chaque joueur. Pour l’instant ils vont jouer à un jeu plus old school où les commandes sont rudimentaires tout comme les graphiques. Il ne s’intéresse pas aux statistiques des véhicules mais plutôt à leur visuel même si vu les graphiques du jeu, les design ne sont pas exceptionnels. « Ouais t’façon j’sais pas si je verrai la différence. » dit-il en continuant à parcourir la liste puis de faire son choix. « J’vais prendre le bus ! Quitte à être un danger public autant le faire bien. » dit-il en riant. Il n’a pas son permis dans la vraie vie et n’a jamais eu l’intention de le passer. Il se balade en skate à Bowen la plupart du temps, ou à pied et plus récemment à vélo, notamment pour aller chercher ses enfants et faire des balades avec eux. Quand il a besoin de transporter des choses ou d’aller plus loin, il prend un taxi ou loue carrément une voiture avec chauffeur. Le prix n’est pas son problème. Ils lancent la partie, Perry concentré pour faire avancer son bus qui n’arrête pas de faire des zig-zags et rentrer dans les autres véhicules. « J’aurais dû me douter que c’était pas le truc le plus facile à manier. » dit-il sans remarquer que Concho n’a pas trop le cœur à la discussion. Les sous-entendus, il ne les comprend jamais, il faut en faire des tellement gros qu’au bout d’un moment c’est même plus des sous-entendus, c’est juste des trucs dits. Et puis une part de lui est aussi complètement dans le déni que son meilleur ami puisse quitter la colocation alors il fait un peu semblant de pas voir qu’un truc cloche, comme si ça allait changer quelque chose.

Je ris en voyant Perry choisir le bus. Je secouai la tête, imaginant déjà le chaos. Avec les courbes de la piste de course, il était clair que le véhicule de mon meilleur ami allait se renverser. Un bus c’est haut, alors la force de la gravité, tout ça. Bon je n’étais pas un expert en physique donc j’aurais pas pu tout expliquer, mais ce que savais, c’était que j’avais un peu plus de chances que lui avec ma p’tite lady bug mauve. « Heureusement y’a pas de piétons dans ce jeu. » Par contre il y avait bien les petites madames en bikini à la ligne de départ, qui faisaient aller le drapeau et autres choses, aussi. « Perso’ je me doutais mais bon j’allais quand même pas te donner des munitions pour gagner. Faut que t’assumes tes choix. » Dis-je sans perdre ma concentration. Finalement, après trois tours de piste, j’arrivai premier. Je n’avais pas encore perdu la main ! Gracieuseté de mes années tout seul devant ma Nintendo 64. La petite madame en bikini apparut en grand à l’écran avec le trophée. En arrière-plan, il y avait tout d’un cou plein de madames en bikini qui dansaient autour de ma lady bug. Pippa aurait flippé de voir ça. Avec raison. « Ça a un peu mal vieilli, hein ? C’est gênant. » Dis-je avec un rire justement gêné, lâchant les commandes des mains et me tournant vers Perry. « Bon, avant que tu prennes ta revanche à Mario Kart, y’a bien un truc dont j’voudrais te parler. » Tout d’un coup l’ambiance s’alourdissait, alors que je n’avais même pas encore dit de quoi il s’agissait. Ce serait bien pire dans quelques minutes et rien que d’y penser, j’avais un nœud dans la gorge, une boule dans le ventre, le coeur serré.

Clairement s’il y avait eu des piétons, Perry aurait eu une récompense pour en avoir écrasé un maximum. Tandis que Concho arrive à faire avancer sa voiture et à bien prendre les virages, son comparse ne fait que des zig-zag avec son bus et loupe quasiment tous les virages. « C’est parce que tu sais que j’suis trop fort sinon. » dit-il en riant sachant pertinemment que s’ils avaient échangés leurs véhicules, Concho aurait aussi été devant. Au moins dans Mario Kart quand il est dernier, il y a les bonus pour l’aider. Comme le jeu est injuste pour les meilleurs, ça lui convient bien. Sans aucune surprise, son ami gagne et lui finit en queue de peloton. Seul réconfort, des femmes en bikini pixelisé pour accompagner la victoire de son coloc. « Moi j’aime bien...euh non t’as raison. » dit-il avec un grand sourire avant de rire. Il sait bien que ce genre de trucs est carrément sexiste. Lui il aurait préféré qu’il y ait des femmes en bikini et des hommes en maillot de bain, l’égalité dans ce sens là ça va. Même si il n’est pas si désespéré pour fantasmer sur des personnages de jeux vidéos des années 90. Avant qu’ils ne partent en direction de la borne Mario Kart, Concho lui annonça avoir quelque chose à lui dire. Son déni lui fit lui dire que ce n’était pas un truc très important et que ça concernait sûrement un des jeux ou un truc à la coloc sans importance genre c’est lui qui a fini ses céréales (même si pour Perry c’est un drame sans nom qu’on finisse ses céréales). « Nan en vrai j’déconnais pour les femmes en bikini, j’suis pas un vieux mec sexiste j’te jure ! » Il a bien été pas hyper sensibilisé à une époque mais il se rattrape pas mal depuis, comme avec l’écologie. Il a encore pas mal de boulot mais il s’améliore.

Ah, il pouvait bien croire ce qu’il voulait, Perry. Je savais que dans les jeux de course, généralement, je me débrouillais assez bien face à lui. Il aurait pu se rattraper sur d’autres jeux, comme les jeux de stratégie ou de logique mais non, lui comme moi, nous étions carrément nuls lorsqu’il fallait réfléchir un peu. « C’est ça, il fallait te donner un désavantage. » Mentis-je. Il le savait très bien de toute façon, notre rire en témoignant. La course se termina sur des filles en bikini, pixellisées certes mais un peu moins que le reste des graphismes, ce qui laissait en plus croire que les développeurs avaient tout misé là-dessus. Encore plus gênant, quoi. « T’es con. » Lâchais-je dans un rire quand Perry affirma aimer ça, lui. Ça faisait du bien de rire un peu, avant que les choses ne deviennent trop sérieuses. En même temps, je ne pouvais pas non plus laisser ça traîner toute la journée. Perry m’en voudrait d’avoir fait semblant pendant des heures alors que j’avais cette bombe à lui larguer. Il fallait que j’arrache le band-aid d’un coup, sans trop traîner. « Nan c’est pas les femmes en bikini et arrête d’essayer de te convaincre. » Le narguais-je quelques secondes avant de reprendre mon sérieux. Je fixai un moment l’écran qui était de retour à l’image d’accueil, dans l’attente que quelqu’un d’autre débute une course. Too bad, on monopolisait un peu l’espace. Je portai mon regard sur mon meilleur ami, cherchant mes mots. « C’est … J’ai décidé … Enfin, pas tout à fait. Mais je pense que … Avec ma situation avec Pippa, avec Alizée maintenant, c’est différent. Alors … Il se pourrait … C’est de plus en plus dans nos plans en tout cas. » Fuck, il fallait juste juste que je le dise, c’était pourtant pas si compliqué. « On parle de plus en plus d’emménager ensemble. » Déclarais-je.

C’est ce genre de trucs que Perry aime, les moments simples à rire pour rien, à jouer à des jeux vidéos, à parler de sujets futiles et éventuellement de sujets sérieux si ça ne le devient pas trop. Et les femmes en bikinis pixelisées aussi, évidemment, sa passion numéro un pour quiconque le connaît un minimum. Enfin, quiconque le connaît un minimum saura qu’il préfère plutôt voir des hommes en string plutôt que des femmes en bikini même si les deux lui plaisent bien. Et quiconque le connaît très bien sait qu’il préférera voir Concho en string, rêve malheureusement toujours pas réalisé à ce jour. Ils riaient bien tous les deux, durant la partie et même un peu après, jusqu’à ce que son meilleur ami ne prenne un ton plus sérieux. Perry blagua puisque c’est ce qu’il fait tout le temps lorsque l’ambiance devient plus sérieuse et qu’il veut l’éviter. « Tu penses que j’suis un vieux mec sexiste ? » demanda-t-il, exagérément outré. En voyant son colocataire chercher ses mots il sentit que le sujet était sérieux. Est-ce qu’il allait lui annoncer qu’après toutes ces années il avait fini par ressentir de l’amour et de l’attirance pour lui et qu’il voulait que leur bromance se transforme en romance ? Mais non, ce n’était pas ça, pas du tout ça. « Oh. » dit-il seulement, ne sachant pas trop comment réagir à l’annonce de Concho quand à son emménagement avec Pippa. Il savait que c’était une possibilité, il en avait parlé avec Tahlia et pour lui ça lui paraissait impossible que l’un d’eux ne quitte le 17 et leur colocation. « Moi ça m’va qu’elle vienne à la coloc. » Le déni, personnifié.

Je me contentai de rire à la question outrée de Perry. Ça ne méritait pas de réponse. Il savait fort bien que je ne le considérais pas sexiste. Juste … très axé sur la sexualité ? Ce qui n’était pas mauvais en soi, hein, pas du tout. Tant que ça ne mettait personne mal à l’aise. Il avait un peu ralentit d’ailleurs sur les sous-entendus à propos de lui et moi et de son fantasme qui ne se réaliserait jamais. J’appréciais. En même temps, entre l’entendre encore quelques fois le dire ou quitter la colocation, le choix était vite fait. Pourtant, j’avais pris la seconde décision. Pourquoi ? Par amour pour Pippa, pour notre famille. Pour le gros bon sens. Il était compréhensible que ma petite amie n’ait pas envie d’emménager avec une poignée d’autres adultes et d’enfants. Le #17 c’était quand même particulier. Beau. Mais particulier. À mon annonce, Perry sembla comprendre, de son côté, que Pippa était prête à déménager dans ma chambre au #17. Je grimaçai. « C’est ça le truc. Elle ne veut pas venir à la coloc’. J’peux comprendre. Freja aussi trouve que c’est normal qu’elle veuille qu’on s’lance juste nous dans notre vie de couple, avec les enfants. » Je n’en avais pas encore discuté avec Tahlia, mais j’étais persuadé qu’elle aussi, comprendrait la position de Pippa. Je savais que Perry comprendrait aussi, au fond. C’est juste que le morceau serait plus difficile à avaler. « On va sûrement commencer à regarder dès le début de l’année … Dès qu’on trouvera … je partirai du #17. » Ça faisait mal de le dire. Ça devait faire mal de l’entendre.

Les mauvaises nouvelles, Perry ne veut jamais les voir, esquivant toute forme de conversation qui pourrait y mener. Il tente de se faufiler dans les failles entre les mots de Concho, s’imaginant que Pippa va venir vivre avec eux. Pourtant avec Tahlia ils en ont parlé et il sait bien que le plus logique serait que Concho et sa petite amie vivent tous les deux ailleurs, avec leur petite famille. A un moment ils grandissent, prennent d’autres chemins, c’est la vie, les gens ne restent pas en colocation éternellement. Pourtant, pour le jeune homme, vivre autrement qu’avec eux, lui paraît inimaginable. Ils se sont déjà tous imaginé continuer à vivre ensemble une fois la retraite arrivée, étant même à un âge avancé, toujours les plus turbulents des résidents, leur amitié ne prenant jamais fin. Mais si Concho s’en va, ils resteront toujours amis, ils se verront toujours. Pour Perry ce n’est pas pareil. Ne sachant quoi dire, comment réagir, il reste figé, le regard rivé vers l’écran, la gorge nouée et les mains accrochées aux commandes de la borne d’arcade. « Non j’veux pas. » dit-il égoïstement. Il sait qu’il ne pense qu’à lui, qu’à son propre bien être à cet instant pas à celui de son meilleur ami ni de son couple. Finissant par lâcher la borne d’arcade, il se tourne vers Concho pour le prendre dans ses bras, les larmes montant à ses yeux. « J’ai pas envie que tu partes...j’pensais qu’on vivrait toujours tous ensemble...peu importe la vie, on s’rait toujours là. » Ils en ont tous été témoin, l’amour ça ne dure pas avec eux alors que leur amitié, elle est là, toujours solide malgré quelques failles et erreurs de parcours.

La réponse de Perry me prit un peu au dépourvu. Je m’attendais à ce que ça ne fasse pas trop son affaire et qu’il soit triste, oui. Je n’aurais pas autant appréhendé le moment si je ne savais pas fort bien qu’il prendrait mal la nouvelle. Mais de lâcher un “non, j’veux pas” et de bouder en s’accrochant aux commandes de la borne d’arcade ? Il ne me regardait même plus. Je le dévisageai, un peu bouche bée. Je ne savais pas trop quoi répondre à ça, c’est vrai. Je ne voulais pas enfoncer le couteau dans la plaie en lui affirmant qu’il n’avait pas trop le choix de s’y faire. C’était cruel et j’avais pas envie de faire ça à Perry. En même temps, je n’allais pas non plus lui dire que ok, comme il ne voulait pas, j’annulais tout avec Pippa. Ça ne fonctionnait pas comme ça, dans la vie, même si moi aussi j’aurais aimé avoir la possibilité de changer magiquement les choses en ma faveur. Finalement, je n’eus pas besoin de répondre quoi que ce soit, parce qu’après cette minute de silence qu’on s’était imposée, Perry se tourna vers moi et me prit dans ses bras. Belle image, ça, les deux grands gaillards qui s’donnent un câlin entre les deux bancs de voiture de course, avec les écrans allumés sur les images d’intro avec les filles en bikini. « Tu rends ça encore plus difficile pour moi, bro’, c’est pas juste. » Lâchais-je avec émotion. « J’ai pas envie de partir non plus, tu sais. Je me sens pas prêt. Mais j’pense que je le serai jamais vraiment alors … c’est con de toujours repousser. Et c’est pas correct pour Pippa. » Admis-je, autant pour me convaincre moi, que lui.

Perry sait que sa réaction est parfaitement immature et égoïste, mais c’est ce qu’il est aussi, immature et égoïste. Il peut se montrer très généreux et parfois un peu plus mature (si le référentiel est un enfant même pas ado), mais les défauts ne sont jamais très loin. Lui n’a pas envie de voir son meilleur ami quitter leur appartement, il doit l’accepter, il sait qu’il ne peut pas le retenir. Il pourrait faire jouer des clauses dans le contrat de location pour l’obliger à rester un peu plus longtemps mais il n’est clairement pas fourbe et ce serait vraiment le pire move pour conserver une amitié. Mais il se rend compte que Concho non plus n’a pas l’air d’avoir 100 % envie de partir, en même temps si ça avait été le cas, Perry aurait vraiment été vexé. Il comprend qu’il veuille avoir un endroit pour sa famille, un endroit à eux sans tout un tas d’autres enfants et d’adultes presque enfants qui traînent partout. Il pourrait bien essayer de convaincre Pippa de vivre avec eux mais s’il y réfléchit bien, ça ne serait pas sympa pour elle de se coltiner tout ce monde. Elle a signé pour Concho, le package n’inclut pas ses colocs débiles et leurs enfants parfois insupportables. « Je sais mais...bah j’veux que tu sois heureux et tout mais ça me rend pas heureux moi ça et pis toi...bah ça a pas l’air à 100 % non plus. » dit-il en desserrant ses bras pour le regarder. Ce n’est pas très sympa de sa part de s’enfoncer dans la brèche laissée par son ami mais il se dit qu’il y a peut-être quelques chances pour qu’il ne parte pas si Perry joue les bonnes cartes pour le convaincre de rester, même si sa décision semble prise.

Il voyait juste, Perry. Ça ne me rendait pas à 100% heureux, moi non plus. C’était con, pourtant. Je rêvais de ça depuis que j’étais adolescent, de ma petite vie de famille, en couple, avec une maison, la femme et les enfants, le mariage pourquoi pas, ce n’était pas quelque chose que j’avais rayé de ma vie, au contraire. J’attendais juste la bonne personne, la bonne relation, le bon moment. Il me semblait que c’était Pippa. On filait le parfait bonheur, c’était plein de douceur, notre belle Alizée ne nous apportait que de la joie, aussi. J’étais amoureux, j’étais comblé, alors où était le problème ? Je n’allais quand même pas rester dans cette colocation éternellement. Je n’allais pas me marier, un jour, avec Pippa, tout en étant le grand gamin qui n’arrive pas à admettre qu’il serait temps d’être propriétaire de ma propre vie plutôt que de continuer à louer une chambre et de dépendre de mes meilleurs amis. Même la série Friends a eu une fin se soldant par un déménagement. Il faudrait que pour nous, aussi, ça se fasse un jour. Je voulais juste pas que Perry, il soit comme Joey, à la fin. J’aurais voulu être là jusqu’à la toute fin, jusqu’à ce qu’on soit tous prêts, tous les quatre, à passer à autre chose. Être le premier des quatre, c’est sûrement ça qui m’atteignait le plus. Mon fear of missing out était à son maximum. « Pas 100%, non. J’dirais … 60% .. ? Y’a quand même un 40% de moi qui me dit que j’étais bien, là, avec vous, et qui a peur que tout change, après. Autant avec vous qu’avec Pippa. 60% c’est majoritaire mais c’est juste la note de passage, aussi. C’est pas fou, c’est pas la note qui fait qu’on se réjouit. On passe sur le cul et c’est tout. Alors … ouais, j’ai peur d’être en train de faire une gaffe. » Dis-je après qu’on eut mis fin à notre étreinte. « Mais je l’aime, Pips. Alors c’est quoi mon problème ? » Demandais-je même si je savais que Perry était sûrement la pire personne pour me donner une réponse.

Perry aurait préféré s’embrouiller avec Concho, une bonne engueulade, peu importe la raison, un truc qui rendrait moins dur son départ. Mais est-ce qu’ils seraient vraiment capable de s’engueuler tous les deux, pour un truc important, quelque chose qui les brouilleraient ? Il a dû mal à imaginer. Quand on vit depuis presque huit ans avec quelqu’un et que globalement, ça roule plutôt bien, c’est difficile d’imaginer ce qui pourrait dérailler en cours de route. Mais même si Perry n’est pas le plus perspicace, il voit bien que son meilleur ami n’a pas l’air d’être totalement heureux à l’idée de partir, ce qui le rassure un peu et lui fait se dire qu’il a peut-être moyen de le convaincre qu’une autre solution que son départ existe. Il n’est pas doué en maths mais 60 %, il trouve que c’est pas énorme quand même, à peine plus de la moitié. Si on lui disait qu’il a 60 % de chance de survivre à un truc, il serait clairement pas rassuré. Il comprend les interrogations de son ami qui se demande pourquoi le pourcentage n’est pas plus élevé alors qu’il n’y a pas de doute sur le fait qu’il aime Pippa. « C’est que tu nous aimes nous aussi. Genre on nous dit toujours que l’amour, le mariage tout ça, c’est genre le goal d’une vie et l’amitié bon c’est un peu à côté quoi, le truc en plus quand tu t’engueules avec ta femme. Mais en vrai l’amitié, ça peut aussi avoir autant de place que l’amour ou même plus. » Et ouais des fois il peut dire des trucs pas si con, c’est comme une éclipse, c’est rare faut en profiter. L’amour, ça a toujours été un truc un peu lointain pour lui, qu’il appréhende un peu mieux avec Jackson à présent, mais l’amitié, ça a toujours eu une place centrale. Il a eu longtemps du mal à comprendre pourquoi les gens mettaient toujours l’amour avant l’amitié alors que les deux peuvent permettre de s’épanouir pleinement. Pourquoi vivre avec saon amoureux.se et pas avec ses meilleurs amis ?

Il avait raison, Perry. C’est que je les aimais, eux aussi. Tahlia, Freja, Perry, c’était de l’amour aussi, sous une autre forme, une forme amicale, mais c’était un sentiment fort quand même. Nous avions tellement partagé ensemble, de moments, de rires, de dramas, de réconciliations, d’épreuves et de récompenses. Mettre fin à cette colocation c’était mettre fin à cette relation telle qu’elle était actuellement. La fin de la vie telle que je la connaissais. C’était une sorte de rupture. C’était un nouveau chapitre qui s’ouvrait, en laissant derrière des pages que j’avais adoré écrire. J’acquiesçai. « Ouais, mettons l’emphase sur le même plus. J’ai longtemps pensé avoir trouvé l’amour avec le grand A. Avec Ally, avec Zelda, avec Freja … finalement ça se passe rarement comme prévu. Ça change tout le temps. La seule constance, ça a été notre amitié. » Sur la nôtre, celle de notre quatuor. On avait eu beau essayer de prendre des chemins différents parfois, on finissait toujours par revenir. J’en avais perdu, des amis, en cours de route de ma vie. Theodore, Scarlett, Alex, et tant d’autres. Mais Avec Freja, Tahlia et Perry, ça ne semblait jamais s’effriter. C’était nous contre le monde. « C’est peut-être ça qui me fait peur, aussi. J’ai tellement vécu d’échecs amoureux que j’ai peur que ça se reproduise, et que j’aie perdu ce qu’on a au #17 à travers ça. » Je ne perdrais jamais le #17 à proprement parler, mais je savais quand même qu’en quittant, il y avait un risque que la chambre que j’occupais appartienne tôt ou tard à quelqu’un d’autre. Aux enfants, aussi, peut-être, qui grandissaient. Je n’aurais plus d’endroit où revenir à la maison si, finalement, ma maison n’était pas avec Pippa.