te parler du bon temps, qui est mort ou qui reviendra - marcus

Ella connait la ville de Bowen par cœur. Le moindre pavé, le moindre parasol, elle  les a vus et revus. Si quelque chose change, elle ne le rate pas. Elle le sait, elle le voit, ça lui saute aux yeux. C’est ça d’être née dans cette ville, d’y avoir grandi, et de l’aimer plus que tout. Elle se sent bien dans cet univers connu, où elle peut s’y perdre dans le plus grand des plaisirs. Cela la réconforte et elle arrive toujours à y trouver quelque chose de charmant. Une maison qui a un petit peu vieille, une maison qui a été repeinte, toutes racontent une histoire. Une histoire qui mérite d’être peinte, des fois, se dit-elle. Généralement, elle se concentre plus sur la plage préférant la nature et observer les gens se contenter de tous les plaisirs qu’un lieu peut offrir. Elle essaye de deviner ce que les gens vont y faire, ça lui arrive. Du surf, de la lecture, des raquettes, du pédalo ou juste bronzer ? Jamais dans le jugement, juste dans l’amusement de voir que la plage donne tout ce qu’il faut pour réconforter toutes les peines. La ville, c’est différent. On s’y attend des fois un peu plus des habitudes des personnes : shopping, café, verre, restaurant. Elle est moins observatrice dans ce lieu, mais elle se laisse évidemment surprendre. Elle n’est pas difficile de toute façon, Ella. Un rien peut déclencher ses envies, son imagination, sa sensibilité. Un rien ou un monde. Elle se retrouve devant une porte. Cette porte. Porte qu’elle a rarement traversé, pleins de questionnements. Elle n’ose pas, pas le faire. Pour plusieurs raisons, peur de devoir voir la réalité en face, peur aussi de déranger. Tout ça s’embrouille à chaque fois qu’elle passe devant la façade du Elm Street. Elle s’est toujours dit qu’un jour, il faudrait bien qu’elle l’ouvre, cette porte. Il le faudrait. Ca ferait du bien à tout le monde, à elle, à son cousin. Pour l’instant, elle reste juste devant, un peu à l’écart de manière à ne pas trop être vu. Elle l’observe, essaye de savoir s’il est là, dedans. Et puis, elle voit ses cheveux et sa barbe. Il y est, évidemment. L’intérieur à l’air calme, beaucoup plus que d’habitude. Après, il est vrai qu’elle y passe en général devant pour rentrer chez elle, vers dix neuf heures, après quelques achats. C’est normal que ce soit plus animé, beaucoup plus qu’à dix sept heures. Cela serait-ce une occasion ? Elle se demande, il a l’air peu occupé. Ella commence à stresser, à se demander si c’est bonne idée. Mais son cousin lui manque, beaucoup trop, cela fait longtemps qu’elle ne l’a pas vu. Et elle ne peut pas rater l’occasion, ils ne sont qu’à quelques mètres l’un de l’autre. Seuls. Alors, Ella, elle prend la poignée de la porte, la pousse et se retrouve à l’intérieur. Elle se retrouve dans son monde. Elle reste là, à observer la décoration, les tables, le lieu. Elle y était déjà venue, mais il était bondé, impossible de voir quoique ce soit. Et ça lui fait plaisir de voir plus en détail ce qu’il à fait, son cousin. Puis, elle voit son regard se poser sur elle. Elle lui sourit, lui fait un signe de main. « Hey.. hey » prononce-t-elle. « Je.. je ne te dérange pas ? » demande-t-elle, avant de s’introduire dans son univers. Elle veut s’assurer qu’il soit un peu disponible, impossible pour elle de s’imposer comme ça.

Marcus n'avait pas de grands rêves, d'immenses aspirations. Il vivait de plaisirs assez simples, se satisfaisant du quotidien. L'odeur réconfortante de son bar, les formules qui dansaient devant ses yeux de temps en temps, sa main dans les cheveux blonds d'une femme. Il avait tout ça, déjà. Pourtant, certaines petites choses manquaient à sa vie. Et Ella en faisait partie. Ils s'étaient éloignés depuis quelques années déjà, elle lui en voulait, elle boudait. Ils n'avaient pas totalement perdu le contact, durant longtemps, ils avaient même conservé leurs rendez-vous réguliers pour déjeuner ensemble. Mais depuis la dernière fois, celle où le ton était un peu monté, en début d'année dernière déjà, ils n'avaient plus jamais mangé tous les deux. Bien sûr ils s'étaient revus lors des repas dominicaux chez les parents O'Brian, ils avaient rit ensemble, échangé des regards et quelques mots, mais la complicité n'y était plus. Ils s'étaient également inquiété pour Tommy et s'étaient envoyé des messages. Mais à ce sujet, Marcus était resté vague. Il n'avait, par exemple, pas confié à sa cousine qu'il avait retrouvé son frère dans un sale état sur son bateau, parce qu'il ne voulait pas l'inquiéter. Il ne lui en voulait pas, à Ella, il la préservait, parce qu'elle était la plus jeune et puis surtout il lui laissait le temps. Lors de leur dernier déjeuner, il avait laissé la porte ouverte, lui proposant de passer au Elm quand elle le souhaitait, la balle était dans son camp à elle à présent. Il avait tout son temps. Et elle était venue, lors de la soirée en l'honneur de son titre de Bowenien de l'année, il l'avait croisée et la voir dans son monde avait été un réel bonheur. Pour autant, il y avait énormément de clients ce soir-là, ç'avait été un vrai succès, alors il n'avait pas pu lui parler, à peine échanger une accolade. D'ailleurs elle n'était peut-être pas venue pour lui, s'il n'y avait pas eu ses amis… mais ça, il n'y pensait pas, elle avait fait l'effort, c'était déjà ça. Aujourd'hui le bar était assez calme, à cette heure il y avait bien quelques employés de bureau qui prennaient un verre après le travail, mais le plus gros arriverait plus tard. Marcus faisait un peu de paperasse distraitement tandis que l'après-midi passait. Il releva la tête en entendant la porte s'ouvrir et resta interdit lorsqu'il découvrit Ella. Quelle surprise, quelle apparition. Il retint son souffle quelques secondes, elle semblait troublée, elle regardait un peu partout, comme si elle découvrait le lieu. Puis le visage de Marcus se fendit d'un tendre sourire, elle était venue, elle était vraiment là, elle avait fait l'effort d'entrer dans son monde. Salut. Qu'il répondit doucement avant de faire le tour du bar. Bienvenue ! Son sourire s'élargit alors qu'il la prenait déjà dans ses bras. Tu ne me déranges jamais. Tu t'es perdue ? Ou tu as le temps de prendre un verre avec ton vieux cousin ? Maintenant qu'elle était là, il ne comptait pas la laisser partir si rapidement.

Traverser cette porte, ce n’était pas rien pour Ella. Pourtant, c’est un geste plutôt commun, tout le monde le fait, n’importe quand, surtout pour cette porte. Elle n’a plus sa réputation à faire, elle est connue par tous les jeunes, et les moins jeunes. Bowen est petit, et quand quelque chose tient la route, fait vivre la ville, tout le monde y va, tout le monde s’y réfugie. Et Ella, elle y est déjà allée. Toujours en traînant un peu les pattes, hésitante et ne s’y attardant que très rarement, voire jamais. Elle n’a pas de grands souvenirs de ce lieu, à part des grands moments de rassemblements auxquels elle y participait, embrigadée par ses colocataires ou collègues. C’est donc tout étrange d’ouvrir la porte et de s’y retrouver seule, avec le propriétaire, avec son cousin. Elle peut mieux observer la décoration, son univers qu’elle n’a jamais vraiment voulu accepter et comprendre. Pourtant, elle souhaite le bonheur de son cousin. Seulement, elle le voyait autre part, elle l’admirait pour ses sciences, c’était un peu son modèle académique. Mais fini les cahiers, fini les calculs, il se retrouve derrière le comptoir, et il est heureux. C’est bien étrange toutes ces sensations, tout ce qu’elle ressent et ne ressent pas à la fois. Elle est un peu perdue, Ella, en entrant, en ouvrant cette porte. Et, ça se sent tout ça. Elle hésite, elle parle en bégayant légèrement. Elle est timide, elle se sent étrangement à la fois chez elle, dans son endroit sain, mais aussi dans une situation angoissante. Et Marcus doit le savoir, en la prenant dans ses bras. Cela fait diminuer la tension qu’elle ressentait. Oui, c’est son cousin, c’est son monde à lui, il ne pourra rien lui arrive à Ella, proche de Marcus, proche de son modèle. Elle lui sourit en retour, timidement. Il a la voix douce, rassurante. Il a toujours su choisir les bons mots. Ella se sent de mieux en mieux. Ce n’était peut-être pas une erreur d’avoir traverser cette porte. « Je.. je faisais quelques courses. » essaye-t-elle d’expliquer, sa raison, le pourquoi du comment. « Et, j’avais.. j’avais un peu de.. de temps.. » Elle balaye une nouvelle fois le lieux du regard, à la recherche d’oreilles peut-être indiscrètes qui la bloquerait pour parler ou autre. « Et je t’ai vu là. Alors me voici. » dit-elle en haussant les épaules avec un petit sourire. Ce n’est pas fameux, c’est peut-être totalement idiot de raconter des choses comme ça, mais les situations sociales, ce n’est pas encore le fort d’Ella, même si c’est son cousin. Elle rit à sa proposition. Elle n’a jamais vraiment bu, Ella. Elle a tenté, mais elle tient mal l’alcool. Ce n’est pas une grande fêtarde. « Tu.. Tu me proposes quoi ? Si tu as un peu de temps..» demande-t-elle avec un grand sourire, pour essayer de montrer qu’elle restera, qu’elle ne fuira pas. Elle espère qu’il aura du vin, en tout cas. Et elle espère qu’il prendra un peu de temps avec elle. Elle ne veut pas le déranger, surtout pas, ni être un poids pour lui.

Le sujet de leurs rares disputes était toujours le même depuis une dizaine d’années à présent. Marcus avait fait l’affront de quitter son doctorat et son brillant avenir de scientifique pour racheter un maudit bar de bas étage. En théorie, c'était le genre de choses que des parents pourraient penser de leur fils, heureusement pour lui, si on pouvait voir les choses ainsi, il n’avait plus de parents à décevoir. En théorie, les cousins, cousines devaient trouver l’idée assez gonflée, cool, rebelle. Il lui semblait bien que Tommy l’avait un peu pris de cette façon en tout cas. Mais pas Ella. Ella était différente, elle l’avait toujours été, elle était rêveuse et idéaliste. Elle espérait que son cousin trouve un théorème qui changerait la face du monde et sauve l’humanité toute entière. Au moins tout ça ! Seulement Marcus n’avait jamais eu autant d’ambition et son rêve à lui, son rêve de gosse, c’était ce bout de comptoir usé, tout simplement. Enfin presque, parce que c’était un peu plus complexe que ça. Sans le départ de Penny, plus de dix ans plus tôt, il n’aurait peut-être jamais rien changé à sa vie. Mais quand elle l’avait quitté, il avait ressenti ce besoin viscéral, de changer de vie. Il avait voulu reprendre le contrôle et ce bar avait semblé être sa bouée de sauvetage. Il avait plusieurs fois tenté de le lui expliquer et lors de leur dernier déjeuner, la gentille querelle avait réellement pris un ton de dispute. Depuis, Marcus attendait que sa cousine fasse ce pas vers lui, qu’elle l’accepte tel qu’il était. Au fond, ça ne lui paraissait pas si compliqué, pas insurmontable en tout cas, si elle mettait sa fierté de côté. Si elle pensait à lui et à son bonheur. Et comme pour lui prouver que la patience avait toujours du bon, il la voyait pousser la porte de son bar cet après-midi, telle une apparition. Le barman était sincèrement heureux de voir Ella, il ne lui en fallait pas plus pour oublier toute rancœur. En vérité, il ne lui en voulait pas, il l’aimait bien trop pour ça. Quand il la prit dans ses bras, il la sentait toute tendue, comme si elle angoissait vraiment à l’idée d’entrer dans la gueule du loup. Et finalement, il accentua son étreinte et elle se détendit un peu. À la bonne heure ! Il ne put retenir un sourire amusé en l’écoutant se justifier comme une gamine prise en faute. Ouais, t’as vu de la lumière et tu es entrée. Et tiens, Oh, Marcus ! Il se moquait gentiment, mais elle le méritait un peu tout de même. Elle pouvait constater qu’il n’y avait pas foule dans le bar à ce moment de la journée. Et quand bien même, Marcus ne comptait pas la laisser repartir si rapidement. J’ai toujours du temps pour toi, tu le sais. Oui, elle le savait, il était présent pour sa famille, il aimait ses cousins comme des frères et sœurs. Alcool ou sans alcool ? J’ai à peu près tout ce que tu peux imaginer. J’imagine qu’un verre de rhum, c'est un peu trop. Il sourit, le rhum, c'était son poison, sa faiblesse, à toute heure, mais il connaissait Ella.

C’est vrai, son explication sur sa venue n’est clairement pas la meilleure, loin de là. Elle lâche donc un petit rire à la réflexion de Marcus. On aurait clairement dit ça dans sa manière de raconter cette histoire, un truc bancal, étrange, et en plus avec sa tendance à bégayer, ce n’était pas fameux. Elle débarque aussi un peu comme par hasard. Enfin, pas tant que ça, elle sait très bien que Marcus est désormais souvent présent dans ce lieu, beaucoup trop présent. Elle le sait, elle en a connaissance, et conscience. Ca a créé une dispute entre eux. Rien de bien méchant, non. Jamais ils s’insulteraient, jamais ils refuseraient de se voir, le lien familial est beaucoup plus fort que ça. Mais un léger froid s’est installé. Comme avec son frère, qu’elle a rarement vu, qu’elle a peu vu ces derniers temps. Les O’Brian, unis, à être toujours ensemble, ça n’existe plus trop en ce moment. Et ça peut la blesser, Ella. Pourtant, malgré ça, Ella sait qu’ils seront toujours là pour elle, quoiqu’elle demande, quoiqu’elle fasse. Et elle espère qu’ils savent qu’elle donnerait corps et âme pour les aider s’ils l’appellent. Alors peut-être que l’entrée hasardeuse d’Ella dans le bar de son cousin est anodine, mais peut-être que ça recréera quelque chose, une connexion. « Tu exagères un peu trop, Marcus. » répond-elle en fronçant les sourcils avec un sourire. Elle ne lui en veut pas, ça fait vraiment cet effet. Mais bon, elle sait très bien que c’est gentillet, pas méchant, sa taquinerie. Il n’est pas sur la défensif, elle le sent, déjà rien qu’avec ce câlin. Ella se détend petit à petit. L’atmosphère, cet environnement, ce n’est pas vraiment le sien. Plutôt rat de bibliothèque, sortie au café, ou verre de vin dans un restaurant, Ella n’est pas synonyme de fête à excès. Alors se retrouver dans un bar, célèbre de plus par ses étudiants, est un peu une nouvelle expérience. Bien sûr qu’elle a profité de quelques afterworks, mais Ella est loin de ce qu’on appelle une fêtarde. Pourtant, maintenant, elle se sent de mieux en mieux. Sûrement grâce à son cousin. Elle sourit à sa remarque. Elle est heureuse de savoir ça, ce lien n’est pas si brisé que ça, finalement. Il est toujours présent, toujours solide. Elle fronce à nouveau les sourcils. « Oui, le rhum est un peu trop fort, surtout pour une fin d’après-midi. » rie-t-elle. Il l’a bien cernée, Marcus. Il n’y a aucun doute sur ça. Elle réfléchit donc à ce qu’elle pourrait prendre. Pas si longtemps que ça, c’est vite devenu une habitude, une évidence. « Un... hum.. un verre de blanc, si tu as, s’il te plaît. » Avec Reyansh dans son entourage, elle commence à s’y connaître en vin, à apprécier vraiment leur goût, leur saveur, et tout ce qu’il peut se dégager de ça. Non, elle n’irait pas jusqu’à dire qu’elle est une spécialiste, bien loin de là, elle ne saurait pas différencier les multiples robes qui existent, mais elle sait clairement apprécier un vin qui est bon. Elle a appris, elle a aimé l’écouter, elle a apprécié découvrir le monde viticole avec Reyansh. Et peut-être que son cousin saura l’étonner là-dessus. Ou peut-être que ce sera lui qui aura un regard étonné de voir que sa cousine ne choisit pas un thé, qui sait ?

La jeune femme était rêveuse, idéaliste. Dans un monde parfait tout le monde s’aimerait, il n’y aurait pas de dispute, tout le monde serait heureux, dans sa vie, dans son travail, tout le monde ferait ce qu’il voudrait et ça rendrait les autres heureux également. Il aurait tendance à être comme ça aussi, Marcus, seulement il savait que ça ne pouvait être que dans un monde rêvé et que la vraie vie n’était pas si idyllique. Il n’y avait pas réellement de problèmes dans la famille O’Brian, ils étaient plutôt unis, il n’y avait pas de grandes disputes, pas de secrets de famille qui rongeaient. Mais il y avait des humains, des personnes toutes différentes, qui s’aimaient indéniablement, mais qui avaient aussi leurs propres casseroles, leurs boulets à porter, leurs peines et leurs difficultés. Actuellement, Tommy traversait une nouvelle tempête et comme souvent dans ces cas-là, il s’éloignait de ses proches, il avait besoin de s’enfermer dans sa solitude. Marcus avait réussi à maintenir le contact, à sa façon. Mais il se doutait que Ella souffrait de cette situation. Comme elle n’aimait pas non plus la distance qui s’était installée entre elle et son cousin. Néanmoins, il n’y avait rien de grave, ça finirait par passer, il fallait parfois laisser le temps faire son œuvre. Et peut-être, aussi, savoir faire un pas vers l’autre. Chose qu’elle venait de faire, en franchissant la porte du Elm Street. Alors bien qu’il ne put s’empêcher une boutade, ce n’était absolument pas un reproche, il était, au contraire, très touché qu’elle soit là face à lui. Et il comptait tout faire pour qu’elle se sente à l’aise dans ce lieu qu’elle n’affectionnait pas particulièrement. Il fallait avouer que Marc était enclin à imaginer sa cousine un livre et une tasse à la main, ou bien à s’extasier dans un musée, plutôt qu’accoudée à un comptoir avec une pinte face à elle ! Mais il ne fallait pas non plus diaboliser les bars, certes il y avait les soirées, le monde de la nuit, l’alcool qui coulait à flot et les excès parfois. Certes, Marcus adorait cette ambiance. Pourtant, il aimait également les moments calmes dans la journée, les habitués qui venaient prendre leur café, les réunions de petits groupes qui avaient occasionnellement lieu au fond de la salle, les anniversaires ou tout autre événements, qu’on choisissait de célébrer chez lui. Ou simplement le verre après le travail pour décompresser entre collègues. Un bar, c'était avant tout un lieu de vie où tout le monde se mélangeait dans une joyeuse cacophonie. C’était tout ça qu’il adorait. Elle avait raison, Ella, évidemment, il était trop tôt pour un verre de rhum, quoique pour le barman, ce n’était pas un problème… mais c’était peut-être bien ça, le problème. Bref, un verre de vin, ce serait sûrement plus sage oui ! En vérité, il s’attendait à ce qu’elle lui demande un jus de fruit ou un thé, mais va pour le vin. Il repassa donc derrière le bar et sortit deux verres qu’il plaça face à eux, ainsi qu’une bouteille. J’ai un très bon chardonnay, produit tout près d’ici en plus. Il les servit et leva son verre. À ton courage, sache que c’est très apprécié. Il sourit à sa cousine avant de porter son verre à ses lèvres. Comment tu vas ? J’ai l’impression que ça fait une éternité qu’on ne s’est pas parlé. Une éternité peut-être pas, mais un sacré moment, oui, c’était un fait, ils avaient assurément plein de chose à se raconter.

L’atmosphère devient de plus en plus douce, plus détendue, et plus agréable. Elle s’y sent presque comme chez elle. De toute façon, elle pourrait imaginer le Elm Street comme une extension d’un lieu saint, d’un lieu de vie pour elle, non ? Certes, elle n’est pas fan des bars, préférant largement le calme de sa maison, d’un salon de thé ou encore d’un atelier d’artiste. Les personnes alcoolisées, les fêtes bruyantes, là où tout le monde peut devenir qui il veut, ou personne, ce n’est vraiment pas la tasse de thé d’Ella. Elle est sociable, oui. Mais elle préfère les lieux tranquilles où elle entend vraiment les autres, où les mecs ne sont pas là pour draguer lourdement, où personne ne se met mal jusqu’au point de vomir. Une idée désagréable résonne dans sa tête. Son cousin fait-il ça ? L’imaginer draguer n’importe quelle fille lourdement lui fait froid dans le dos. Non, c’est impossible. Il est trop adorable pour ça. Puis, il doit tenir le bar, il ne se peut pas se permettre de se mettre dans un si mauvais état. Et la réputation du bar serait déjà bien mauvaise. De plus, il a déjà suffisamment souffert avec Peneloppe. Et puis, Ella se détend, elle souffle, elle se sent mieux. L’ambiance, en ce moment, est bien différente des fêtes de beuverie étudiante. C’est calme, c’est apaisé. Son cousin est là, avec elle. Il a le temps. Peu de clients. Ils se retrouvent donc tous les deux, ici, dans le nouveau petit coin de paradis de Marcus. Et c’est ainsi, qu’étrangement, Ella s’y sentirait carrément à sa place. Après tout, proche de son cousin, il ne pourrait rien lui arriver, non ? Les O’Brian sont soudés, s’aiment et adorent la présence des uns et des autres. Et Ella, aujourd’hui, est bien décidée de profiter de Marcus proche de lui, et peut-être même à rester le temps de boire plus d’un verre chez lui. C’est ainsi qu’elle demande un vin -et non une bière, ses origines irlandaises sont bien loin quand il s’agit d’alcool. Elle sourit à l’idée du chardonnay. Elle connaît ces vins maintenant. Elle apprécie leur goût bien qu’ils différent d’un vigneron à un autre. Elle s’imagine déjà reconnaître la vigne, l’année, ou elle ne sait quoi, comme une grande œnologue. Presque comme Reyansh. Mais elle sait très bien qu’elle se contentera juste d’un hum, j’aime bien. Elle saisit donc le verre que son cousin lui tend. Elle le lève et vient tapoter le bout de son verre sur celui du O’Brian. « A la tienne et au Elm Street, finalement. » ajoute-t-elle. Elle remue le verre, regarde la couleur, sent sa saveur, et enfin le porte à la bouche. Elle boit une gorgée. Oui, il est bon. Mais non, il lui est encore impossible de connaître tous les détails qu’un œnologue saurait faire. Elle a l’impression de rien retenir des leçons de Reyansh, visiblement. Mais elle n’en dira pas mot, continuant sur le sujet que Marcus a lancé. « Ca va bien, et toi ? » demande-t-elle en retour. « Oui, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Tellement longtemps que j’ai des choses à te dire. » lance-t-elle timidement. Oui, elle veut parler de ses projets avec Marcus. Elle se dit qu’il pourra l’aider, ayant lui-même une boutique à tenir. Elle baisse les yeux, pour ne pas affronter son regard, cela sera plus simple à dire, à expliquer. « Je suis passée à la mairie, il y a deux semaines. » laisse-t-elle dire. « Pour ouvrir un lieu d’art, où les gens pourraient venir s’exprimer. Au Western District. » elle relève les yeux, le regarde, hausse les épaules, sourit et boit une gorgée. Un peu tout ça à la fois, pour détendre l’atmosphère, histoire de dire que c’est classique, normal, rien de nouveau, et rien d’impressionnant. Mais boum, sa petite bombe est lâchée. « Et toi, tu racontes quoi ? » demande-t-elle, quand même.