a wave she came and washed away all the ground i was standing on (freja)

Depuis peu avant Noël, Alice était au courant que Woody était son père. Si l’aîné des Rutkowski avait été nerveux à l’idée de le lui annoncer, confronté à ses propres peurs, à ses propres projections, craignant que sa fille ne soit déçue que ce soit lui, son paternel, il en fut tout autre. Alice avait été folle de joie, d’avoir un papa, mais aussi que ce papa, ce soit lui. Il est vrai que depuis l’automne, tous les deux avaient passé de très beaux moments. Il n’aurait pas dû avoir tant d’appréhensions. Il aurait dû savoir qu’Alice voyait en lui quelque chose que lui ne voyait pas. Telle mère, telle fille. Tout de même, Woody continuait de se mettre une grande pression qui pesait lourd sur ses épaules. En ce qui concernait la garde d’Alice, ils n’en étaient pas encore rendus au point où la jeune fille venait passer beaucoup de temps chez lui. Elle n’avait pas encore passé une seule nuit à la maison du trentenaire. Sara aurait probablement été ouverte à l’idée, c’est lui qui n’osait pas, lui qui n’était pas prêt. Quand ils se voyaient, Sara était là, ou alors il ne s’agissait que de quelques heures rien que tous les deux. Rien de trop exigeant pour Woody, qui ne se sentait pas encore capable de gérer une enfant, par lui-même. Il n’avait pas confiance en ses capacités. Cependant, il voulait que ça change. Il souhaitait cumuler les moments et les souvenirs précieux avec sa fille, et pour ça, il allait devoir s’autoriser un peu plus de latitude. C’est ce qui le porta jusqu’à la bibliothèque ce matin, où il dégota deux-trois livres sur la paternité, sur le développement de l’enfant, sur l’éducation, un peu tout ça, même s’il n’existait sûrement pas de formule miracle qui lui apprendrait à être père en quelques chapitres. Sa canne d’une main, ses livres dans l’autre, pressés contre sa hanche, Woody s’en allait vers le comptoir lorsqu’il passa devant l’ère des enfants où l’heure du conte débutait. Parmi les adultes, tout près de la grande vitre, se tenait Freja, le regard consultant son téléphone portable. Il hésita un moment, levant la main qui tenait sa canne afin de tenter de replacer ses cheveux un peu décoiffés, qui commençaient à pousser un peu trop, question de ne pas avoir l’air complètement à la dérive, en pleine déroute. Il se reposa sur sa canne et s’avança vers Freja. Il n’aurait pas pu continuer sa route en l’ignorant. Il ne pouvait jamais l’ignorer, Freja. Ni dans son champ de vision ni dans son cœur. « Salut, Freja. » Dit-il alors qu’il était tout près, pour s’annoncer. Elle leva les yeux vers lui et il lui adressa un sourire, du coin de ses lèvres, cachées par sa barbe. « Zoé et William sont là ? » Demanda-t-il en balayant les enfants assis du regard.

En ce moment, être mère célibataire te mène la vie dure. Bien sûr, Milo fait partie du portrait mais c'est toi qui gardes William la plupart du temps et surtout, il y a Zoé. C'est plutôt cette dernière qui te donne du fil à retordre dernièrement. Sans doute à cause de son âge et des nouveaux apprentissages qu'elle acquiert. Tu devrais probablement en parler avec Tahlia qui vit les mêmes étapes au même moment que toi avec Thaïs. Bref, tout ça pour dire qu'à chaque sortie, tu appréhendes un peu les réactions de ta fille. Néanmoins, cela ne suffit pas à t'empêcher de prendre tes enfants et d'aller découvrir de nouvelles choses. Tu n'as jamais eu peur de l'inconnu, de l'imprévisible, et ce n'est pas en devenant mère que ça a changé, heureusement. Aujourd'hui, tu as donc décidé, tout naturellement, d'aller à la bibliothèque où ils font régulièrement des lectures de contes. Ce n'est pas la première fois que tu t'y rends mais c'est la première fois que tu prends tes deux enfants, par contre. William est assez grand pour en profiter, à présent. Et pour se tenir tout seul, assis, dans le cercle destiné aux enfants. Zoé, comme toujours, prend soin de son petit frère ou du moins, jusqu'à ce que sa patience le lui permette. Toi, tu te tiens un petit peu en retrait, le nez sur ton téléphone à cause d'un problème au travail que tu traines depuis quelques jours et qui ne semble pas vouloir se régler. C'est la voix de Woody qui te ramène à la réalité. Relevant la tête vers lui et rangeant ton téléphone, un sourire se dessine immédiatement sur ton visage. « Salut toi. » Réponds-tu avant de tourner la tête vers tes enfants en entendant la question de l'australien. Tu hoches la tête, les montrant du doigt. « Juste là.. » Zoé tient la main de son petit-frère et lui explique discrètement ce qu'elle voit sur les images. Jusqu'ici, elle est bien mignonne mais tu redoutes que ça ne dure pas. Qui sait, tu seras peut-être bien étonnée. « Et toi ? Tu es venu chercher de la lecture ? » Demandes-tu en jetant un coup d'oeil à ses livres sans pouvoir en voir le titre. « Tu as laissé pousser ta barbe... et tes cheveux. » Remarques-tu en souriant. Ça lui va bien. Tout lui va bien. Il est toujours beau Woody, quoi qu'il fasse.

Ça lui faisait toujours le même effet, à Woody, de voir le sourire de Freja se dessiner sur son visage dès qu’elle levait le regard vers lui. Et, bien souvent, ça lui soutirait un sourire à lui aussi. Encore une fois aujourd’hui. Le trentenaire suivit la direction dans laquelle pointait le doigt de la norvégienne, et il hocha la tête en voyant Zoé et William, main dans la main. « Ah, regarde-les … How cute. » Il n’avait jamais été du genre à laisser son cœur fondre devant des enfants, Woody, il avait toujours eu l’air plus ou moins détaché. Il avait beau avoir toujours voulu des enfants au fond de lui, il n’était pas du type gaga pour autant. C’est sans doute la venue d’Alice dans sa vie qui brisait un peu plus encore sa carapace. Le fait qu’il s’agisse des enfants de Freja y était aussi pour quelque chose, forcément. La brunette reporta son attention sur l’aîné des Rutkowski, jetant un coup d'œil à ses livres qu’elle questionna. Un peu embarrassé, Woody les dévoila un peu en les levant entre eux un instant. « Hum, ouais, je sais pas ce que ça donnera comme résultat, mais j’essaie de m’aider un peu … » Un rire gêné et discret s’échappa d’entre ses lèvres, avant qu’il ne plonge son regard dans celui de son ex petite-amie alors qu’elle commenta son look capillaire. « Tu dois trouver que j’ai l’air de me négliger. J’te rassure, je suis pas au bord du précipice. C’est juste moins compliqué comme ça. Moins de rendez-vous chez le barbier. » C’était surtout ça qui le fatiguait, en fait, de devoir gérer son agenda, pour son travail, pour ses propres rendez-vous chez le physiothérapeute, chez le neurologue, chez le médecin de famille, chez la travailleuse sociale, et tout le reste, en plus de vouloir se dégager du temps pour voir Sara et Alice. C’était beaucoup, en ce moment, alors que son niveau d’énergie était loin d’être au maximum. « La dernière fois qu’on s’est vus, tu avais pas mal de soucis avec le travail. Ça n’a pas l’air d’être rentré dans l’ordre … ? » Demanda-t-il en désignant son téléphone d’un coup de tête. C’était peut-être pour autre chose, aussi, qu’elle avait eu le nez rivé sur l’écran. Quelque chose de personnel, qui ne le regardait plus, qui sait.

Ce sourire, lorsque ton regard se pose sur Woody, ne changera jamais, tu en es persuadée. Chaque fois qu'il se trouve à proximité, tu sens un élan de bonne humeur traverser tout ton corps. C'est un pouvoir qu'il détient depuis toujours et pour toujours sans doute. Lorsque tu montres tes enfants du doigt, tu hoches la tête aux dires de Woody. Tu ne vas pas le contredire, à tes yeux, ce sont les plus mignons. Les plus beaux. Les plus tout. « Pourvu que ça dure. » Plaisantes-tu avant de reporter ton attention sur les livres de l'australien. Il te laisse entrevoir l'une ou l'autre couverture et, très vite, tu comprends qu'ils sont ciblés sur la paternité. C'est un tout nouveau rôle qui s'offre à lui et tu ne peux qu'imaginer à quel point cela doit être difficile. Difficile de trouver sa place et de la prendre. Difficile de se comporter comme un père quand sa fille n'en a jamais vraiment eu jusqu'ici. Tous les deux, ils ont sans doute beaucoup de choses à apprendre l'un de l'autre. « Tu trouveras forcément quelque chose à prendre là-dedans. Tu garderas ce qui te parle le plus. » Expliques-tu dans un premier temps. « Mais en essayant de faire de ton mieux, c'est la meilleure chose que tu puisses faire pour ta fille.» Il ne pourra pas être parfait, personne ne l'est. Mais le simple fait d'essayer, de se renseigner, d'oser, feront de lui un bon père, tu en es persuadée. L'observant un peu plus en profondeur, tu ne peux t'empêcher de commenter son changement d'apparence. Il a toujours eu une barbe, Woody, mais pas aussi grande que celle-ci. Et tu ne te souviens pas l'avoir déjà vu avec des cheveux si longs ou du moins, pas lors de ses bons jours. Cela ne veut pas dire pour autant que tu le trouves négligé, non. Juste différent. « Tu restes très beau, je ne disais pas ça pour dire que je te trouvais négligé. » Expliques-tu en souriant avec tendresse. Bien sûr qu'il est beau. Incroyablement beau même. Alors que tu te perds dans tes pensées, celles-ci étant focalisées sur son physique que tu ne peux plus qu'imaginer à présent, Woody te ramène doucement sur le chemin de la réalité. En effet, tu as des phases assez compliquées voire chaotiques au travail. Heureusement, en ce moment, hormis ce petit souci qui ne veut pas se régler, les choses semblent s'être calmées. « Non, ça va, c'est un client qui ne veut pas payer malgré de nombreux arrangements. Franchement, je me dis souvent que je suis trop gentille. » Pourtant, en affaires, tu es bien moins tendre que dans ton quotidien. Entendant la petite voix de William se faire un peu plus présente, ton regard se tourne vers tes enfants. Visiblement, ton petit garçon semble avoir envie de bouger. Tu fais signe à Zoé de le laisser se déplacer. A son âge, il en a bien besoin. Surtout qu'il marche depuis peu alors l'envie de pratiquer est omniprésente. Très vite, il te rejoint, venant tourner autour de tes jambes. « Will, tu dis bonjour à Woody ? » Demandes-tu en souriant à ton fils qui regarde l'australien de ses grands yeux, hésitant à lui faire son petit signe de la main.

Il sourit. « Je te le souhaite. » Mais rares étaient les moments ou les choses qui duraient pour toujours. À commencer par eux deux, dont l’amour serait peut-être éternel malgré ses transformations, mais qui ne se concrétiserait peut-être plus jamais comme avant. L’arrivée d’Alice dans la vie de Woody, et le retour de Sara par le fait même, ne faisait que compliquer les sentiments du trentenaire. Il avait envie de bien faire les choses, pour une fois, mais il ne savait pas comment s’y prendre. Que ce soit avec Sara ou avec Alice, d’ailleurs. C’est pour cette raison qu’il avait voulu louer tous ces livres sur la paternité et le développement de l’enfant. S’il ne pouvait trouver de solution pour ses maux du cœur, il pouvait au moins s’arranger pour être un père au moins un peu adéquat. « C’est ce que je me dis. Au moins, j’essaie. » C’était déjà un grand pas pour Woody, quiconque le connaissait un peu le saurait. Il avait plutôt tendance à abandonner, depuis quelques années. À baisser les bras face au premier obstacle. Il se disait que ça ne valait plus la peine de se battre, que son temps était compté de toute façon. Alice faisait exception à cette règle qu’il s’imposait. Pour Alice, il essaierait. Cela ne signifiait pas pour autant que Woody était un homme complètement changé, du jour au lendemain. En plus, la maladie continuait de gagner contre lui, l’épuisant, au point que même un rendez-vous chez le coiffeur lui paraissait une montagne. « Merci. » Lâcha Woody alors que Freja lui assurait qu’il restait très beau, malgré la barbe et les cheveux longs. La norvégienne semblait se perdre dans ses pensées. Loin de penser qu’elle songeait à lui, à son physique, il pensa plutôt qu’elle était submergée par le travail, comme c’était le cas la dernière fois. Il se trompait - quoique c’était quand même le travail qui l’occupait, sur son téléphone. « Mets ton avocat là-dedans. Une petite lettre de rappel, ça fait juste assez peur. Il sortira l’argent. » Il parlait en connaissance de cause, Woody. Il ne comptait plus le nombre de fois où c’était arrivé. Maintenant, il ne laissait plus jamais partir un client sans payer. Et il envoyait ce genre de lettres à tous les clients qui ne se pointaient pas à leurs rendez-vous sans avoir préalablement annulé dans un délai raisonnable, et qui refusaient de payer. Il avait appris de ses erreurs. Will commençait à s’agiter au sein du groupe et rapidement, il vint rejoindre sa mère. « Salut, Will. T’as grandi, toi ! Tu vas bientôt me dépasser, bonhomme. » Il posa doucement et brièvement sa main sur la tête du petit, avant de sourire et de regarder Freja. Ouais, c’est pas parce qu’il était maintenant papa, qu’il devenait tout d’un coup très à l’aise avec les enfants. C’était pas mal la seule interaction qu’il avait été capable de délivrer spontanément. Maintenant, il ne savait plus trop quoi dire.

Ce serait si facile si Zoé et William ne se disputaient jamais, s'ils étaient toujours aussi mignons qu'ils le sont à cet instant précis. Mais la maternité n'est pas si simple et, surtout, elle nous met à l'épreuve. C'est un challenge qu'on ne peut imaginer tant que l'on ne le vit pas. Comme la paternité, d'ailleurs. C'est sans doute pour cette raison que Woody se documente grâce à ces livres de la bibliothèque. Le simple fait qu'il se renseigne et soit prêt à essayer fait déjà de lui un bon père. Il a encore beaucoup à apprendre - et il apprendra toute sa vie - mais il est sur le bon chemin. « Quelle chance elle a, cette petite. » D'avoir un père comme lui. L'australien se sous-estime très certainement dans ce rôle mais toi, tu sais qu'il fera un bon père. Sa maladie lui mettra sûrement des barrières mais tu sens qu'il ne baissera pas les bras face à sa fille. Tu sens qu'il se battra. Après avoir rapidement parlé de l'apparence de Woody, il décèle une certaine inquiétude chez toi liée au travail. Être ta propre patronne et à la tête d'une entreprise avec plusieurs dizaines d'employés n'est clairement pas de tout repos. Toutes les galères, c'est à toi de les gérer, à commencer par ces problèmes de paiement. « C'est ce que je vais devoir faire, oui. Mais je n'aime pas mettre les gens dans la galère. » Sauf qu'eux s'en foutent bien de te mettre, toi, dans la galère. Par chance, ton entreprise fonctionne du tonnerre et tu n'as pas de problème d'argent. Mais pour moins que ça, certaines entreprises sont contraintes de fermer. Alors, oui, le jeune homme a raison, tu dois mettre ton avocat sur le coup. Après quelques minutes, vous êtes rejoints par ton fils qui commence à s'impatienter. Evidemment, à son âge, c'est difficile de rester en place. « Oui, il n'arrête pas de grandir... » Réponds-tu en souriant. Tu sens ton téléphone vibrer à nouveau et c'est un appel que tu dois prendre absolument. « Il faut absolument que je réponde. Est-ce que tu veux bien jeter un coup d'oeil deux minutes, s'il te plait ? » Demandes-tu à Woody en le suppliant du regard. Par chance, il accepte et tu t'éloignes pour gérer ton appel. Malheureusement, William te voyant t'éloigner commence à paniquer. Zoé qui entend son petit frère pleurer cherche à bien faire en tentant de le prendre dans ses bras mais ils commencent tous les deux à faire de plus en plus de bruit. De quoi embêter la bibliothécaire qui lit l'histoire. Et de quoi mettre Woody dans l'embarras, surtout.

HJ:

Il se contenta de sourire quand Freja mentionna la chance qu’Alice avait. Elle avait surtout de la chance d’avoir la mère qu’elle avait, oui. Il voyait aller Sara et se disait qu’il ne serait jamais à la hauteur. Elle était douce et bienveillante, ferme quand il le fallait, juste assez mais pas trop, elle embarquait dans les idées d’Alice, l’encourageant dans tout ce qu’elle imaginait. Bref, des modèles à suivre, Woody en avait autour de lui, si on comptait également Freja qui était tellement douée auprès de Zoé et de Will. Lui ne pensait pas pouvoir leur arriver à la cheville. Il ne pensait pas qu’Alice était si chanceuse que ça, d’être tombée sur lui. Mais il n’allait pas contredire Freja. Ses actions parleraient sans doute d’elles-mêmes tôt ou tard, malgré tous les efforts qu’il comptait bien y mettre. Les deux anciens amants changèrent de sujet, parlant du travail de la norvégienne et de ces clients qui n’étaient jamais satisfaits. Plus personne n’était prêt à payer pour un vrai bon service, de nos jours. « C’est pas toi qui les mets dans la galère, ils s’y mettent eux-mêmes. » Woody n’avait pas du tout la même empathie que Freja. Sa business était ça : une business, et il n’allait pas faire de cadeau à qui que ce soit. Quelques minutes plus tard, Will se joignit au duo de parents. Il s’impatientait, cette heure du conte semblait durer plus qu’une heure dans sa tête et pourtant, ça faisait bien moins que ça. Cela fit sourire Woody, qui pouvait se reconnaître en lui. Sauf qu’à ce rythme, Will deviendrait beaucoup plus grand que l’aîné des Rutkowski ! Après avoir confirmé ses propos, Freja regarda son téléphone qui recevait un appel. Pris au dépourvu, pris de panique, Woody figea et articula à peine un : « Euh … hein ? No... Ok. », alors que Freja lui demandait de jeter un coup d’oeil à Will et Zoé. Elle s’éclipsa rapidement, répondant à son portable. Aussitôt que sa maman fut hors de sa vue, le petit garçon commença à paniquer, peut-être même plus que Woody. « Oh, non, Will, pleure pas. Elle va revenir dans quelques minutes, ta maman. » En tout cas, il l’espérait, que cet appel ne s’éterniserait pas. Voyant que son frère ne se calmait pas, Zoé arriva en renfort et tenta de le consoler, mais ses réconforts faisaient presque autant de bruits que les pleurs de Will. Tous les regards se tournaient vers eux, celui de la bibliothécaire étant le plus réprobateur de tous. « Je suis désolé. » Lâcha Woody avec une moue accompagnant le sentiment. Il s’agenouilla à côté des deux enfants. « Il faudrait s’éloigner un peu, on dérange. » Mais Will, paniqué, ne voulait pas s’éloigner parce que dans sa tête, sa maman ne le retrouverait pas, ou alors, il pensait que Woody allait l’emmener trop loin. Il pleura de plus belle. « Non non non ! » S’affola Woody. « Ok, ok, on va rester ici. Mais il faut se faire plus tranquille, ok, Will ? Les autres enfants n’entendent plus l’histoire. » Il avait l’impression de transpirer d’embarras.

Il est parfois difficile, pour toi, d'allier ton côté empathique avec ton statut de cheffe d'entreprise. Aujourd'hui, ta boite a pris une grosse ampleur et tu as une bonne dizaine d'employés à ta charge. Tu ne peux plus prendre de risques inutiles et tu as des frais assez lourds à payer chaque mois. Alors, lorsqu'un client refuse de payer, si c'est le seul, ça peut encore passer, mais s'il y en a en plusieurs, ça met clairement en péril la place de plusieurs personnes. « Je sais... Celui-ci, disons que c'est pas la truite la plus oxygénée de la rivière. » » Expliques-tu à propos de ton client, un sourire au bord des lèvres. Heureusement qu'ils ne sont pas tous comme lui. Mais le problème ne semble pas se régler étant donné qu'une de tes employés t'appelle pour la troisième fois. Tu te sens contrainte de prendre cet appel et supplies du regard Woody de jeter un coup d'oeil à tes enfants. Tu le vois hésiter mais, par chance, il finit par accepter. Malheureusement, tu ne le laisses pas dans un bon moment et, à peine partie, William te réclame. Celui-ci fait tellement de bruit que sa soeur le rejoint, tentant de le consoler. Ce qui ne fait qu'empirer, finalement, la situation. Tu ne t'éclipses pas longtemps, deux-trois minutes tout au plus, mais c'est assez pour que la bibliothécaire te fasse par de son mécontentement du regard et que William soit en pleine crise de pleurs. « Je suis vraiment désolée. » Souffles-tu, l'air ennuyé, à Woody. Tu prends William dans les bras qui se calme immédiatement. Seulement, en voyant l'heure, tu comprends simplement qu'il a envie de boire. « Il a faim. Est-ce que ça te dérange si j'allaite devant toi ? » Demandes-tu à l'australien, prenant la direction d'une petite allée de la bibliothèque où vous serez un peu plus au calme. Tu n'as jamais été gênée d'allaiter où que ce soit car pour toi, c'est ce qu'il y a de plus naturel au monde. Zoé te demande si elle peut retourner écouter l'histoire et tu la laisses faire. Son autonomie te sauve souvent la mise. Tu te poses sur l'un des fauteuils de l'établissement avant de lever la tête vers Woody. « Si ça te met mal à l'aise, je comprendrais. Mais j'ai encore bien envie de papoter avec toi. » Dis-tu, en souriant.

Un rire s’échappa des lèvres de Woody alors que Freja insultait le gars en question, le client qui ne voulait pas payer. « C’est Zoé qui t’apprends des expressions du genre ? » Il ne l’avait jamais entendue parler comme ça. Ça le faisait plutôt rire. Ce qui le fit moins marrer, Woody, c’est quand la norvégienne lui confia ses deux progénitures parce qu’elle devait prendre un appel pour le travail. Il aurait clairement préféré pouvoir dire non, mais est-ce que ça aurait vraiment été correct ? Il était là, il n’avait rien de mieux à faire, il pouvait bien jeter un oeil aux deux enfants pour cinq minutes. Alors, malgré la forte hésitation, il accepta et elle s’éclipsa rapidement. Par la suite, tout dégringola. Woody se retrouva à gérer une crise de larmes, des regards découragés de la part de la bibliothécaire, et des regards d’enfants et de parents dérangés par la situation. Non mais, n’étaient-ils pas eux aussi dans la même galère ? Ne pouvaient-ils pas faire preuve de bienveillance, plutôt que d’autant de jugement ? Woody, il aurait eu envie de disparaître, de juste laisser les deux enfants là, tant pis, qu’ils s’arrangent, quelqu’un d’autre s’en occuperait sûrement jusqu’au retour de Freja. Mais non, Woody ne pouvait pas faire ça. Il ne pouvait plus agir de cette manière-là, à ne penser qu’à lui, à ne pas songer aux conséquences et espérer se faire pardonner après. Alors, il resta, tentant de calmer le jeu, en vain. Heureusement, son ex revint assez vite et prit William dans ses bras pour le consoler. Woody souffla, passant ses deux mains dans ses cheveux pour les ramener vers l’arrière, en reprenant un peu son calme lui aussi. « Ça va, c’est pas grave. » Mais ça aurait pu l’être, grave. Il le savait, Woody, que quelques minutes de plus auraient suffit à lui faire perdre les pédales. Il n’avait pas aimé ça, et maintenant, ça le mettait complètement à l’envers. Freja le sortit de ses pensées en lui demandant si ça le dérangeait qu’elle allaite. Voyant qu’il avait l’air dans sa tête et qu’il ne répondait pas, elle ajouta que si ça le mettait mal à l’aise, elle comprendrait. Il secoua la tête. « Non, non. Ça ne me met pas mal à l’aise. » Mais clairement, autre chose l’avait un peu chamboulé et il était pas mal moins confortable. « Je vais aller louer mes livres. Je te rejoins dehors. » Et il s’en alla vers le comptoir sans trop attendre de réponse, surtout parce qu’il avait besoin d’un moment seul.

Tu secoues la tête négativement, un sourire accroché aux lèvres. « Nan, elle n'en est pas encore rendue là, heureusement. Quoique, je l'ai entendu dire à sa poupée qu'elle était conne il n'y a pas si longtemps. » Les joies de l'école où elle entend tout un tas de mots qu'elle n'entend pas à la maison. A l'appartement, vous faites toujours attention en présence des enfants parce que vous savez tous ce que c'est, d'élever des enfants. C'est une chance que vous avez de pouvoir vous conseiller l'un l'autre et c'est ce que tu aimes tant dans votre colocation de parents. Woody, de son côté, n'a pas la même chance, d'être si bien entouré pour l'aider dans sa nouvelle parentalité. C'est pour cette raison qu'il est venu chercher quelques livres et, malheureusement pour lui, qu'il se retrouve à veiller sur tes enfants l'espace de quelques minutes. Tu ne pars pas longtemps mais c'en est assez pour que William te réclame et fasse une mini-crise. Zoé, voulant bien faire, empire malgré elle la situation. Tu les retrouves donc dans cet état avec un pauvre Woody qui n'a rien demandé. Très vite, tu comprends que Will a faim et trouves un endroit où tu pourrais te poser. De ton côté, tu n'es pas gênée d'allaiter en public mais tu préfères t'assurer que ce soit la même chose du côté de ton meilleur ami. Vous n'avez jamais vraiment eu l'occasion de partager un moment dans ce genre-là. Tu fronces les sourcils lorsqu'il assure qu'il n'est pas mal à l'aise mais qu'il saute sur l'occasion pour s'en aller. Tu n'es pas certaine d'avoir tout saisi mais tu mets clairement ça sur le dos de l'allaitement. Tu es loin de te douter que tu as tort. Après quelques minutes, William somnole dans tes bras et Zoé vous a retrouvés, vous êtes fin prêts à sortir. « Il y a quelques petits jeux à l'extérieur, ça te dit d'aller y faire un tour ? » Ils ont installé un genre de plaine de jeux devant la bibliothèque ce qui est carrément génial pour les familles comme toi. Tu passes par la caisse pour payer les livres que tu as empruntés puis rejoins Woody qui est déjà à l'extérieur. Sur ce temps-là, William s'est endormi dans l'écharpe de portage et Zoé, elle, file rejoindre la plaine de jeux. D'ici, tu peux garder un oeil sur elle tout en essayant de comprendre ce qu'il s'est passé pour l'australien. « Tout va bien ? » Oses-tu demander en tournant la tête vers lui. Tu espères qu'il n'est pas tenté de te mentir car tu sais très bien le cerner depuis toutes ces années.

Apprenant que Zoé utilisait des mots comme conne, Woody haussa les sourcils, un air surpris sur le visage. « Si jeune, hein … » C’était désolant mais en même temps, l’aîné des Rutkowski avait probablement été le premier à lâcher des insultes de ce genre, à un jeune âge, et il avait d’ailleurs continué à les développer, les insultes, plus il prenait des années. On aurait pu se consoler en se disant qu’il avait bien tourné mais non, même pas, on ne pouvait certainement pas se rassurer de cette manière-là. Woody avait continué à être méchant même adulte et il pouvait encore l’être aujourd’hui, lorsqu’il avait l’énergie, et selon la personne qui se trouvait devant lui. Il aurait pu l’être là, méchant, d’ailleurs, si la situation avait continué à dégringoler en l’absence de Freja. Il aurait pu être méchant envers la bibliothécaire. Il aurait pu être méchant envers les autres parents qui le regardaient, le jugeaient. Pire encore, il aurait pu être méchant en parlant à William ou à Zoé, alors qu’ils n’étaient que des enfants. C’est ça, qui revira Woody à l’envers. De constater qu’il avait la mèche bien courte, même avec des gamins qui ne faisaient qu’être ça, des gamins. Il ne pouvait plus se dire, Woody, qu’il allait juste éviter ce genre de situation. Pas alors que lui-même avec une fille. Pas alors que ses proches, son entourage, commençaient à avoir des enfants et qu’il désirait être présent. Nullement gêné par l’allaitement de Freja, plutôt déçu de lui-même par rapport à sa réaction, il s’était éclipsé pour aller louer ses livres. Il retrouva la norvégienne à la sortie, dehors. Elle devina bien sûr, à son attitude, à sa fuite, que quelque chose clochait. « Mais oui, ça va. » Avait-il lâché, sèchement. Il inspira profondément, détournant le regard. Il savait que Freja lirait dedans bien trop facilement, sinon. Elle n’avait même pas besoin de le regarder, en fait. Alors, il soupira, et dit : « Je suis juste clairement pas fait pour ça, c’est tout. Jusqu’à maintenant, tout va bien avec Alice alors je suis dans mon petit monde, mais ça lui arrivera, à elle aussi, d’avoir de mauvais moments. Si j’me sens désemparé comme ça à chaque fois, ça le fera pas. » Constatait-il à voix haute.