Jour de match (Concho)

Véritable aficionado de tous les sports possibles, il n'était pas étrange de voir Livio, ce soir, dans ce gymnase en périphérie de Bowen, afin d'assister à un match de basket-ball. Ce qui était amusant, c'était que l'équipe australienne affrontait ce jour une équipe florentine, de quoi lui rappeler la maison, son Italie natale qui commençait à lui manquer terriblement. Peut-être était-ce parce que Livio n'était jamais resté aussi longtemps dans un même endroit qu'il ressentait une telle nostalgie. Seulement, il avait maintenant ses enfants. Il ne pouvait donc plus barouder à gauche, à droite. Voyager, oui. S'installer autre part, non. Il n'avait qu'une hâte : que sa fille Milla soit un peu plus grande afin de partir, Leandro, elle et lui, à la découverte d'un tout nouveau pays. Oui, c'était ce qui le faisait patienter, Livio. Mais revenons à nos moutons. Bière en main, Livio regardait l'écran central qui diffusait pubs et mini-jeux pour faire patienter l'assemblée. Il y avait le jeu du sosie, qui associait des personnages de séries/films à divers inconnus présents, ce soir. Et puis... arriva la Kiss Cam, la fameuse caméra qui attendait les baisers de duos formés aléatoirement. Il eut d'abord ce jeune couple, puis celui plus âgé. Puis... sa tête, à lui. A côté de son voisin de siège. Livio éclata de rire et tourna la tête vers son fameux voisin, montrant d'un signe de la tête l'écran central. « Joueur ? » finit-il par demander, en riant.

J’avais acheté ce billet à la dernière minute, y’en restait qu’un et j’avais sauté sur l’occasion, d’autant plus que tout le monde au #17 (enfin, le #17 qui ne serait bientôt plus vraiment le #17, mais je ne m’habituerais jamais à dire “tout le monde à la maison”, j’crois) était ailleurs ce soir. Je trouvais dommage que le match de basketball était cette semaine et non la suivante, puisque Maxwell arrivait tout bientôt pour ses vacances scolaires, jusqu’à la mi-août. Mais bon, je trouverais bien d’autres événements sportifs auxquels l’emmener cet hiver. Pour ce soir, c’était du me time et je comptais bien en profiter. Disons que le dernier mois avait été pas mal mouvementé et me retrouver seul, de temps en temps, ça m’aiderait peut-être à me jeter un peu moins à droite et à gauche. Entre ma rupture avec Pippa, mes retrouvailles avec Freja (et le silence qui s’en suivait par rapport à ça) et mes écarts avec Joan, je ne savais plus trop où j’en étais. Ça me trottait constamment dans la tête. Ça me tiraillait d’en-dedans. Alors, ouais, regarder un ballon se faire lancer de tous bords tous côtés, ça me changerait le mal de place, ça ferait différent que d’avoir ce feeling-là avec mon coeur. Bière en main, j’attendais le début du match. Les gens commençaient déjà à se crinquer, pour une équipe ou pour l’autre. Il y avait une belle ambiance. Il y avait même la Kiss Cam, mais je ne l’avais regardée que d’un oeil distrait. Disons que regarder des couples être heureux et s’embrasser, ça ne me mettait pas dans le mood désiré. Cependant, quand mon voisin de siège se tourna vers moi et me montrait l’écran, je levai les yeux pour constater avec surprise que nos deux têtes étaient projetées. J’éclatai de rire. « Ben, écoute … plus trop le choix, hein ! » Bien sûr, j’aurais eu le choix, mais j’avais toujours trouvé nuls les gens qui étaient trop embarrassés pour se prêter au jeu. Y allant de façon théâtrale, je posai mes mains pour encadrer le visage de mon voisin de siège et je l’embrassai avec une grande (et fausse) passion. Mouais, ce n’était ni Freja ni Joan mais allez, c’était surtout drôle. Toute la foule était en délire, d’ailleurs.

Le coup de la Kiss Cam, pour le divorcé désespéré qu'il était, c'était aussi remuer le couteau dans la plaie. Et pourtant, Livio gardait un regard songeur sur l'écran, son attention rapidement ramenée quand il vit sa tête en grand, à côté de son voisin. L'italien montra l'écran à celui-ci qui éclata d'un grand rire franc. S'il pensait le taquiner, il ne s'imaginait pas un instant que l'homme serait aussi joueur que lui. « Soyons fous ! » dit-il en riant de plus belle. L'homme s'approcha de lui, prit son visage entre ses mains et l'embrassa d'un baiser de cinéma. La foule réagit instantanément en les acclamant gaiement. Quand l'homme le relâcha, Livio mima une espèce de révérence et déposa un baiser sur son verre de bière, histoire de terminer en faisant ce qui avait fait le buzz sur Internet. L'italien était plié de rire. Quand la caméra partit sur d'autres personnes, celui-ci se tourna vers son voisin et lui tendit la main : « En temps normal, je demande toujours le prénom avant d'avoir embrassé quelqu'un. Livio. » C'était ce qu'on appelait une rencontre atypique.

Il ne fallait pas me défier sur ce genre de choses ! J’étais parfois timide mais quand c’était drôle, loufoque et cocasse, j’étais du genre à embarquer à fond. Si Perry avait vent de ce qui se passait actuellement, il allait mourir de jalousie. Depuis le temps qu’il rêvait d’un baiser entre nous deux. Peut-être bien que, juste par compassion, je pourrais lui offrir ça après. Ça lui ferait peut-être comprendre qu’il n’y avait aucune chimie et aucune chance entre nous, pis il arrêterait enfin ses sous-entendus tout le temps. Bref, pour le moment, j’étais concentré sur mon voisin de banc, et pour le plaisir de tous les spectateurs, on s’embrassa comme sur les films de grand écran. Il aurait juste manqué que je le bascule sur le côté comme une princesse mais bon, j’allais me garder une toute petite gêne avec lui. La foule était en délire et, quand on se sépara (assez rapidement quand même), le jeune homme tira sa révérence et moi, je levai les deux bras en l’air, poings vers le ciel. Je ris en le regardant embrasser son verre de bière, rebaissant mes bras. La caméra s’en alla vers un autre couple, un vrai cette fois, et nous laissa à nos présentations. Je serrai la main de l’homme que je venais d’embrasser à pleine bouche. « Ouais, j’ai l’impression d’avoir mangé le dessert avant le repas principal. » Je ris à ma propre remarque, sortie toute seule. « Parce que ouais, t’étais tout un dessert ! » Continuais-je, question de bien m’enfoncer. « Moi c’est Concho. » Son prénom, par contre, je connaissais. Et pis, maintenant que je faisais le rapprochement, c’est vrai qu’il y avait peut-être des airs de famille. Mais je doutais encore. « Est-ce que tu ne serais pas Livio Manzoni, par hasard ? » Demandais-je.