#42b - leave a light on in the wild because I'm coming in a little blind (sara)

Les semaines puis les mois passaient, dans une douceur qui était généralement plutôt inconnue pour l’aîné des Rutkowski. Il lui semblait que la vie lui était plus clémente, depuis un certain temps. S’il devait mettre une date dessus, un moment bien précis, ce serait mentir de ne pas songer au retour de Sara dans sa vie. À l’arrivée d’Alice, sans prévenir, sans qu’il ne puisse s’attendre à une telle surprise. Cela faisait à peine plus d’un an que la jeune Liao avait toqué à sa porte, la main d’Alice dans la sienne, et que Woody s’était reconnu dans le regard de cette petite fille qui était la sienne, incontestablement. Depuis, le cœur du grincheux semblait s’ouvrir, s’épanouir, avoir bien plus à offrir que ce qu’il aurait pu croire jusqu’ici. Alice y était pour beaucoup. Mais il savait que Sara y était aussi pour quelque chose. Il avait eu du mal à accepter ces sentiments fantômes, qui tout d’un coup lui semblaient tout aussi forts que dans le passé, au tout début de leur relation amoureuse, dix ans en arrière. Il les accueillait avec précaution, ces sentiments, car il redoutait plus que tout de s’emballer, d’agir sur ceux-ci, sans avoir réfléchi à toutes les implications. La dernière chose qu’il souhaitait, c’était de blesser Sara et Alice. De briser ce petit cocon qu’ils avaient réussi à construire malgré les difficultés de leur passé, aux deux parents. Il savait que le contexte n’était plus le même qu’avant. Woody ne pouvait plus se permettre de ne penser qu’à lui, de se foutre des conséquences. Ils avaient bien plus à perdre, désormais. Et il avait encore tellement de travail à faire sur lui. Les visites chez sa psychologue et les discussions de groupe se poursuivaient, il en ressortait à chaque fois avec l’impression d’avoir fait un pas de plus vers l’avant, mais il lui semblait qu’il y aurait toujours bien trop de chemin à faire. Trop de route à faire pour rejoindre Sara là où il pourrait se dire, enfin, qu’il pouvait être à la hauteur. À sa hauteur. Woody, il avait tout ça en tête depuis des mois, tout en ignorant absolument tout de l’état du cœur de Sara. Elle avait peut-être déjà rencontré un autre homme, elle avait peut-être commencé à développer des sentiments pour cette autre personne sans avoir osé les aborder avec l’aîné des Rutkowski. Après tout, l’amour, entre eux ou avec d’autres, avait toujours été un sujet plus délicat à aborder ensemble, en raison de leur histoire qui s’était terminée sur une note bien triste, à cause de Woody. Sara et lui avaient beau avoir réussi à redevenir amis, surtout depuis le mois de mai dernier, il ne savait pas si elle s’aventurerait sur de tels sujets de conversation. Il ne savait pas s’il aurait été en mesure de l’entendre, de toute façon. Être son ami, c’était mieux que de n’être rien du tout, c’était mieux que de n’être que dans le rôle de père pour Alice, enchaînant les appels téléphoniques en urgence ou pour avoir son opinion sur une situation en lien avec leur fille. Oui, être amis, c’était déjà ça, au moins il avait l’impression de s’être rapproché d’elle. C’aurait pu être assez. Mais ce ne l’était pas vraiment. Woody s’entêtait quand même à ravaler tout ce que son cœur lui criait, parce qu’il avait peur, tellement peur, que tout vole en éclats. Ce soir encore, c’était en tant qu’amis, co-parents d’Alice, qu’ils avaient célébré l’adoption officielle d’Alice, par Woody. Les papiers étaient signés, acceptés, classés. Alice était officiellement sa fille, même si ça avait été confirmé, dans son coeur, dans son être tout entier, depuis des mois déjà. Ils étaient allés au restaurant, tous les trois, parce qu’Alice avait choisi l’activité, et le restaurant en question. Elle avait voulu aller à la place au bord de l’eau à Gray’s Bay, et elle avait voulu aller à la crémerie d’à côté après le repas. Ils avaient été là, tous les trois, à déguster leur overdose de sucre, Alice s’endormant presque dans son sundae, vue l’heure tardive. Alors, ils avaient décidé de rentrer et Woody avait voulu venir jusqu’à l’appartement, pour porter sa fille dans son lit. Il venait de monter les escaliers menant jusqu’à l’appartement de Sara, sa fille endormie contre lui, ses bras autour de son cou, sa tête appuyée sur son épaule, ses jambes pendant un peu dans le vide alors que les bras de Woody la soutenaient sous les cuisses. Rien que de pouvoir la tenir comme ça, dans ses bras, d’en avoir encore la force, ça lui donnait tellement d’espoir. Une fois rentrés, Woody et Sara allèrent directement coucher Alice. Une routine dodo écourtée plus tard, le papa remonta les draps sur sa fille, la regarda rapidement se rendormir, un sourire aux lèvres, avant de se lever et de rejoindre Sara qui attendait non loin du cadre de porte de la chambre de la petite. Il referma doucement la porte, en silence, et tourna la tête vers la brunette. Il eut un léger soupir de reconnaissance, de bonheur. « C’est définitivement dans le top cinq des plus belles soirées de ma vie. Merci, Sara. » Il la remercierait jusqu’à la fin de ses jours, de lui permettre de vivre ça.

Sara s’était imaginé énormément de choses au sujet de Woody et de sa réaction par rapport à Alice. Non pas qu'elle doutait qu'il serait un bon père, là-dessus, elle n’avait aucune crainte. En vérité ses peurs étaient très égoïstes, Liao avait peur que son ancien amour lui en veuille de revenir ainsi dans sa vie avec un tel bagage. Après tout, leurs dernières étreintes en Chine avaient le goût des adieux douloureux et elle débarquait avec une surprise qui, au contraire, les liait à jamais. Il aurait pu se sentir piégé par son ex, comme si elle avait fait exprès de garder ce bébé surprise pour le garder sous sa coupe. Évidemment Sara n’avait pas agit dans ce but, mais sur le coup, il aurait pu légitimement le penser. Ou bien il aurait pu laisser éclater une colère valide en apprenant, déjà qu'il avait une fille, mais qu'il avait été privé des premières années de sa vie. Tout cela aurait été valable, Sara l’aurait mérité. Cependant il n’en était rien, depuis un an que la brune avait retrouvé sa vie à Bowen et révélé son secret, le bel australien l’avait épargnée. Peut-être avait-il songé à tout cela, mais visiblement le bonheur d'être papa avait surpassé le reste et d’éventuels conflits. Depuis janvier dernier, il avait entamé les démarches pour reconnaître légalement Alice comme sa fille, devenir son papa. Ils avaient réussi à trouver un rythme, la petite fille était toujours très heureuse de passer du temps avec son père, tous les deux, ils s’étaient trouvés. Et Pousse-mine complétait leur foyer. Comme bon nombre d'enfants, à présent, Alice était officiellement fille de parents séparés, elle avait deux maisons, deux familles et elle avait l’air heureuse. Pour Sara ç'avait été moins évident au départ. Devoir partager sa précieuse enfant, après avoir passé trois ans collées serrées. Mais devoir également côtoyer Woody et faire face aux sentiments forts qui remontaient à la surface. Elle l’aimait encore, certaines choses ne changeraient définitivement jamais. Néanmoins, au-delà de cet amour à sens unique, elle avait surtout besoin de retrouver leur complicité qui s'était perdue au fil des années, de leurs amours malheureux et de l’éloignement géographique. Ils avaient fait de grands progrès ces derniers mois et Sara pouvait dire qu'elle avait retrouvé son ami de toujours. Ce soir ils avaient dîné ensemble pour célébrer la réception du papier qu'ils attendaient tant, Woody était très officiellement papa ! Sara aurait aimé quelque chose de simple, dans l’intimité de son appartement. Mais Alice avait voulu faire les choses en grand et comme on était vendredi soir, qu’il n’y avait pas d’école le lendemain, les jeunes parents avaient accepté de dîner au restaurant. Même de porter de ridicules chapeaux pointus en papier “pour faire la fête”. De toute manière, ils étaient, l'un comme l'autre, incapables de refuser quoi que ce soit à cette gamine ! Même la boule de glace en trop avait été acceptée, Sara avait râlé parce qu’Alice avait réussi à tâcher son t-shirt, mais en vérité cette soirée avait été parfaite en tout point. Jusqu'à Woody qui avait porté sa fille jusque dans son lit, ce qui avait eu le don de faire totalement fondre le cœur de la jolie maman. Elle n'avait pas questionné ses forces et sa capacité à tenir le poids de l’enfant, s’il le faisait c'était qu'il s'en sentait capable. En vérité elle le trouvait beaucoup plus en forme depuis quelques temps, il semblait qu'il se servait bien moins de sa canne, qu'il avait retrouvé une certaine vitalité, Sara ignorait si c'était l'effet Alice, mais elle avait envie d'y croire. Cette enfant était magique, elle n'en doutait pas une seconde. Une fois la porte fermée, elle accueillit le brun avec un doux sourire. Je n’ai rien fait. C’est elle qui te rend si heureux ! C'était une soirée merveilleuse Woody, Alice était aux anges. La petite fille était le genre d'enfant facile à contenter, mais ce soir, elle avait eu l’air particulièrement heureuse, elle respirait le bonheur. J'ai une bouteille de champagne au frais, de base je voulais qu'on boive une coupe à la maison avant de partir, mais comme on n'en a pas eu l’occasion, est-ce que tu veux qu'on l’ouvre ?! Sara buvait peu d'alcool, encore moins devant sa fille, mais ce soir était exceptionnel et puis Alice dormait profondément.

Encore une fois, Sara avait du mal à recevoir le remerciement. Pourtant, si seulement elle savait à quel point c’était grâce à elle, tout ça ! Bien sûr, Alice était son petit rayon de soleil, elle lui donnait la force d’avancer, de se retrousser les manches pour faire le plus dur du travail, mais rien de tout cela n’aurait été possible sans Sara. Puis, il n’y avait pas qu’Alice qui le rendait heureux. Sara aussi. Le simple fait de l’avoir retrouvée, dans cette complicité qui ressemblait à celle d’avant, c’était une vague d’apaisement. Ce n’était pas pour rien que Woody paraissait plus en forme, dernièrement. Il avait l’impression que son corps tout entier était plus calme, qu’aucune tempête déclenchée par sa maladie ne pouvait le renverser, cette fois. Le trentenaire n’était pas dupe, il savait que ça finirait par le rattraper, mais il profitait de chaque instant de cette pause, de cette trêve. Alice et Sara agissaient comme un anti-stress sur lui, et c’était exactement ce dont il avait besoin pour aller mieux. Il s’accrochait à elles, peut-être un peu trop, il n’en savait rien, en tout cas Sara ne lui avait rien reproché jusqu’à maintenant. « Oui, moi aussi, je l’étais. Je le suis encore. C’était certainement le meilleur cadeau d’anniversaire que je pouvais souhaiter avoir. » Le feu vert administratif était tombé pile la veille de l’anniversaire du vieux grincheux, qui se trouvait officiellement plus près de la quarantaine que du début de la trentaine. Ordinairement, une année de plus lui aurait miné le moral, puisque dans son cas vieillir n’annonçait rien de bien joli, mais les circonstances atténuaient sa colère intérieure, ses craintes ineffaçables. Sara proposa d’ouvrir la bouteille de champagne qui les avait attendu au frais avant qu’ils ne partent un peu plus tôt, sans qu’ils en aient l’occasion, finalement. Il sourit. Woody non plus ne buvait pas vraiment d’alcool. Il avait beaucoup donné là-dessus, dans son jeune temps. Depuis la progression plus rapide de sa maladie, il avait pas mal fait un trait sur l’alcool, puisque généralement la consommation déclenchait ou accentuait certains symptômes. Cependant, ce soir, il était officiellement papa et il aurait trente-six ans dans quelques heures. Il pouvait bien se permettre un écart. En plus, ça signifiait qu’il pouvait prolonger la soirée auprès de Sara. Il préférait largement une petite heure de plus à ses côtés que de rentrer seul chez lui, dès maintenant. Elle lui manquerait dès qu’il aurait passé le pas de la porte. C’était à ce point-là qu’il était retombé, Woody, même s’il gardait ces sentiments-là rien que pour lui, depuis plusieurs mois. « Avec plaisir. » Il suivit Sara jusqu’à la cuisine, où elle sortit la bouteille de champagne du réfrigérateur. Il sortit deux coupes de champagne - ce n’était plus la première fois qu’il visitait l’appartement de Sara, depuis le début de l’hiver ses visites s’étaient faites plus nombreuses, et il commençait à bien connaître la place. Il les déposa face à Sara, qui s’apprêtait à ouvrir la bouteille. « Tu vas t’en sortir, ou bien je devrais aller me mettre à l’abri ? » Demanda-t-il d’un ton de voix moqueur.

La jeune femme savait qu Woody était différent en sa présence, qu’il était plus calme, plus apaisé. Elle avait ce don-là, celui de faire du bien aux gens. Elle était de ces personnes posées, positives même en pleine tempête, volontaire et en même temps très douce. Elle était intelligente, Sara, de celle qui vous faisait réfléchir avant d’agir, de celle qui avait des ressources inattendues. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait choisi de s’occuper d’enfants et que ce métier lui allait si bien, elle savait y faire. Et son ami de toujours, cet éternel enfant buté, un peu trop tempétueux, elle savait comment s’y prendre avec lui, avec patience et tendresse. Woody et Sara allaient parfaitement bien ensemble, ils se complétaient et c’était là tout le côté tragique de leur histoire. Ils formaient un si beau couple, qu’il ne pouvait pas être vrai. Il fallait qu’ils fichent tout en l’air, surtout lui, il fallait bien l’admettre. Peut-être que, malgré le bien qu’elle lui faisait, elle était n’était pas assez excitante, Sara, pas assez exotique, pas tellement surprenante non plus. Dès qu’il avait besoin d’elle, elle accourait, même quand il ne demandait rien, même quand elle vivait à des milliers de kilomètres de lui, sur un autre continent, elle venait le soutenir. La preuve, elle était venue assister aux funérailles de sa mère. Non, Sara n’était pas assez challengeante pour cet homme qui avait définitivement besoin de vibrer. Mais elle était une constante, elle était là. C’était pour cette raison qu’elle avait arrêté de demander la lune, elle se faisait du mal à espérer après lui alors qu’il ne lui promettait rien. Quelques mois plus tôt, elle avait pris la décision de rester son amie, de ne rien attendre de plus. Parce qu’être amis, c'était bien, c’était assez, c’était aussi une relation bien plus saine, l’amitié. Et ç'avait changé son quotidien auprès du barbu. Ils avaient retrouvé cette complicité, comme avant, ou presque, avec Alice dans le tableau. Ils partageaient beaucoup plus parce qu’elle ne marchait plus sur des œufs avec lui, elle n’avait plus peur qu’il devine ses sentiments, qu’il prenne peur de sa démarche. Elle avait refoulé cet amour, avait verrouillé son cœur pour l’empêcher de soupirer, comme elle l’avait déjà fait tant d’années plus tôt. Depuis, tout était plus léger, leurs moments à trois, à deux, même s’ils étaient plus rares, elle avait entendu Woody rire avec légèreté et ça l’avait rendu heureuse. Ils formaient une famille heureuse, un duo de co-parents en accord, complices. La brune guidait son ex avec douceur dans son apprentissage de la parentalité, mais aujourd’hui, elle savait qu’il n’avait plus besoin d’aide, il fallait juste qu’il prenne confiance en lui. Ce soir, il s’était montré parfait, il avait l’air sincèrement comblé. Il fallait avouer que l’annonce officielle de l’adoption était tombée au moment parfait, la veille de son anniversaire, comme le plus merveilleux des cadeaux. Sara lui sourit. Je ne savais pas quoi t’offrir alors, j'ai joué des coudes pour que tu obtiennes ta réponse pile à temps pour cette date. Évidemment, elle n’avait pas ce genre de pouvoir, elle aurait eu beau jouer de ses charmes, faire le pied de grue devant les bureaux de l’administration, ça n’aurait probablement rien changé. Ça devait simplement se faire ainsi et c’était d’autant plus beau. Elle dodelina de la tête en pouffant de rire. C’est faux, mais de toute manière ton anniversaire, c'est demain, donc tu n’auras ton cadeau que demain ! On a encore le même âge pour quelques heures. Qu’elle ajouta avec un sourire en coin. C’était un peu leur petite blague à eux, quand ils étaient adolescents et que Woody traitait Sara de gamine, elle avait seulement quelques mois de moins que lui, mais à l’époque, c'était comme si c’était trop. En octobre, il prenait un an et durant un peu plus de trois mois, il “avait un an de plus qu’elle”, il aimait bien l’embêter avec ça. À présent, il faisait un peu moins le malin avec les années qui défilaient. Mais cet anniversaire-là, il s’en souviendrait, celui-là avait quelque chose de magique. Alors pour fêter ça et son statut officiel de papa, Sara avait acheté du champagne, elle n’y connaissait pas grand-chose, elle avait dû demander conseil à son beau-père, donc elle espérait qu’il serait bon. Même si, au fond, c’était juste pour marquer le coup, tous les deux n’étaient plus vraiment de grands consommateurs d’alcool. Dans sa cuisine, elle récupéra la bouteille au frigo et il s’occupa des verres à pied, Liao n’avait même pas de vraies flutes de champagne, mais ça ferait l’affaire. Woody semblait autant à l’aise que chez lui dans ce petit appartement qu’il connaissait bien à présent. C’était doux comme moment, c’était doux de l’avoir près d’elle, seuls tous les deux, tout en sachant que leur fille dormait profondément juste à côté. C’était un sentiment de plénitude que Sara ressentait à cet instant-là. Elle commença à ouvrir la bouteille en prenant mille précautions, parce qu’elle était probablement l’une des personnes plus maladroites de cette planète. Et Woody ne manqua pas de le lui rappeler. Elle lui tira la langue tout en commençant à jouer avec le bouchon. Pas de réflexion désobligeante, je suis une femme moderne, monsieur ! Et le bouchon sauta, évidemment de la mousse sortit de la bouteille et Sara laissa échapper un cri de surprise. Donne-moi un verre au lieu de me regarder ! Ordonnait-elle dans un éclat de rire.

Il n’avait plus autant besoin de vibrer qu’avant, Woody. Il est vrai qu’à une époque, il était celui à préférer n’en faire qu’à sa tête tout le temps, ne jamais savoir de quoi serait fait le lendemain. À ce moment-là de sa vie, une personne comme Freja avait effectivement su venir chercher l’excitation en lui, le thrill qu’il recherchait. Les hauts et les bas de sa relation avec la norvégienne étaient caractéristiques de ce chaos qu’il recherchait. Une bonne partie de leur relation avait été toxique, même s’il y avait aussi eu beaucoup d’amour et beaucoup de douceur, leur côté autodestructeur avait quand même eu raison à la toute fin. Ils s’étaient fait autant de mal que de bien. Aujourd’hui, Woody n’avait plus l’énergie pour de telles montagnes russes émotionnelles. Il avait trouvé une certaine stabilité avec Charlie, d’ailleurs, qu’il avait toujours qualifiée de lumière dans sa noirceur. Charlie ressemblait pas mal à Sara, quand on y pense bien. Elle était calme, patiente, douce. Elle l’apaisait. Mais à ce moment de sa vie, Woody était encore bien plus en duel contre lui-même qu’il ne l’était aujourd’hui. Et puis, il y avait eu l’accident qui avait causé le décès de sa mère, et ça avait envoyé Woody au fond du trou. Depuis plusieurs mois, il s’en relevait, il remontait la pente, et il était bien mieux outillé grâce à ses séances plus fréquentes avec sa thérapeute. Woody ne cherchait plus de challenge. Il cherchait à se poser, enfin. Après une vie à courser, d’abord contre d’autres cyclistes puis après contre la montre, Woody n’avait plus envie de courir. Il n’avait plus envie de terminer chacune de ses journées complètement essoufflé. Il avait déjà donné.

Woody regarda Sara d’un œil suspicieux alors qu’elle prétendait avoir été à la source de sa réponse positive aujourd’hui, le jour de son anniversaire, concernant la reconnaissance de sa paternité. « Toi, t’as joué du coude ? » Demanda-t-il, pas du tout convaincu par cette affirmation. D’ailleurs, elle pouffa de rire, incapable de tenir ce mensonge plus longtemps. Woody sourit à son tour. « Ah bon ? J’aurai un cadeau ? » La nargua-t-il un peu, même si c’est vrai qu’il en était surpris, même s’il n’aurait pas dû l’être, venant de Sara. Bien sûr qu’elle avait prévu un petit quelque chose. Tout comme elle avait prévu ce champagne pour célébrer le fait qu’il était maintenant officiellement le papa d’Alice. Woody ne buvait pratiquement plus alors clairement, cette coupe allait rapidement lui monter à la tête, mais il avait bien envie de prolonger ce moment auprès de Sara. S’il ne pouvait pas être complètement ouvert par rapport à la situation de son cœur, il pouvait au moins profiter des instants qui s’allongeaient de temps en temps. Ils se rendirent donc à la cuisine où la brunette réussit à faire sauter le bouchon du champagne malgré les taquineries du trentenaire, non pas sans lâcher un cri de surprise. Lui, il la regardait en riant, juste bien, dans ce moment. Elle le sortit rapidement de ses rêveries. « Ah, euh, oui ! » Il lui tendit la première coupe, puis la deuxième. Son sourire ne quittait plus son visage. Il allait avoir mal aux joues, demain matin, à force d’utiliser ces muscles qu’il avait remisés pendant un bon bout de temps. Une fois les deux servis, coupes en main, Woody leva la sienne pour trinquer. « À ce nouveau chapitre qui débute officiellement. » Il cogna gentiment la coupe de Sara et ramena la sienne à ses lèvres, prenant une première gorgée. Il hocha la tête, satisfait. « T’as fait un bon choix. Il est excellent. » Il garda la coupe dans sa main, à la hauteur de son ventre, regardant son amie en silence, les pensées distraites. Elle était tellement belle. Et elle lui apportait tellement de paix. Il aurait voulu se sentir à la hauteur, ce soir, et acter sur ce qu’il gardait pour lui depuis plusieurs mois désormais. Il esquissa un faible sourire, réalisant que ce ne pouvait pas être aussi facile que ça. « On passe au salon ? » Proposa-t-il finalement, se dirigeant aussitôt dit vers le canapé, où il prit place.

Sans même s'en rendre compte, Sara avait toujours eu besoin d’être dans une relation amoureuse, en couple. Depuis qu'elle était adolescente, depuis son premier copain, la brune n’avait quasiment jamais été seule, ou pas longtemps. Elle était passée de Woody à Jamie, pour revenir à Woody et une fois à Pékin, il ne lui avait pas fallu longtemps pour tomber dans les bras de Ian. C'était un fait, elle avait toujours eu besoin d'avoir un homme à ses côtés, de ne pas se sentir seule ou trop vulnérable. Mais depuis qu’elle s'était séparée de Ian, parce qu'elle avait réalisé qu'elle ne l’aimait pas, qu'il était un ami pour elle et rien de plus, Sara n’avait plus eu personne dans sa vie. Pas même dans ses bras d'ailleurs. Elle avait transféré tout ce trop plein d'affection sur sa fille, ce n'était probablement pas sain, mais c'était inconscient, elle n'avait plus besoin d’un homme, puisqu'elle avait Alice. Et même si son cœur battait toujours pour le bel australien, elle refusait à présent de voir Woody comme un amoureux, elle avait trop souffert pour lui, alors qu'il ne voulait pas d’elle. Depuis quelques mois, chaque jour confirmait qu’ils s’en sortaient bien mieux en tant qu’amis qu’autre chose. Ils avaient retrouvé une complicité, une relation sans sous-entendus, sans tension, c’était beaucoup plus sain et Sara se sentait bien plus libre sans rien attendre de lui. Si ça ne devait pas se faire, s’il ne devait pas être l’homme de sa vie, alors tant pis, il ne le serait pas, il serait son meilleur ami, ce serait probablement leur plus belle réussite. Quant à l’amour, elle vivait très bien sans. Sara restait une romantique, biberonnée aux Disney et contes de fée, elle était fleur bleue, mais elle ne voulait pas se précipiter dans les bras du premier homme qui venait. Elle ne provoquait même pas le destin en s’inscrivant sur une appli de rencontre, comme beaucoup le faisaient aujourd’hui. Non, finalement, elle appréciait cette solitude et le fait de se rendre compte qu’elle pouvait vivre sans un homme. Si un jour son prince charmant devait se montrer, elle ne le refuserait pas, s’il lui tombait dessus au supermarché ou en pleine rue, lors d’une soirée ou qu’importe, soit, elle l’accueillerait à bras ouverts, mais rien ne pressait. Elle ne réalisait pas que le prince était déjà là, qu’il était tout autant échaudé qu’elle, qu’il trainait ses casseroles et ses problèmes, mais qu’il la regardait avec tendresse, sans oser faire un pas vers elle. C’était toujours un problème de timing entre Woody et Sara. Mais ce soir, elle voulait juste profiter et que la soirée ne s’arrête pas. La première partie avait été si belle, tous les trois, avec leur fille qui prenait évidemment toute la lumière. Elle méritait cette attention, Alice, elle était cette enfant, peut-être non désirée, mais qui avait créé la surprise, qui laissait entrer la joie et la légèreté dans leurs vies. C’était parfois épuisant, ce trop-plein d’énergie, mais elle grandissait si vite, un jour, elle quitterait le nid, elle n’aurait plus besoin d’eux. La jeune maman savait qu’à ce moment-là, elle se retrouverait bien démunie. Alors, elle profitait de chaque instant, de chaque éclat de rire, de ses câlins, des nuits où elle se glissait tout contre elle dans le lit. Et des moments magiques avec Woody. Mais maintenant que la petite était couchée, ils redevenaient deux adultes sans contrainte et Sara avait aussi envie d’en profiter un peu, parce que c’était beaucoup plus rare. Elle lui offrit une petite moue quand il s’étonna qu’elle ait pu jouer des coudes, évidemment que non, ce n’était pas tellement dans son tempérament, à la jeune femme. D’ailleurs, elle ne resta pas sérieuse bien longtemps, lui arrachant un sourire au passage. C’était décidément bon de le voir sourire, se détendre. Oui tu auras un cadeau, plusieurs même, Alice a insisté pour t’en offrir aussi. Mais tu vas devoir être patient. Quelques heures, seulement, ce n’était pas si long. Ce moment tous les deux, de pure complicité, de sourires et d’éclats de rire, c’était exactement ça que Sara voulait, tout le temps, elle avait besoin que ce soit simple et fluide avec Woody. Elle était consciente qu’il y aurait des passages difficiles, avec sa maladie, avec la parentalité, avec la vie tout simplement. Mais ça ne devait pas redevenir la normalité et les séparer à nouveau, elle le refusait. Le champagne fut versé dans les coupes et le brun porta un toast simple et efficace. L’institutrice hocha la tête pour approuver avant d’entrechoquer son verre avec celui de son invité. À toi ! Et elle but une gorgée. Effectivement le champagne était très agréable, elle devrait se rappeler de remercier son beau-père pour son choix. Ce fut en pensant à ça que Sara remarqua que Woody la dévisageait avec le regard brillant. Elle plongea son regard dans le sien, cherchant à le sonder, à savoir à quoi il pouvait bien penser pour avoir l’air si absorbé. Probablement qu’elle rougit un peu, parce qu’elle restait cette femme sensible et gênée d’être le centre de l’attention. Il proposa d’aller au salon et elle hocha positivement la tête, bonne idée, parfait pour rompre ce contact visuel un peu trop intense. Elle alluma son enceinte Bluetooth et lança une playlist folk sur son téléphone, en prenant soin que la musique ne soit pas trop forte. Puis, elle s’installa à côté de Woody sur le canapé. Elle lâcha un léger soupire. Tu es officiellement papa, Woody. Un mince sourire étirait ses lèvres, Sara était partagée en beaucoup d’idées et de sentiments un peu contradictoires. Je sais qu’il va falloir qu’on discute de la garde d’Alice, tu ne peux plus te contenter d’un week-end de temps en temps, il va falloir cadrer tout ça. Mais je n’ai pas envie d’en parler ce soir. Pour tout te dire, ça m’effraie un peu. Elle lui avouait ses craintes du bout des lèvres. Elle avait voulu de tout ça et c’était un véritable bonheur, mais d’un autre côté, devoir se séparer de sa fille une semaine sur deux lui crevait le cœur.

hj:

En vérité, Woody n’était pas tellement intéressé par les cadeaux, le jour de son anniversaire. Il faisait le clown, là, du moins il essayait, pour faire sourire Sara. Pour essayer de retrouver cette complicité douce et légère entre eux. Dans les faits, il ne s’attendait jamais à grand-chose, pour les cadeaux. Il pouvait généralement s’offrir tout ce qu’il voulait, à n’importe quel moment de l’année, s’il le désirait réellement. Il préférait qu’on ne dépense pas d’argent sur lui, pour lui. Cependant, quand Sara lui affirma qu’Alice aussi avait insisté pour lui en offrir un, il devint un peu plus ému. De ce cadeau-là, il en voulait. Ce ne serait pas un cadeau matériel, superficiel. Ce serait un cadeau qui viendrait du cœur de sa fille. Un dessin, peut-être ? Une recette de biscuits qu’elle aurait cuisinés, avec l’aide de sa mère ? Un court poème rempli d’amour ? Il y avait beaucoup et peu de possibilités à la fois. Elle n’était qu’une enfant. Mais quelle enfant ! Alice débordait d’imagination et de moyens. Elle pourrait le surprendre, encore une fois. « Heureusement que la patience est ma plus grande qualité, alors. » Ou pas. Le sourire au coin de ses lèvres montrait bien qu’il ne se croyait pas lui-même. Le duo passa à la cuisine, où ils se servirent des coupes de ce fameux champagne, qui était franchement bien sélectionné et Woody le laissa savoir. Ce n’était pas le champagne, cependant, qui rendait ce moment bien magique, même si c’était une belle contribution. C’était le rôle qu’il avait désormais auprès d’Alice, officiellement. C’était la chimie retrouvée avec Sara, même si ce n’était qu’en amis. C’était ce sentiment de bien-être qui enveloppait Woody quand il regardait son amour de jeunesse. La même quiétude qu’autrefois lorsqu’il se retrouvait dans son sillage. Sortant de sa tête, après avoir remarqué qu’il avait été pris en flagrant délit de rêveries, le trentenaire proposa de passer au salon. Il était embarrassé de son propre écart de pensées. Un changement d’ambiance s’imposait avant qu’il ne flanche. Sara lança une playlist folk avant de venir s’asseoir à côté de lui. Il but une autre gorgée de champagne. Il écouta attentivement Sara. Il se doutait que la dernière année avait aussi chamboulé toute sa vie à elle. C’était tous les trois qui étaient touchés par l’entrée de Woody dans la vie d’Alice. La jeune maman avait sa routine, ses habitudes, son quotidien, avec sa fille. L’aîné des Rutkowski voulait sa place, oui, mais il était conscient de tout ça. Puis, il était effrayé, lui aussi, que ça aille trop vite. Il ne savait même pas s’il arriverait à avoir Alice pour de plus longues périodes, d’ailleurs. « Qu’est-ce qui t’effraie, exactement ? Je sais que tu ne veux pas nécessairement en parler ce soir, mais … peut-être que ce serait moins effrayant, si on se partageait tous les deux nos craintes. On n’aura peut-être pas toutes les solutions ou les réponses ce soir, mais … au moins ce sera dit. » Et c’était le roi des non-dits qui proposait cela. Comme quoi, Rutkowski était vraiment en train de changer, lentement mais sûrement.