pour nous sauver de toutes les peines d'avant -marcus

Elle avait juste dit l’idée comme ça, au détour d’une conversation, il y a quelques temps. Elle ne pensait pas que ça la mènerait à là, Ella, à revenir au Elm Street. Pourtant, son cousin a été heureux d’apprendre qu’elle a cette motivation, de monter un truc à elle, de réaliser un petit rêve. Et cela lui a fait chaud au cœur, à Ella, de se sentir soutenue, comme ça, par ses proches. Cependant, au milieu de cette euphorie persiste une angoisse. Elle ne se sent pas, elle ne se sent pas entièrement prête à franchir le cap, à tout faire, à ce que tout roule. Elle redoute que tout s’effondre, que malgré toute la confiance placée en elle, elle ne parvienne pas à répondre aux attentes et déçoive ceux qui croient en elle. Mais elle ne peut plus revenir en arrière, Marcus lui a proposé de passer avant l’ouverture du Elm pour lui expliquer la gestion d’une entreprise. Elle a un peu peur de traverser cette porte, de découvrir qu’en effet, elle en serait incapable de tout tenir même si elle y a déjà travaillé dessus, même si elle a fait des calculs -un peu trop savant d’après elle- et que techniquement, tout irait bien. Ses pensées intrusives s’intensifient de plus en plus. Elle aurait pu faire demi-tour si elle n’avait pas croisé le regard de son cousin. Trop tard. « Salut Marcus, tu vas bien ? Je ne te dérange pas ? » demande-t-elle , sait-on jamais, le rendez-vous pourrait être décalé. Plus elle s’approche de lui, plus ses pensées diminuent. C’est vraiment sa bulle familiale son refuge, à Ella. Ca a toujours été ça, et ça l’est encore. Elle s’assoit au comptoir, attendant peut-être des recommandations, attendant peut-être un verre, attendant peut-être un cours ? L’idée de cours la fait sourire, cela lui rappelle de vieux épisodes, tous les deux penchés sur ses exercices de physique ou de mathématiques. Marcus sera décidemment toujours le professeur d’Ella. Une constante qui ne change pas, une constante qui devient finalement un repère pour Ella. « J’espère que je serai plus douée en gestion qu’en mathématiques. » plaisante-t-elle, en clin d’œil à leurs heures passées ensemble.

Il était presque dix heures du matin et Marcus ne comptait déjà plus les tasse de café qu'il avait avalé. Il avait les traits chiffonnés de celui qui avait trop peu dormi, le regard approximativement vide et les cheveux ternes. Ses gestes étaient lents, empâtés, il subissait de plein fouet une énorme gueule de bois, la gerbe au bord des lèvres et la migraine n'étaient pas en option. Il avait l'impression qu'un concert de hard rock se jouait dans sa boite crânienne. Il aurait pu demander à Sierra de venir ouvrir à sa place ce matin, mais il avait rendez-vous avec Ella et il était déjà assez difficile qu'ils se trouvent un moment tous les deux, il n'avait pas eu envie de décaler. Heureusement, le mardi, il n'ouvrait qu'à onze heures, ça lui laissait déjà un peu de répit. Le barman appréhendait ce rendez-vous, non pas la peur de voir sa cousine, bien au contraire, leur relation s'était considérablement améliorée depuis que la jeune femme avait accepté d'entrer dans le monde de Marcus. Il lui semblait qu'elle était enfin consciente qu'il était heureux dans ce choix de vie et qu'elle avait fait la paix avec les grands espoirs qu'elle avait fondés sur lui et qui ne se réaliseraient jamais. Non, il appréhendait particulièrement parce que la brune le connaissait, elle savait qu'il avait eu une mauvaise passe avec l'alcool au départ de Pénélope. Elle l'avait jugé pour ça également à l'époque, elle s'était inquiétée pour lui. Et aujourd'hui, il était bien conscient que ça recommençait, qu'il se soulait plus que de raison, trop souvent, seul, comme à la grande époque. Penny était de retour et il retombait dans son cercle vicieux, parce qu'il était incapable de gérer. Il mettait en péril sa belle histoire avec Ann, sa nouvelle compagne, pour les beaux yeux et les formes trop attirantes de son ex-femme et il culpabilisait. Alors il rentrait de plus en plus tard, il buvait pour oublier, parfois il dormait sur son bar, ce manège durait depuis des semaines et il commençait sévèrement à en payer le prix. C'était bien beau, à l'époque quand elle l'avait quitté, il avait dix ans de moins, à trente-neuf ans aujourd'hui, il ne suivait plus le rythme. Mais il ne voulait pas qu'Ella s'en fasse pour lui, elle ne devait pas savoir que Penny était de retour, qu'il l'avait revue, qu'il avait couché avec elle, elle ne devait rien savoir sinon il serait foutu. Alors quand elle passa la porte avec son sourire et son air guilleret du matin, O'Brian leva la tête, lui sourit en retour et fit bonne figure. Ella ! Je t'attendais ! Qu'il claironna un peu trop fort pour l'état de sa migraine. J'allais me faire un café, ça t'intéresse ? Ou un thé, un chocolat chaud ? Une bière ? L'idée d'une petite mousse aurait pu le faire vomir là, mais il se devait de proposer. Il pouffa de rire à sa réflexion avant de l'aviser d'un regard moqueur. Tu ne peux qu'être meilleure en gestion qu'en maths ma chérie ! Il en avait eu des sueurs froides avec elle, à essayer de lui expliquer les bases de mathématiques, durant des heures à l'époque, alors qu'elle le regardait avec des yeux de merlan frit. Mais la gestion, c'était parfaitement différent. Du moins, il expliquait qu'elle serait meilleure, parce que ce matin, il n'était pas en état de s'arracher les cheveux.

@Ella O'Brian

Ella n’aurait jamais cru que le Elm Street devienne un repère de l’ancien temps où elle s’asseyait près de son cousin dans la cuisine pour comprendre des formules de mathématiques ou de physiques -elle ne sait plus trop, tout se ressemble de toute façon. Celui-ci se transforme petit à petit : Ella est loin de ses treize ans, Marcus n’a plus dix-neuf ans. La cuisine devient un comptoir de bar, et les mathématiques se métamorphosent en tableau Excel de gestion. Pourtant, Ella a l’impression de revivre ce sentiment si familier, ce sentiment qui les lie. Sûrement l’amour qu’elle porte à son cousin qui n’évolue pas. Les tensions au sujet du changement de carrière s’apaisent, et peut-être qu’une nouvelle forme d’admiration réapparaît aux yeux d’Ella. Cependant, malgré tout cet engouement, Ella stresse encore. En effet, elle a peur de découvrir que ses calculs sont mauvais, qu’elle n’ait pas les compétences nécessaires pour ce projet, ou que tout menace de s’effondrer. C’est donc dans ces émotions alternants entre joie et inquiétude qu’Ella s’attable au comptoir du bar. Elle se sent immédiatement à sa place avec l’accueil toujours si chaleureuse de son cousin. Elle écoute els différentes propositions de Marcus sur la boisson. « Comme d’habitude, un thé s’il te plaît. » répond-elle. Elle n’est pas trop café, le chocolat chaud peut lui provoquer des douleurs au ventre, et il est bien trop tôt -selon sa vision- pour une petite bière. Puis surtout, elle connaît ses limites en alcool : elle est loin d’être capable d’en boire et de rester concentrer. Puis, elle rit de bon cœur avec son cousin malgré la petite plaisanterie qu’il vient de lui lancer. Il faut être honnête, bien que leurs efforts ont été communs, les résultats n’ont jamais su être à la hauteur de leurs espérances. « Hé, je te permets pas ! J’ai quand même validé toutes les matières, et après plus besoin ! » fanfaronne-t-elle. Valider est le mot juste. Elle n’avait pas fait des miracles, juste le nécessaire pour passer au niveau suivant jusqu’en entendre plus parler définitivement. Cette fois-ci, elle espère vraiment dépasser ça, et arriver à gérer parfaitement un lieu. Comme son cousin, finalement. Elle observe le Elm Street, il a su faire son nom et une place dans le cœur des habitants de Bowen. En attendant que Marcus serve les boissons -elle suppose qu’il prendra quelque chose avec elle-, Ella sort son ordinateur et ses papiers, prête à lui montrer ce dont elle avait imaginé. « Ca te va si on commence ? » propose-t-elle. « Je me dis que plus tôt on commence, plus on pourrait passer à autre chose… Enfin, j’espère. » hoche-t-elle des épaules. Comme à l’époque, ils commençaient par des maths, puis ils passaient du bons temps ensemble : un fast-food, un cinéma, un jeu de société. Ella imagine la même chose ici, deux-trois leçons de comptabilité, et hop, un petit verre de vin ou un restaurant aux alentours du bar. Elle regarde son cousin servir l’eau chaude et jette un œil à son Excel. Ok, elle le reconnaît, ce n’est pas le plus glorieux, mais il a fonctionné auprès de la mairie -qui lui a demandé de retravailler un petit peu sans être un total refus. « J’ai.. j’ai commencé un truc.. ne juge pas hein. » présente-t-elle en appuyant son regard sur son cousin à la rechecrhe d’une quelconque émotion.

L’idée d’aider sa cousine, comme à l’époque où elle s’asseyait à la table de la cuisine avec un chocolat chaud pour comprendre les théorèmes et autres règles de mathématiques, plaisait beaucoup à Marcus. Ils s’étaient pas mal éloignés ces dernières années, pourtant Ella manquait énormément au barman, leur complicité, leurs confidences. Il en avait beaucoup bavé au cours des dix dernières années, il était passé par des phases compliquées et bien qu’il ait toujours su qu’elle serait là s’il avait besoin, il n’avait jamais osé. Parce qu’elle n’avait pas compris ses choix, mais aussi parce qu’il avait voulu la protéger de son comportement toxique envers lui-même. Il n’en avait parlé à personne, de son addiction à l’alcool, lui-même se voilait beaucoup la face à ce sujet. Néanmoins, certains savaient, certains l'avaient percé à jour, essayé de l’aider. Mais il ne s’agissait pas d’arrêter de boire, pas seulement, il fallait surtout qu’il soigne son chagrin. Alors si Ella avait une part de responsabilité dans leur brouille, lui-même n’avait rien fait pour arranger les choses. C’était plus simple qu’elle soit loin de lui, qu’elle ne le voit pas misérable à cette époque-là. Évidement, elle avait su, mais peut-être n’avait-elle pas eu conscience de l’importance de son addiction. Depuis quelque temps les choses allaient beaucoup mieux entre la jeune femme et son cousin, dans sa vie à lui aussi, finalement le timing avait été parfait. Mais rien n’était jamais acquis, depuis le retour de Pénélope, il sombrait à nouveau, la nuit passée il avait abusé, encore, et ce matin, il en payait le prix. Mais la brune s’avançait déjà et il fit bonne figure, ils avaient à parler affaires, la perspective l’attirait beaucoup, il arriverait à donner le change. Ella demanda un thé et il servit de l’eau chaude dans une théière, mis quelques sachets à disposition pour qu’elle choisisse, n’oublia pas la tasse avec le petit spéculoos à côté. Et lui se resservit un grand café noir. Encore heureux que tu les aies validés ! On a passé des heures dessus ! J’aurais été un bien piètre professeur sinon. Déjà à l’époque, il était pédagogue et patient, il adorait ça, aider les autres à comprendre. La jeune femme posait déjà son ordinateur sur le comptoir, Marcus hocha la tête pour approuver. Installe-toi, vas-y. Il terminait de tout préparer tout en jetant un œil à son tableau. En temps normal, il adorait ça et il se serait concentré sur l’écran, mais là, la lumière vive réveillait son mal de crâne et sa nausée. Il fronçait les sourcils avec un air sévère, pour mieux contenir le mal qui le prenait. Et déjà Ella prenait ça pour elle. Il mit une main sur sa bouche. C’est pas toi, le prends pas personnellement, je… je vais me sentir mal. J’reviens. Marcus fila sans attendre dans les toilettes se vider l’estomac dans la cuvette. Pour être discret et ne pas attirer l’attention de sa cousine, c’était foutu.

@Ella O'Brian