❥ Le Corbeau et le Renard, Romane.

Assise jambes tendues sur l’herbe verte du parc, adossée à un arbre un magazine à la main, Romane savourait le soleil et la petite brise de vent qui venait caresser ses cheveux à chaque fois. Cette journée était plutôt calme, elle n’avait pas cours et avait d’abord prévu d’aller surfer, mais elle avait finalement changé d’avis parce qu’elle n’avait pas tellement le moral. Ces derniers temps elle avait plutôt l’impression que rien n’avançait, qu’elle s’ennuyait et que la routine la dépassait. C’était juste une période qu’il fallait surmonter, elle en était persuadée, alors elle préférait se poser seule et penser à autre chose. La jeune femme n’avait pas envie qu’on la voit ainsi, puisque tout le monde avait l’habitude de la voir comme une femme pleine de vie et de joie de vivre, elle ne voulait pas faire d’inquiets.
Le parc était un joli endroit où elle aimait parfois se réfugier. Il y avait du monde qui marchait, qui était assis sur un banc ou encore des enfants qui jouaient en riant. C’était un bruit de fond qu’elle appréciait, avec le cri des oiseaux. Elle referma son magazine et appuya sa tête contre l’arbre en fermant les yeux. Elle aimait ces moments de tranquillité même si c’était très rare. Le plus souvent, elle préférait être accompagnée, mais là c’était différent des autres jours. Elle ne saurait l’expliquer. De toute façon, tout le monde savait qu’elle était assez instable, du coup tout pouvait changer du jour au lendemain. Alors personne ne se posait de questions, même pas Romane. Au bout de quelques secondes, une voix féminine vint l’ôter de ses pensées…

« Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
"Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois."
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ; (…) »

La jeune femme ouvrit les yeux et fronça les sourcils. Qui pouvait bien réciter cette poésie française ? Elle n’avait encore rencontré aucun français à Bowen. Cela lui fit bizarre d’entendre sa langue maternelle ici, mais en même temps ça lui faisait plaisir de pouvoir rencontrer quelqu’un qui venait de chez elle. Elle tourna sa tête et aperçu la jeune femme qui récitait La Fontaine. Doucement elle se redressa en rangeant son magazine dans son sac qu’elle mis sur son épaule. Elle s’approcha du banc où était assise une jeune fille blonde d’environ une vingtaine d’années.

« (…) Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : "Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. "
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. »

Romane la laissa poliment terminer, et, lorsqu’elle eut fini, elle s’approcha encore un peu en lui accordant un sourire pour ne pas qu’elle se sente mal à l’aise.
- C’est une très belle poésie… Vous êtes française ? demanda-t-elle en français.
Elle eut soudain une sensation bizarre. La sensation de l’avoir déjà vu quelque part mais elle ne pouvait pas dire où. Elle resta là, à la fixer longuement sans dire un autre mot.

- Ma poésie préférait ! Et oui je suis française, je suppose que vous aussi...
Elle hocha la tête ave un sourire.  La jeune blonde parlait parfaitement bien le français pendant la récitation de sa poésie, du coup Romane avait directement compris que c’était une vraie française tout comme elle.  Contente de rencontrer une française à Bowen, elle prévoyait déjà dans sa tête de rester un peu avec elle pour discuter de leur pays natal et se remémorer tout ce qu’il y avait à se remémorer sur Paris, du moins si elle venait de Paris.
- .Ça fait tellement de bien de parler français ! Ça faisait bien longtemps, je suis ravie ! Vous êtes ici en vacances ?
La française observait la jeune fille et au fur et à mesure qu’elle parlait, la sensation de la connaître s’accentuait. Sa façon de parler, sa voix, ses manières. C’était sûr qu’elle l’avait déjà vue. Elle n’eut pas le temps de répondre à sa question que son interlocutrice reprit.
- Vous savez maintenant que vous êtes venue me voir je vais pas vous laissez partir de si tôt. Venez vous asseoir avec moi sur le banc... enfin si vous voulez bien !
Romane eut un flash pendant quelques secondes. Elle se souvint alors que lorsqu’elle vivait chez ses grands-parents, et qu’elle croyait être  ses parents, elle se retrouvait souvent à jouer avec une petite blonde nommée Aléna qui était apparemment sa cousine. En fait, avec tous les mensonges que sa famille lui avait racontés, elle ne savait même plus qui était qui. Mais en tout cas, elle avait vraiment l’impression qu’Aléna se trouvait devant elle. Romane était partagée entre l’idée qu’elle hallucinait complètement et que cette fille et Aléna se ressemblaient seulement, et l’idée que c’était bien elle et elle ne savait pas vraiment comment réagir. Si c’était vraiment elle, la française serait contente mais cela faisait des années qu’elle ne l’avait pas vue. Elle tenta de compter les années dans sa tête mais n’y parvint pas, comme submergée par des émotions qu’elle ne pouvait même pas expliquer. Au bout de quelques secondes elle se décida enfin à parler pour ne pas que la jeune fille la trouve bizarre ou pire, qu’elle pense qu’elle est folle.
- Euh… non, je suis pas en vacances. J’habite ici depuis un an.
Elle marqua une pause.
- Je sais que tu vas trouver ça bizarre… mais… tu es Aléna ?
Elle n’osait même pas imaginer que ça ne soit pas elle. Elle passerait vraiment pour une folle et partirait en courant. Mais elle avait l’intime conviction que c’était bien sa cousine qui se trouvait juste en face d’elle. Plus elle la regardait et plus elle se sentait proche d’elle, comme si tous ses souvenirs étaient remontés à la surface d’un seul coup. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle l’avait naturellement tutoyée. En revanche elle ignorait si Aléna allait la reconnaître ou non.