(pv) PANDA. Rencontre arrosée ?

C'est un soir de semaine, il commence à se faire tard et le bar n'est pas très rempli, il y a quelques clients installés à des tables mais rien à voir avec la folie des week-ends. Sonny Gillard se tient derrière le comptoir, ça fait plusieurs heures qu'il est là et il commence doucement à sentir ses jambes s'engourdir, il rêve de pouvoir s'asseoir quelques minutes et il sait qu'il ne lui reste plus très longtemps à tenir. Une heure tout au plus. Il remplit des verres, sert des bières, des cocktails, des cocas, et vraiment... Il se dit que ce métier n'est peut-être pas si mal, même si ce n'est pas celui qu'il souhaite réellement exercé, que lui son truc c'est la musique, mais que c'est pas un domaine facile. Il prépare une énième commande pour des clients sur la terrasse, il laisse le serveur s'occuper d'aller les remettre, et une fille entre dans le bar pour venir s'installer au comptoir. Il ne la remarque pas de suite, d'abord intrigué par les tâches sur la chemise bleue en jean qu'il porte et il se demande à quel moment elles sont apparues parce que le vêtement n'était pas sale il y a une heure... Ou deux. Il a perdu toute notion du temps mais il sait qu'avant, elles n'étaient pas là. Il remonte les manches de la chemise jusqu'aux coudes, laissant apparaître les tatouages sur ses avants-bras et il s'approche de la nouvelle cliente, se penche vers elle pour lui demander « Qu'est-ce que je te sers ? » il l'observe parce qu'elle n'a pas l'air en forme, elle n'a pas l'air particulièrement heureuse d'être là et elle n'a pas non plus l'air d'attendre quelqu'un alors il se dit que c'est sans doute une de ces filles qui vient pour se soûler... Pour oublier. Une de plus. La fille a des longs cheveux blonds, un peu ondulé, un peu comme l'image qu'on peut se faire d'une sirène, son air morose la rend d'autant plus intrigante. « Dure journée ? » C'est peut-être bien ce qui lui plaît le plus dans ce métier. Discuter avec les gens sans réellement les connaître. Et peut-être va-t-elle l'envoyer bouler et lui proposer de se contenter de faire son boulot et de lui servir son verre, ou bien peut-être qu'elle lui répondra et qu'ils parleront.

Elle a l'air un peu paumée. Il en a vu d'autres bien sûr, chaque soir des types désireux de noyer leur malêtre dans l'alcool vienne se poser à ce bar, d'ailleurs non loin de cette fille il y a un habitué, un espèce d'alcoolique d'une cinquantaine d'année qui boit un whisky, le regard totalement vide. Il ne devrait pas en avoir quelque chose à faire mais il y a une différence entre un alcoolique perdu quinquagénaire et une jeune femme seule. Elle demande une vodka pomme et il saisit un verre pour le remplir. Un quart de vodka, trois quarts de jus de fruit. Il le pose devant elle. « Huit dollars. » lui annonce-t-il simplement avant de ranger la brique de jus et de remettre la bouteille de vodka à sa place. Sonny se demande si il l'a déjà vu ici mais il voit tellement de gens chaque jour, tellement de filles, des brunes, des blondes, des rousses, qu'il ne se rappelle pas clairement de tous les visages. Aujourd'hui une blonde lui a déjà laissé son numéro de téléphone, écrit au rouge sur une serviette en papier. Classique. Il l'a gardé dans une de ses poches, il ne sait plus très bien laquelle et il ne sait plus très bien à quoi ressemblait cette fille. Celle au comptoir se penche un peu et il la regarde, attentif, comme si il attendait qu'elle lui dise quelque chose d'incroyable, de secret « Mais, entre toi et moi, j'espérais secrètement que quelque chose vienne bouleverser cette journée. Malheureusement... elle touche bientôt à sa fin. » déclare-t-elle et le barman esquisse un sourire en coin, plutôt amusé par cette révélation. Il se tourne pour regarder l'heure sur la grosse horloge et en effet, la journée est bientôt terminée, lui est plutôt soulagé au contraire de cette fille. « Et bien.. Il n'est jamais trop tard... » lui souffle-t-il sur le ton de la confidence avant d'ajouter « C'est à toi de faire en sorte que ta vie soit bouleversée. Tu risques d'attendre longtemps sinon. » il prend un verre et se sert une bière, ce n'est pas la première et ce ne sera sûrement pas la dernière avant la fin du service. Il boit une longue gorgée, la repose. « Est-ce que tu crois que cette vodka va changer quoi que ce soit? » il lui demande, le regard perçant, comme si il lui injectait la réponse en un clin d'oeil. Il ne sait pas si elle va lui répondre et si la discussion va continuer, peut-être n'a-t-elle pas envie de parler, mais qui sait, peut-être que cette vodka va réellement lui changer la vie?

Elle lui dit que sa vie « est déjà suffisamment bouleversée » et il hausse les épaules, peu ému par les élucubrations nocturnes d'une jeune femme au fond du seau, il lui en faut un peu plus, Sonny Gillard n'est pas du genre altruiste, et il en voit tellement chaque soir, venir se soûler pour des raisons si diverses et variées, parfois si insignifiantes qu'il n'est même plus curieux d'entendre ce qu'elle peut cacher au fond d'elle, cette souffrance qu'elle semble avoir traînée jusqu'ici et que certains clients déversent sur lui, comme si l'alcool était meilleure – ou surtout moins cher –  qu'une bonne séance chez le psy. Elle le regarde dans les yeux, le regard un peu dur, mais il sent une légère pointe d'arrogance malgré tout, au fond de ses iris bleutés, une certaine provocation, probablement dans le but de lui prouver quelque chose et il se demande pourquoi il a entamé une discussion avec elle alors qu'elle paraît de plus en plus cinglée. « C'est peut-être pas elle dans la pièce qui changera quelque chose ce soir. » lance-t-elle sur un ton semi-provocateur, semi-désinvolte et il la regarde un instant, blasé, avec cette impression de se retrouver pour la 150e fois devant une de ces petites allumeuses insignifiantes qui a besoin de se sentir intéressante aux yeux des hommes pour pouvoir être un peu vivante, mais il ne la connaît pas, et peut-être que ce n'est pas ça, peut-être que ce n'est qu'une impression qu'elle donne. En tout cas il doute que ce sous-entendu soit anodin et ça le révulse l'espace de quelques secondes, comme s'il avait été vexé à l'idée qu'elle puisse croire une seule seconde qu'elle pourrait l'avoir, lui. Elle est très jolie, mais il n'aime pas tellement les allumeuses, il ne les a  jamais trop aimé d'ailleurs... Ou de temps en temps.. Mais il n'aime pas la facilité, et dieu sait que le métier de Barman vous en offre, aussi lui est-il impossible de résister à toutes ces jeunes femmes en chaleur qui le draguent si ouvertement qu'il n'a même plus besoin d'en placer une. Elle termine son verre et il se dit qu'il aimerait bien lui faire ravaler sa fierté et son petit air presque méprisant alors qu'elle le défie, lui, personnellement, il aimerait bien lui dire ce qu'il pense mais il sait qu'il n'a pas le droit, qu'il jouerait sa place, son boulot, qu'il n'a pas envie de le perdre et ça lui brûle les lèvres avec tellement d'intensité qu'il porte son verre de bière à sa bouche pour se forcer à ne rien lui dire, à laisser couler, mais bon dieu que ça le démange. Il boit une longue gorgée et repose son verre qui tinte sur le bois. Cling. Il lui lance un regard un coin puis pose les yeux sur l'alcoolique assis à deux tabourets d'elle qui justement, lui demande un autre whisky et il le lui sert, l'encaisse, puis se tourne à nouveau vers la blonde, parce que c'est plus fort que lui, qu'il est obligé de répondre à sa provocation, qu'il ne peut pas rester là, sans rien lui dire, lui laisser le dernier mot, non, ce serait trop difficile, il est trop orgueilleux, peut-être même trop joueur pour ça, parce qu'il veut toujours gagner, avoir raison, écraser les autres ? « Qu'est-ce qui te fait croire que qui que ce soit aurait envie de s'emmerder à égayer ta journée ? » lui demande-t-il non sans un sourire qui se veut encore plus arrogant que le petit air hautain qu'elle a pu prendre, parce que si c'est à ce jeu là qu'elle veut jouer, il est trop fort et ça ne le dérange pas, mais elle ferait sans doute mieux de s'accrocher. Ou de renoncer tout de suite. Et il lui sert une bière, qu'il pose devant elle. « Descend la moins vite, on ferme bientôt, et j'ai assez de déchet à ramasser par terre pour que tu t'ajoutes en plus. »