"And we will never be alone again. (Alexzander)

Bowen, petite ville côtière de l'Australie, 10 260 habitants au compteur - et parmi toute cette population, une seule personne qu'il recherche, un seul visage qu'il espère revoir le plus vite possible. Une main dans sa poche, un plan de la ville perdu dans l'autre, il avance lentement dans les rues de la ville, jetant un oeil circonspect vers chaque bâtiment qu'il croise, vers chaque bâtisse qui se dessine devant lui. A la manière d'un étudiant étranger jeté dans une ville inconnue, il guette, il observe, il note chaque détail qui pourrait l'aider dans sa quête personnelle, sa recherche de rédemption et de pardon, là où tout son être l'avait habitué à l'inverse. Abandonner un homme pour vivre son rêve, et finalement s'en lasser, s'en sentir vide au point de vouloir immédiatement faire marche arrière - quel genre d'homme est-il pour se laisser à ce point avoir par ses sentiments, là où il avait toujours tout fait pour réussir, au détriment de ce qui pouvait le lier à d'autres ? Un humain, un simple humain comme beaucoup d'autres, guidé par ses envies autant que par son coeur, ce qui peut parfois désarçonner lorsqu'une pulsion suffit à le faire s'envoler d'un continent à un autre. New York est déjà bien derrière lui, à quand bien même il n'arpente les rues de Bowen que depuis bien peu de temps. Téléphone jeté dans son blouson, il a essayé d'appeler Alexzander quelques jours auparavant, pour ne se heurter directement qu'à un répondeur qu'il connaissait déjà par coeur, pour l'avoir entendu plusieurs fois au cours de ce qu'il pouvait appeler leur relation. Mobile éteint, puce perdue, il n'a pas vraiment su quoi en penser sur le coup, si ce n'est qu'il venait sûrement de réaliser une bêtise aussi monumentale que les autres qui jonchent déjà sa vie, en venant ici. Un billet sans retour, un boulot de rêve laissé derrière lui, et tout ça sans le moindre indice pouvant l'amener à celui qui fait toujours battre son coeur malgré les mois passés loin de lui. Cela fait à peine deux semaines qu'il est arrivé là, et presque autant de temps qu'il suit et creuse chaque piste pouvant le menant vers cet homme qu'il a eu le malheur d'abandonner derrière lui en partant pour New York. L'esprit en vrac, les idées bien trop mélangées pour être aisément démêlées, il a fouillé, retourné chaque rue, fouiné dans chaque rue, demandé à chaque personne qui semblait, de près ou de loin, pouvoir l'aider. Comme chercher une aiguille dans une botte de foin dit-on ? Alors il faut croire que, contre tout attente, la chance lui a souri, puisqu'un homme a su lui souffler le chemin qui saurait le mener à cette aiguille tant recherchée. S'il a été plus que déçu en apprenant qu'aucun Alexzander ne travaillait dans le bar de la ville, les braises de ses espoirs ont été plus que ravivées lorsque le barman lui a annoncé avec un grand sourire que c'était justement le nom du mécanicien bossant dans le garage non loin de là, et qu'il avait un accent semblable au sien, quoique moins prononcé. Le coeur battant, l'esprit avenant, il s'est immédiatement renseigné sur l'adresse, avant de remercier l'homme qui l'avait aidé bien plus qu'il ne le pensait, et d'aller faire un peu de repérage autour du-dit garage, qu'il a trouvé sans surprise fermé, vu l'heure. Combien de temps est-il resté debout sur le trottoir, à observer les lettres qui ornaient la façade dans la pénombre ? Une minute, ou deux, trois, peut-être même plus, à vrai dire. Intérieurement, il s'est imaginé le visage d'Alexzander caché derrière une voiture, son sourire en l'apercevant, leurs retrouvailles, timides probablement - et puis sincères, tout simplement. Des dialogues, il s'en est imaginés des dizaines, et cette occupation l'a tenu toute la soirée, toute la nuit même - jusqu'à ce qu'il revienne sur place, un peu après l'ouverture du garage.
Plan maintenant froissé entre ses doigts, il l'enfouit rapidement dans une de ses poches, avant de se diriger d'un pas ni rapide ni lent vers l'entrée du garage, dont la porte est grande ouverte aujourd'hui. Derrière le bruit de son coeur battant, il entend les roulettes et le crissement sourd de quelques instruments dont il connaît à peine le nom, et se renseigne rapidement au comptoir avant de se diriger vers l'endroit où doit se trouver le fameux Alexzander, d'après son collègue. D'innombrables questions traversent son esprit, des plus anodines au plus meurtrières, passant rapidement de "et s'il n'avait pas envie de me voir ?" à "et si ce n'était pas lui ?". Serrant les lèvres, déglutissant avec une difficulté presque présente, il reconnaît pourtant ce timbre de voix, cet accent suédois toujours présent malgré les paroles anglaises qu'il lance à un autre homme affairé plus loin. Il ralentit, s'arrête presque alors que sa silhouette lui apparaît plus clairement, et que son visage, éclairé par la lumière ambiante, se dessine presque distinctement, juste en face de lui. Prenant le temps de l'observer quelques brèves secondes, savourant cet instant qui lui prouve à lui seul que tout n'est pas perdu et que tout peut encore être sauvé, il finit par s'avancer vers lui, suffisamment pour que lui aussi le remarque,et que son regard se pose sur le sien. « Hej...  (salut) » Avec un mince sourire, il se rapproche de lui - instinctivement, c'est en suédois qu'il décide de parler, préférant la simplicité à une conversation en anglais qui le perdrait bien trop vite à son goût. Si assuré d'ordinaire, il se sent pourtant sans protection face à lui, presque mis à nu devant un homme qui, à présent, possède à quelques détails près les pleins pouvoirs sur ce que pourra être sa vie dans peu de temps - et qui l'a encore possédé pendant ces six mois, même s'il n'en savait rien. Une main sur la nuque, l'autre toujours dans sa poche, il a l'impression d'être là où il doit être, tout en étant là où il ne devrait pas. Comme pris entre deux feux, il hésite, ne sait pas s'il doit avancer vers lui ou reculer loin d'ici, continuer à essayer de recoller les morceaux ou au contraire le laisser vivre sa vie, lui qui en avait sûrement eu besoin, pour venir s'exiler aussi loin de la Suède. Le choix, il le fait pourtant sur un coup de tête, comme il l'a toujours fait. Il n'est pas venu ici pour rien et, maintenant qu'il est face à lui, autant tenter sa chance, quitte à se faire rejeter dans la minute - ce qui ne risque pas d'arriver, pas de cette façon. « Det var ett tag, Alexz'... Hur mår du? (ça faisait un bail, Alex... comment tu vas ?)» Question anodine semblable à tellement d'autres, mais qui constitue tout de même un point d'accroche, une bouée qu'il lance à l'aveuglette vers Alexzander, espérant vivement qu'il la saisisse, et qu'il revienne vers lui. Passant sa langue sur ses lèvres, humectant rapidement cette peau qui s'assèche un peu, il jette un regard circulaire vers le garage, vers les outils et les voitures qui peuplent l'espace sans pourtant vraiment en noter chaque détail qui le compose, revenant toujours trop rapidement vers son visage qui lui a bien trop manqué. Ainsi, voilà son nouveau quotidien, sa nouvelle vie - pour Aaron qui l'a toujours connu derrière un comptoir, le voir avec une clé à molette dans la main lui paraît légèrement étrange, quelque part. Mais quoi qu'il puisse en penser, il s'agit toujours du même homme, n'est-ce pas ?