la petite blonde au plan machiavélique. (feat. Casey & Lee)

Voilà une petite heure que Maybelle était là, assise à côté de son cousin, à discuter de tout et de rien avec lui. Ces derniers temps, Casey et elle étaient devenus plutôt proches et elle adorait passer du temps en sa compagnie. Ils se soutenaient mutuellement et se donnaient de précieux conseils pour avancer. Tous les deux traversaient une période plutôt difficile, savoir qu’on avait le soutien de quelqu’un de sa famille était important… Surtout qu’ils n’avaient jamais vraiment eu l’occasion d’apprendre à se connaître lorsqu’ils étaient plus jeunes. Leurs parents respectifs ne s’appréciaient pas vraiment et ils ne se voyaient que peu souvent (voire même jamais). Alors que Casey était en train de lui raconter sa journée, Maybelle l’interrompit brusquement. L'heure tournait à une vitesse folle et si elle voulait exécuter son plan, il n'y avait plus une minute à perdre. « Au fait ! J’ai un cadeau pour toi. » Elle lui offrit un sourire avant de sortir un petit papier de son sac. « TADAM ! C’est une place de cinéma. Je devais y aller avec Nicholas mais il a annulé au dernier moment, il a trop de boulot et il ne pourra pas venir…  Tu me connais, je suis du genre super organisée alors j'ai réservé ma place sur internet ce matin, histoire d’être sûre d’en avoir une et de ne pas me retrouver comme une idiote si le film est complet. » Son explication était plausible, après tout. Elle avait malencontreusement oublié de lui dire qu’elle avait comploté avec les employés du cinéma histoire que Casey et Emily se retrouvent en tête-à-tête, mais il le saurait bien assez tôt. Ses parents avaient de l’argent, autant qu’il serve pour la bonne cause ! « Je te l’offre. La séance est dans trois-quarts d'heure, faut pas que tu traînes », dit-elle en lui tendant la place de cinéma avec insistance. « Et tu n’as pas le droit de dire non. Ça te changera les idées. Bon, c’est pour un film d’horreur mais… Justement ! En voyant une charmante petite famille vivre des trucs horribles, tu relativiseras. Tu te diras qu’il y a pire que toi, et que tu peux t’estimer heureux de ne pas avoir de démon assoiffé de sang dans ton appart’ ou de tueur sanguinaire aux trousses. » Elle lui offrit un sourire radieux, sûre de son plan. « Allez, allez. On se bouge. » Sans plus attendre, elle lui tira le bras pour le faire se lever du canapé. « Tu peux le faire, Casey.  Tu vas voir, c’est super facile. Tu avances le pied gauche, puis le pied droit, puis encore le pied gauche, et le droit à nouveau… Et quand tu es au cinéma, hop, tu t’arrêtes ! » Elle tapota doucement son dos pour l’encourager avant de planter un baiser sur sa joue. « Je suis sûre que tu vas passer une super soirée ! Et puis qui sait, tu feras peut-être une super rencontre là-bas, hein. » Elle le poussa gentiment vers l'entrée, puis ouvrit la porte pour le chasser de l'appartement. C'était l'appartement de Casey mais elle avait un double des clés et qu'elle pourrait refermer en partant sans aucun problème. Elle ne voulait pas qu'il loupe la séance. Il avait rendez-vous avec son destin. « Bonne séance ! Je t'appelle tout à l'heure pour savoir comment c'était. Allez, bye ! » Elle le poussa vers le couloir et referma la porte derrière lui, ne lui laissant pas le choix. Il devait se rendre au cinéma.

UNE DEMI-HEURE PLUS TARD.
Postée devant le cinéma, la blondinette attendait patiemment l’arrivée d’Emily. Pour l’avoir observée à plusieurs reprises, elle savait qu’elle empruntait ce chemin tous les soirs. Et qu’elle s’arrêtait toujours devant les affiches des films projetés au cinéma, probablement pour se faire une idée du prochain long métrage qu’elle irait voir. Après avoir interrogé Casey d’une manière on ne peut plus discrète, elle avait appris que la brune – devenue blonde récemment – était passionnée de cinéma. C’est là que son plan pour isoler Casey et Emily était né. Elle ignorait s’il marcherait mais elle était fière d’elle : il était digne des plus belles comédies romantiques. Les deux anciens amants seuls, dans une immense salle plongée dans le noir, un film d'horreur se déroulant sous leurs yeux... S'ils ne finissaient pas par se rapprocher au cours de la séance, elle n'y comprendrait rien !

La silhouette élancée d’Emily apparut enfin au bout de la rue et Maybelle inspira un bon coup. L’heure était arrivée, tout allait se jouer maintenant. Il fallait qu’elle fasse de son mieux que tout marche comme prévu. Comme tous les soirs, Emily ralentit le rythme de ses pas aux abords du cinéma. Et comme tous les soirs, elle s’arrêta quelques longues secondes devant les affiches des films diffusés. Pour le moment, tout se passait comme sur des roulettes. Sortant son téléphone de sa poche, May le colla à son oreille avant de s’approcher doucement d’Emily. Assez près pour qu’elle entende, mais pas trop près non plus pour qu’elle ne se doute de rien. « Quoi ? Oh, non… Mais j’ai déjà acheté mon billet, moi ! » Elle soupira bruyamment, prenant une mine déconfite. « Demain soir ? Ouais... D'accord. Mais tu ne me refais pas ce coup-là, hein ! » Puis elle raccrocha en pestant à voix basse, pour plus de crédibilité. La phase deux commençait. « Excusez-moi... Bonsoir », dit-elle timidement en s’approchant d’Emily. Elle était sûre qu’elle n’allait pas se méfier. Personne ne se méfiait jamais de Maybelle Goodwin parce qu’elle avait un visage enfantin et innocent qui inspirait généralement confiance. « Je suis désolée de vous déranger mais j’ai vu que vous regardiez les affiches, là, et j’ai une place dont je ne ferai rien… Je devais rejoindre un ami mais il vient de m’appeler pour me dire qu’il a un contretemps. Je pourrais y aller toute seule mais c'est un film d'horreur et je ne survivrai pas sans lui ! » Elle lâcha un petit rire avant de sortir sa place de cinéma de son sac. « Que diriez-vous d'aller voir un super film, ce soir ? Je vous donne mon billet avec plaisir, je préfère qu'il serve à quelqu'un plutôt que de le jeter à la poubelle… Avouez que ce serait dommage. » Le plan était simple : ne pas laisser Emily en placer une et argumenter jusqu'à ce qu'elle accepte. « La séance commence dans dix minutes. » Elle priait intérieurement pour que la jeune femme accepte. Emily semblait réfléchir, peser le pour et le contre... Maybelle ne pouvait pas la laisser partir. Elle avait fait tellement d'efforts pour mener son plan à bien que c'était inimaginable ! « Je vous assure qu'il n'y a aucun piège. Je veux juste que mon billet profite à quelqu'un. » Elle lui adressa un sourire radieux dont elle seule avait le secret. Elle venait de lui mentir : il y avait bel et bien un piège. Mais c'était un piège qui la ravirait (parce que oui, Maybelle était sûre qu'Emily serait ravie de se retrouver coincée dans une salle obscure avec Casey), alors ça ne comptait pas vraiment. Après quelques secondes de réflexion, la jeune femme se mit à sourire. La partie était gagnée. Emily insista pour lui payer le prix du billet et une fois leur transaction terminée, elle se dirigea vers à l'intérieur du bâtiment pour assister à la projection. La jeune Goodwin était fière d'elle. Grâce aux connaissances de son père, elle avait pu s'arranger avec le directeur du cinéma. Elle lui avait expliqué son plan, parlé de tout l'amour qu'il y avait entre Casey et Emily, l'avait supplié de la laisser acheter toutes les places de la séance pour être sûre que son cousin et la femme de sa vie se retrouvent tous les deux... Et il avait accepté. La séance affichait donc complet alors que deux personnes seulement se trouvaient dans la salle. Casey et son ex-femme. Maintenant, c’était au destin de faire sa part du boulot…

Casey ouvrit la bouche… Et la referma. Non, Maybelle n’avait pas terminé son discours. Le brun la regardait, un peu étonné, mais souriant. Il regrettait d’avoir perdu tant d’années sans parler à sa cousine ! Elle était… Surprenante, en son genre. Dynamique, vive, originale. Et de bonne humeur. Un cocktail d’énergie ambulant ! Oui, il était déçu que leur famille soit déchirée de la sorte, parce qu’il avait raté de beaux souvenirs. Le présent, par fortune, pouvait encore s’écrire, et ce soir la blonde lui avait tenu compagnie. Mais plus pour longtemps visiblement…

Il était assez touché que May veuille lui donner, à lui, sa place de cinéma. Parce qu’elle connaissait bien d’autres personnes à Bowen, elle aurait certainement pu penser à quelqu’un d’autre. Ils avaient beau être cousins et bien s’entendre, la jeune femme devait avoir des liens plus forts que lui. Comme ce fameux Nicholas qui la laissait en plan ce soir, par exemple. La pauvre serveuse semblait avoir du fil à retordre avec toutes ses histoires… Elle était l’inverse de lui, en fait. Maybelle ne savait pas où donner de la tête niveau sentimental, tout lui tombait dessus. Pour Casey, c’était le vide intersidéral… Hormis son ex-femme. Qui était donc, comme précisé, son ex-femme. Lui n’avait rien, Maybelle n’avait que le choix. Mais c’était bien compliqué à démêler, tout ça. Et la serveuse paraissait loin d’être sortie d’affaire avec la famille qu’elle avait…

Un démon assoiffé dans son appartement ? Casey ne retint pas ses éclats de rire. Sa cousine avait une façon bien à elle de présenter les choses… Et il ne crachait pas dessus ! Elle avait raison. Aller voir ce film d’horreur, c’était une bonne méthode pour se changer les idées, et relativiser, accessoirement. Et effectivement, il pourrait peut-être faire des rencontres, or, des rencontres… Il en avait bien besoin. Sa vie sociale était un peu vide ces temps-ci, parce qu’il n’avait pas repris contact avec ses anciens amis. Pas envie. Plus dans le même esprit. Il était donc temps de rencontrer des gens !

« Okay, okay, j’y vais capitaine, et souhaitez-moi bon vent, hein ! » lança-t-il à  la blonde qui en devenait presque autoritaire à le presser si férocement d’aller à la séance !

Il lui aurait bien fait un câlin, parce qu’elle était terriblement adorable à prendre soin de lui comme ça, mais elle lui claqua presque la porte au nez… De chez lui. Casey étouffa un rire et… Allez, il avança le pied gauche, puis le droit, puis le gauche… Vous connaissez la suite.


Quelques dizaines de minutes plus tard, l’étudiant se présenta au cinéma. Ce n’avait pas été aussi simple qu’annoncé pour y arriver : il lui avait fallu bien plus de quatre pas pour parvenir à destination, mais Casey l’avait fait. (Casey est un héros, que voulez-vous.)
En entrant, il fronça les sourcils… La salle s’affichait comme complète. Ne lui dites pas qu’il avait fait tout ça pour rien ?! Ah mais… Mais non, bien sûr ! Puisque Maybelle avait pris son ticket ce matin, forcément, le sien faisait partie des sièges achetés. Il allait pouvoir entrer, ouf ! Non parce que bon, après avoir marché là comme ça (il n’avait même pas pu prendre son vélo tant la blonde l’avait vite jeté à la porte !), il avait bien envie de se reposer. Même si les films d’horreur, c’était pas forcément sa tasse de thé. Enfin, il avait eu un billet gratuit, il n’allait pas faire le difficile !

Passé ainsi sans encombre aux caisses, Casey se dirigea vers la salle. Il franchit le couloir et pénétra dans la pièce… Noire. Grande. Et, surtout, vide. Vide ? Le moniteur des caisses affichait complet et la salle était vide ? Casey fut un peu ébahi, puis il se reprit. Pour un peu… Les gens étaient partis aux toilettes et les autres avaient préacheté leurs places mais n’étaient pas encore arrivés ? C’était peut-être un film super connu !

Ayant tout le loisir de la place, il s’installa au milieu, pas trop devant, au troisième rang en partant du haut. Comme ça, il verrait bien. L’écran, pour l’instant, ne diffusait que quelques publicités. Il enleva sa veste, que sa cousine lui avait collée contre le torse rapidement avant qu’il ne parte, « pour ne pas avoir froid en sortant. » Il avait ri. C’était mignon, elle était d’une attention époustouflante… Toujours à penser aux petites choses dont on avait besoin. En cela, elle lui faisait un peu penser à Lee… Emily aussi était très attentive, et il était sûr qu’il ne serait pas sorti sans veste non plus si la brune – blonde à présent, pardon – avait été à la place de Maybelle.
Casey, voyant qu’il était encore seul dans la salle, sortit son portable pour envoyer un sms à la mademoiselle Goodwin. « Merci pour la place, cousine ! J’espère que tu ne vas pas t’ennuyer quand même… C’est nul, j’y ai pas pensé, mais on aurait pu y aller tous les deux en plus ! Enfin la salle est complète, alors j’aurais même pas eu de place. Une autre fois je t’invite au ciné, ok ? Bon, j’me coupe du monde… Quoique là, y’a personne, bizarre. Ils ont tous une indigestion tu crois ? Bonne soirée May, et merci ! Dors chez moi si tu veux ! »

Il savait que sa cousine n’avait pas les parents les plus cools du monde, pour en avoir suffisamment entendu parler chez les Kennington. Alors, quand ils avaient appris à se connaître tous les deux et que Casey s’était rendu compte que chez les Goodwin, y’avait aussi des gens bien… Il avait donné son double à la blonde, histoire qu’il puisse contacter quelqu’un rapidement au cas où (il avait préféré ne pas laisser l’opportunité à sa mère de venir n’importe quand chez lui…) et que sa cousine puisse, elle, trouver un foyer moins oppressant si elle en ressentait le besoin.

Une fois son sms envoyé, il éteignit son portable. Plus qu’à attendre le début de la séance… Et les gens. Il n’était pas sûr de supporter un film d’horreur tout seul, dans une salle aussi grande, aussi noire.

Emily jeta un coup d’œil à sa montre. Vingt heures, l'heure de fermeture. Elle avait enfin trouvé un emploi et elle était heureuse de pouvoir retrouver goût aux réveils matinaux et autres contraintes de la vie active. Elle ne faisait pas partie de ces personnes oisives qui se plaisent dans l'inactivité et qui passent leurs journées à ne rien faire. C'était une jeune femme dynamique et active qui ne supportait pas de se sentir inutile. Ce nouveau travail était donc le bienvenu - et il avait même été attendu avec beaucoup d'impatience.  Enfin, c'était davantage un petit job temporaire qu'un réel emploi mais cela l'occupait huit heures par jours et lui permettait de gagner suffisamment d'argent pour payer son loyer et économiser un peu. Vendeuse dans un vidéoclub, ce n'était pas quelque chose qu'elle avait toujours rêvé de faire mais au final, c'était plutôt sympa. Elle conseillait les gens, discutait avec eux des films qu'ils venaient ramener à la boutique... Et parfois même, elle refaisait le monde avec quelques autres passionnés. Elle attendit quelques minutes pour s'assurer qu'aucun client de dernière minute ne viendrait louer un DVD à la dernière minute, puis elle ferma le petit magasin. Après avoir vérifié trois fois que les lumières étaient éteintes et la porte bien fermée, elle se mit en route vers son appartement. Elle préférait de loin la marche à pieds au transport en commun. Non seulement, c'était bon pour l'organisme mais en plus, cela vidait la tête.

Comme toujours, elle s'arrêta aux abords du cinéma. Tous ses amis vous le diront, Emily était une grande cinéphile. Elle adorait le septième art plus que n'importe quoi et elle avait des milliers de films, tous plus intéressants les uns que les autres. Elle aimait tous les genres. Les comédies romantiques où l'on savait dès le départ que les protagonistes finiraient ensemble, les drames qui la faisaient pleurer sans retenue, les films d'action remplis de héros super musclés et de méchants prêts à détruire le monde, les films d'horreur qui l'empêchaient de dormir pendant des jours... Elle adorait les émotions que le cinéma lui procurait. Alors qu'elle regardait attentivement les affiches, planifiant mentalement sa liste de films à voir prochainement, une petite blonde s'approcha d'elle. Elle se lança dans un monologue plutôt étrange, lui expliquant qu'elle avait une place en trop et qu'elle souhaitait la lui offrir. L'ancienne Emily (celle qui portait encore le nom de Casey) aurait accepté sans réfléchir parce qu'elle ne connaissait pas la méfiance. Mais Emily Finch, elle, faisait preuve de plus de retenue. Trop de personne avaient abusé de sa naïveté, on ne l'y reprendrait plus ! Cela dit, qu'avait-elle à perdre ? Ce n'était qu'un ticket de cinéma. Pour un film qu'elle avait envie de voir, qui plus est. « Je vous assure qu'il n'y a aucun piège. Je veux juste que mon billet profite à quelqu'un. » Comment dire non à un tel argument ?

« Combien je vous dois ? », demanda-t-elle en souriant, lui faisant comprendre par la même occasion qu'elle acceptait de lui prendre son billet. Elle lui régla la somme due rapidement, heureuse à l'idée de pouvoir passer la soirée devant un bon film.

Sésame en main, elle pénétra à l'intérieur du cinéma et lança un coup d’œil rapide au moniteur situé au-dessus des caisses. La séance affichait complète. Pour une fois, elle avait de la chance ! Cette blondinette était tombée du ciel. C'est donc avec un sourire aux lèvres qu'Emily se dirigea jusqu'à la salle... totalement vide. Ou presque. Une seule personne était assise près du fond. Elle n'y comprenait plus rien ! Elle n'avait pas l'impression de s'être trompée de salle, pourtant... Elle s'approcha de son compagnon d'infortune pour s'assurer qu'elle s'apprêtait à voir le bon film mais elle se figea littéralement lorsqu'elle reconnut son ex-mari. Une fois encore. Le destin la torturait un peu trop à son goût.... Pourquoi tombait-elle toujours

« Euh... Salut », fit-elle timidement après s'être avancée suffisamment près pour qu'il puisse la voir. « C'est bien la salle numéro trois, ici ? »

Il acquiesça et elle regarda machinalement son ticket, comme si elle cherchait une quelconque erreur. Mais rien. Elle était dans la bonne salle, prête à voir le bon film. Seulement, quelque chose clochait... Elle releva la tête vers Casey et décida d'aller s'asseoir près de lui après lui avoir demandé si cela ne le dérangeait pas. Elle se sentirait plus rassurée d'être là, à côté de lui, plutôt que seule à l'autre bout de la salle. Ils allaient voir un film d'horreur épouvantable, ne l'oublions pas.

« Je comprends pas... C'est marqué que la séance est complète, dehors. Et à moins que tous les autres se soient trompés de salle, on est que deux... Tu crois que c'est un problème de moniteur ? »

C'était possible, après tout ! La technologie n'était pas toujours fiable et le moniteur était peut-être détraqué. Ou alors, toutes les personnes avaient réservé leur billet à l'avance et elles avaient eu un contretemps... Comme la jeune fille devant le cinéma. C'était un peu tiré par les cheveux, mais après tout, ce n'était pas impossible. De toute façon, peu importa la raison, ils se retrouvaient seuls tous les deux... Comme au bon vieux temps. Elle se souvint soudainement que Casey n'aimait pas particulièrement les films d'horreur... Et constata par la même occasion que malgré le temps passé, elle n'avait rien oublié le concernant. Elle savait toujours tout de lui.

« Tu es venu tout seul ? Je croyais que tu n'aimais pas trop les films d'horreur ? »

Il sursauta presque en entendant les portes de la salle s’ouvrir… Ah, quelqu’un, enfin ! Casey jeta un coup d’œil à la personne qui venait d’entrer mais, dans le noir, il ne voyait pas grand-chose. Il reporta son attention sur l’écran où les publicités continuaient de défiler – pourquoi ils se sentaient obligés de passer trente minutes de pub avant chaque film ?! – quand le nouvel arrivant l’interpella… Casey se figea. Emily ? C’était Emily qui était entrée ? Alors, ça… Décidément !

« Euh… Oui… Oui, la 3… » dit-il, plus trop sûr de lui au final. Mais si, si c’était la 3… Hein ?

Alors qu’il s’attendait à ce qu’elle s’installe plus loin, Lee lui demanda si elle pouvait prendre place à ses côtés. Comment refuser telle demande ? Il acquiesça, un peu ému comme si fût le premier rendez-vous qu’il avait proposé à la jeune blonde. Leur histoire était déjà finie, malheureusement.
Un problème de moniteur ? Pas bête, il n’y avait pas pensé… Sa théorie des gens aux toilettes et des autres pas arrivés qui ont déjà leur place était un peu tirée par les cheveux. C’était sûrement une erreur de ce genre, oui. L’informatique n’était pas toujours fiable, après tout.
La possibilité d’aller en informer le personnel l’effleura un instant… Puis s’évanouit aussitôt quand il se rendit compte que cela signifiait quitter son siège. Il ne voulait pas risquer que quelqu’un prenne sa place et s’assoit à côté de Lee. Il avait l’opportunité de passer un moment avec elle, il la saisissait. Pourquoi tant de détermination à être auprès d’elle alors qu’ils étaient divorcés ? Il devait vraiment passer à autre chose.

« C’est la seule explication plausible… Je me suis bien dit qu’ils étaient tous aux toilettes ou pas arrivés… Mais ça fait un petit paquet de monde, quand même. » répondit-il, avec son humour toujours maladroit malgré le temps passé. Il avait un don pour les explications insensées.

Emily Finch et lui, tous seuls dans une grande salle de cinéma, prêts à voir un film d’horreur. La situation pouvait elle-même constituer un beau scénario… De film romantique. Enfin, il n’était pas sûr que tout cela se transforme en belle comédie d’amour, parce qu’après son comportement en tant que marié, il était improbable que Lee veuille retenter le coup avec lui. Elle était merveilleusement gentille, mais elle n’était pas stupide. Et après tout, il pensait avoir changé… Mais qu’en savait-il au juste ? Peut-être qu’il se trompait, peut-être qu’il était aussi nul qu’avant. La preuve, son vieil humour ne l’avait pas quitté. Alors il ne pouvait rien certifier. – Oui, malgré les changements dans sa vie, une certaine assurance gagnée, Casey avait parfois des moments de doute.

À la question de Lee, son visage étira ses lèvres en une espèce de grimace mêlée d’un petit sourire. Non… Il n’aimait pas les films d’horreur. Pas spécialement. Il n’avait jamais aimé ça, depuis qu’il en avait vu un trop jeune… La frousse lui était restée. Alors oui, désolée, il brisait l’image du gars courageux qui réconforte la fille dans ses bras dans la salle de cinéma. Bon, il n’était pas non plus du genre à partir en courant ou pousser des cris… Il était juste mal à l’aise après le film et voyait des trucs bizarres partout dans sa chambre le soir. C’était raisonnable, comme niveau de peur.

« Ah mais c’est que, je me suis lancé pour défi d’aller voir tous les films d’horreur au cinéma tout seul pour plus avoir peur et devenir un graaand garçon ! » lui confia-t-il, ses yeux bruns croisant ceux de son ex-femme.

Il ne savait pas trop pourquoi il avait sorti ça, mais il rit deux secondes après. Remarquez… Ce n’était pas stupide, comme idée. Peut-être bien qu’il allait le faire en fait ! Sa cousine avait lancé un défi à Casey sans même le vouloir !

« Non, sérieusement… Je n’ai pas eu le choix du film en fait. » reprit-il, souriant cependant. « Ma cousine m’a donné la place… C’est elle qui comptait aller voir un film d’horreur. J’aurais choisi un Disney, tu penses bien ! » expliqua-t-il, levant les yeux au ciel sur ses dernières paroles en plaisantant.

Voir Emily toute seule devant un film d’horreur ne lui créait aucun étonnement. Et quand on connaissait la cinéphilie de la jeune femme, on comprenait bien pourquoi. Ainsi, il se garda bien de lui retourner la question.

« Tu connais le film, en fait ? Parce que, ma cousine m’a juste dit qu’il s’agissait d’un film d’horreur, mais je ne connais rien d’autre. Et… Je préfèrerais savoir de quoi il s’agit avant que ça ne commence. C’est toujours mieux, hein. Pour comprendre évidemment, pas pour une question de préparation mentale ou quoique ce soit bien sûr… » finit-il, son humour bête toujours dans les pattes.

Il ne savait pas pourquoi mais cet humour à deux francs avait tendance à ressortir fortement en présence d’Emily. Quoiqu’en fait d’humour… Oui, oui, il voulait connaître l’intrigue afin de s’imaginer avant les monstres, tueurs et compagnie qu’il rencontrera à l’écran tout à l’heure. Il était persuadé d’avoir moins peur de cette façon. Déjà qu’il n’était pas certain de supporter une séance de cinéma tout seul à côté de Lee (son rythme cardiaque avait considérablement augmenté depuis qu’elle était à ses côtés), si en plus le film l’effrayait, il n’était pas sorti de l’auberge.

Cette rencontre fortuite avait un curieux goût de rendez-vous amoureux... Ils étaient là, seuls dans cette grande salle à peine éclairée, l'un à côté de l'autre. Et bizarrement, Emily se sentait bien. Elle avait l'impression d'avoir fait un bond en arrière. Comme si elle avait à nouveau dix-sept ans, qu'elle venait tout juste de rencontrer Casey et qu'il s'agissait de leur premier rencard. Le plus important, celui où l'on doit faire ses preuves pour plaire à l'autre et espérait qu'il y en ait un deuxième. Elle esquissa un petit rictus amusé lorsqu'il lui fit part de sa théorie pour expliquer l'absence de spectateurs dans la salle... C'était un peu tiré par les cheveux, oui. Mais c'était aussi - et surtout, en fait - adorable. « Ah mais c’est que, je me suis lancé pour défi d’aller voir tous les films d’horreur au cinéma tout seul pour plus avoir peur et devenir un graaand garçon ! » Elle se mit à rire de bon cœur.

« Whoa, quel courage ! Je suis fière de toi, Casey », lâcha-t-elle d'un air exagérément fier avant de rire à nouveau. C'était tellement bizarre, de discuter normalement avec lui... Il y avait bien longtemps qu'ils n'avaient pas ri ensemble. Ni même discuter dans la joie et la bonne humeur.

Il lui avoua ensuite que s'il était là, dans cette salle, c'était parce que sa cousine lui avait donné sa place de cinéma. Étrange coïncidence. Cependant, Emily ne fit pas le rapprochement puisqu'elle ne connaissait pas Maybelle - et qu'elle ignorait qu'elle était capable de monter un plan aussi tordu pour que Casey se retrouve coincé avec elle dans la pénombre.

« Ta cousine ? Celle à qui tu ne parlais pas vraiment ? », s'enquit-elle, réellement concernée. C'était plus fort qu'elle. Ils avaient beau ne plus être mariés, elle continuait à s'intéresser à sa vie et à s'inquiéter pour lui. « C'est marrant, ça. Parce que moi aussi, on m'a donné ma place... Enfin, plus ou moins. J'ai croisé une fille devant le cinéma, elle m'a dit qu'elle devait aller voir le film avec un de ses amis mais qu'il avait annulé au dernier moment et qu'elle ne voulait pas y aller seule... Alors je lui ai racheté son billet. »

Elle sortit son téléphone pour regarder l'heure. La séance n'allait pas tarder à commencer et apparemment, personne d'autre ne viendrait leur tenir compagnie. Casey lui demanda un petit résumé du film et elle se mit à rire - une fois encore. Elle avait oublié à quel point elle aimait son humour.

« D'après ce que je sais, c'est une histoire de chasseurs de démons qui se retrouvent confrontés à quelque chose de vraiment terrifiant... Un truc horrible, qu'ils n'arrivent pas à gérer. J'ai vu la bande-annonce, ça a l'air super flippant ! D'ailleurs, j'ai une amie qui l'a vu... Elle a dit que c'était le pire film qui soit et qu'elle avait du mal à s'en remettre. Je crois qu'on va bien s'amuser ! »

Elle avait fait exprès d'en rajouter une couche pour effrayer Casey. Elle avait hâte de voir ses réactions tout au long du films. C'était plutôt drôle de se dire qu'elle aurait certainement moins peur que lui... Non pas que son ex-mari soit un froussard, mais il était plus sensible qu'elle à ce genre de films. Les publicités se terminèrent quelques secondes plus tard et le film commença sur une musique des plus angoissantes. Sourire aux lèvres, Lee se tourna vers son voisin. Il n'avait sûrement pas eu assez de temps pour se préparer mentalement à toutes les horreurs qu'il allait voir.

« Oups, je crois que c'est loupé pour la préparation mentale... Mais l'avantage, c'est que tu vas pouvoir crier autant que tu veux. Je te promets que je ne dirai rien à personne ! », plaisanta-t-elle avant de reporter son attention sur le film. Ils étaient rien que tous les deux, Casey allait pouvoir s'en donner à cœur joie. Elle le voyait d'ici sursauter toutes les trois secondes tout en essayant d'être discret... Et cette pensée fit naître un petit sourire sur son visage. Elle devait avoir l'air idiote, à sourire devant un film absolument atroce. Il allait finir par la prendre pour une psychopathe.

Le film ne commençait toujours pas… Mais personne d’autre n’arrivait. Ils devaient vraiment avoir un problème de moniteur. Casey ralluma son portable et jeta un coup d’œil à l’heure. La séance n’allait pas tarder à commencer… Et bien, il semblait que la salle était pour eux !

Il ne saurait expliquer pourquoi exactement, mais son cœur se pinça un peu trop fort à son goût quand elle renchérit, plaisantant en se déclarant fière de lui. Ce n’était pas réellement le contenu, mais plutôt le fait qu’ils soient tous les deux à parler et rire ensemble, qui lui procura cette désagréable sensation. Et surtout, cette façon qu’elle avait d’être, ce naturel si doux et léger, mêlé d’un peu de malice. Ses yeux qui pétillaient de vie, et sa chevelure aux mèches blondies qui se reflétaient sous les projecteurs. Elle était magnifique, vous savez ? Et c’est cela qu’il ressentit, Casey. Qu’elle était magnifique, oh bon sang. Magnifique comme des coups de poings à répétition dans la poitrine, un rythme incessant qui le prenait là, dans le cœur et la gorge, à lui en serrer sa trachée oui, parce que sans le voir, Lee, c’était quelqu’un de lumineux. Et pendant six mois il ne l’avait pas vue, pire : pendant des années il n’avait plus l’éclat de la jeune femme. Comment avait-il réussi à ne plus le percevoir ? Il ne savait pas, ne comprenait pas. Ce sont là des mystères que la vie fait parfois, mystères insondables et obscurs, qu’il vaut mieux à vrai dire ne pas déchiffrer. C’est une vérité, peut-être, que l’on a oubliée. Ou mise de côté, volontairement. Oui, peut-être était-elle là l’explication : dans le déni, volontaire. Se voiler la face. Il s’était voilé la face pendant des années, et ce n’était qu’à présent, dans la noirceur d’un cinéma, qu’il se souvenait de la luminosité d’Emily. Éclat poignant qu’il reçut en plein visage, sans aucune prévention, après tant de temps sans l’avoir vu. La vérité, c’est que c’était comme un aveugle percevant la lumière pour la première fois de sa vie. Vous comprenez maintenant, combien cela peut faire mal ?

« Tu as vu ça ! Je fais des folies hein ! » lâcha-t-il, riant également, mais l’esprit complètement bouleversé.

Woh… Elle se souvenait qu’il ne parlait pas à certains membres de sa famille. Alors qu’il n’en parlait, logiquement, jamais. Il attendit qu’elle finisse de parler avant de lui répondre.

« Vraiment ? C’est la soirée des annulations… Ma cousine aussi, le gars qui devait venir avec elle a annulé au dernier moment ! » déclara-t-il, plein de naïveté le pauvre chou.

« Oui, elle-même ! On a repris contact depuis quelques temps, je suis bête de ne pas l’avoir fait avant d’ailleurs ! » acquiesça-t-il. Il prit alors son portable et montra la photo de lui et Maybelle qu’il avait mise en fond d’écran (avant ça, c’était son chien, mais bon, ça faisait un peu gamin, et les paysages, c’était ringard, quant à Lee, il en avait eu marre de se briser le cœur à chaque fois qu’il regardait un sms) : « Tiens regarde ! C’est elle, Maybelle ! » dit-il, tout heureux de lui présenter sa géniale cousine.

Puis Emily lui résuma le film. Il eut un sourire crispé. Haha. Hahahaha. Merci pour la description. Il n’était plus du tout rassuré, en fait. Le pire film que son amie ait vu ? Si l’amie dont parlait Lee était aussi addicte qu’elle aux films d’horreurs, il était bien, lui !

« D’aaaaccord. Pour toi, bien s’amuser, ça implique des chasseurs de démons, un truc horrible, le pire film qui existe. Génial. Non mais, oui, oui. Évidemment on va bien s’amuser. » fit-il, ravalant sa salive en cachette.

Il n’avait pas peur. Pas du tout. Merci Maybelle. Merci. T’aurais pas pu trouver autre chose comme film quand même ?

« Moi ? Crier ? Impossible Lee, impossible. J’ai suivi une formation militaire très dure avant d’intégrer le commandement des Gens qui Vont Voir des Films d’Horreur pour se Désensibiliser. Je ne crierai pas. Dès qu’on criait, on recevait une décharge, alors tu comprends bien, j’ai arrêté. L’avantage c’est que, grâce à ma préparation pour le GVVFHD, je suis aussi désensibilisé à l’électricité tu vois. Donc, quoiqu’il en soit, tu n’auras riiiien à cacher aux autres puisque je vais être super courageux et aucun son ne sortira de ma bouche, Miss Lee ! »

Il était débile. Il était tellement débile.
Et il avait failli dire Miss Kennington.
Oh qu’il était débile !

Casey alluma son téléphone portable et Emily posa malgré elle son regard sur l'écran. Bon, d'accord... Ce n'était pas du tout malgré elle. Elle voulait savoir si elle était toujours sur son fond d'écran. Ce qui était parfaitement idiot puisqu'ils étaient divorcés et qu'il n'avait aucune raison de vouloir la voir à chaque fois qu'il regarderait l'heure ou qu'il recevrait un SMS. Ils n'étaient plus ensemble, après tout. Lorsqu'elle aperçut une photo de Casey et d'une blonde le cœur d'Emily se compressa. Non seulement elle n'était plus sur l'image de fond mais en plus, il l'avait remplacée par une autre... La jalousie lui brûlait trop la gorge pour qu'elle puisse regarder la photo plus attentivement. Elle ignorait qui était cette fille mais l'apercevoir une demi seconde lui avait suffi. Elle la détestait, c'était décidé - et irrévocable ! Cependant, elle ne fit aucun commentaire. Que pouvait-elle dire, de toute façon ? "Oh, je ne suis plus sur ton fond d'écran" ? C'était tellement débile.

Il lui avoua bientôt que sa cousine avait elle aussi eu un empêchement avant de lui montrer son téléphone. Elle fronça doucement les sourcils, pas très certaine de comprendre. Il voulait lui présenter sa nouvelle copine ? Vraiment ? « Tiens regarde ! C’est elle, Maybelle ! » Maybelle ? Sa cousine ? Sur son fond d'écran ? Elle se sentait tellement bête d'avoir réagi si vivement sans même connaître la vérité... Cela dit, maintenant qu'elle savait que cette fille n'était pas la nouvelle copine de Casey, elle pouvait s'autoriser à regarder la photo plus en détails. Jolie, plutôt menue, blonde, de grands yeux de chat d'un bleu profond... Cette tête lui disait quelque chose.

« Hey mais... C'est elle », dit-elle soudainement d'un air surpris, les yeux toujours rivés sur la photo. « C'est cette fille qui était devant le cinéma et qui m'a vendu sa place ! »

Cette fille était donc la cousine de Casey. Maybelle. Et Emily avait beaucoup de mal à comprendre. Elle avait donné sa place à Casey avant de lui en vendre une autre... Pourquoi ? Elle n'en savait rien. C'était assez bizarre. Surtout qu'à cause de cela, Emily se retrouvait seule en tête-à-tête avec son ex-mari... Ou plutôt grâce à cela. Elle ne connaissait pas Maybelle et elle ignorait de quoi elle était capable. Imaginer qu'une salle de cinéma puisse être privatisée rien que pour Casey et elle était impensable et d'ailleurs, cela ne lui effleura même pas l'esprit. Même si elle n'avait aucune espèce d'explications pour justifier cette situation.

En voyant la tête de Casey changer quand elle lui résuma le film, la jeune femme éclata de rire. Elle avait réussi son coup et elle était plutôt fière d'elle. Elle hocha la tête pour approuver ses propos, le laissant penser qu'elle avait effectivement besoin de choses horribles pour s'amuser pleinement.

« Quoi, tu ignorais que tu as passé plusieurs années à côté d'une psychopathe ? », fit-elle très sérieusement. « Je suis sûre que tu es content qu'on soit divorcé, maintenant ! » Elle esquissa un petit sourire, mi-amusé, mi-gêné. Elle n'aimait pas spécialement parler du divorce. Surtout pas lorsqu'elle était en pleine conversation avec lui et qu'elle avait l'impression qu'ils étaient complices comme au premier jour.

Puis Casey se lança dans un délire absolument loufoque - mais parfaitement adorable - et Emily riait tellement qu'elle en avait mal au ventre. Cela ne lui était plus arrivée depuis tellement longtemps qu'elle avait oublié à quel point cela faisait du bien. Lorsqu'il termina son monologue hilarant, elle essuya le coin de ses yeux et le regarda en souriant.

« D'accord, d'accord... On en reparlera à la fin du film. Bon courage, camarade. »

Elle lui fit un clin d’œil avant de reporter son attention sur le film. Qui était effectivement plus qu'horrible. Plus les minutes passaient, plus l'angoisse montait et plus elle se sentait mal à l'aise. Elle n'était pas du genre mauviette qui avait peur de tout et de rien. C'était une fille plutôt dure et plutôt résistante (elle avait vécu tellement de choses qu'elle ne se laissait pas facilement impressionner) mais là... Elle n'était pas très rassurée. C'est sûrement pour cela que discrètement, sans même le regarder, elle posa sa main sur celle de Casey. Ou peut-être tout simplement parce qu'elle en avait envie. C'était comme si elle avait un tout nouveau Casey Kennington en face d'elle, comme si elle retombait tout doucement amoureuse de lui.

Casey resta interloqué. Il eut un rire bref, nerveux. « Maybelle ? T’es sûre ? C’est May qui t’a donné la place ? » Plus il parlait, plus ses lèvres s’étiraient. Jusqu’à ce qu’un sourire franc vienne finalement se dessiner sur son visage, quelques secondes après quoi il fut balayé par un vif éclat de rire. Quand ce fut fini, il se mordit les lèvres. Gêné.

Maybelle. Oh, Maybelle ! Tu n’as pas fait ça quand même ? Mais si bien sûr, elle l’avait fait. Casey, lui savait. Savait que May était une jeune fille maligne et réactive. Pleine de vie et d’idées… Et d’argent. Elle l’avait fait. Comment expliquer qu’ils se retrouvent tous seuls dans la salle sinon ? Non, ce n’était pas une erreur de la technologie. C’était un coup de miss Goodwin. Il en était presque certain. Oh bien sûr c’était un plan dément… Mais Casey ne doutait pas, non. Maybelle avait réservé la salle. Pour eux. Si Emily était incapable de penser à cela, lui, ne voyait aucune autre explication possible. Mais il se garda bien d’éclairer la totalité de la situation à son ex-femme… Vous l’imaginez lui dire « Je crois que ma cousine a réservé la salle pour nous. Elle a tout manigancé, nous a donné les placés afin qu’on soit tous les deux, tous seuls, ensemble, pendant quelques heures. Devant un film d’horreur… Pour les rapprochements, je suppose. » ? Non, décemment, il ne pouvait lui expliquer.

« Elle… Je… Elle est dingue. Je ne sais pas trop ce qu’elle a pu faire, mais elle est dingue. » conclua-t-il, complètement interloqué… Et légèrement menteur, oui. Mais après tout, il n’avait pas la confirmation de sa cousine, peut-être se trompait-il…

Si le début de la réplique de Lee fit rire Casey, la suite avait un peu un goût amer. Lui aussi avait failli faire une blague qui impliquait la mention de leur divorce. Il n’avait pas pu. Alors il admira le courage d’Emily et se força à rire. De toute façon, la situation complètement loufoque. Il avait de quoi rire en réserve.

Son cœur cependant ne put que se serrer, et il pinça ses lèvres de nouveau. Content d’avoir divorcé ? Il ne l’avait jamais été. Elle, si, certainement. Elle avait été libérée d’un poids grâce à cela… Et il ne pouvait pas la blâmer d’avoir demandé leur séparation. Elle avait fait le meilleur choix pour elle-même.

Son discours complètement farfelu, et idiot… Semblait tout à fait fonctionner ! Emily riait. Oui, oui, elle était morte de rire. Grâce à lui. Voilà. Petite revanche sur tous les prétendants actuels et futurs et hypothétiques de Lee. Casey Kennington avait fait rire Emily Finch, et beaucoup. Jusqu’à ce qu’elle en essuie ses yeux ! Alors, des volontaires dans la salle ? Oh, mais… C’est vrai… La salle est vide. Lee est tout pour lui. Dommaaage ! – Merci miss Goodwin.

Il avala sa salive et hocha la tête.

« Du courage. Voilà. C’est ça dont je vais avoir besoin. Ex-ac-te-ment. Mais faut que j’aie mon diplôme, alors j’en aurai héhé, prépare-toi à un combattant de taille ! » finit-il dans une ultime tentative d’humour. Ce n’était pas pour faire rire Lee, cette fois. C’était pour lui. Avoir un tout petit peu moins peur. Devinez quoi ? Ça n’avait pas fonctionné. Du tout.

Et cela empira quand le film commença. Il y avait des arbres. C’était l’hiver. Donc, branches nues, paysage désert, lumière quasiment inexistante. Bruits étranges. Visages horrifiés, plongés dans les ombres de la vieille bicoque. L’aimait pas ça, pas ça du tout, le Casey.

« MAIS NON VA PAS LÀ ! »

Voilà. Ça lui avait échappé de la bouche. PAS LÀ NOM D’UN CHIEN ! Il la sentait mal, cette porte. Genre vraiment très, très mal. À tel point qu’il s’enfonça dans son siège et s’agrippa aux accoudoirs. Maybelle. Maybelle. POURQUOI un film d’horreur ?

Et puis il eut la réponse. Là, doucement. Comme un souffle bienfaiteur venu l’apaiser. Sauf que c’était la main de Lee sur la sienne, et ça avait un pouvoir mille fois plus puissant qu’autre chose. Il ne savait pas si elle faisait ça parce qu’elle avait peur aussi, ou parce qu’elle avait vu qu’il était terrifié et qu’elle voulait le rassurer. Il se figea un peu d’étonnement. Et d’hésitation. Que devait-il faire ? Casey jeta un œil à la jeune femme. En fait… Elle n’avait pas l’air très très à l’aise non plus. Pour la connaître depuis des années, il était encore capable de voir cela sur son visage. Curieusement, cela le fit avoir moins peur de la voir ainsi. Peut-être parce qu’il ne regardait plus l’écran. Peut-être parce qu’il la regardait, elle. Ce devait même être cela, la seule explication viable : il la regardait, elle. Et tout allait mieux. Et il ne pouvait pas la laisser dans sa peur. Il ne pouvait pas laisser sa Lee, aussi forte qu’elle était fragile, plus fragile qu’elle ne se voulait forte peut-être même, craintive devant ce foutu film d’horreur.

Alors il retourna sa main agrippée à l’accoudoir, celle sur laquelle Emily s’appuyait, et tout en tremblant un peu, et ne sachant pas trop s’il faisait bien, ou si elle allait le gifler (il ne la voyait pas du tout faire ça, mais qui savait ?), ignorant même si elle était consciente de son geste, il retourna sa main, et tout en tremblant un peu, il ferma malgré tout ses doigts sur les siens.

Il la regardait toujours. Il ne savait pas si elle allait se retourner. Si elle le faisait, il lui dirait très certainement :

« Il… Fait peur. Ce film. (…) J’aurai pas mon diplôme, hein. »

Mais si elle restait les yeux sur le film, alors, il ne dirait rien. Et peut-être bien qu’après quelques secondes, ou bien minutes, ou quand il se dirait que le film était dans un moment de calme, peut-être bien qu’il poserait de nouveau ses yeux sur l’écran géant. Peut-être pas.

La jeune femme hocha vigoureusement la tête quand Casey lui demanda si elle était certaine qu'il s'agissait bien de sa cousine. Oui, elle en était sûre. Aussi sûre qu'un et un font deux. Cette petite blondinette était assez atypique dans le paysage Bowenien... Elle avait un look plutôt original qui passait difficilement inaperçu. Et puis, plus encore, ses yeux étaient mémorables. D'un bleu absolument magnifique, accentué par son maquillage soutenu. Pas de doute, la fille de la photo était bien celle du cinéma. C'est là que Casey se mit à sourire. Un sourire adorable et franc, bien que complètement incompréhensible. Cela dit, elle n'osa poser aucune question. Elle ignorait encore s'ils étaient proches au point de se confier l'un à l'autre ou de se poser des questions de ce genre. Il conclut rapidement que sa cousine était dingue et elle approuva d'un petit hochement de tête. Elle ne connaissait pas Maybelle mais cette histoire de places de cinéma était assez curieuse, effectivement.

« Elle a l'air plutôt sympa », commenta-t-elle sincèrement. Bizarre, mais sympathique. De toute façon, Emily n'était pas du genre à juger les gens sur  une première impression. Ni sur leur look, aussi décalé soit-il.

Puis le film commença. Et l'angoisse aussi. C'était assez intriguant de se dire que des films, histoire montées de toutes pièces, pouvaient avoir de tels pouvoirs sur nous. Nous faire rire, pleurer, nous questionner sur notre vie ou celle de notre voisin, nous faire douter de tout et n'importe quoi... Ou nous faire peur au point de ne plus pouvoir respirer correctement, la trouille nous faisant suffoquer.

« Oh mon dieu... », murmura-t-elle en plissant doucement les yeux dans l'espoir de moins voir. « Non ! Non, non, non, non, non... NON ! » Elle vivait toujours les films qu'elle regardait. Comme si elle y était, comme si c'était réellement elle qui était en proie à un démon vorace.

Elle sursauta. Puis se mit à rire nerveusement, honteuse de se faire avoir comme une gosse. Un film. Ce n'est qu'un foutu film. Rien n'est vrai, tout est joué. Mais même en se répétant ça un million de fois, elle avait toujours aussi peur. Et Casey aussi, à en juger par ses réactions plutôt amusantes. Lorsqu'elle posa sa main sur la sienne, sans oser le regarder de peur de voir son expression changer du tout au tout, Casey entreprit de tourner la sienne pour entremêler leurs doigts. Et un petit sourire étira les lèvres d'Emily. Il sentait son regard sur elle mais elle ne voulait pas tourner la tête. Parce qu'elle ignorait ce qu'elle était censée faire. Lui sourire ? Lui lancer un regard gêné ? Enlever sa main ? L'embrasser, même ? Non. Cette dernière option n'était absolument pas envisageable. Non pas qu'elle n'en ait pas envie, mais il était bien trop tôt. Ils commençaient à peine à se reparler comme avant. Elle n'avait pas oublié son comportement, ni pourquoi leur mariage s'était soldé par un échec cuisant. Elle n'avait pas oublié qu'il lui avait fait du mal. Et même si elle ne lui en voulait pas, elle ne voulait pas se faire avoir à nouveau. Elle préférait y aller doucement, au risque de se brûler les ailes une fois de plus. Alors, elle ne fit rien. Elle restait plantée là, les yeux fixés sur l'écran, sa main enlacée dans celle de Casey. Une minute passa. Puis deux. Puis trois. Et le regard de son ex-mari semblait toujours posé sur elle, ce qui la mettait un peu mal à l'aise. Elle se pinça légèrement les lèvres et se motiva intérieurement pour se donner le courage de tourner la tête vers lui.

« Le film ne te plait pas ? », demanda-t-elle alors, plantant son regard dans le sien.

Casey hocha la tête. Oui. Maybelle était sympa’. Et depuis quelques minutes, il se rendait jusqu’à quel point. Peut-être était-elle aussi un peu machiavélique pour avoir planifié un plan de ce genre. Mais avant tout, elle était sympa, et terriblement généreuse. Et puis elle avait une certaine folie dans sa façon d’être, qui faisait qu’on se sentait léger et sans inquiétude, avec elle. Avec Emily, c’était doux. Avec Maybelle, c’était léger. Comme si elle emmenait toucher le ciel – alors qu’il se serait bien vu se poser sur un nuage avec Lee et admirer la vue en buvant un sirop d’étoile. (… Un sirop d’étoile, parfaitement. C’est très tendance au firmament, bande d’incultes. Faut être in dans la vie pour réussir mes chers.)

Le chien. Le p’tit chien. Le pauvre p’tit chien, il voulait pas y entrer dans cette foutu baraque ! Et Casey était d’accord à 100% avec l’animal. D’ailleurs, si le reste du monde avait pu en faire autant, c’eût été parfait. Visiblement, ils n’étaient pas trop de son avis. Non non, eux, tranquilles, continuaient à vivre dedans. Et voilà. La fille… La fille là…

« MAIS ATTENTION ! PARS DE LÀ ! »

Okay. Okay. Tout va bien. Haha. It’s alright. Really. Tutto andrà beneeee. Benissimo ! Hum.
Ce qui le rassurait, c’est qu’Emily aussi était effrayée.

Alors il avait sa main dans la sienne. Sa main dans la sienne, comme ce n’était pas arrivé depuis des années. Et il avait stupidement le regard fixé sur elle, parce qu’elle était adorable, parce qu’il était seul avec elle et qu’il pouvait, calmement, en silence, l’observer et la reconnaître, la redécouvrir, se rendre compte d’elle. Penser à pourquoi il été tombé amoureux d’elle, loin dans leur passé au fond de leur mémoire. Aux débuts. Quand il était encore tout étonné que quelqu’un fasse attention à lui. Et puis ensuite, ce projet fou de mariage. Et l’après. Et lui. Et le déclin. Et le vide, la pesanteur, les absences, le mal-être. Il s’apprêtait à détourner la tête, trop coupable tout à coup, trop mauvais et fautif pour avoir le droit d’être là à ses côtés, sa main dans la sienne. Mais c’est elle qui tourna sa tête vers lui. Ses yeux alors rivés dans les siens. Il maîtrisa un sursaut, sorti de ses pensées.

« C’est…Pas franchement rassurant comme film. » bredouilla-t-il.

Il était mort de peur dès qu’il regardait l’écran, en fait. Alors… Non, c’était pas trop son truc.

« Et toi ? Tu aimes ? » s’enquit-il.

Lui n’aimait pas ça, mais Emily, adepte de ces films, appréciait peut-être cette ambiance angoissante…

Alors qu’ils se regardaient, interlude lors de ce terrible film et mémorable à jamais, il sentit sa main toujours dans la sienne. Ils avaient fait ça presque en toute inconscience… Mais désormais, ils se parlaient, étaient actifs. Le contact était plus réel. Gêné, Casey enleva doucement sa main. Oh, il l’aurait bien laissé là, cette mimine. Mais Emily ne voulait sûrement pas garder cette main d’égoïste dans la sienne plus longtemps.

« Dé… Désolé. » Au fond, c’était elle qui avait commencé. Mais elle l’avait juste posée. Lui l’avait enlacée. C’était pire, non ?

Était-ce elle ou le temps passait-il réellement beaucoup moins vite depuis qu'elle était installée dans cette salle de cinéma. Les horreurs défilaient sous ses yeux et pourtant la fin du film semblait encore très loin. Trop loin, peut-être. Elle n'arrêtait pas de sursauter, de pousser des petits cris de stupeur et de mettre sa main - celle qui était libre, évidemment - devant ses yeux en écartant légèrement les doigts pour en voir un peu, mais pas trop. Pour se distraire et échapper ne serait-ce que quelques minutes à ce moment de pur atrocité, elle se tourna vers Casey. Il la regardait fixement et elle se demandait si c'était parce qu'il en avait envie ou parce qu'il souhaitait lui aussi se donner un moment de répit pour reprendre ses esprits. Il lui indiqua que le film n'était pas "franchement rassurant" à son goût puis lui retourna la question.

« Honnêtement ? Je crois que si ça continue comme ça, je vais pleurer avant la fin du film » dit-elle d'un ton léger avant d'esquisser un petit sourire.

C'est alors qu'il enleva sa main de la sienne. Et subitement, elle se sentit idiote. Pourquoi avait-elle posé sa main sur la sienne ? Qu'avait-elle cru ? Qu'ils allaient pouvoir recommencer leur histoire comme si rien ne s'était passé ? Non. Ils étaient divorcés. Divorcés. Ils n'avaient plus rien en commun, il fallait qu'elle imprime cela au fond de son esprit tordu et qu'elle évite de recommencer ce genre de choses on ne peut plus gênante. Pour lui comme pour elle. Elle reporta immédiatement son regard sur l'écran, s'enfonçant au fond de son siège pour se faire la plus petite possible. Elle était mal à l'aise et si elle avait été du genre à fuir, elle serait allée au premier rang sans plus attendre. Mais la petite Emily Finch, malgré son apparence plutôt fluette, était du genre à prendre les problèmes à bras le corps.

« Non, c'est moi. J'aurais pas dû. Désolée. » murmura-t-elle doucement sans oser le regarder. À quoi bon murmurer puisqu'ils étaient seuls dans la salle ?

Ses yeux étaient rivés sur l'histoire abominable de cette gentille petite famille qui se déroulait sous ses yeux. À chaque claquement de porte, à chaque bruit suspect, à chaque événement étrange, elle sursautait un peu sans oser laisser sa peur transparaître. Elle aurait eu envie de coller son visage contre Casey pour se rassurer mais s'il avait lâché sa main, il ne l'autoriserait sûrement pas à le faire. Et puis d'ailleurs, elle ne se l'autoriserait pas elle-même.

« Pourquoi ils vont toujours voir ce qu'il se passe quand un truc cloche ? » dit-elle à voix basse, énervée contre les personnages principaux du film.

C'est vrai, ça ! Dans les films d'horreur, les gens se précipitent toujours dans la gueule du loup. Un bruit suspect en pleine nuit au beau milieu de la cave ? Pas de problème, allons voir ! Quel genre de personnes irait voir dans la cave super flippante de sa nouvelle maison en pleine nuit ? Bon, d'accord. Emily le ferait sûrement. Parce qu'elle était courageuse, qu'elle ne se laissait pas souvent impressionnée et qu'elle était très cartésienne. Les fantômes, démons et autres trucs surnaturels ? Très peu pour elle. Ce qui était assez contradictoire puisqu'elle se gavait de films et de documentaires sur le paranormal.
Puis l'un des pires moments du film arriva. Enfin, pire... Jusqu'à maintenant. Parce qu'au train où allait les choses, la fin promettait d'être spectaculaire ! La pression montait d'un cran à chaque seconde, si bien que la jeune femme avait du mal à respirer convenablement. Comme si elle était dans cette foutue maison, comme si elle était oppressée, comme si elle vivait l'histoire de l'intérieur. Elle sursauta sans ménagement, poussant un petit cri de stupeur sans même s'en rendre compte. Son cœur battait la chamade et elle et elle soupira fortement. Débile. Ce n'est rien qu'un film. Basé sur des faits réels, certes... Mais tout est romancé pour faire du grand spectacle.

« Je comprends que ta cousine ne soit pas venue toute seule, je suis bonne pour dormir avec la lumière allumée ce soir » lança-t-elle à Casey tout en essayant de reprendre ses esprits.

Elle ne connaissait pas Maybelle mais elle avait l'air plutôt fragile. Du genre à ne pas supporter ce genre de film. Non pas qu'elle la juge sans la connaître mais à première vue, elle ressemblait à une petite fille innocente et sensible. Et les petites filles innocentes et sensibles ne vont pas voir des films aussi... Elle ne trouvait même pas les mots, à vrai dire. Cela dit, elle était perturbée par ce qu'il venait de se passer avec Casey. Elle n'osait plus faire le moindre mouvement. Mortifiée, elle était mortifiée. Elle se sentait honteuse, embarrassée, vexée, déçue, énervée contre elle-même... Bref, un cocktail de sentiments assez explosif. À présent, elle n'avait qu'une hâte : que le film se termine pour pouvoir quitter la salle sans demander son reste, se terrer dans son appartement et ne plus jamais revoir Casey. Vraiment jamais.

Lee. On aurait dit comme une anomalie dans cette salle terrible. Âme si douce et si bienveillante, emplie de petits gestes qui réchauffent les cœurs, coincée dans un endroit si sombre, si austère et néfaste : il y avait comme quelque chose d’incohérent, une donnée incomprise. Une erreur, peut-être. Cependant c’était cela la faute : de la croire si vulnérable en ce lieu. De la penser égarée, perdue. Or elle avait choisi d’y être, elle avait accepté de venir. La véritable anomalie n’était pas Emily mais Casey. Il n’avait pas coutume de regarder ce genre de films, et n’avait jamais eu un courage débordant. Depuis quelques mois, il avait appris à braver certaines situations, il s’était fait violence pour aller contre son naturel, mais rien n’empêchait malgré ces changements que la vue d’un film d’horreur le tétanisait. Bien qu’Emily soit présentement aussi tétanisée que lui, il savait que ce n’était pas la première fois qu’elle voyait un film comme celui-ci. Aujourd’hui, elle n’avait guère eu le choix du sujet, mais elle avait malgré tout décidé d’y venir. En d’autres temps, la jeune femme avait déjà délibérément projeté de se rendre à une séance de film d’horreur. Lui, non, jamais. Et c’était cela, cette surprise dans ce corps aux apparences si chétives, cette caractéristique étonnante, qui le charmait toujours chez Lee. Emily Finch n’était pas naïve. Elle était combattive. C’était Casey Kennington qui ne savait l’être.

Pour autant, la jeune blonde prophétisa des pleurs. S’il avait été le Casey d’avant, il aurait pu se permettre de lui dire qu’il serait là pour la rassurer, qu’il la prendrait dans ses bras, qu’il sècherait ses larmes et qu’ensemble ils sortiraient de cette maudite salle de cinéma et regarder Moulin Rouge à la maison avec des cookies, ou bien il lui aurait pris la main là, à l’instant, pour lui dire que tout se passerait bien et qu’elle n’avait rien à craindre. Mais s’il avait été le Casey d’avant, il n’aurait pas bougé, il se serait senti trop étranger à elle à cause de lui pour agir. Maintenant qu’il lui était réellement devenu étranger et qu’il crevait d’envie de le faire, il ne le pouvait plus. Jamais il n’avait été aussi idiot dans toute sa vie que les quelques dernières années précédentes. C’était long, des années passé à être idiot.

« On sera deux, alors. Je ne sais pas si je vais pouvoir rester jusque la fin. » dit-il avec un soupir, dû à la gêne qu’il éprouvait à vouloir faire sans pouvoir et la peur que ce film inspirait.

Maigre réplique qu’il avait trouvée là, elle avait été la seule issue qu’il ait aperçue pour autant. C’était vrai certes, il ne savait s’il pourrait rester jusque la fin – sauf si Lee restait. Mais il aurait voulu faire plus que des paroles.

Alors il avait retiré sa main, parce qu’il se sentait presque comme un violeur. Violeur de droit, de permission, voleur aussi, d’amour immérité, de tendresse indigne. Pire qu’un inconnu, un ennemi. Un indésirable qui se permettait des obscénités, une familiarité grossière. Ce petit sourire qu’elle avait eu en ponctuant sa précédente phrase, et maintenant son murmure, c’était tant de douceur et de délicatesse que son regard ne pouvait supporter sans trahir ses émotions, aussi baissa-t-il légèrement les yeux le temps de se reprendre, un moment de patience afin que l’éclair fébrile de sa vulnérabilité ne termine sa course. Il n’osait lui montrer ses sentiments, il avait trop peur qu’elle le rejette plus encore. Quoi, lui, ce goujat qui l’avait si mal traitée lui offrait à présent le visage d’un amoureux en attente d’une réciprocité ? Il lui montrait un amour qu’il n’avait pas été capable de lui exprimer auparavant, maintenant que tout était fini ? Tout cela pour quoi ? La faire culpabiliser ? La tromper encore ? Qu’elle tombe sous son charme de nouveau et qu’il la blesse une seconde fois ? Voilà ce qu’il craignait qu’elle ne pensât si jamais il se laissait aller à ce qu’il éprouvait, ce qu’il avait toujours éprouvé mais trop inconsciemment à une époque, pour elle. Il ne pouvait résolument pas la braquer contre lui encore plus fort, ni même troubler son esprit. Il l’aimait, bien sûr qu’il l’aimait, mais il l’avait si mal aimée qu’à présent il était persuadé que le lui laisser entendre si sciemment, c’était éteindre tout espoir de réconciliation à jamais.

Ne sachant que dire, il esquissa un sourire en relevant ses yeux. Un sourire, pour endormir la gêne et la crainte, la méfiance et la culpabilité.

Ils reportèrent leur attention sur le film, qui ne cessait de croître en horreur. Casey serrait les dents, calé bien au fond de son siège. Tendu. Comme situation agréable et rendez-vous romantique, il avait connu mieux. Mais merci Maybelle malgré tout. Il avait tout de même tenu un peu la main d’Emily… Ce serait au moins un bon souvenir de ce soir qu’il se ressasserait, plus tard.

Alors que la blonde pesta contre les personnages qui vont toujours voir ce qu’il ne faut pas, l’une des scènes les plus effrayantes se déroula innocemment sous leurs yeux. Emily lâcha un petit cri qui fit sursauter d’autant plus Casey. Il tressaillit et souffla en se rendant compte que, non, ce n’était pas le démon bizarre du film qui avait ça, mais mademoiselle Finch. Elle fit une remarque à propos de sa cousine qui lui arracha un sourire en coin. D’une part parce qu’il était d’accord : aller voir ce film seul, c’était suicidaire. D’autre part parce qu’il avait la certitude que miss Maybelle n’avait jamais eu l’intention d’aller voir ce film, et qu’elle était bien machiavélique pour les avoir trompés tous les deux.

« Si j’avais su ce que c’était que ce film, jamais je serais venu. Elle est complètement folle. Encore plus que ce je ne savais déjà. » commenta-t-il, à la fois pour répondre, à la fois en écho à ses propres pensées. « Ah, Maybelle… »

Celle-là alors.

Le visage retourné vers son ex-femme, il la vit extrêmement tendue. Il n’aurait su dire quelle émotion elle éprouvait, car il semblait y avoir plus que de la peur et à la fois tout à fait autre chose que de la peur dans son expression. Il en fut troublé, et il posa la main sur son poignet en le pressant légèrement. Était-ce un geste inconscient, de ceux qu’on faisait pour indiquer aux autres qu’on était là, qu’ils n’étaient pas tous seuls ? Comme les « Et ben… » qui ponctuaient de temps à autres les silences dans les bars au comptoir ou bien les « allô » au téléphone qui indiquaient qu’il y avait bien un interlocuteur là derrière ? Ou était-ce un acte conscient, pour lui procurer un peu de réconfort, car les contacts physiques apaisaient souvent les esprits perturbés ? Il n’aurait su vous dire, il ne put que lui demander :

« Tu veux partir ? »

Parce qu’elle avait l’air de ne pas aller bien du tout, et qu’il ne voulait pas que cela empire. Parce que c’était une façon de lui demander comment elle se sentait. Parce qu’il ne voulait pas l’obliger à rester – si elle s’en allait, il la suivrait. Rester seul dans cette grande salle face à ce film n’était pas dans ses intentions.

La jeune femme ignorait à qui elle devait en vouloir. Au destin, pour avoir fait que le cinéma se trouve sur sa route ? À la cousine de Casey pour lui avoir refilé sa place sans lui laisser le choix ? Ou bien elle-même, pour avoir accepté et essayer de discuter avec Casey comme si leur relation était on ne peut plus normale ? Elle n'arrivait pas à croire qu'elle était là, assisse aux côtés de son ex-mari - et ce par le plus grand des hasards. C'était tellement insensé qu'elle en finissait par se demander si tout cela n'était pas le fruit d'un plan machiavélique organisé par Casey. Peut-être avait-il demandé à sa cousine de prendre part à sa combine et de lui revendre sa place devant le cinéma pour qu'ils se retrouvent en tête-à-tête, après tout ! Non. Impossible. Premièrement parce que Casey avait eu l'air aussi surpris qu'elle (et elle le connaissait assez pour savoir qu'il n'était pas bon menteur), deuxièmement parce que cela n'expliquait par le problème de moniteur à l'entrée du cinéma. Le hasard. Ils devaient bel et bien cette magnifique soirée au hasard. Qu'avait-elle fait pour le sort s'acharne autant sur elle ?

Elle n'aurait su dire ce qui la mettait le plus mal à l'aise. Le film, qui la terrorisait de plus en plus, ou cette proximité soudaine avec son ex. Son cœur battait plus vite que d’habitude, c’était certain, mais elle ne savait pas vraiment si c’était à cause de toutes les horreurs qui défilaient sous leurs yeux ou à cause de Casey. Alors qu'elle ne s'y attendait pas, elle sentit quelque chose - Casey ! - encercler son poignet et se figea littéralement. Ce n’était ni plaisant, ni déplaisant. C’était juste… déroutant. Elle n’était plus du tout habituée à ce genre de familiarités et elle ne comprenait plus rien. D’abord Casey la rejetait puis il lui donnait à nouveau l’espoir que tout pourrait s’arranger. Il jouait avec elle comme avec une vulgaire poupée de chiffon. Il devait probablement bien rire de la voir toujours aussi attachée à lui, même plusieurs mois après leur divorce. Tu veux partir ? La voix du jeune homme perça le silence pesant, arrachant Emily à ses tourments. Elle tourna la tête vers lui, le fixa pendant quelques secondes puis reporta son attention sur l’écran sans rien dire. Ce n’était pas volontaire, c’était simplement qu’elle n’avait pas encore décidé si elle avait envie de partir ou de rester.

« Non. » déclara-t-elle finalement sans prendre la peine de le regarder. « J'aimerais bien connaître la fin du film. C'est assez prenant comme histoire. »

Elle marqua une courte pause avant de se tourner à nouveau vers son ex-mari. Elle ne voulait en rien l'obliger à rester s'il n'en avait pas envie. Elle avait fait son choix : c'était à la cousine de Casey qu'elle en voulait. Elle n'y était pour rien mais dans ces moments-là, il fallait bien trouver quelqu'un à blâmer. Et pour une fois, Emily n'était pas d'humeur à se laisser ronger par la culpabilité. Elle voulait rejeter la faute sur une illustre inconnue pour se sentir un peu mieux, comme si se dire que cette situation étrange était la faute de Maybelle (et seulement de Maybelle) l'aiderait à mieux dormir la nuit venue.

« Mais tu peux partir toi, si tu veux... »

Elle lui adressa un petit sourire. Elle n'avait pas vraiment envie qu'il parte mais elle n'avait pas non plus envie qu'il reste. Une fois de plus, elle était totalement perdue. Tout se mélangeait dans sa tête au point qu'elle ne savait plus où elle en était. La décision de Casey l'aiderait sans doute à y voir plus clair.

Elle voulait rester. Partirait-il ? Partir. S’éloigner, certes, de ce film terrifiant. Mais aussi d’Emily. Il avait un mauvais pressentiment à l’idée de s’en aller, là maintenant. Comme si en partant tout de suite, ils ne se reverraient plus, ne se parleraient plus. Tout à coup, l’atmosphère dans la salle s’était refroidie, elle glaçait leurs échanges. Depuis quelques minutes il n’y avait plus de gêne mais une froideur malfaisante. Il ne pouvait pas quitter Emily dans une pareille ambiance. Il allait rester, lui aussi. Mais pas forcément pour le film.

« J’ai envie de savoir s’ils vont s’en sortir. » dit-il en ponctuant sa phrase par un léger sourire, répondant au sien.

Il était tant qu’il cesse. Qu’il arrête d’être là, pétrifié, gêné, indécis. Indécis, plus que tout. Cesser de se retrancher en lui-même, s’interroger, tout cela pour ne faire que s’embrouiller l’esprit et ne rien faire. Est-ce que tout ce que ses voyages lui avaient appris s’était déjà volatilisé, au simple contact d’un film d’horreur en présence de Lee ? Est-ce qu’il allait redevenir le garçon maladroit et peureux seulement parce qu’Emily était à ses côtés ? Ce n’était pas comme ça qu’il devait se montrer. Il devait se reprendre, se ressaisir. Oui, se saisir de lui-même, se remettre le dos droit et la tête haute pour avoir les idées claires et faire fonctionner ses méninges correctement, en ordre. Mettre de l’ordre en lui-même, être ce qu’il était devenu, non pas s’effacer face à l’ombre de celui qu’il essayait de jouer ces dernières années. Qu’il montre un peu à Emily Finch qu’il n’était plus le garçon qui la laisserait tomber. Lui dévoiler un Casey qui n’avait plus peur de vivre.

Il se concentra de nouveau sur le film qui gagnait en intensité, la fin approchait. Lorsque l’écran devint noir et que les lumières se rallumèrent petit à petit, il se sentit un peu soulagé. Toute cette mascarade était enfin finie.

« C’était saisissant comme film. » déclara-t-il en se tournant vers son ex-femme.

Il resta assis, son regard brun posé sur le doux visage de Lee. Elle lui manquait, il était idiot. Il n’avait jamais su « draguer » et ne comptait pas le faire pour « récupérer » la jeune femme. Parce que ce n’était pas une question de récupérer quoique ce soit, Lee n’était pas un objet qu’on avait posé quelque part chez un ami et qu’on voulait reprendre. Il voulait qu’ils réapprennent à se connaître. Lui avait tant négligé Emily toutes ces années qu’au final, peut-être ne savait-il plus réellement qui elle était. Elle ignorait que Casey avait enfin réussi à s’assumer et cela changeait tout en lui. Il voulait tourner la page pour en construire une nouvelle. Peut-être pas d’amour, elle ne le voudrait certainement pas. Mais il ne voulait pas qu’elle ne soit qu’un fantôme de son passé, quelqu’un à qui on pense en se disant « à un moment donné, elle a partagé un pan de ma vie ». C’était trop facile de supprimer de sa vie une personne en ne lui adressant jamais plus la parole, trop compliqué de se séparer d’elle de la sorte.
La rencontrer. Il voulait la rencontrer. Une deuxième fois. – une nouvelle fois.

« Tu es venue comment ? » s’enquit-il.

Il était tard, si elle était à pieds, il valait peut-être mieux qu’il l’accompagne. Bowen n’était pas une ville terriblement criminelle, mais il y avait des fous partout, comme on dit. Même si lui non plus n’avait aucun véhicule, au moins pourrait-il marcher à ses côtés dans les rues noires de nuit jusqu’au lieu où elle vivait, ainsi elle avait moins de chance d’être importunée par quelque idiot.

Lorsque le générique de fin apparut à l'écran, Emily soupira de soulagement. Non pas parce que le film était enfin terminé, mais parce que cela voulait dire que la séance était finie et que, par conséquent elle allait pouvoir sortir de cette salle obscure où l'air venait à lui manquer. Elle était impatiente de retourner à l'air libre et de pouvoir respirer à plein poumons. Alors qu'elle remettait sa veste, se préparant à affronter l'air frisquet qui devait s'abattre sur Bowen depuis la nuit tombée, la voix de Casey brisa le silence. S'arrêtant dans ses gestes, elle se tourna vers lui et le regarda fixement. Il voulait savoir comment elle était venue. Ce qui était probablement un moyen détourner de lui proposer de la raccompagner. Elle hésita un instant. Devait-elle lui mentir et lui dire qu'elle était venue en voiture (elle n'avait pas le permis mais après tout, elle avait très bien pu le passer pendant les quelques mois qui avaient suivi leur divorce !) ou lui dire la vérité et accepter de passer un peu plus de temps en sa compagnie ?

« À pieds » dit-elle finalement, l'honnêteté l'emportant une fois de plus. « Le cinéma est sur le chemin de mon travail, je passe devant tous les soirs... »

Pourquoi avait-elle ajouté cela ? Aucune idée. Elle en avait éprouvé le besoin et les mots étaient sortis naturellement. Elle remit machinalement une mèche de cheveux derrière son oreille, esquissant un sourire un peu gêné. Cette situation était tellement bizarre... Se retrouver par hasard au cinéma. Regarder un film ensemble. Discuter. Rire. Réapprendre à cohabiter comme avant. Elle n'était plus habituer à être si proche de Casey. Ni de qui que ce soit, d'ailleurs. Elle se demande soudainement s'il avait eu d'autres filles qu'elle dans sa vie depuis leur séparation. Cette idée lui compressa le cœur, même si elle était presque sûre de connaître la réponse. Il était plutôt séduisant (et encore plus maintenant que ses cheveux étaient plus grands), sympathique, drôle... Il devait avoir beaucoup de succès auprès des femmes.

« Et euh... Et toi, tu es venu comment ? » hésita-t-elle avant de se lever et de prendre son sac pour lui montrer qu'elle avait vraiment envie de quitter le cinéma.

Ils pouvaient très bien continuer leur conversation dehors. Qu'il la raccompagne ou pas, cela n'a pas grande importance. Ils pouvaient bavarder devant le cinéma. À l'air frais. De l'air, vite. Elle commençait sérieusement à suffoquer.