resurrection -r.

« Putain … Will ? » Furent les premiers mots qui sortirent de ma bouche lorsque j’entrai dans le bar-restaurant de la ville où, tous les jeudi soir, différents auteurs-compositeurs-interprètes venaient jouer pour se faire découvrir. J’étais encore dans le cadre de porte à attendre qu’une hôtesse m’assigne une place quand j’avais reconnus l’homme sur la scène. Pas moyen de me tromper, c’était bien lui. Will avait toujours eu ce visage particulier que j’aurais su reconnaître parmi tant d’autres. Malgré mon hétérosexualité affirmée, j’étais très capable de reconnaître une beauté, et Will en était une. Il avait des traits faciaux uniques et franchement, dès que j’avais vu une photo de lui par Internet, sur les réseaux sociaux où nous nous étions rencontrés, j’avais eu son visage gravé dans ma mémoire. Et depuis un bon moment, voilà où ce visage attendait paisiblement : dans ma mémoire. Car Will n’avait plus été qu’un souvenir depuis ce jour où subitement, il avait cessé de me parler. En fait, son profil sur le forum de musique où nous avions commencé à nous parler affichait la même date de dernière connexion depuis ce même jour. Un fantôme. Je m’étais énormément inquiété pour lui, imaginant le pire. Et le voilà, un revenant, fier du haut de son tabouret sur lequel il tenait sa guitare, assis. J’avais encore la bouche pendue jusqu’au sol quand la demoiselle vint m’inviter à la suivre pour aller rejoindre ma table. Je dû secouer ma tête pour reprendre mes esprits de sorte à être capable de poser un pied devant l’autre. Cet homme, qui en savait plus sur moi que je n’en savais moi-même, et vice-versa. Cet homme avec qui je m’étais lié d’une amitié virtuelle si forte que j’avais toujours eu envie de l’avoir en face à face, pour qu’on puisse enfin se parler comme des hommes dans le blanc des yeux, sans être protégés par un écran d’ordinateur. Il avait disparu en poussière de mes pixels pour se réassembler en chair et en os devant moi, dans ma ville, à Bowen. Dans mon bar-restaurant préféré. Il savait que j’habitais Bowen, le Will à qui j’avais toujours parlé. Il connaissait de nom les lieux que je fréquentais, à force de m’avoir lu. Alors pourquoi n’était-il pas venu cogner à ma porte dès son arrivée pour m’expliquer sa disparition ? Avais-je fait quelque chose de mal ? Pour le moment, ces questions demeuraient sans réponse, et je ne pouvais pas monter sur scène pour aller les lui poser. J’allais devoir prendre mon mal en patience et attendre. Attendre que sa douce voix et ses accords se taisent. Je commandai donc mon plat, comme à mon habitude, et un verre d’eau gazéifiée. J’attendis. Mon plat arriva. Il continuait à chanter comme il le faisait si bien. Je ne reconnaissais aucun matériel qu’il avait pu me montrer à l’époque. J’avais souvent lu de ses textes, entendu son style. Ce que j’entendais ce soir ne ressemblait en rien au style du Will d’autrefois. Du Will qui ne m’ignorait pas. Puis sa chanson tira à sa fin, et il partit vers les coulisses. Je terminai mon plat, le cœur serré dans ma poitrine. Je ne savais pas comment réagir. Aller le voir ? Et s’il n’avait pas envie de me voir ? Son silence devait être justifié, il devait y avoir une raison à son manque à l’appel. Qui étais-je pour m’imposer ? Malgré tout, lorsque je vis sa silhouette sortir de la porte réservée au personnel autorisé, et qu’il s’avançait vers le bar, je ne puis me retenir de me lever. Et de marcher jusqu’à lui. « Et si on m’avait dit que je te croiserais ici ce soir, à Bowen, devant mes yeux, en chair et en os. Je n’aurais pas cru cette personne. » Will se tourna vers moi et un regard un peu confus se posa sur moi. Je fronçai les sourcils. Il ne me reconnaissait pas. Wow. Je l’aurais reconnu parmi mille et lui, ne me reconnaissait même pas. « Euh … c’est Nelligan … du … du forum de musique … » Je me sentais petit dans mes culottes, tout d’un coup.