drawing me in -r.

Mon cœur battait encore trop rapidement au creux de ma poitrine. Comme à chaque fois que la porte s'apprêtait à s'ouvrir sur la femme de ma vie. Je n'arrivais toujours pas à concevoir qu'une femme comme Lily-Anaëlle Hadley puisse avoir osé poser ses yeux sur moi. Et mieux encore, en tomber amoureuse. Moi, un simple mec à lunettes, avec ma maigreur et ma grandeur qui faisaient de moi un géant désarticulé. J'avais le sourire maladroit, et les gestes tout autant. Les mots sortaient dans un tourbillon d'incompréhensibles expressions. Elle me faisait perdre la tête. Elle me faisait perdre la raison. Elle me faisait perdre mes mots, mon bon sens et mes manières. Lily-Anaëlle Hadley me sourit lorsque je lui ouvris la porte de la maison de mes parents. Ses cheveux bruns tombaient en cascade d'un côté de sa tête. Je m'avançai vers elle et déposai un baiser encore gêné sur les lèvres, même si nous étions ensemble depuis trois mois. Trois mois. Ils passaient tellement vite. Je n'avais même pas le temps de comprendre ce qui se passait qu'une autre journée s'épuisait. J'aurais voulu arrêter le temps, parce que chaque seconde passée à ses côtés était mon bien le plus précieux. Je l'aimais de tout mon coeur et de tout mon âme. Je l'aimais comme jamais je n'avais aimé, et comme jamais je n'aimerais de nouveau. Et j'espérais sincèrement ne pas avoir à en aimer une autre. « Salut mon amour. » Soufflais-je amoureusement près de son visage alors que je reprenais ma distance. Je m'écartai de la porte d'entrée pour la laisser passer. Elle rentra alors chez moi, enfin, chez les Malinowski. Je refermai la porte derrière elle et, rougissant légèrement, affirmai : « Mes parents sont partis chez des amis à l'extérieur de la ville, ils ne reviennent que demain matin. » Je voulais tout simplement l'informer de la situation, mais évidemment derrière ces propos se cachait l'envie qu'elle reste à dormir avec moi. Dans mes bras. Dans mon lit. Sa tête au creux de mon épaule, endormie. Plus j'y pensais, plus je rougissais. J'allais la faire fuir, il fallait que j'arrête. Que je me calme, que je refroidisse ce feu ardent qui dansait dans mon cœur, dans mon ventre et plus bas encore.

On dit souvent qu'à dix-huit ans, la vie vous sourit, parce que vous êtes dans l'âge d'or, que vous pouvez réussir tout ce que vous voulez, que vous pouvez tout avoir, à condition de vraiment le vouloir, et on pouvez dire que c'était le cas pour la jeune Lily. Son projet de libraire était lancé, et il allait aboutir, elle le savait, sa mère lui avait acheté la boutique, pour l'aider au début et éviter qu'elle s'enfonce avec un crédit à la banque, Donovan, lui avait promis un coup de main pour retaper le local, et Jade aussi. Et elle était amoureuse. Jeune fille espiègle, croquant la vie à pleine dent, tu as tout pour sourire, et tu montres ta jolie dentition au monde entier, à qui veut le voir. Quand tu as vu cette homme, si grand, tu avais cru voir un géant, parce que toi, du haut de ton mètre soixante, tu te sentais comme une fourmi, et tu avais craqué. Ton cœur d'artichaut ne faisait pas long feu face à son regard. Tu n'as jamais su faire autrement, tout allait trop vite pour toi, tu tombais toujours amoureuse facilement, trop vite, et souvent, ce n'était pas réciproque, parce que tu ne plaisait pas autant qu'on te plaisait. « Salut, mon ange. » Tu lui rendis son baiser, heureuse et plus que jamais amoureuse. Ce n'était pas une grande relation, elle n'avait que trois mois, c'était plus un petit bébé, que tu prenais soin de t'occuper, de couver, parce que tu n'avais pas envie de le faire partir, et toi encore moins de partir. Tu ne pouvais pas dire que tu passerais ta vie avec lui, parce que c'est toujours ce que tu te disais, pour chaque homme qui a précédé, même si il y en a eu peu, et à chaque fois, ils sont partis. C'était la triste histoire de ta vie, abandonnée, par les hommes que tu aimais. « On pourrait leur préparer un repas ? Pour ma première rencontre avec eux, je souhaite que tout soit parfait. » Il est vrai que tu t'attendais à les rencontrer aujourd'hui, mais non, ce serait demain, et ce n'était pas très grave, tu pourrais profiter une journée entière de Nelligan, sans te faire cuisiner sur comment et pourquoi.

À part Lily, on pouvait dire qu'à 20 ans, je n'avais pas réussi grand chose. Elle était ma seule fierté. Et pourtant, loin de moi l'idée de vouloir la montrer comme un trophée. Non, j'étais tout simplement heureux qu'elle ait eu le non-sens de tomber amoureuse de moi. Sa vie d'adulte était déjà lancée, avec sa librairie surtout. Moi, je ne savais même pas ce que je voulais faire de ma vie. Je travaillais dans un magasin de jeux vidéo en attendant de voir la suite, avec mon maigre salaire et mes parents qui me foutaient la pression pour que j'aille à l'université au lieu de perdre mon temps. "T'es si intelligent" disaient-ils. "Faut pas que tu gâches la tête que t'as à vendre des jeux pour des gamins", ajoutait mon père. À force de les entendre, je commençais réellement à croire que la vie que je menais était merdique. Que je n'étais qu'un bon à rien. Alors je ne me sentais bien et complet que lorsque j'étais en présence de Lily. Elle me faisait sentir meilleur que tous les autres. Unique. Bon. Bien.

J'adorais quand elle m'appelait son ange. À mes yeux, j'étais loin d'en être un, mais si pour elle c'était le cas, j'étais comblé. Je confiai donc à ma petite amie que mes parents n'étaient pas là de la soirée, ni de la nuit. J'avais cette boule à l'estomac. J'étais du genre romantique, alors non, après trois mois, je n'avais pas fait l'amour à Lily. Nous n'étions pas restés les plus sages du monde, mais nous n'avions pas franchi le grand saut. Sans doute à cause de moi. J'étais trop timide, insécure. Même si je n'étais plus vierge, j'avais quand même peur de ne pas être à la hauteur pour Lily. Je ne savais pas quelles expériences elle avait avec d'autres hommes. Ça me foutait la pression. Mais ce soir, j'avais l'impression de pouvoir surmonter mes peurs. Mais suite à ma remarque, elle me proposa de préparer un repas à mes parents. Mon sourire diminua un peu, j'avais l'air déconfit, mais je repris vite le dessus de ma déception. « Oui, ils vont revenir pour le petit déjeuner sans doute, alors on pourra leur préparer quelque chose. Bonne idée, mon amour. » Je l'embrassai de nouveau. Elle pensait avant tout à se faire aimer des gens que j'aimais et qui m'aimaient, et cette attention était adorable après tout. Je ne pouvais donc pas lui en vouloir que cette pensée fusse la première qui avait traversée son esprit. « Mais on peut préparer tout ça demain matin si on se lève tôt. J'ai pas envie de penser à mes parents ce soir. J'ai loué des films, si ça te tente. » Lui proposais-je en la prenant par la main et en marchant jusqu'au salon.