damsel in distress -r.

Je ne savais pas trop, pour les amis communs. Il est vrai que nous nous serions sans doute croisés avant. Mais d’un autre côté, il n’est pas rare que les groupes d’amis distincts ne se mêlent pas les uns aux autres, alors si nous avions des amis dans des groupes différents, il ne serait pas surprenant que nos routes ne se soient jamais croisées. Il y avait quand même quelque 7000 habitants, à Bowen. Je ne pouvais prétendre tous les connaître, ce serait inimaginable. Je souris donc quand Lola acquiesça à mon hypothèse à ce sujet. Nous ne nous attardâmes pas davantage sur la question. Après tout, allions-nous vraiment passer en revue toute la liste de nos amis rien que pour savoir si nous en connaissions d’autres l’un et l’autre ? Ce serait exagéré et franchement, j’avais quand même d’autres sujets de conversation plus intéressants en tête. Je n’étais pas désespéré à ce point.

D’abord, je questionnai un peu plus Lola sur sa famille puisqu’elle avait amené le sujet par elle-même. Si c’était un tabou, elle ne l’aurait même pas mentionnée, alors je me dis que je pouvais explorer un peu plus la question. En l’écoutant, je me dis tout de même qu’elle ne l’avait pas eu facile, surtout quand je comparais avec ma propre situation. J’avais une famille quasi-parfaite, avec des parents qui s’aiment, une sœur avec qui je m’entends la plupart du temps super bien, et avec un repas familial tous les dimanche soirs. Je n’étais pas à plaindre. « Je suis désolé pour tes parents, que tu ne leur parles plus vraiment je veux dire … Mais au moins tu as Donovan, et même s’il n’est pas d’accord sur tous tes choix, j’le connais assez bien pour savoir que ce n’est pas un détail pareil qui le fera te tourner le dos. » Je lui souris. « Et tu sais, moi aussi, les gens m’ont souvent critiqué sur mon métier. Je … je suis testeur de jeux vidéo, alors pour la plupart des gens qui m’entourent, c’est aussi un passe-temps, genre tout le monde me dit que c’est pas un VRAI métier, tu vois … alors je peux comprendre ce que tu ressens. » Ce n’était pas tant pour la réconforter ou lui faire comprendre qu’elle n’était pas seule, enfin si un peu, mais aussi pour qu’elle en apprenne également sur moi, et aussi qu’elle se fasse peut-être plus confiance face à la musique.

Voyez, nous avions Heliana comme amie en commun, cette femme qui tentait tant bien que mal de m’apprendre à danser, moi qui voulais me développer dans d’autres sphères de ma vie. Nous ignorions pourtant encore cette autre connaissance commune. Comme quoi, le monde était véritablement plus petit que nous pouvions le croire. Je ne pensais toutefois pas que Lola et moi allions être en mesure de découvrir ces autres personnes qui partageaient nos deux mondes aujourd’hui, car je ne voyais simplement pas comment j’introduirais pour le moment Heliana ou autre personne dans notre conversation. Ces découvertes seraient pour un autre jour.
Nous parlâmes un peu de la famille de la belle brunette, et je fus soulagé de la réaction de la demoiselle quand elle dit que chacun partait un jour de son côté. Je fus ravi d’apprendre qu’elle croyait fortement que sa vie semblait mieux ainsi. Je lui souris. « Tant mieux alors. » Répondis-je tout simplement. Il n’y avait rien d’autre à ajouter, selon moi ; je ne la connaissais pas assez pour élaborer sur la question. Toutefois, je me permis de lui assurer que je connaissais assez Donovan pour savoir qu’au fond de lui, il devait accepter Lola comme elle était. J’hochai la tête à son acquiescement, puis lui parlai un peu de moi, de mon métier plus particulièrement. Je rigolai sincèrement à sa moquerie sur mon job en disant qu’il y avait pire que musicienne. « Pas si mal ? C’est le pied, comme boulot ! Payé pour faire ce que j’aime, et en plus je joue avant tout le monde aux nouveautés. Je suis pas à plaindre, je fais ce qui me passionne. Enfin, tu es bien placée pour comprendre ce sentiment … » Car j’imaginais bien que la passion de Lola était de jouer de la musique. « À part la musique, qu’est-ce que tu aimes ? » J’avais l’impression d’être dans un rendez-vous, avec ces questions clichés mais nécessaires. J’espérais que je n’emmerdais pas Lola avec mes questions ; moi, j’avais toujours aimé rencontrer de nouvelles personnes et apprendre à les connaître en surface d’abord, puis plus profondément ensuite.

Sans le savoir, ma situation ressemblait fortement à celle de Lola. Après tout, ma sœur était heureuse en couple – pour le moment en tout cas, la connaissant elle changerait bien vite d’avis - , mes parents aussi, et c’est sans parler de mes meilleures amies. Viktoria était mariée à Donovan, en l’occurrence le cousin de Lola, et Emma était nouvellement en couple avec Tyson et elle semblait flotter sur un nuage plus haut que le septième ciel. Au final, il ne restait plus que moi. L’éternel célibataire. Le meilleur ami dont toutes les femmes rêvent sans jamais y introduire le fantasme d’une quelconque relation amoureuse. J’étais condamné à être trop doux, trop gentil, trop tout pour les femmes. Je ne le vivais personnellement pas très bien ; je n’avais pas autant de résilience que Lola.

Je ne parlai toutefois pas de cela à la demoiselle, tout comme elle n’était pas profondément entrée dans les détails non plus. Je me contentai de lui dévoiler en quoi consistait mon métier, thématique beaucoup moins lourde que mon manque de estime personnelle en amour. Ça allait certainement la faire fuir si je me mettais à lui dire à quel point je me trouvais naze et ô comment j’en avais marre du célibat. Je n’étais pas désespéré au point de laisser savoir aux autres que je l’étais un tant soit peu. Au moins, mon métier la fit rigoler. C’était déjà ça, vues les circonstances ! Je rigolais aussi. Puis elle répondit à mes questionnements plus poussés à propos de ses intérêts. « Oh, la mécanique ! Tu vois ça j’l’aurais pas deviné. » Dis-je en la regardant, elle qui physiquement parlant était très féminine. Pour ma part, je détestais la mécanique. « Mon côté féminin à moi, c’est de justement ne rien y connaître, à la mécanique … » Lui confiais-je avec un ton honteux mais moqueur face à moi-même. « Et en tout cas ce ne sera pas dans les boîtes que tu me croiseras. Je suis nul pour danser et je sais pas, j’ai l’impression que c’est pas trop ma place … » Les femmes habillées très osées, les hommes trop musclés pour exister, la grosse musique rythmée, non vraiment, je n’avais jamais aimé les boîtes de nuit.

Lola me renvoya la question. Je fis mine de réfléchir. « Bah, non y’a pas que les jeux vidéo, j’aime aussi beaucoup les séries télévisées, les bandes dessinées genre comic books, et euh … le sport, de temps en temps, enfin j’essaie au moins de m’activer ou moins quatre ou cinq fois par semaine soit en allant courir, en jouant au tennis ou en allant à vélo, des trucs dans le genre. » Je souris, un peu gêné. À m’entendre parler, mis à part le sport, j’étais le portrait tout craché du cliché geek-nerd. Mais bon … c’était ce que j’étais, après tout.

L’explication pour la mécanique avait du sens. Avoir baigné dès sa plus jeune enfance dans quelque chose laisse évidemment ses empreintes. Après tout, pour ma part, j’avais passé mon enfance à jouer à des jeux vidéo avec ma sœur. La Super Nintendo avait été notre meilleure amie. L’Atari, aussi – mais c’était trop vieux pour ma sœur, pas de sa génération. Et nos parents nous avaient toujours inscrits à toutes sortes d’activités sportives. J’avais fait du basketball, du football (soccer), de la danse (eh oui… avec ma sœur…) et d’autres que j’ai sans doute oubliées. Cela a quand même généré en moi le besoin de bouger et de rester en forme, surtout lors de mes longues périodes à jouer à des jeux vidéo. Cela maintient un équilibre dans ma vie. « Ah ouais, ça aide, le père qui bosse là-dedans ! » Lui dis-je avec un sourire. Je comprenais aussi que ça puisse lui changer les idées. Passer ma vie à jouer à des jeux vidéo semblerait être une idylle pour des adeptes de jeux vidéo, mais quand même, cela avait ses limites. J’avais également besoin du sport, des amis, des sorties bref !

L’idée de Lola sur l’échange d’habiletés, elle sur la mécanique et moi sur les jeux vidéo, me sembla réellement être une idée fantastique. Un grand sourire se dessina d’ailleurs sur mon visage lorsqu’elle l’évoqua. Et dire qu’une heure plus tôt, j’ignorais l’existence de Lola, et voilà que nous prévoyions déjà de nous revoir ! La sociabilité humaine (de certaines personnes) ne cesserait jamais de m’époustoufler. « Oh oui ! Oui, ça, ça me tente vraiment comme idée ! On fait ça n’importe quand. » En plus, cela voulait également dire que Lola commençait à me faire un peu plus confiance. Je n’étais plus qu’un simple inconnu comme celui de tout à l’heure à ses yeux. Nous parlâmes finalement des boîtes de nuit, et la brunette essaya de me convaincre du fait que c’était génial comme endroit, contrairement à ce que je pouvais en dire. « Mouais, je sais pas, faudrait que j’y aille avec une bande d’amis parce que sinon je vais me retrouver seul au bar … ! » Dis-je avec un mince sourire. Et voilà que la faible estime de soi reprenait le dessus ! Je parlai finalement un peu plus de moi, et Lola résuma assez bien ce que j’étais en général ; j’hochai donc la tête. « Eh oui, c’est moi ! » Je remarquai ensuite que Lola regarda son portable, sans doute pour regarder l’heure. Je réalisai donc qu’effectivement, il se faisait tard. « Ah ouais, le temps file ! Si … si ta proposition pour la mécanique tient toujours, on peut … s’échanger nos numéros ? Et on s’enverra un texto pour une date ? » Lui proposais-je. Moi, je voulais la revoir. Reste à voir si de son côté c’était le même scénario …

J’étais surpris de l’affirmation de Lola comme quoi dans les boîtes de nuit, elle se retrouvait souvent seule même quand elle venait avec des copines à la base. Je me demandais vraiment ce qu’elle trouvait de si génial à ces endroits, alors. Me retrouver seul au beau milieu de jeunes gens affamés de sexe et d’attention, contrôlés par l’alcool et la musique, pour moi cela était une expérience désagréable. Surtout quand je me sentais rejeté de la meute. « Et t’aimes quand même l’ambiance ? Faudra que tu me montres le bon côté des clubs, alors, un jour … » Lola allait bien vite l’apprendre : je n’étais pas un homme fermé d’esprit. J’étais toujours ouvert aux nouvelles expériences, et même si je me faisais une première idée négative de quelque chose, je ne refusais jamais l’opportunité qu’on me fasse changer d’avis.

Bref, après que Lola ait regardé sa montre et que je compris qu’il était effectivement tard, je proposai d’échanger nos numéros si jamais la proposition de l’échange d’habiletés en mécanique et jeux vidéo tenait toujours. La brunette releva machinalement la tête et affirma que bien sûr, cela tenait. Je souris davantage, soulagé de ne pas m’être trop avancé. Elle sortit alors son portable et le leva vers moi, sa caméra me visant. Je crois que j’ai rougi un peu, et un sourire gêné s’afficha sur mon visage alors qu’elle me prenait en photo. Je ne me trouvais pas physiquement très attirant, j’étais complexé, alors qu’elle me prenne en photo me mettait un peu mal à l’aise. Cependant, je n’avais rien dit, ne voulant pas mettre un froid entre nous. La demoiselle me tendit finalement son téléphone, me demandant si je pouvais lui donner mon numéro. Je lu entre les lignes et compris qu’elle préférait sans doute que ce soit elle qui ait le contrôle sur le premier appel. Avait-elle encore des doutes sur ma personne ? Sur la confiance qu’elle pouvait me porter ? J’haussai les épaules. « Oui, oui. » Lui assurais-je. Je souris et attrapai son portable. Je rentrai mon nom et mon numéro de téléphone et enregistrai ce nouveau contact. « Et voilà ! » Je me levai finalement en même temps qu’elle et j’hochai la tête en signe de salutations. « Bon eh bien … j’attends de tes nouvelles ! Bonne fin de journée, Lola. » Lui dis-je avant de tourner les talons et de m’éloigner du lieu de notre première rencontre, peu certain de l’avenir de cette relation. J’ignorais seulement si elle allait me passer ce coup de fil …