bonheurs bâclés -r.

Mon chien Allan Poe était, ces derniers temps, de très désagréable compagnie. J’ignore s’il s’agit de ses hormones ou si j’avais fait quoi que ce soit qui lui semblait reprochable, mais dans tous les cas, il n’était plus sortable. Évidemment, comme tout bon maître, je le sortais quand même une fois par jour. Toutefois, contrairement à mon habitude de l’emmener avec moi à chaque fois que j’allais me balader à un endroit dans lequel les chiens étaient tolérés, je ne le fis pas aujourd’hui. C’est ainsi que j’arrivai au Mullers Lagoon les mains dans les poches, mon poing serré dans l’une comme si j’avais toujours la laisse de mon chien enroulée dans ma paume. Je n’aimais pas le laisser à l’appartement quand je savais que je n’allais que marcher, parce qu’il savait que c’était là que j’allais, et il me regardait avec son air piteux l’air de dire « mais que t’aies-je fait pour que tu ne m’amènes pas? » et repartait en boudant dans son coin. Je détestais cela. Mais c’était ma façon de le punir de grogner après les autres chiens et de ne plus répondre à mes ordres. La semaine prochaine, je ferais un essai de le ramener de nouveau. On verrait bien s’il retiendrait sa leçon.

Bref, je marchais dans les sentiers quand mon regard se posa sur la silhouette d’une belle lectrice, de dos, assise sur un banc du parc. Je souris, tout de suite mon instinct réveillé. Je m’approchai d’elle, préparant mentalement mes répliques pour l’aborder, quand finalement arrivé à sa hauteur je reconnus Lily-Anaëlle, une jolie brunette que j’avais fréquentée le temps de quelques rendez-vous jusqu’à l’avoir dans mon lit. J’avoue que ça avait été une sacrée bonne nuit, par contre je ne l’avais toujours pas rappelée. Cela faisait environ, quoi, une semaine ? Pour cette simple raison j’eus envie de prendre mes jambes à mon cou et fuir pour ne pas affronter la crise, mais il était trop tard. La belle Lily avait déjà levé les yeux vers moi, sans doute interpellée par la présence d’un passant qui s’arrêtait devant elle comme un imbécile – moi. Je souris, niais d’abord, puis plus confiant ensuite. C’était peut-être un signe, après tout. Peut-être qu’il y avait encore quelque chose de bien à tirer de cette relation. « Ah ! Lily ! Quel hasard ! Je passais par là et je t’ai reconnue. Ça tombe bien … » Je m’assis à côté d’elle, mon bras passant presque derrière elle, sur le dossier du banc. Le mensonge débutait déjà. « … Tu sais, je … J’ai été beaucoup occupé cette semaine mais je voulais que tu saches que … J’ai beaucoup pensé à toi depuis l’autre soir. » Bon, pour ce coup, ce n’était qu’un demi-mensonge. Je n’avais pas été si occupé que ça, mais mes pensées l’avaient certainement été par des souvenirs de cette sensuelle nuit. Les images de son corps nu, de ses délicates lèvres, de ses yeux envoûtants, bref tout cela me revenait en tête assez souvent, je dois dire.

S'il y avait bien une chose que tu aimais l'hiver en Australie, c'est que tu puisses lire sur les bancs, alors que dans d'autres pays, les habitants étaient tellement emmitouflés dans des épaisseurs qu'ils pouvaient à peine bouger. C'était un des petits plaisirs de la vie que tu appréciais grandement, surtout avec un bon livre. Tu t'étais lancée dans la saga des 50 nuances de Grey, et bien que c'était un peu niais parfois, tu aimais beaucoup la relation qu'ils entretenaient, rêvant toi aussi d'en avoir une ainsi dans ta vie. Mais fallait pas rêver, tout ce que tu pouvais avoir c'était de beaux mecs qui te font la cour et une fois que t'es passée dans leur lit, n'espères même pas avoir un signe. En parlant de ce genre de mecs, il y avait Woody qui s'était planté juste à tes pieds. Sûrement prêt à te draguer avant de se rendre compte que c'était toi, et que toi, il t'avait eu la semaine dernière. Mais toi, comme une cruche, avec tes yeux de merlans, t'étais tombée dans le panneau, parce qu'il était séduisant et qu'il a été galant avec toi, alors tu lui as donné ce qu'il voulait. Puis il t'a promis de t'appeler, et tu attends toujours son appel, parce que dans le fond, tu y crois, tu sais qu'il va le faire, un jour ou l'autre, peut-être quand t'auras 80 ballets qui sait ? « Woody ! Mais quelle surprise de te voir ici, sans ton chien, il n'est pas malade ? » Tu l'as vu trois fois, mais t'es amoureuse, déjà. Et tu sais tout, tu retiens tout, tu connais toujours le nom de son chien, c'est avec lui qu'il t'as abordé, du coup, tu t'y es intéressée, et t'as pas oublié, mais ça c'est parce qu'il te plait. Il se pose à tes côtés, et passe sa main autour de toi, tes joues deviennent rouges, et voilà qu'il s'excuse. Tu le savais qu'il voulait t'appeler, mais il a été occupé avec son chien, il doit être malade, c'est ça. Ce que t'es belle quand t'es cruche, tu fais limite pitié, mais tu repousses tes pensées sombres et tu t'approches de lui, posant ta main sur sa cuisse. « Moi aussi j'ai beaucoup pensé à toi.. Je me disais que ça pouvait être sympa si on sortait dîner un de ces quatres et remettre ça.. » Tu te rapproches encore plus de lui, essayant d'avoir ton visage le plus proche du sien, en souriant, tu te dis qu'avec un sourire, rien ne te résistera, et encore moins lui.

Je souris quand Lily me parla de mon chien. Déjà, je me sentais moins mal à l'aise dans cette situation franchement embêtante. Quand on me parlait de mon chien, je m'adoucissais - même si j'étais présentement en froid avec ce pauvre clébard. C'est à ce moment-là que je m'étais assis à côté de la brunette, haussant légèrement les épaules et hochant la tête vers le côté. « On peut dire ça comme ça, oui ! Mais ça va passer. » Je n'avais pas envie de m'embarquer dans les détails et de lui dire que Allan Poe était simplement cinglé ces derniers jours et qu'il ne savait pas bien se conduire lorsque je le sortais. Elle allait probablement commencer à analyser la situation, à me demander ce que je faisais de différent, ou à me demander si j'étais plus distant avec mon chien. Bref, une réflexion trop profonde pour la relation entre un homme et son chien et, de toute façon, je m'étais déjà posé ces mille questions. Je préférai plutôt tout de suite entrer dans le vif du sujet en m'excusant à Lily de ne pas avoir donné signe de vie. Au moins, j'aurais la conscience tranquille. En même temps, je ne voulais pas lui donner d'espoirs mais, maintenant que j'étais devant elle et que je ne pouvais vraiment fuir, il fallait jouer le jeu. On verra bien où ça mènera. Suite à mes excuses, la demoiselle s'approcha un peu plus de moi et posa sa main sur ma cuisse. Bien sûr, cela ne me laissa pas indifférent parce que Lily était toujours la même femme canon que la semaine dernière. Je souris en levant les yeux vers elle mais mes lèvres se crispèrent légèrement quand elle me dit qu'on pourrait aller dîner. Je n'allais pas sur beaucoup de rendez-vous. Je préférais faire des rencontres aléatoires dans les soirées. "Remettre ça" n'était pas un concept familier dans mon vocabulaire. Je paniquais déjà un peu, là, parce que je savais ce que ça voulait dire. Un rendez-vous allait en mener à un autre et sans que je m'en rende compte sa brosse à dents atterrirait dans ma salle de bain. Cherchant n'importe quel moyen de me sauver de la situation, je regardai son livre. « Fifty Shades of Grey, hein ? Je ne te pensais pas comme ça. » Dis-je avec un sourcil arqué et un sourire amusé. Lily allait-elle remarquer que je n'avais aucunement répondu à sa proposition ? Sans doute. Reviendrait-elle à l'attaque plus tard ? Je ne savais pas. À voir si mon stratagème de détourner le sujet fonctionnerait indéfiniment.

Woody ne s'étala pas plus que ça sur son chien, ça ne devait pas être si grave, mais au moins il était encore en vie, c'était le plus important, ça t'aurais fendu le coeur d'apprendre qu'il lui était arrivé quelque chose, surtout à toi qui l'avait presque adopté. Tu te voyais bien vivre avec un chien, tu pouvais t'adapter sans soucis. Mais la question n'était pas là, la question était de savoir s'il voulait oui ou non dîner avec toi, ce à quoi il mit un certain temps avant de donner une réponse, qui n'était pas à proprement dit celle que tu espérais, mais comme il te lançais sur ton livre, alors là, il était sûr de détourner la conversation. Tu reculas ton visage, pour le poser sur ton livre, un peu gênée même si tu n'avais aucune raison, mais tu connaissais la critique qui en avait été faite et ce que pensait la majeure partie des hommes face aux femmes qui lisaient ce livre. Tu l'agrippais, comme si tu voulais le cacher mais c'est trop tard, t'es grillée. Tu relèves les yeux vers lui, avec un léger sourire en bafouillant deux trois mots incompréhensible avant de reprendre le contrôle. « Moi non plus à vrai dire, mais je n'allais pas mourir bête, il fallait bien que je le lise, pour me faire un avis, tu vois » Ce que tu peux avoir l'air idiote des fois, le pauvre, il doit avoir qu'une envie maintenant, fuir le plus loin possible de toi. Et espérer ne jamais recroiser ta route. « Et sinon, comment tu vas ? » Et voilà, à croire que vous étiez amis maintenant, mais non chérie, tu n'es rien pour lui, qu'une croix sur un calendrier ou qu'un nom sur une liste.

Lily n'insista pas sur la question initiale et décida plutôt de répondre à ma relance, à mon plus grand soulagement. Je n'aurais franchement pas su quoi répondre si elle m'avait demandé de répondre à sa question, si elle m'avait demandé pourquoi j'évitais la question. La vérité est que je ne suis pas un connard, pas un trou de cul. J'ai un coeur. C'est bien ça le pire quand on est un homme à femmes. Parce que je m'en faisais pour mes conquêtes. À moins que ce soit ce qu'elles désiraient aussi, elles n'étaient pas des traits de crayon sur un calendrier pour que je calcule ma moyenne à la fin du mois. J'étais trop humain pour ça. J'essayais de me prouver le contraire, de le cacher aux autres sinon. Parce que je ne voulais pas me montrer sensible, je ne voulais pas que les gens sachent que je me souciais du bonheur des autres. C'était ma façon de me protéger. Bref, tout cela pour dire que je ne pouvais pas me montrer cruel envers Lily. C'aurait été facile de lui répliquer un truc vache et de partir, la laissant là, se sentant monstrueuse par rapport à elle-même. Je ne me le serais jamais pardonné, toutefois. C'est pourquoi je m'étais assis, c'est pourquoi je discutais avec Lily, malgré mon agacement, malgré ma peur de lui transmettre de faux espoirs. Parce qu'en réalité, Lily était une chouette personne et elle ne méritait pas qu'on la laisse sur un banc de parc, chagrinée et seule. Alors je discutai des cinquantes nuances de Grey. « Et quel est ton avis ? Ça te donne de nouvelles idées pour la chambre à coucher ? » Dis-je en rigolant. Vous me direz que de parler de sexualité auprès d'une conquête dont on essaye de se débarrasser n'est pas le meilleur jeu. Je vous l'accorde. Mais c'était plus fort que moi ; c'était le seul langage que je connaissais. Lily me demanda comment j'allais. « Je vais bien. Fatigué, mais bien. » Lily mettrait la fatigue sur le dos de ma charge de travail énorme dont je lui avais part, en réalité cette fatigue venait de la sclérose en plaques. Tiens, si elle ne lâchait pas le morceau, je pourrais toujours lui dire que j'étais malade et qu'un futur avec moi était la pire idée du monde. Je n'avais jamais songé à cette tactique. « Et toi ? » Lui demandais-je en levant les yeux vers elle.

Tu avais envie de rire en l'écoutant, pourquoi forcément tu aurais de nouvelle idée en lisant ce livre ? Tu avais vu d'autres livres plus portés sur la chose et ça n'avait rien changé en toi. C'était peut-être parce que ça traitait du sadomasochisme. Même si tu te voyais mal mettre une balançoire sexuelle dans ta chambre, bien que cela puisse être marrant, c’était trop, c'était une chose qui se voyait, qu'on ne pouvait pas cacher et puis ça donnait un certain côté à celui qui la possédait. On allait te prendre pour une perverse avec des penchants assez étranges, et puis tu imaginais mal la tête de Lily si elle venait à entrer dans ta chambre parce que tu as encore la musique dans les oreilles. Non, ce n'était pas pour toi, même si rêvais de fantaisie, tu préférais rester au grand classique. Tu hochais la tête pour lui signifier une réponse négative à sa question, avant de prendre quelques secondes pour émettre ta critique. « Maintenant je ne sais pas, j'ai commencé que le premier, alors forcément il me faut attendre au moins la fin du livre pour me faire un avis plus complet mais je trouve pour le moment que les critiques ne lui font pas justice. » Tu lui adressas un petit sourire, tu te demandais bien ce qui pouvait être aussi fatiguant pour un grand gaillard comme lui, en apparence il semblait si fort, et les rares fois où vous aviez discuté il ne t'avait pas donné l'impression de faire un métier crevant. Tu ne saurais l'expliquer. Mais en le voyant face à toi, et en te souvenant qu'il avait éludé ta question, c'était peut-être l'occasion de poser la question. Pour une fois que tu avais un moment de lucidité, il fallait bien que tu ne te dégonfles pas et que cherches à avoir la réponse qui t'a toujours manqué. « Moi aussi je suis fatiguée. Dis, je peux te poser une question en toute indiscrétion ? »

Cette question sur ses nouvelles idées en matière de sexualité m’était passée par la tête car semblerait-il que les pratiques sadomasochistes avaient connu une grande vague de popularité suite au phénomène des Cinquantes nuances de Grey. Je ne savais pas à quel point tous ces nouveaux fanatiques de BDSM adhéraient exactement à la pratique, mais en tout cas je savais qu’à un moment on ne parlait que de ça. N’ayant pas lu le livre, je ne savais pas s’il donnait réellement envie de s’adonner à ce genre de relations sexuelles et c’est pour cette raison que j’avais questionné Lily-Anaëlle sur le sujet. Elle sembla amusée par ma question, comme si celle-ci était ridicule. Je souris aussi, très capable d’autodérision, mais attendant tout de même une réponse qui ne vint jamais. Elle ne fit que secouer sa tête en signe de négation. J’haussai les épaules. « D’accord. » Je lui souris. Puis elle me fit sa petite critique personnelle, rapportant le fait qu’elle trouvait que les critiques médiatiques ne lui faisaient pas justice. « Vraiment ? Et que penses-tu de l’adaptation cinématographique ? Enfin, je sais qu’il n’est pas encore sorti, mais que penses-tu de l’idée ? » J’ignorais comment le film avait été adapté, mais je me demandais vraiment comment un thème aussi hardcore allait être socialement accepté. Sans doute le film serait-il très romancé. Tiens, à force de me poser toutes ces questions sur cette trilogie, peut-être devrais-je y répondre par moi-même en les lisant !

Lily-Anaëlle me demanda finalement comment j’allais, et je lui ramenai la fatigue de sorte à être cohérent dans mes mensonges. La jeune femme sembla tout d’un coup assez songeuse, et finalement elle plongea en me demandant si elle pouvait me poser une question indiscrète. Je fronçai les sourcils, reculant un peu la tête, intrigué. « Euh. Tu peux la poser, oui, vas-y. Je te garantis pas une réponse par contre, ça dépendra de la question. » Répondis-je, mi-amusé mi-anxieux.

Sa question te laissais une nouvelle fois face à un instant de réflexion. Tu ne savais pas ce que donnait l'adaptation étant donné qu'elle n'était pas encore sortie et qu'actuellement à part le casting des deux acteurs principaux, vous n'aviez pas beaucoup d’éléments, et quand tu avais appris la nouvelle de la mise en film de ce livre, ça ne t'avais pas plus dérangé que ça étant donné que tu ne l'avais pas encore lu, alors que maintenant que tu avais commencé, il y a certains passages que tu ne voyais pas être tournés, et en même temps tu pensais sincèrement qu'il y aurait un côté plus romantique apporté à la chose, un peu plus film d'amour quoi. « Je pense que l'adaptation sera soft par rapport à ce que peut lire, parce que c'est un film et qu'il y a des limites à respecter si on ne veut pas tomber dans le pornographique. » Tu étais devenu rouge après avoir prononcé le dernier mot, comme si tu te sentais un peu honteuse de dire les choses ainsi, mais en même temps tu n'avais pas le choix, il n'y avait pas trois milles mots et celui-là semblait le plus judicieux. Ce que tu peux être nunuche des fois. Mais il fallait te ressaisir et rapidement. Tu l'avais troublé, le pauvre semblait avoir peur de ta question, à croire que quand quelqu'un commence ainsi il faut s'attendre au pire, mais pourtant, toi ta question ne te semblait pas si bête que ça, ni même dangereuse. Tu pourrais être vexée selon sa réponse mais tu ne pourrais pas lui en vouloir, tu lui avais demandé d'être franc. Tu pris une première respiration, puis une autre, et encore une. Tu semblais hésiter à la poser mais finalement tu te jetas à l'eau. « Je suis moche c'est ça ? Ou j'ai mauvaise haleine ? J'ai des TOC ? Je suis bizarre ? Ou folle ? Ou peut-être que je suis pas assez bien ? » Tu semblais prête à tout entendre mais quand il commença à ouvrir la bouche tu repris la parole en parlant un peu fort avant même qu'il puisse répondre. « Non, ne réponds pas, j'ai pas envie de savoir, oublies ça ! » Finalement, t'étais pas si prête que ça, c'était trop dure de devoir faire face à la réalité et encore une fois tu préférais te voiler la face. Tu repris un sourire en faisant en sorte d'oublier tout ça, parce que c'était plus facile d'oublier. « Ça te tente pas un verre là, tout de suite ? »

La bande-annonce du film était récemment sorti et je l'avais d'ailleurs visionné il y a de cela quelques semaines, voilà pourquoi le sujet me revenait en tête maintenant que je voyais le livre que Lily-Anaëlle tenait entre ses mains. On n'y voyait pas grand chose, mais il y avait bel et bien certaines scènes où la femme était attachée par les mains et où se déroulaient des actes érotiques. On ne voyait quasiment rien des corps, mais il y avait une grande place pour l'imagination. Pour ma part, ce serait le genre de film que je regarderais dans mon salon, pas dans une salle bondée de couples le jour de la Saint-Valentin. Et pourtant, j'étais sans doute l'un des hommes les moins prudes de Bowen. J'hochai vivement la tête à la réponse de mon interlocutrice, partageant totalement son opinion. « Carrément. » Répondis-je tout simplement, pour clore le sujet. Après tout, j'avais eu mes petits questionnements et j'aimais bien avoir l'avis des autres, mais on avait rapidement fait le tour de la question. Je ne pu toutefois réprimer un petit sourire amusé en voyant le teint coloré de Lily-Anaëlle ; en voilà une autre qui n'irait sans doute pas voir le film sur grand écran !

La conversation prit une tournure que je n'avais pas prévue. Finalement, j'aurais préféré qu'on en reste aux Cinquantes nuances de Grey. Plus léger. J'eus un petit mouvement de recul de tête en l'entendant me demander si elle moche, si elle avait mauvaise haleine, des TOC, si elle était bizarre, folle, ou pas assez bien. Oula, on se calme, mademoiselle, me dis-je dans ma tête. J'haussai les sourcils, mon regard fuyant autour de moi comme pour m'assurer qu'il n'y avait pas de témoin à ce moment. « Euh ... » Lily-Anaëlle me coupa, parlant plus fort que nécessaire, me disant de ne pas répondre et qu'elle ne voulait pas savoir. Heureusement, parce que je n'aurais pas su quoi répondre. Avant cet épisode, je ne la trouvais pas du tout folle ; plutôt mignonne. Sauf que là, une femme qui demande toutes ces questions à sa deuxième rencontre avec un homme, ça sonnait vachement une alarme d'urgence à mes oreilles. Évacuation immédiate requise. J'allais donc me trouver une raison de partir quand la brunette me proposa d'aller prendre un verre. Regardant ma montre, et sous la panique ne trouvant pas ce que j'aurais de mieux à faire à cette heure, je répondis : « Euh. Oui. Je pense que t'en as besoin. Et moi aussi en fait. » Lâchais-je, les yeux encore un peu écarquillés par la surprise. L'ambiance était soudainement assez bizarre. Nous ne savions tous les deux plus où nous mettre. Nous marchâmes presque dans un silence complet jusqu'au restaurant le plus prêt, où je demandai à ce que nous soyons placés au bar. « Double whisky, sur glace. » Dis-je dès mon arrivée. Je me tournai vers Lily, attendant de voir ce qu'elle allait demander. Lorsque cela fut fait, je ne pu m'empêcher de lui demander : « Pourquoi toutes ces questions tout à l'heure ? » En même temps, je me doutais bien qu'elle avait remarqué mes airs distants, mais une femme habituée à des coups d'un soir aurait compris le pourquoi.

Tu désespérais, pourquoi n'y avait-il pas plus à dire sur un simple livre ? Parce qu'avait pris cette conversation te faisais froid dans le dos. C'était effrayant ce que tu pouvais dire parfois. Et lui, il avait juste envie de prendre ses jambes à son cou. Tu ne pouvais pas le blâmer en même temps, ce n'est pas ce genre de questions que l'on pose à un mec avec qui on a juste couché, c'est plus le genre de question qu'on pose à ses amis, mais tu ne pouvais pas le faire parce que tu savais très bien que tes amis ne seraient pas honnête, ils vont te dire que t'es une fille géniale et très gentille, attachante et que si un mec le remarque pas dès le premier coup d'oeil, alors il n'est pas fait pour toi parce que c'est un parfait idiot. Mais les seuls qui n'étaient pas idiots étaient lâches, alors quel mérite. Il accepta ta demande, et tu te sentais mal à l'aise d'avoir fait duré ce moment, tu aurais dû prétexter une urgence à l'agence et partir en courant, en priant pour ne jamais le revoir. Cette idée poussait dans ta tête et tu allais le faire parce que c'était vraiment embarrassant pour toi, mais vous étiez déjà au bar. Et tu n'allais pas lui faire faux-bond étant donné que c'était ton idée. « Une vodka tonic. » Tu hésitais à donner une réponse quitte à relancer le sujet et à paraître une nouvelle fois comme la folle de secours, mais peut-être que c'était le moment de te confier et de te libérer d'un poids. « Je ne sais pas, vu qu'on a eu plusieurs rendez-vous, j'ai cru que.. Bref, je trouvais toujours des excuses à pourquoi tu n'avais pas encore appeler, mais je crois que la réponse est claire. Dans le fond je ne suis pas faite pour ce genre de relation, ça me détruit je crois. Moi j'ai attendu, en me disant que si tu avais pris du temps pour moi, c'est que je te plaisais un peu, mais j'ai tort, c'était juste pour du sexe. » Quand tu t'entends parler, toi-même tu as envie de fuir et tu te demandes encore ce qu'il fait là à t'écouter, tu aurais été à sa place, tu serais déjà partie, mais lui il restait là, parce qu'il devait avoir pitié de toi. Tu bois ton verre d'une traite en terminant par une grimace. Tu avais oublié à quel point tu n'aimais pas le goût, mais c'était très efficace pour faire disparaître cette petite voix dans ta tête, parce qu'à présent, elle ne pourrait plus te montrer la réalité en face, à présent tu étais sur un petit nuage avec un mec canon. Tu lui fis face, en affichant un grand sourire. Tu posas ton doigt sur son torse en le faisant courir le long de son abdomen. « Woody, woodyboy ! » Tu te mis à rire sans comprendre pourquoi. Les effets de l'alcool étaient rapides.

Nous étions au bar, un peu contré mon gré mais j’y étais quand même, pour une raison obscure. J’avais finalement demandé à Lily-Anaëlle le pourquoi de la question de tout à l’heure, ayant réellement besoin de savoir qu’est-ce qui lui était passé par la tête. C’était la première fois que l’une de mes conquêtes me faisait ce genre de petite crise identitaire et franchement, même si ça m’avait fait flipper, ça m’intriguait aussi. Je ne comprenais pas sa façon de penser – parce qu’après tout, à cette ère de relations éphémères, il m’avait semblé que mon comportement était totalement compréhensible quand on sait qu’il ne s’agissait que d’une histoire d’une nuit.

J’écoutai sa réponse avec un petit soupir discret, réalisant qu’elle avait simplement mal compris les signaux. Enfin, pour ça, je ne pouvais pas lui en vouloir ; il est vrai que le grand charmeur en moi pouvait souvent ressembler au prince sur son cheval blanc. Mais ce n’était, la plupart du temps, qu’un acte. Habituellement, les autres femmes me donnaient la réplique et repartaient de l’autre côté de la scène à la fin de l’acte, mais pas cette fois-ci. Lily-Anaëlle voulait un rappel, et même plusieurs, si je comprenais bien la situation. Je fis une moue désolée puis me retournai complètement vers la brunette, lui faisant face avec la plus grande sincérité au visage. Je posai une main sur son genou. « Écoute, Lily. Tu ne me plais pas qu’un peu, tu me plais bien plus encore. Je n’aurais honnêtement pas passé autant de temps avec toi que pour du sexe, bien franchement si j’ai envie de sexe qui va durer une heure et puis plus rien, je peux me débrouiller pour en trouver. Sauf que voilà, je suis … disons que … je suis pas le genre de mec qui s’engage. Tu comprends ? Ça me fait peur, tout ça. Et puis je crois pas être fait pour ça, du moins pas maintenant. Alors c’est pas du tout que tu me plais pas, c’est que je recherche rien de plus en ce moment, ok ? T’es juste pas tombée sur le bon. » Je lui souris, espérant que ça lui permettrait de se reconstruire un peu à l’intérieur d’elle-même. Lily-Anaëlle ne devait pas avoir la meilleure estime d’elle-même pour se remettre ainsi en question à cause d’un pauvre con rencontré dans un bar.

Au moins, je me sentais plus léger, suite à cet élan d’honnêteté. Toutefois, ma compagne du moment commença à boire d’un trait ses verres. Enfin, juste un, pour le moment, je crois. Et pourtant, elle semblait déjà ivre, vue la façon dont elle posa son doigt sur mon torse en le faisant glisser et en criant mon nom. J’haussai les sourcils, la bouche légèrement ouverte par la surprise. « Ok … » Dis-je avec un certain malaise. Et puis, je me dis que, au diable ma règle de ne pas coucher deux fois avec la même femme – je ne pouvais pas la laisser seule et elle semblait partie pour une soirée de folies, alors aussi bien l’accompagner. Je calai donc mon verre et en commandai une autre tournée. Je levai mon verre. « À la tienne alors, Lilygirl ! » Nos verres se rencontrèrent dans un petit cling et je bus cul-sec mon verre, encore, les yeux plissés par la chaleur dans ma gorge et le goût dans ma bouche.